Interview / Coulibaly Mamidou, l’albinos, dénonce : ‘’Nous sommes en danger en périodes électorales‘’

Le président de l’ONG (Organisation non gouvernementale) Bedaci (Bien-être des albinos en Côte d’Ivoire) n’est pas content du traitement dont sont victimes les albinos. Dans cette interview, Coulibaly Mamidou (Titulaire d’un Deug II en droit, négociateur en immobilier) crache ses vérités et interpelle les autorités.
Pourquoi la mise sur pied d’une structure pour un mieux-être des albinos ?
Nous avons créé cette organisation pour améliorer les conditions d’existence des albinos qui ont une vie difficile à cause de leur état. Et je me félicite, pour un début, de la mobilisation des albinos à adhérer à notre ONG. Nous enregistrons déjà quatre cents (400) albinos.

Quels sont les problèmes auxquels sont confrontés les albinos ?
A l’école, l’albinos est marginalisé. Il y a des élèves ou étudiants qui refusent de s’asseoir sur le même banc avec un albinos. Pareil quand nous sommes assis dans un véhicule de transport commun où des personnes peuvent refuser d’emprunter le car ou le bus parce qu’ils auront pour voisin un albinos. Particulièrement, j’ai été victime et je continue de vivre ce genre de situations. Des personnes évitent de toucher un albinos sous prétexte qu’ils seront atteints d’albinisme ou l’un de leurs parents le sera. Tout albinos quel que soit son rang social n’échappe pas à cette marginalisation. Même en entreprise, un albinos est mal vu. Ce qui fait qu’il y a beaucoup de chefs d’entreprise qui refusent de recruter les albinos.

Les albinos ont donc du mal à s’insérer dans le tissu socioprofessionnel…
Oui ! Les gens se disent d’abord que nous sommes fragiles. Il y a des responsables d’entreprise qui ont même le courage de dire qu’on ne peut pas vous embaucher. Ils vous disent carrément que nous avons peur des albinos. Pour eux, une personne atteinte d’albinisme ne peut pas rendre service à une entreprise. Car, disent-ils, un albinos, par sa présence dans une structure, peut empêcher le développement de la clientèle. Au jour d’aujourd’hui, au moins 60 % des albinos en Côte d’Ivoire sont des intellectuels. Et ce sont environ 90 % de ces albinos qui sont sans emploi. Dans les restaurants également, nous avons aussi des problèmes. Vous pouvez aller vous asseoir dans un restaurant et on refusera de vous servir à manger. Pis, des parents ont conseillé à leurs enfants de cracher s’ils voient un albinos pour ne pas que leur mère puisse mettre au monde un enfant atteint d’albinisme. Et nous constatons malheureusement que des enfants crachent quand nous passons près d’eux. Il y a quelques heures (quelques jours, Ndlr) mon camarade, albinos aussi, et moi avons été victimes d’une telle situation semblable, à Bingerville. Nous faisons régulièrement face à des moqueries de certaines personnes. L’albinos, dans la société, est considéré comme un théâtre. On nous considère comme des êtres à part entière. Il y a des gens qui font tout pour ne pas regarder un albinos surtout les femmes enceintes qui tournent carrément le visage lorsqu’elles voient un albinos, sous le prétexte qu’elles feront un enfant atteint d’albinisme si elles regardent un albinos.

Comment comprenez-vous cette crainte vis-à-vis des albinos ?
Cette peur des albinos réside dans le fait que beaucoup de personnes ne prennent pas l’état d’albinisme comme une maladie mais un problème de sorcellerie. Pour des gens, l’albinos est l’autre sens de l’être humain.

Psychologiquement, cette situation a-t-elle une influence sur vous ?
Personnellement, je ne suis pas fragilisé par cette situation. Mais, il y a certains albinos que cette marginalisation a beaucoup déstabilisés. Des camarades me disent franchement qu’ils sont découragés de la vie. Moralement, nous constatons que ces albinos sont atteints. Nous les sensibilisons pour leur dire d’accepter leur situation. Nous leur disons de faire fi des regards des gens et de vivre comme s’ils avaient le teint noir comme les autres personnes.

Vous avez aussi de réels problèmes au niveau de la santé …
Tous les albinos ont un problème de vue. Il y a certains de nos camarades qui n’arrivent pas à définir un objet à trois mètres. Au niveau du corps, 50% des albinos ont des problèmes de cancer de la peau à partir de 50 ans. Et cela est dû à la pauvreté qui fait que beaucoup d’entre nous sont obligés de travailler sous le soleil. Malheureusement, beaucoup d’albinos sont décédés, suite à un problème de cancer.

