Correspondant de Radio France internationale (RFI) et de l'Agence France presse (AFP) au Liberia, Zoumana Dosso alias Zoom Dosso est un Ivoirien bon teint vivant dans ce pays depuis 25 ans. Dans cette interview qu'il nous a accordée à la faveur du rapatriement des réfugiés ivoiriens vivant au Liberia, l'homme nous parle de la guerre qu'il a vécue, la rébellion du LURD ayant chassé Charles Taylor, non sans lancer un appel aux Ivoiriens.
L'inter : Racontez-nous votre histoire, comment vous vous êtes retrouvé dans ce pays anglophone et y avez passé une partie de votre vie?
Zoom Dosso : (Rires) Ce sont les circonstances de la vie. Une fois à l'université en Côte d'Ivoire, il fallait un peu de ressources financières ; or, mes parents étaient pauvres. Voilà comment j'ai été piqué par le virus de l'aventure qui m'a conduit au Liberia où j'ai enseigné les math-physiques. Mais une fois dans ce pays, je me suis inscrit à l'université pour parfaire mon anglais. À partir de là, le journalisme est venu, et j'ai décidé de m'y former.
Vous totalisez combien d'années à RFI ?
A l'Agence France presse (AFP), j'ai 9 ans d'ancienneté et à Radio France Internationale (RFI), je totalise 15 ans de présence.
Donc, vous avez connu les différentes guerres du Liberia ?
Tout à fait, j'ai vécu la guerre du Liberia du début à la fin.
Peut-on savoir l'état d'esprit d'un journaliste comme vous en période de guerre?
En tant que journaliste de médias internationaux, il faut être vigilant. Il y a plusieurs choses, il y a des obstacles. D'abord, ce sont les patrons qui vous diront : «Il ne faut pas prendre trop de risques, aucune bonne nouvelle ne vaut ta vie». Cela veut dire qu'il faut être très prudent sur le terrain. Ensuite, il y a cette ambition de vouloir faire plus que les autres qui expose notre vie ou celle des autres autour de nous.
Arrive-t-il des fois où des belligérants vous accusent d'avoir penché pour un camp ou pour l'autre dans votre compte rendu ?
Absolument. Mais, c'est dans ces cas de figure qu'un journaliste doit être fort et se montrer professionnel. Certains politiciens vous proposent de l'argent, d'autres procèdent par des menaces. Il vous appartient de surmonter tout cela pour apparaître excellent. Je vous donne un exemple. Pendant la récente guerre du Liberia, je me trouvais dans la partie gouvernementale lorsque le président Charles Taylor est attaqué par le LURD dans la banlieue de Monrovia. J'ai pris le risque de me rendre en banlieue où j'ai fait un direct. Une fois de retour dans la capitale, le président Taylor m'a fait appeler. Au moment où je devrais répondre à son invitation, ma femme m'en a dissuadé au motif que j'allais être tué, mais j'ai tenu à y aller. Quand j'ai rencontré le président, il m'a dit : «Zoom, c'est bien tes reportages, mais ça sème la panique au sein de la population. Mets balle à terre. Cependant je suis satisfait car tu fais bien ton boulot». J'avoue qu'il m'a même payé de l’essence ce jour-là. Le Président a dit qu'il était très content, car grâce à moi, il sait que la rébellion du LURD est proche de la capitale. Ce que lui cachaient, selon lui, ses généraux. Pour dire qu’un autre journaliste pouvait craindre les représailles de Taylor et ne pas répondre à son invitation. Depuis cet épisode, je suis devenu très populaire au Liberia ; car dans un camp comme dans l'autre, on pouvait me créer des problèmes.
Vous avez eu de bons souvenirs dans l'exercice de ce métier?
Bien sûr. Pendant la guerre du Liberia, j'étais en direct sur RFI sur le champ de bataille, et les obus pleuvaient. Vu ma posture, les combattants de l'autre côté pensaient que c’était une roquette que je m'apprêtais à lancer. Il n'en fallait pas plus pour que ces derniers tirent une roquette sur moi, qui heureusement a manqué sa cible. La station de RFI depuis Paris qui faisait le direct, s'est vite rendue compte de cet incident qui a failli coûter ma vie. Après un moment de flottement, j'ai demandé à quitter les lieux alors que j'étais encore en direct sur les antennes. Cet événement a beaucoup marqué les Libériens qui le répètent à souhait, et j'en suis très fier. Je garde cela comme un bon souvenir de courage.
