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Art et Culture Publié le samedi 8 octobre 2011 | Nord-Sud

Léa Dubois (artiste comédienne) : “Quand il fait nuit, je ne vois plus rien…”

Toujours souriante et débordante de joie de vivre, c’est une Léa Dubois décontractée que nous avons rencontrée, lundi, à son domicile à Koumassi. A bâtons rompus, elle parle dans cet entretien de son problème de vue, du film ‘’Histoire d’une vie’’, du feuilleton ‘’Nafi’’ mais aussi du Burida, avec son humour dont elle ne se sépare jamais.


Vous êtes la productrice du film ‘’Histoire d’une vie’’… Vrai ou faux ?
‘’Histoire d’une vie’’ n’est pas mon film. C’est le film d’une dame nommée Mme Bogui. Je n’ai assuré que la direction artistique. En fait, c’est une dame qui m’a demandé d’être sa marraine artistique. Elle a, si je peux le dire ainsi, mis le projet dans ma main. Sincèrement, j’ai travaillé avec mon cœur. On a l’impression que c’est mon film mais non. J’ai été actrice, j’ai assuré la mise en scène et la direction artistique, c’est tout. Comment le projet a été financé et tout le reste, ‘’walaï’’ (Ndlr ; au nom de Dieu), je ne sais pas.

Outre le film, vous apparaissez dans une publicité qui passe en boucle sur la télévision nationale. Comment êtes-vous en arrivé là ?
C’est une grâce de Dieu. J’étais chez moi quand un matin, un monsieur du nom de Virgile Egnankou a demandé à me voir. Nous nous sommes donné rendez-vous à mon maquis. Nous avons discuté. Il m’a parlé du produit. J’ai vu le scénario. On s’est mis d’accord et nous avons tourné. Ça m’a fait plaisir. Et dans le métier, on ne crache pas sur ce genre d’occasions (rires).

‘’Histoire d’une vie’’, pub, est-ce à dire que tout marche bien pour vous en ce moment ?
Dire que tout marche bien, c’est trop dire. Vous savez qu’ici lorsqu’on t’appelle pour un projet et que tu proposes le prix, on pleure. Donc aucun artiste ici n’est plein aux as. Mais, par la grâce de Dieu, ça va. Il ne faut pas mentir. C’est mon rêve d’être pleine aux as, mais j’y travaille.

Dire qu’un acteur de cinéma ne peut pas être riche, pose le problème même du cinéma ivoirien. Quel est votre regard sur la situation actuelle du 7e art?
C’est une situation que je vis tous les jours en tant que comédienne. Je voudrais dire qu’il n’y a pas de plate-forme ici, rien n’est prévu pour nous. C’est nous-mêmes, avec nos maigres mo­yens et des bonnes volontés qui nous battons pour que ce métier-là ne meurt pas. Car, c’est la profession que nous avons choisie.

Que parvenez-vous à faire avec ces maigres moyens dont vous parlez ?
On arrive quand-même à produire des films. Mais, quand on le fait, pour que les populations aillent au cinéma, c’est tout un problème. A cela, il faut ajouter le fait que nous devons louer le matériel, payer et entretenir les acteurs, produire de spots qui coûtent excessivement cher et enfin pour projeter ton film, le gérant de la salle te réclame la moitié du prix de ton ticket. Donc si tu mets 25 millions dans un film, tu fais ‘’gué juste’’ (moitié-moitié) avec le propriétaire de la salle.

Qu’est-ce qui explique cela ?
C’est parce qu’il n’y a plus de salles. A Abidjan, il y a une seule salle potable qui est celle de la Fontaine à Sococé aux Deux-Plateaux. A Prima, il faut louer la salle. La location se fait au moins à 750.000 Fcfa. C’est pourquoi, nous les comédiens, demandons la construction de salles publiques. Si, par exemple, nous avons des salles dans tous nos quartiers, il suffit de faire ton film et de faire l’entrée à 1000 ou 500 Fcfa. Ce qui va encourager aussi les personnes à aller au cinéma. Et si la piraterie vient s’ajouter à cela, c’est le ‘’lass’’ (Ndlr ; la totale).

Malgré tous les problèmes que vous évoquez, des films sortent. Existe-t-il des fonds pour vous soutenir ?
Je n’ai jamais su qu’il y avait des aides aux comédiens. Ni entendu qu’un film a été financé quelque part. Même quand on parle du Burida, nous les comédiens sommes relégués au second plan. Nous sommes lésés de part et d’autre. Quand on vient avec un projet de théâtre, de film, de spectacle… zéro. En ce moment, nous avons beaucoup d’espoir. Puisque notre ministre de tutelle, lui-même, est un artiste. Il est de la maison.

Pourquoi cette confiance ?
Je me souviens qu’en 2002, avec ma troupe Katahua théâtre de ‘’Qui fait ça’’, nous voulions faire le tour de la Côte d’Ivoire. J’ai écrit à toutes les mairies pour nous aider. Il y a deux maires qui m’ont répondu. Maurice Bandaman (maire de Taabo) a été le premier à le faire. Il nous a tellement bien reçus que tous les week-ends, on était là-bas. Donc, vous comprenez mon espoir.

