Les accusations viennent des victimes et des présidents d’associations des victimes des déchets toxiques. Les cent milliards FCFA que l’Etat de Côte d’Ivoire a reçus de la société Trafigura en 2007 pour l’indemnisation des victimes auraient été détournés de leur objectif initial. Mais qu’en est-il exactement ? Notre Enquête.
Octobre 2008. L’ex-chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo inaugurait des centres d’imagerie à résonnance médicale (IRM) du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville et de l’Hôpital militaire d’Abidjan (HMA). Du matériel acquis avec l’argent versé par la société Trafigura à l’Etat dans le cadre de l’indemnisation des victimes des déchets toxiques, déversés dans plusieurs quartiers d’Abidjan, deux ans auparavant. Par ailleurs, HMA et le CHU de Cocody bénéficieront d’un scanner multi barrettes. Des équipements, avouent des praticiens, dont les établissements sanitaires publics de Côte d’Ivoire se dotaient pour la première fois depuis les indépendances. Par la suite, la clôture de l’hôpital militaire sera réhabilitée pendant que la façade du CHU de Treichville était également aménagée pour près de 200 millions FCFA.
Hélas, une partie de ces acquisitions a été pillée. En effet, à l’hôpital militaire d’Abidjan, le scanner a, malheureusement, été emporté en même temps que les frigos-congélateurs de conservation des organes humains par les pilleurs sans cœur de la crise postélectorale en avril 2011. Les informations recueillies auprès du personnel indiquent qu’une partie des fonds dont devait bénéficier HMA devrait assurer sa délocalisation à l’hôpital d’Angré. Ce qui n’a pas encore été fait. Si le montant alloué à HMA dans la clé de répartition établie par l’ex-chef de l’Etat n’était pas connu en vue d’une évaluation comparative, il n’en est pas de même pour la structure voisine qu’est le Parc zoologique. En effet, il était prévu, pour le Zoo d’Abidjan, 300 millions en compensation des animaux décimés par les déchets toxiques.
Des débuts d’actions concrètes
En février 2010, soit trois ans après la réception de l’argent de Trafigura par l’Etat, le Zoo a accueilli avec soulagement le démarrage des travaux d’aménagement de ses installations. Il s’est agi de la rénovation des cages des animaux, de l’aménagement de la salle de stockage des aliments et de la chambre froide. Mais les travaux réalisés correspondent-ils au montant alloué? Le directeur du Zoo n’a pas de réponse à cette question. « Le montant nous a été accordé en 2008. Mais, nous n'avons pas reçu l'argent en espèces. La présidence l'a logé au Trésor. Et, pour les travaux que nous avons indiqués, le suivi était à la charge du Bureau national d’étude et développement », précise Dr Yapo Ayékoé. En d’autres termes, le premier responsable du Zoo n’a pas eu à manipuler cet argent et ne saurait par conséquent, en dire davantage. Qu’à cela ne tienne, quelque chose de concret y a été fait. Comme du reste dans les CHU. A côté de ces structures, il était aussi question de la transformation des centres de formations Sanitaires (CFS) d’Abobo, de Port-Bouët, de Koumassi en Centres hospitaliers universitaires (CHU). Ainsi, dans le cadre de cette transformation, Abobo devait recevoir 1,5 milliard, Port-Bouët 1 milliard et autant pour Koumassi.
Cependant, le constat à ce jour, est que ces centres de formation sanitaire ont tout simplement été transformés en hôpitaux généraux avec un relatif relèvement du plateau technique et l’octroi d’ambulances. En effet, depuis trois ans, on ne parle plus de centre de formation sanitaire mais d’hôpitaux généraux à Abobo et à Port-Bouët, avec des équipements de niveau.
