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Politique Publié le mardi 13 septembre 2011 | Nord-Sud

Epiphane Zoro-Bi à Charles Konan Banny : «Vous êtes l’ouvrier désigné pour guérir ce peuple»

Dans cette contribution qu’il adresse au président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, le magistrat ivoirien, Epiphane Zoro-Bi apporte sa pierre à l’œuvre de reconstruction de la cohésion entre les populations ivoiriennes.


Mon adresse à M. Charles Konan Banny : pour une éthique du dialogue citoyen

Monsieur le président de la Cdvr,
La mise en place d’une institution en charge de la reconstruction de l’harmonie sociale et de la réconciliation nationale figure parmi l’une des mesures d’urgence arrêtées par le chef de l’Etat dès sa prise de fonction. Dans la perspective du chef de l’Etat, la création de ce mécanisme de gestion des effets dévastateurs des crises politico-militaires successives que le pays a traversées devait se faire sur la base des spécificités culturelles ivoiriennes et obéir aux principes éthiques de la résolution des conflits que nous a laissés le père- fondateur de la nation ivoirienne, Houphouet-Boigny : le dialogue. Les paroles de celui-ci résonnent encore à nos oreilles en échos prophétiques et interpellent en nous cette propension que nous avons développée au fil des ans, à vivre dans des tranchées, à nous jeter l’anathème les uns sur les autres par communauté entière, et à nous repaître de crimes fratricides : « Il n’y aura pas de paix tant que la force paraîtra l’unique recours possible pour dénouer des situations intolérables. Dans la recherche de la paix, de la vraie paix, de la paix juste et durable on ne doit pas hésiter, un seul instant, à recourir, avec obstination au dialogue.»

Le dialogue et le droit à la vérité

Le recours au dialogue devra nous permettre de faire éclater la vérité sur les évènements douloureux passés et récents. C’est un droit fondamental pour tous, générations présentes et futures de savoir pourquoi, par qui et comment toutes ces horreurs ont pu se commettre. Le comité des droits de l’Homme des Nations Unies l’affirme : « l’exercice plein et effectif du droit à la vérité est essentiel pour éviter qu’à l’avenir de telles violations ne se reproduisent ». La Commission a la lourde responsabilité de nous aider à comprendre et à faire la lumière sur les évènements passés et récents qui ont bouleversé nos vies et saper les fondements de la République. Pour ce faire, il lui incombe d’aller à l’encontre de cette citadelle que Hannah Arendt a si judicieusement nommée « les mystères du pouvoir », à savoir « la tromperie, la falsification délibérée et le mensonge pur et simple employés comme moyens légitimes de parvenir à la réalisation d’objectifs politiques ». Nulle vérité sélective ne doit être admise dans ce processus, au risque de préparer le terreau d’une compulsion de répétition de nouveaux actes de violences. Tous les « mystères du pouvoir », faits de crimes de sang et de crimes économiques, qu’ils aient été commis au ‘’Nord’’ ou au ‘’Sud’’, pour emprunter la géographie de la crise, doivent être élucidés et les responsabilités fixées.
Le dialogue et la réconciliation
Le recours au dialogue aura pour objectif ultime de réconcilier les filles et les fils de ce pays ainsi que tous ceux qui vivent sur le sol ivoirien. Le défi de la démocratisation de la société ivoirienne et les impératifs de son développement économique et social ne sauraient tolérer les divisions et les rancœurs traumatiques post-crise. Pendant combien de temps le pays survivra-t-il, à voir ainsi ses enfants dressés les uns contre les autres. « Un royaume divisé contre lui-même ne saurait subsister », dit-on ! La Côte d’Ivoire a besoin des forces vives de tous ses enfants, pour jeter les bases d’une société démocratique et amorcer son développement.
Nos attentes sont grandes, vis-à-vis de la commission en charge d’initier ce dialogue salvateur, qui fera renaître des ruines de la guerre une Nation ivoirienne plus forte parce que démocratique et tolérante!
Quel dialogue pour faire éclater la vérité et pour réconcilier la Côte d’Ivoire avec elle-même ?
J’ai parcouru pour vous les mémoires de Socrate et je voudrais ici partager avec vous sa vision du dialogue, son éthique du dialogue citoyen. Puissiez- vous être ce Socrate ivoirien, pour faire parler les uns et les autres afin que la vérité éclate tant dans toute sa laideur que dans toute sa beauté. Laide ou belle, notre nation a besoin de cette vérité réparatrice pour fortifier son âme et prévenir les risques de désastre futur. Vous êtes l’ouvrier, désigné pour se tenir sur la brèche afin de guérir ce peuple.