Et les mauvais souvenirs?
Pendant la guerre du Liberia, j’étais en reportage à bord de mon véhicule bâchée de type 4x4, quand j'ai vu, quelque part, plein de cadavres joncher le sol. Et plus loin, j'ai aperçu un enfant d'environ 4 ans tenir la main d'une femme au sol. J'ai demandé à mon chauffeur de marquer un arrêt. Il a eu tellement peur qu'il a fait pipi sur lui. Je lui ai donc demandé de me laisser et de s'éloigner. Je me suis approché de l'enfant qui disait à sa maman découpée en deux : «Maman, allons, maman allons...». J'ai récupéré cet enfant. J'ai pleuré parce que la scène était insoutenable. Directement, je suis allé déposer cet enfant à la Croix-rouge. Ça a été dur pour moi, et j'ai passé deux nuits très agitées.
Passer plus d'une décade à RFI et à AFP suppose que vous avez accumulé une somme d’expériences. Que comptez-vous faire après une telle carrière ?
(Rires et soupirs) Retourner dans mon pays en Côte d'Ivoire. Je le dis franchement, j'ai déjà commencé à préparer mon retour au pays, où je compte terminer ma carrière. Actuellement, j'ai 49 ans et je ne peux pas rester journaliste de terrain jusqu'à la vieillesse. D'ailleurs, je conseille cela à tous les jeunes frères journalistes africains.
Si nous vous comprenons bien, Zoom, il n'est pas exclu que vous laissiez tomber le micro ?
Non. Comme vous l'avez si bien dit, je veux retourner en Côte d'Ivoire et partager mon expérience avec mes jeunes compatriotes. Seulement, je ne serai plus actif sur le terrain.
Il est indéniable que la guerre du Liberia a été meurtrière et plus dévastatrice que celle survenue en Côte d'Ivoire. Quel conseil pouvez-vous prodiguer aux Ivoiriens ?
La guerre est une très mauvaise chose. Et je le dis à qui veut m'entendre que si c'est mon propre père qui prépare une rébellion pour devenir président, je le dénoncerai par tous les moyens. Pour la simple raison qu'on sait toujours où ça commence, mais on ne sait jamais comment ça se termine. On ne sait pas non plus combien d'innocents y perdront la vie. Vous avez bien vu les réfugiés ivoiriens qui, depuis hier (NDLR; mercredi 07 décembre 2011) sous cette canicule, sont assis. Ce sont des bébés, des femmes enceintes, de vieilles personnes pour la plupart, qui sont assis sous le soleil. Moi, j'ai recueilli des témoignages, et c'est vraiment touchant ce que les gens me disent. Chaque fois que je reçois des journalistes ivoiriens au Liberia, je leur dis de faire attention, parce que la guerre n'est pas une bonne chose. Celui qui fait la guerre a une ambition spéciale qui est le pouvoir. Mais, il ne calcule pas les conséquences qui vont avec cette ambition démesurée. Les innocents comme ses propres supporteurs perdent la vie quand ils ne sont pas des mutilés. Le hic, c'est qu’une fois parvenus au pouvoir, ces assoiffés de pouvoir répètent ce pour quoi ils ont pris les armes.
Pour vous, la voie du changement ne doit pas passer par la guerre...?
Mais, regardez la Côte d'Ivoire. Les grandes maisons de médias comme AFP, Reuters... ont relocalisé à Dakar. Au niveau des banques, je citerai la BAD sans oublier plusieurs organisations internationales qui sont parties.
Dans cette ambition démesurée des hommes politiques qui recherchent le pouvoir, il y a aussi la presse qui fait souvent l'objet de mauvais procès pour enflammer le climat social?
Oui, la presse partisane existe aussi au Liberia. Quelle que soit sa sensibilité, un journaliste doit pouvoir rendre les faits avec beaucoup d'objectivité. Quand ce n'est pas le cas, alors tu cesses d'être journaliste pour devenir un terroriste ; car tu as contribué à allumer le feu. J'ai fait diverses formations en journalisme, je n'ai jamais entendu l'éthique du journalisme visant à enflammer un pays. En Côte d'Ivoire comme au Liberia, l'on assiste malheureusement à ce type de journalisme. C'est vrai que le journaliste en tant qu'homme a un penchant pour un tel ou tel, mais il ne faudrait pas que l'on ressente cela dans le travail. Et c'est ce message fort que je voudrais donner aux Ivoiriens. Je saisis l’occasion pour féliciter votre journal «L'inter» pour son professionnalisme.