Si ces formations sanitaires n’ont pas atteint le niveau de Centres Hospitaliers Universitaires, ils ont au moins été élevés au rang d’hôpitaux généraux avec un plateau technique qui témoignent de leur nouvel statut. Même si beaucoup reste à faire pour les améliorer. Toujours au chapitre des infrastructures sanitaires, nous avons découvert à Akouédo village et à Djibi village deux centres de santé construits grâce à la manne de Trafigura. Si la fédération des victimes des déchets toxiques de Côte d’Ivoire considère cela comme un motif de satisfaction, elle déplore cependant qu’on se soit limité à de simples bâtiments non équipés et donc inopérants à ce jour. A Abobo, les travaux du centre de veille sanitaire qui devrait être construits à hauteur de 2,06 milliards n’ont pas encore démarré.
Plus de 30.000 victimes attendent d’être indemnisées
Mais l’argent de trafigura n’aura pas servi qu’à construire ou à équiper seulement des hôpitaux. Les collectivités territoriales touchées par les effets pervers des déchets toxiques, en l’occurrence les mairies, ont reçu des financements. Les communes de Bingerville, de Yopougon, d’Attécoubé et de Cocody ont reçu respectivement les sommes de 1 milliard, 1,2 milliard, 500 millions et 4,2 milliards, pour la réalisation de projets sociocommunautaires. A l’instar de ces communes, la Djibi-village a reçu 660 millions pour l’adduction d’eau. Akouédo-Attié et Akouédo-Ebrié ont respectivement empoché 600 et 520 millions FCFA. Soit une enveloppe totale de 68, 654 milliards CFA. « L’état a géré tout cela à sa manière à travers la cellule présidentielle de gestion des catastrophe naturelle », se révolte Charles Koffi, président du Réseau national pour la défense des droits des victimes des déchets toxiques de Côte d’Ivoire (Renadvidet-ci).
Mais si l’on entend moins de murmure du côté des collectivités pour ce qui est de la réalisation des projets d’intérêt national, ce n’est pas le cas chez les victimes humaines qui dénoncent, à visage découvert, le système qui a été mis en place. Lamy Datien, une victime ambulatoire des déchets toxiques, révèle que le Trésor ne lui a pas payé les deux cent mille qui lui revenaient de droit. «J’attends encore, sans qu’aucune explication réelle ne nous soit donnée », se désole t-il. Même attente déçue pour Christine Kokola Hio qui n’a pas, elle non plus, encore eu gain de cause. Polycarpe. I, reporter photographe professionnel, a quant à lui été confronté à des problèmes administratifs qui ont bloqué son dossier. « Il y a eu une erreur sur mon nom. On m’a demandé de faire un certificat d’individualité. Quand je suis allé le faire, à mon retour c’est quelqu’un d’autre qui avait pris mon argent à ma place », explique l’infortuné. Comme Polycarpe, beaucoup d’autres victimes se plaignent de ce que l’indemnisation des victimes était entourée de corruption et de tracasserie. Cela semble avoir été aussi le cas de Bakayoko Vamory Ba, ayant-droit de son frère Moussa décédé dans le cadre des déchets toxiques (Lire l’interview). Des agents du Trésor ont donc été ouvertement accusés de corruption et de falsification de documents. « Ils avaient mis un système de corruption qui consistait à prélever 50 mille francs sur les deux cent mille des victimes ambulatoires des déchets toxiques », dénonce Charles Koffi.
Le chantage des agents du Trésor décrié
Un système dont se seraient rendus complices des responsables d’associations, selon des victimes qui citent nommément Gohourou Claude, en exil aujourd’hui. « Certaines victimes, les plus chanceuses, marchandaient directement après plusieurs aller et venues avec Gohourou, sur la base de la moitié de leur argent », accuse Koffi.