L’éthique du dialogue citoyen

Le dialogue, au sens socratique du terme, est reconnaissance de l’autre en tant que personne humaine. « Dialoguer, c’est faire et avoir confiance en l’homme. Ce dernier peut avoir connu des moments d’égarement, il peut même s’avérer vaniteux et immoral ». Mais engager un dialogue dans ce contexte, c’est croire en l’homme et en sa perfectibilité. Le dialogue constructeur se nourrit de vérité, dérangeante, blessante parfois mais qui, telle la torpille ou le taon de la légende de Socrate nous éveille de notre engourdissement par ses décharges électriques ou ses bourdonnements. Ce dialogue qui nous fait successivement passer d’une conscience engourdie à une conscience inquiète, puis d’une conscience inquiète à une conscience éveillée est le vecteur de l’émergence d’une vraie citoyenneté.
L’éthique du dialogue, en tant qu’outil d’émergence d’une conscience citoyenne, coïncide avec l’éthique des droits de l’Homme. Elles se nourrissent de valeurs communes qui devront servir de piliers à notre commission de dialogue.

Les 4 piliers du dialogue citoyen

Pilier n°1 : le principe de l’égale dignité de tous les êtres

« Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit ». Le dialogue suppose que tous les intervenants au processus sont logés à même enseigne et interviennent dans des conditions d’équité subséquentes. Le dialogue permet au pauvre de se revêtir de la dignité du riche et inversement au riche de se couvrir de l’humilité du pauvre.
A ce stade, je voudrais m’interroger avec vous sur la question de savoir si le principe de l’égale dignité, vue sous un angle philosophique ne signifie pas également la reconnaissance de l’égale faiblesse consubstantielle à la nature humaine. « Tout homme est mortel. Or, je suis un homme. Donc je suis mortel ». La prise de conscience de nos propres limites nous rend disposer à découvrir l’humain en l’autre, même lorsque cet humain prend la forme d’un instant d’égarement et de folie. La prise de conscience de nos limites est un processus d’éveil citoyen qui nous dispose à l’ouverture à l’autre, donc au dialogue. Le dialogue est impossible si une partie prenante au processus fait preuve d’extrême suffisance. Ici, égale dignité coïncide avec humilité.

Pilier n°2 : le principe de la non-discrimination

Nul ne peut être exclu du processus de dialogue citoyen du fait de son appartenance politique, de son sexe, de son origine ethnique, de ses convictions idéologiques et philosophiques ou pour toute autre cause de discrimination. Le principe de la non- discrimination est cependant compatible avec cette discrimination positive, qui permet d’accorder un traitement privilégié aux personnes vulnérables, socialement, économiquement et culturellement privée du droit de cité. Nous pensons notamment aux femmes et aux enfants, qui doivent bénéficier d’une attention particulière dans tout processus de dialogue afin que leur parole soit véritablement libre, exempte de toute pression, intimidation ou menace, d’où qu’elle vienne.

Pilier n°3 : la liberté d’opinion et d’expression

Toute personne a droit à la liberté de pensée et de conscience et à la liberté d’exprimer ses opinions conformément aux valeurs fondamentales d’une société démocratiques. Le bénéfice de cette liberté devra concerner tous les camps en présence et inclure l’ensemble des protagonistes. Aucune opinion, si dérangeante soit-elle, à l’exception des incitations à la haine et au crime, ne doivent faire l’objet de censure. Par ailleurs, consulter et écouter l’ensemble de la population, spécialement elles qui ont le plus souffert de la crise, c’est déjà restaurer la qualité de personne humaine des consultés, c’est restaurer leur sentiment d’appartenance citoyenne.  

Pilier n°4 : le droit de participer à la gestion des affaires publiques

Toute personne a le droit de prendre part à la gestion des affaires publiques, soit directement soit par l’intermédiaire de ses représentants. Le processus de dialogue ne concernera pas uniquement les questions liées aux droits et liberté individuelles ou celles relatives à la vie privée et familiale. Il apportera une égale importance aux questions touchant à la vie publique et politique. La banalisation du mal et la légitimation des crimes les plus odieux ont commencé à partir du moment où une partie de la population a été victime d’une tentative de privation du droit de cité, par un déni de la qualité de national ivoirien. Privé ainsi « du droit d’avoir des droits » à travers cette volonté de les mettre à l’écart de la communauté politique, nombre de nos compatriotes se sont vu dénier la qualité d’hommes, réduits en « hommes objets et jetables ». La question de la citoyenneté et de la participation sans exclusive à la vie publique et politique nationale devra être abordée sans tabou en vue d’apporter une solution durable au conflit ivoirien.
Monsieur le président de la commission il est important de noter enfin que toute période de crise a ses aspects de responsabilité partagée dont il faut tenir compte au risque de fausser les règles du jeu du dialogue. Le degré de responsabilité peut certes varier d’un camp à un autre. Mais la nature de la responsabilité demeure la même. Nier le principe de la responsabilité partagée, ce n’est plus dialoguer mais c’est s’engager dans une succession de monologues. Or, la démocratie a besoin de dialogue.
Le succès de la mission qui vous a été assignée relève certes de la responsabilité de l’ensemble de la communauté nationale. Il vous appartient cependant de faire de la Commission un espace de participation citoyenne à cette délicate entreprise de catharsis collective. La vérité et la réconciliation seront à ce prix. Dans cette voie, le peuple vous accompagnera.

Par Epiphane Zoro
Spécialiste des droits de l’Homme
Unité justice transitionnelle et lutte contre l’impunité
Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme Kinshasa- RDC
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