Réalisée au Liberia par :
G. De GNAMIEN
L'inter : Racontez-nous votre histoire, comment vous vous êtes retrouvé dans ce pays anglophone et y avez passé une partie de votre vie?
Zoom Dosso : (Rires) Ce sont les circonstances de la vie. Une fois à l'université en Côte d'Ivoire, il fallait un peu de ressources financières ; or, mes parents étaient pauvres. Voilà comment j'ai été piqué par le virus de l'aventure qui m'a conduit au Liberia où j'ai enseigné les math-physiques. Mais une fois dans ce pays, je me suis inscrit à l'université pour parfaire mon anglais. À partir de là, le journalisme est venu, et j'ai décidé de m'y former.
Vous totalisez combien d'années à RFI ?
A l'Agence France presse (AFP), j'ai 9 ans d'ancienneté et à Radio France Internationale (RFI), je totalise 15 ans de présence.
Donc, vous avez connu les différentes guerres du Liberia ?
Tout à fait, j'ai vécu la guerre du Liberia du début à la fin.
Peut-on savoir l'état d'esprit d'un journaliste comme vous en période de guerre?
En tant que journaliste de médias internationaux, il faut être vigilant. Il y a plusieurs choses, il y a des obstacles. D'abord, ce sont les patrons qui vous diront : «Il ne faut pas prendre trop de risques, aucune bonne nouvelle ne vaut ta vie». Cela veut dire qu'il faut être très prudent sur le terrain. Ensuite, il y a cette ambition de vouloir faire plus que les autres qui expose notre vie ou celle des autres autour de nous.
Arrive-t-il des fois où des belligérants vous accusent d'avoir penché pour un camp ou pour l'autre dans votre compte rendu ?
Absolument. Mais, c'est dans ces cas de figure qu'un journaliste doit être fort et se montrer professionnel. Certains politiciens vous proposent de l'argent, d'autres procèdent par des menaces. Il vous appartient de surmonter tout cela pour apparaître excellent. Je vous donne un exemple. Pendant la récente guerre du Liberia, je me trouvais dans la partie gouvernementale lorsque le président Charles Taylor est attaqué par le LURD dans la banlieue de Monrovia. J'ai pris le risque de me rendre en banlieue où j'ai fait un direct. Une fois de retour dans la capitale, le président Taylor m'a fait appeler. Au moment où je devrais répondre à son invitation, ma femme m'en a dissuadé au motif que j'allais être tué, mais j'ai tenu à y aller. Quand j'ai rencontré le président, il m'a dit : «Zoom, c'est bien tes reportages, mais ça sème la panique au sein de la population. Mets balle à terre. Cependant je suis satisfait car tu fais bien ton boulot». J'avoue qu'il m'a même payé de l’essence ce jour-là. Le Président a dit qu'il était très content, car grâce à moi, il sait que la rébellion du LURD est proche de la capitale. Ce que lui cachaient, selon lui, ses généraux. Pour dire qu’un autre journaliste pouvait craindre les représailles de Taylor et ne pas répondre à son invitation. Depuis cet épisode, je suis devenu très populaire au Liberia ; car dans un camp comme dans l'autre, on pouvait me créer des problèmes.
Vous avez eu de bons souvenirs dans l'exercice de ce métier?
Bien sûr. Pendant la guerre du Liberia, j'étais en direct sur RFI sur le champ de bataille, et les obus pleuvaient. Vu ma posture, les combattants de l'autre côté pensaient que c’était une roquette que je m'apprêtais à lancer. Il n'en fallait pas plus pour que ces derniers tirent une roquette sur moi, qui heureusement a manqué sa cible. La station de RFI depuis Paris qui faisait le direct, s'est vite rendue compte de cet incident qui a failli coûter ma vie. Après un moment de flottement, j'ai demandé à quitter les lieux alors que j'étais encore en direct sur les antennes. Cet événement a beaucoup marqué les Libériens qui le répètent à souhait, et j'en suis très fier. Je garde cela comme un bon souvenir de courage.
Et les mauvais souvenirs?