Dans un contexte où le régime d’alors se montrait peu soucieux des bonnes pratiques, les victimes, sans défense ni protection, se faisaient gruger. Mais le sort des victimes ambulatoires reste de loin meilleur à celui des associations elles-mêmes. Elles n’ont rien perçu du tout. « Aucune association ni fédération n’a reçu un seul centime », regrette Marvin Ouattara, président de l’Union des victimes des déchets toxiques d’Abidjan et banlieues (Uvdtab). Alors que cent millions leur avait été alloués sur les cent milliards. Toujours est-il que depuis 2009, le Trésor a suspendu, sur instruction de l’ex-régime, les indemnisations. « Aujourd’hui, il reste encore près de trente mille victimes non indemnisées », selon Charles Koffi.
Mais pour Mavin Ouattara, les cent milliards de Trafigura ont servi à autre chose que l’indemnisation. « Nous avons assisté à une arnaque à grande échelle. L’argent des victimes a tout simplement servi d’appui budgétaire à l’Etat de 2008 à 2010 », accuse t-il. Marvin Ouattara en veut pour preuve la construction du pont « Vagabond » de Yopougon qui a couté la bagatelle de 1,2 milliard et qui relie aujourd’hui les quartiers Sideci et Niangon. L’argent de Trafigura aurait été détourné dans se sens, selon lui. Il cite également l’aménagement du carrefour de l’Indenié pour près de 300 millions FCFA.
En fait d’appui budgétaire, le président de l’Uvdtab ne semble pas avoir tort. Car selon nos investigations, le projet de transformation des centres de formations sanitaires en hôpitaux généraux ne datait pas d’aujourd’hui. « Ce sont des projets en souffrance que l’Etat ne pouvait pas conduire, faute de moyens », révèle Eugène Kouadio, anciennement en service au ministère de la santé. Il a donc fallu l’argent providentiel des déchets toxiques pour que l’Etat ivoirien dote nos hôpitaux de plateaux techniques dignes de ce nom. Ce qui conforte la thèse que l’argent de Trafigura a bien servi d’appui budgétaire.
Pour faire le point de la gestion des cent milliards, nous nous sommes rendus au Trésor où nous avons été orientés vers l’ex-trésorier payeur général, M. Kalou Emmanuel ; actuellement directeur de cabinet adjoint du ministre de l’Economie et des Finances. Selon lui, ce sont 60.107 victimes qui avaient été indemnisées à la date de la suspension des paiements des indemnisations en 2009, sur un total de 95.247 bénéficiaires. «
7 milliards toujours dans les caisses du Trésor
Sur un montant prévisionnel de 20,7 milliards, 13,7 milliards ont été payés », explique t-il. Sur les raisons de la suspension des paiements, M. Kalou précise ceci : « Nous avons dû suspendre le paiement parce qu’à un moment, les informations qui nous permettaient de filtrer ont commencé à sortir, de sorte que le risque de se tromper était devenu grand. On ne pouvait plus parer au cas de fraude ».
Le Trésor avait pourtant pris des dispositions pour faire en sorte que la gestion de l’argent soit la plus transparente possible. « Le ministre de l’Economie nous avait mis en garde à ce sujet et je vous affirme que le trésor a géré ce dossier sans la moindre indemnité», rappelle M. Kalou. Comme pour prévenir de la délicatesse du dossier qu’il a eu à traiter.
En effet, le Trésor dont le rôle dans la chaîne était le paiement des indemnisations, avait reçu une liste de 95. 247 victimes de la cellule présidentielle qui, elle-même, l’avait reçue du ministère de la Santé.
« Le Trésor a adopté une attitude assez rigoureuse. Nous n’avions pas la possibilité de modifier le moindre nom. Quand les victimes se présentaient à nos guichets, on procédait à des vérifications. Lorsque les choses étaient conformes, la victime était payée », explique M. Kalou qui précise, au passage, que seule la cellule présidentielle était habilitée à gérer les questions liées aux erreurs et partant, des réclamations. L’ex-trésorier payeur général, nous a même révélé avoir indemnisé à hauteur de cent millions FCFA un prisonnier, ayant droit d’une victime, après que des vérifications aient été faites. « En tant que comptable, je me suis soucié du niveau de moralité. Les agents qui étaient pris en flagrant délit de corruption ont été mis aux arrêts. Je crois que nous avons eu deux cas comme ça mais aussi de l’autre côté d’autres personnes ont été pris pour tentatives de fraude », nous informe M. Kalou.
