D’un côté, les Etats-Unis et l’Europe, de l’autre, le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine (les BRIC), plus des pays émergents comme l’Afrique du Sud : la « communauté internationale » s’est fracturée comme au bon vieux temps de la guerre froide. Mais, cette fois-ci, il ne s’agit pas d’endiguer la puissance soviétique d’un côté, ou de contrecarrer l’Amérique de l’autre. La fracture passe par la Syrie, où le régime de Bachar al-Assad, pour se maintenir au pouvoir, a lancé une répression sanglante contre ses opposants, faisant depuis le 15 mars, selon l’ONU, plus de 3.000 morts, sans compter les personnes arrêtées, torturées et déplacées.
Même si un compromis final est trouvé pour sauver la face, les BRIC, comme d’autres pays d’Afrique et d’Amérique latine, n’ont pas agi comme ils l’avaient fait face au cas libyen. En n’exerçant pas alors leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie et la Chine ne s’étaient pas, de facto, opposées à l’opération militaire des forces de l’Otan aux côtés des rebelles libyens. Une campagne qui visait à protéger des populations civiles menacées à Benghazi et qui a abouti au renversement à Tripoli du régime de Kadhafi, jusqu’au macabre dénouement de jeudi.
Cette fois-ci, la Russie et la Chine ont opposé leur veto début octobre à une résolution du Conseil de sécurité qui se contentait de menacer la Syrie de sanctions ciblées, tandis que l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde et le Liban se sont abstenus.
La Syrie représente, il est vrai, un tout autre enjeu. Tout d’abord, à la différence de la Libye, il n’y a pas eu de Conseil national de transition capable de s’assurer le contrôle d’une ville du pays. Les pays européens et les Etats-Unis hésitent encore à reconnaître le Conseil national syrien (CNS), qui s’est constitué, laborieusement, le 2 octobre dernier à Istanbul en agrégeant des personnalités diverses, des universitaires, des représentants des Frères musulmans mais sans se donner de dirigeants réellement charismatiques. Le CNS lui-même ne se conçoit pas comme l’embryon d’un futur gouvernement provisoire.
En outre, pour l’Occident, comme le souligne un responsable britannique, « la Syrie est un défi géopolitique beaucoup plus compliqué » que la Libye. Toute intervention militaire occidentale, même si elle était limitée à des raids aériens, pourrait avoir des conséquences désastreuses dans la région. Et pas seulement parce que, à la différence encore de la Libye, il n’existe pas un soutien des pays arabes pour un tel objectif. Mais surtout parce que la Syrie joue toujours un rôle direct ou indirect au Liban, bien que son armée se soit retirée en 2005 de ce pays. Depuis la mi-mars, les forces de Bachar al-Assad ont à plusieurs reprises violé la frontière libanaise pour poursuivre des opposants au régime. En outre, le Hezbollah libanais, le « Parti de Dieu », a déjà laissé entendre qu’il réagirait face à une « agression » contre la Syrie.
Dans ce puzzle, l’Iran joue aussi la carte syrienne dans le monde arabe. Téhéran soutient financièrement le Hezbollah et fait transiter par la Syrie ses livraisons d’armes à ce mouvement libanais mais aussi au Hamas palestinien. Le régime des mollahs a passé une alliance de « convenance » avec la Syrie, initialement pour faire un contrepoids à l’Irak et marquer un rapprochement entre chiites iraniens et alaouites, dont est issu le clan Assad au pouvoir depuis quarante ans.
Pour compléter le tableau, la Russie joue elle aussi la carte syrienne, mais très différemment. Moscou a souhaité que le gouvernement syrien s’engage plus avant dans les réformes, et même si, jusqu’à ce jour, Bachar al-Assad n’a rien fait, elle s’en tient à cette position. Surtout, la Syrie, depuis l’implosion de l’URSS, est vraisemblablement le meilleur atout de la Russie pour qu’elle continue à jouer un rôle au Moyen-Orient. Comme le dit le politologue Andrej Kreutz dans une note publiée par l’Ifri (1), Damas n’a certes « pas trouvé en la Russie le champion qu’elle cherchait pour rivaliser avec le soutien américain à Israël » mais les deux pays ont développé - souvent avec prudence -de nombreuses relations stratégiques et économiques.
Pour la Chine, le jeu n’est pas de la même nature. Pékin tient surtout à montrer son opposition à toute forme d’intervention contre un régime menacé par des manifestations, pour éviter de créer un précédent qui pourrait aller contre ses intérêts, par exemple au Tibet. Fondamentalement, la Chine n’a pas de gros enjeux économiques ou stratégiques à y défendre, « même si, selon Andrej Kreutz, elle considère la Syrie comme un carrefour commercial à l’importance croissante pour ses intérêts commerciaux au Moyen-Orient et en Afrique ».
La position de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud est encore différente. La première raison de leur réticence est leur volonté de garder une carte pour jouer un éventuel rôle de médiateur dans la crise syrienne et affirmer ainsi leur rôle de puissances dans le monde. L’autre raison est de privilégier un dialogue Sud-Sud pour contrebalancer si nécessaire le poids des Etats-Unis voire demain de la Chine.
La division de la communauté internationale n’est vraisemblablement pas de bon augure. Le clan Assad est prêt à tout pour défendre la survie du régime. Mais le pari de Bachar al-Assad est à haut risque. Il a déjà perdu le soutien de la Turquie, qui a dû faire face à des déplacements de populations syriennes victimes de la répression et qui, surtout, redoute toute déstabilisation supplémentaire du Kurdistan turc à partir de la Syrie. En outre, l’assassinat récent d’un leader kurde syrien, Mechaal Tamo, pourrait conduire à la rupture de la fragile trêve entre cette communauté et le régime syrien. Jusqu’à quand le pouvoir des alaouites (issus d’une scission du chiisme) pourra-t-il survivre à la contestation, alors que plus de 70 % de la population est sunnite et que des pans de l’armée ont fait désertion ?