Pendant la guerre du Liberia, j’étais en reportage à bord de mon véhicule bâchée de type 4x4, quand j'ai vu, quelque part, plein de cadavres joncher le sol. Et plus loin, j'ai aperçu un enfant d'environ 4 ans tenir la main d'une femme au sol. J'ai demandé à mon chauffeur de marquer un arrêt. Il a eu tellement peur qu'il a fait pipi sur lui. Je lui ai donc demandé de me laisser et de s'éloigner. Je me suis approché de l'enfant qui disait à sa maman découpée en deux : «Maman, allons, maman allons...». J'ai récupéré cet enfant. J'ai pleuré parce que la scène était insoutenable. Directement, je suis allé déposer cet enfant à la Croix-rouge. Ça a été dur pour moi, et j'ai passé deux nuits très agitées.
Passer plus d'une décade à RFI et à AFP suppose que vous avez accumulé une somme d’expériences. Que comptez-vous faire après une telle carrière ?
(Rires et soupirs) Retourner dans mon pays en Côte d'Ivoire. Je le dis franchement, j'ai déjà commencé à préparer mon retour au pays, où je compte terminer ma carrière. Actuellement, j'ai 49 ans et je ne peux pas rester journaliste de terrain jusqu'à la vieillesse. D'ailleurs, je conseille cela à tous les jeunes frères journalistes africains.
Si nous vous comprenons bien, Zoom, il n'est pas exclu que vous laissiez tomber le micro ?
Non. Comme vous l'avez si bien dit, je veux retourner en Côte d'Ivoire et partager mon expérience avec mes jeunes compatriotes. Seulement, je ne serai plus actif sur le terrain.
Il est indéniable que la guerre du Liberia a été meurtrière et plus dévastatrice que celle survenue en Côte d'Ivoire. Quel conseil pouvez-vous prodiguer aux Ivoiriens ?
La guerre est une très mauvaise chose. Et je le dis à qui veut m'entendre que si c'est mon propre père qui prépare une rébellion pour devenir président, je le dénoncerai par tous les moyens. Pour la simple raison qu'on sait toujours où ça commence, mais on ne sait jamais comment ça se termine. On ne sait pas non plus combien d'innocents y perdront la vie. Vous avez bien vu les réfugiés ivoiriens qui, depuis hier (NDLR; mercredi 07 décembre 2011) sous cette canicule, sont assis. Ce sont des bébés, des femmes enceintes, de vieilles personnes pour la plupart, qui sont assis sous le soleil. Moi, j'ai recueilli des témoignages, et c'est vraiment touchant ce que les gens me disent. Chaque fois que je reçois des journalistes ivoiriens au Liberia, je leur dis de faire attention, parce que la guerre n'est pas une bonne chose. Celui qui fait la guerre a une ambition spéciale qui est le pouvoir. Mais, il ne calcule pas les conséquences qui vont avec cette ambition démesurée. Les innocents comme ses propres supporteurs perdent la vie quand ils ne sont pas des mutilés. Le hic, c'est qu’une fois parvenus au pouvoir, ces assoiffés de pouvoir répètent ce pour quoi ils ont pris les armes.
Pour vous, la voie du changement ne doit pas passer par la guerre...?
Mais, regardez la Côte d'Ivoire. Les grandes maisons de médias comme AFP, Reuters... ont relocalisé à Dakar. Au niveau des banques, je citerai la BAD sans oublier plusieurs organisations internationales qui sont parties.
Dans cette ambition démesurée des hommes politiques qui recherchent le pouvoir, il y a aussi la presse qui fait souvent l'objet de mauvais procès pour enflammer le climat social?
Oui, la presse partisane existe aussi au Liberia. Quelle que soit sa sensibilité, un journaliste doit pouvoir rendre les faits avec beaucoup d'objectivité. Quand ce n'est pas le cas, alors tu cesses d'être journaliste pour devenir un terroriste ; car tu as contribué à allumer le feu. J'ai fait diverses formations en journalisme, je n'ai jamais entendu l'éthique du journalisme visant à enflammer un pays. En Côte d'Ivoire comme au Liberia, l'on assiste malheureusement à ce type de journalisme. C'est vrai que le journaliste en tant qu'homme a un penchant pour un tel ou tel, mais il ne faudrait pas que l'on ressente cela dans le travail. Et c'est ce message fort que je voudrais donner aux Ivoiriens. Je saisis l’occasion pour féliciter votre journal «L'inter» pour son professionnalisme.
Réalisée au Liberia par :
G. De GNAMIEN