Au-delà de la question des victimes humaines, l’ex-trésorier payeur général a tenu à assurer que pour ce qui est des projets sociocommunautaires, les fonds n’ont pas été remis directement aux mairies. « Tous les équipements et les réalisations ont été faits par appel d’offres, que ce soit les achats des scanners ou des IRM. C’était la volonté du ministre de l’Economie. Les paiements, en ce qui concerne les projets, se poursuivent toujours au Trésor. C’est le Bnedt qui en assure le suivi », tranche t-il.
Au titre de la dépollution, M. Kalou a révélé ce qui suit : « Sur 119 projets retenus pour la dépollution, nous avons payé 23 milliards sur un montant de 26 milliards. Pour la dépollution complémentaire, il a été prévu dix milliards, nous avons déjà payé 1,3 milliard ».
Selon l’ex-trésorier payeur général, le trésor a exécuté le travail qu’il avait à faire dans les règles de l’art. Le responsable de l’ex-cellule présidentielle le Pr Bony étant introuvable à Abidjan depuis la crise post-électorale, nous n’avons pas pu avoir sa version sur la gestion des cent milliards. Mais le bilan dressé par M. Kalou Emmanuel indique clairement que de l’argent de Trafigura reste disponible dans les caisses du Trésor. A l’analyse, il reste encore, pour les victimes humaines estimées à quelques 30.000 personnes par les associations, 7 milliards à percevoir. D’où la grogne des bénéficiaires qui attendent toujours dans l’indifférence des autorités.
Alexandre Lebel Ilboudo
Octobre 2008. L’ex-chef de l’Etat ivoirien, Laurent Gbagbo inaugurait des centres d’imagerie à résonnance médicale (IRM) du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Treichville et de l’Hôpital militaire d’Abidjan (HMA). Du matériel acquis avec l’argent versé par la société Trafigura à l’Etat dans le cadre de l’indemnisation des victimes des déchets toxiques, déversés dans plusieurs quartiers d’Abidjan, deux ans auparavant. Par ailleurs, HMA et le CHU de Cocody bénéficieront d’un scanner multi barrettes. Des équipements, avouent des praticiens, dont les établissements sanitaires publics de Côte d’Ivoire se dotaient pour la première fois depuis les indépendances. Par la suite, la clôture de l’hôpital militaire sera réhabilitée pendant que la façade du CHU de Treichville était également aménagée pour près de 200 millions FCFA.
Hélas, une partie de ces acquisitions a été pillée. En effet, à l’hôpital militaire d’Abidjan, le scanner a, malheureusement, été emporté en même temps que les frigos-congélateurs de conservation des organes humains par les pilleurs sans cœur de la crise postélectorale en avril 2011. Les informations recueillies auprès du personnel indiquent qu’une partie des fonds dont devait bénéficier HMA devrait assurer sa délocalisation à l’hôpital d’Angré. Ce qui n’a pas encore été fait. Si le montant alloué à HMA dans la clé de répartition établie par l’ex-chef de l’Etat n’était pas connu en vue d’une évaluation comparative, il n’en est pas de même pour la structure voisine qu’est le Parc zoologique. En effet, il était prévu, pour le Zoo d’Abidjan, 300 millions en compensation des animaux décimés par les déchets toxiques.