Jacques HUBERT-RODIER, Les Echos
Même si un compromis final est trouvé pour sauver la face, les BRIC, comme d’autres pays d’Afrique et d’Amérique latine, n’ont pas agi comme ils l’avaient fait face au cas libyen. En n’exerçant pas alors leur droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie et la Chine ne s’étaient pas, de facto, opposées à l’opération militaire des forces de l’Otan aux côtés des rebelles libyens. Une campagne qui visait à protéger des populations civiles menacées à Benghazi et qui a abouti au renversement à Tripoli du régime de Kadhafi, jusqu’au macabre dénouement de jeudi.
Cette fois-ci, la Russie et la Chine ont opposé leur veto début octobre à une résolution du Conseil de sécurité qui se contentait de menacer la Syrie de sanctions ciblées, tandis que l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Inde et le Liban se sont abstenus.
La Syrie représente, il est vrai, un tout autre enjeu. Tout d’abord, à la différence de la Libye, il n’y a pas eu de Conseil national de transition capable de s’assurer le contrôle d’une ville du pays. Les pays européens et les Etats-Unis hésitent encore à reconnaître le Conseil national syrien (CNS), qui s’est constitué, laborieusement, le 2 octobre dernier à Istanbul en agrégeant des personnalités diverses, des universitaires, des représentants des Frères musulmans mais sans se donner de dirigeants réellement charismatiques. Le CNS lui-même ne se conçoit pas comme l’embryon d’un futur gouvernement provisoire.
En outre, pour l’Occident, comme le souligne un responsable britannique, « la Syrie est un défi géopolitique beaucoup plus compliqué » que la Libye. Toute intervention militaire occidentale, même si elle était limitée à des raids aériens, pourrait avoir des conséquences désastreuses dans la région. Et pas seulement parce que, à la différence encore de la Libye, il n’existe pas un soutien des pays arabes pour un tel objectif. Mais surtout parce que la Syrie joue toujours un rôle direct ou indirect au Liban, bien que son armée se soit retirée en 2005 de ce pays. Depuis la mi-mars, les forces de Bachar al-Assad ont à plusieurs reprises violé la frontière libanaise pour poursuivre des opposants au régime. En outre, le Hezbollah libanais, le « Parti de Dieu », a déjà laissé entendre qu’il réagirait face à une « agression » contre la Syrie.
Dans ce puzzle, l’Iran joue aussi la carte syrienne dans le monde arabe. Téhéran soutient financièrement le Hezbollah et fait transiter par la Syrie ses livraisons d’armes à ce mouvement libanais mais aussi au Hamas palestinien. Le régime des mollahs a passé une alliance de « convenance » avec la Syrie, initialement pour faire un contrepoids à l’Irak et marquer un rapprochement entre chiites iraniens et alaouites, dont est issu le clan Assad au pouvoir depuis quarante ans.
Pour compléter le tableau, la Russie joue elle aussi la carte syrienne, mais très différemment. Moscou a souhaité que le gouvernement syrien s’engage plus avant dans les réformes, et même si, jusqu’à ce jour, Bachar al-Assad n’a rien fait, elle s’en tient à cette position. Surtout, la Syrie, depuis l’implosion de l’URSS, est vraisemblablement le meilleur atout de la Russie pour qu’elle continue à jouer un rôle au Moyen-Orient. Comme le dit le politologue Andrej Kreutz dans une note publiée par l’Ifri (1), Damas n’a certes « pas trouvé en la Russie le champion qu’elle cherchait pour rivaliser avec le soutien américain à Israël » mais les deux pays ont développé - souvent avec prudence -de nombreuses relations stratégiques et économiques.
Pour la Chine, le jeu n’est pas de la même nature. Pékin tient surtout à montrer son opposition à toute forme d’intervention contre un régime menacé par des manifestations, pour éviter de créer un précédent qui pourrait aller contre ses intérêts, par exemple au Tibet. Fondamentalement, la Chine n’a pas de gros enjeux économiques ou stratégiques à y défendre, « même si, selon Andrej Kreutz, elle considère la Syrie comme un carrefour commercial à l’importance croissante pour ses intérêts commerciaux au Moyen-Orient et en Afrique ».
La position de l’Inde, du Brésil et de l’Afrique du Sud est encore différente. La première raison de leur réticence est leur volonté de garder une carte pour jouer un éventuel rôle de médiateur dans la crise syrienne et affirmer ainsi leur rôle de puissances dans le monde. L’autre raison est de privilégier un dialogue Sud-Sud pour contrebalancer si nécessaire le poids des Etats-Unis voire demain de la Chine.
La division de la communauté internationale n’est vraisemblablement pas de bon augure. Le clan Assad est prêt à tout pour défendre la survie du régime. Mais le pari de Bachar al-Assad est à haut risque. Il a déjà perdu le soutien de la Turquie, qui a dû faire face à des déplacements de populations syriennes victimes de la répression et qui, surtout, redoute toute déstabilisation supplémentaire du Kurdistan turc à partir de la Syrie. En outre, l’assassinat récent d’un leader kurde syrien, Mechaal Tamo, pourrait conduire à la rupture de la fragile trêve entre cette communauté et le régime syrien. Jusqu’à quand le pouvoir des alaouites (issus d’une scission du chiisme) pourra-t-il survivre à la contestation, alors que plus de 70 % de la population est sunnite et que des pans de l’armée ont fait désertion ?
Jacques HUBERT-RODIER, Les Echos