Peut-on dire que cette marginalisation que vous évoquez tantôt a créé un complexe chez l’albinos qui préfère, selon des observateurs, se mettre à l’écart des autres ?
Pour ne pas être humilié, l’albinos évite d’approcher les gens. Il y a des endroits où vous arrivez et vous devez saluer cinq personnes. Si vous commencez à saluer en tendant votre bras, c’est fort possible que l’un, au moins, parmi les cinq personnes, refusera de vous serrer la main. Ce qui fait que l’albinos préfère saluer sans tendre la main et se mettre de côté.

On ne sent pas aussi une certaine solidarité entre les albinos…
Cette marginalisation fait que tout albinos préfère être la seule personne atteinte d’albinisme. En clair, l’albinos est meurtri quand il voit un autre atteint de cette maladie et qu’il fera face à tous les problèmes que l’albinos subit dans la société. D’où le complexe qu’il a lorsqu’il voit un autre dans le même état que lui.

Au regard de tout ceci, l’albinos peut-il se marier aisément ?
Moi, je suis marié avec une femme qui n’est pas albinos et j’ai six enfants qui ne sont pas aussi albinos. Toutefois, ce n’est pas facile pour un albinos d’avoir une femme et fonder un foyer. Parfois, la femme peut accepter de vivre avec un albinos mais l’entourage, les parents, les voisins, peuvent constituer un obstacle. On entend régulièrement ce genre de propos : « Au lieu d’épouser un homme normal, c’est un albinos que tu es allé prendre ». Ce qui fait que beaucoup d’albinos ne sont pas mariés. A mon niveau, il y a même eu des sabotages mais nous avons tenu avec l’appui de certains parents dont la compréhension a sauvé mon mariage.

Qu’est-ce que vous pouvez dire à tous ceux qui considèrent les albinos comme des vecteurs de malédictions, des sorciers ?
C’est dommage que des personnes considèrent l’albinisme comme une malédiction. Je voudrais dire aux uns et aux autres que cette considération n’est pas juste. Ce sont des préjugés. Cette situation fait que des albinos se demandent pourquoi ils sont dans cet état. Ils pensent qu’ils sont effectivement maudits. Alors que sur le plan scientifique, c’est un problème de manque de mélanine.

Confirmez-vous qu’on utilise les albinos pour des sacrifices humains sous la base que vous avez des pouvoirs surnaturels ?
C’est une réalité. Nous avons vécu des situations dramatiques en Côte d’Ivoire. Par exemple, aux Deux-Plateaux, il y avait un albinos qui, de façon volontaire, a décidé de régler la circulation afin de pallier les problèmes de non fonctionnement des feux tricolores. Malheureusement, il a été retrouvé un jour assassiné et son sexe a été enlevé. Aussi, à l’intérieur du pays, vers Guitry précisément, le même cas c’est produit pour un enfant albinos. Egalement à Duékoué, pendant la période électorale, un albinos a été enlevé, assassiné et dépossédé de sa langue. Bref, les exemples sont légions. Franchement nous sommes en danger au moment des joutes électorales. En outre, Des gens avancent que lorsque vous avez des rapports avec une femme albinos, vous devenez riche. C’est faux ! Parce qu’il y a des personnes qui sont mariées avec des femmes albinos depuis plusieurs années et qui sont moins nantis. C’est le lieu de dire à mes sœurs albinos de faire beaucoup attention parce que les gens les courtisent pour avoir simplement des rapports sexuels avec elles et non les prendre au sérieux.

Au regard de tous ces problèmes, quelles sont les actions que votre ONG entend mener pour le bien-être des albinos ?
Notre structure entend tout d’abord sensibiliser les populations ivoiriennes et au-delà celles des autres pays du monde en leur expliquant que l’albinisme n’est pas une malédiction mais un problème génétique. Nous allons entreprendre des démarches au près des autorités pour une meilleure insertion socioprofessionnelle des albinos. Au niveau sanitaire, nous mènerons des actions pour que les albinos bénéficient des prises en charge en matière de dermatologie et d’ophtalmologie. Egalement, nous ferons en sorte que tous les albinos puissent avoir les moyens de porter des verres correcteurs. C’est dommage que ce soient 10 à 15 % seulement des personnes atteintes d’albinisme qui utilisent ces verres. Nous allons demander l’appui de l’Etat et de certaines organisations nationales et internationales afin d’avoir des subventions pour soutenir les albinos en difficulté. Nous comptons également construire un centre de santé et une structure d’alphabétisation. A ce niveau, nous avons déjà obtenu un terrain.
R. Dibi