Malgré sa venue à ce poste, le Burida ne se porte pas bien. Qu’est-ce qui ne va pas selon vous ?
Franchement, le Burida-là, je ne connais rien dedans. Tout ce que je sais, c’est qu’un matin, on m’a appelé pour me dire que nous les comédiens avons été lésés. Et que nous avons des droits voisins. Vous voyez non, nous, nos droits-là, ce sont des droits voisins. Depuis ce jour, je n’ai jamais vu un voisin venir vers moi. Même un rond, je n’ai jamais reçu. J’ai produit deux films dont un a été sélectionné pour le Festival panafricain du cinéma de Ouagadougou (Fespaco). J’ai porté le drapeau de la Côte d’Ivoire. Malgré cette sélection, quand je me suis rendue au ministère de la culture à l’époque, on m’a fait savoir qu’il n’y avait rien.

Après ce diagnostic, quelles sont vos propositions pour la relance du secteur ?
Je n’ai pas de propositions à faire. Ce que je dis, c’est que je suis à l’aise. Parce que celui qui est là maintenant (le ministre), lui-même c’est un gars (un homme de caractère). Et je sais que lui et moi faisons le même combat. Parce que je ne suis pas sûre que ses droits sont payés. C’est dans sa main hooo, on le regarde.

Beaucoup de femmes se lancent dans la production de films. N’y a-t-il pas de jalousie entre vous ?
Non. Voilà la preuve (elle pointe du doigt Brigitte Bleu, comédienne, qui est venue lui rendre visite). Elle aussi a ses films et ses spectacles. Pour dire qu’on entretient de bonnes relations. C’est vrai qu’on ne se voit pas souvent, mais quand on se croise, les moments qu’on passe ensemble, se font dans la joie. En tout cas, à mon niveau, c’est cela. Car, on ne sait pas ce qu’il y a dans le cœur de chacun. Nous sommes en train de réfléchir à la mise en place d’une association de femmes productrices. Nous sommes toutes des sœurs.

Il y a une rumeur qui a couru sur vous qui disait que vous êtes devenue aveugle. Qu’en est-il ?
La vérité c’est que j’ai des problèmes de vue. Et j’ai toujours eu ces problèmes depuis mon enfance. Cela ne date pas d’aujourd’hui. C’est-à-dire quand vous avez connu Léa, déjà elle ne voyait pas clair (rires). C’est une maladie qu’on appelle la rétinite pigmentaire. Au fur et à mesure qu’on prend de l’âge, la vue s’en va. Dieu merci, il y a des Cubains qui ont un système pour arrêter l’évolution. Il y a une très bonne volonté qui m’a fait partir à Cuba et je dois m’y rendre chaque année. Cette année, je n’ai pas pu partir à cause de la crise. C’est l’une des raisons fondamentales de mon spectacle. Mais aussi, poser des actions en faveur de l’institut des aveugles. Parce que je me sens très concernée. Quand il fait nuit, je ne vois presque rien. Et c’est depuis mon enfance. Mais je le vis bien.

Cela ne vous gêne-t-il pas souvent ?
Je n’ai pas honte de dire que je ne vois pas bien. Je prépare mes enfants à cela. Je leur dis souvent qu’un matin je peux devenir aveugle. Même les docteurs cubains ont été étonnés que je voie encore. Parce que ma maladie est tellement avancée que depuis l’âge de 25 ans, je devais perdre la vue. Aujourd’hui, j’ai 43 ans. Et je continue de demander pardon à Dieu de me laisser la petite vue qu’il m’a donnée. Avec du courage et de la force, ça ne m’empêche pas de faire ce dont j’ai envie. Lorsque je marche, si je tombe, je m’exclame : je suis tombée oh, je me relève et j’avance.

Le vivez-vous comme un handicap ?
Non. Ça n’a jamais été un handicap pour moi. Mais parfois en tant qu’être humain j’ai mal. Souvent, j’ai envie de faire des choses que je ne peux pas. Je suis obligée d’attendre qu’on m’accompagne ici et là. Ce sont de petites choses qui me font mal, c’est normal. J’ai un pincement au cœur. Ceci étant, j’envie parfois des gens qui voient bien. C’est leur chance.

Votre nom est Léa Dubois. Qui est monsieur Dubois ?
C’est toi (nous montre-t-elle en rires). Il est en voyage. Il est allé se promener chez les Blancs. Dans deux semaines, il sera de retour.

Il est Blanc M. Dubois ?
Quoi ?

M. Dubois est-il un nom français ?
Malheureusement ou heureusement, il est noir. Il s’appelle Djama Dubois. Son père a été caporal-chef dans l’armée française. Il a tué les Allemands pour les Français. C’est là-bas qu’il a pris le nom Dubois, nom d’une famille française qui l’avait adopté.

Certaines personnes vous jugent en fonction de vos rôles qu’elles trouvent agressives. Etes-vous agressive ?
Si je vous demande votre avis, qu’allez-vous répondre ? Non, c’est le rôle que je joue qui demande cela. Dans le rôle du feuilleton ‘’Nafi’’, c’est moi-même qui ai créé mon rôle. J’ai eu l’idée de créer une cour commune dans laquelle une femme se ferait passer pour ce qu’elle n’est pas. Personne n’a pu écrire mon rôle. Tout ce que j’ai fait était improvisé.

Interview réalisée par Sanou A. Coll M.G. (stagiaire)
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