Des débuts d’actions concrètes
En février 2010, soit trois ans après la réception de l’argent de Trafigura par l’Etat, le Zoo a accueilli avec soulagement le démarrage des travaux d’aménagement de ses installations. Il s’est agi de la rénovation des cages des animaux, de l’aménagement de la salle de stockage des aliments et de la chambre froide. Mais les travaux réalisés correspondent-ils au montant alloué? Le directeur du Zoo n’a pas de réponse à cette question. « Le montant nous a été accordé en 2008. Mais, nous n'avons pas reçu l'argent en espèces. La présidence l'a logé au Trésor. Et, pour les travaux que nous avons indiqués, le suivi était à la charge du Bureau national d’étude et développement », précise Dr Yapo Ayékoé. En d’autres termes, le premier responsable du Zoo n’a pas eu à manipuler cet argent et ne saurait par conséquent, en dire davantage. Qu’à cela ne tienne, quelque chose de concret y a été fait. Comme du reste dans les CHU. A côté de ces structures, il était aussi question de la transformation des centres de formations Sanitaires (CFS) d’Abobo, de Port-Bouët, de Koumassi en Centres hospitaliers universitaires (CHU). Ainsi, dans le cadre de cette transformation, Abobo devait recevoir 1,5 milliard, Port-Bouët 1 milliard et autant pour Koumassi.
Cependant, le constat à ce jour, est que ces centres de formation sanitaire ont tout simplement été transformés en hôpitaux généraux avec un relatif relèvement du plateau technique et l’octroi d’ambulances. En effet, depuis trois ans, on ne parle plus de centre de formation sanitaire mais d’hôpitaux généraux à Abobo et à Port-Bouët, avec des équipements de niveau.
Si ces formations sanitaires n’ont pas atteint le niveau de Centres Hospitaliers Universitaires, ils ont au moins été élevés au rang d’hôpitaux généraux avec un plateau technique qui témoignent de leur nouvel statut. Même si beaucoup reste à faire pour les améliorer. Toujours au chapitre des infrastructures sanitaires, nous avons découvert à Akouédo village et à Djibi village deux centres de santé construits grâce à la manne de Trafigura. Si la fédération des victimes des déchets toxiques de Côte d’Ivoire considère cela comme un motif de satisfaction, elle déplore cependant qu’on se soit limité à de simples bâtiments non équipés et donc inopérants à ce jour. A Abobo, les travaux du centre de veille sanitaire qui devrait être construits à hauteur de 2,06 milliards n’ont pas encore démarré.
Plus de 30.000 victimes attendent d’être indemnisées
Mais l’argent de trafigura n’aura pas servi qu’à construire ou à équiper seulement des hôpitaux. Les collectivités territoriales touchées par les effets pervers des déchets toxiques, en l’occurrence les mairies, ont reçu des financements. Les communes de Bingerville, de Yopougon, d’Attécoubé et de Cocody ont reçu respectivement les sommes de 1 milliard, 1,2 milliard, 500 millions et 4,2 milliards, pour la réalisation de projets sociocommunautaires. A l’instar de ces communes, la Djibi-village a reçu 660 millions pour l’adduction d’eau. Akouédo-Attié et Akouédo-Ebrié ont respectivement empoché 600 et 520 millions FCFA. Soit une enveloppe totale de 68, 654 milliards CFA. « L’état a géré tout cela à sa manière à travers la cellule présidentielle de gestion des catastrophe naturelle », se révolte Charles Koffi, président du Réseau national pour la défense des droits des victimes des déchets toxiques de Côte d’Ivoire (Renadvidet-ci).
Mais si l’on entend moins de murmure du côté des collectivités pour ce qui est de la réalisation des projets d’intérêt national, ce n’est pas le cas chez les victimes humaines qui dénoncent, à visage découvert, le système qui a été mis en place. Lamy Datien, une victime ambulatoire des déchets toxiques, révèle que le Trésor ne lui a pas payé les deux cent mille qui lui revenaient de droit. «J’attends encore, sans qu’aucune explication réelle ne nous soit donnée », se désole t-il. Même attente déçue pour Christine Kokola Hio qui n’a pas, elle non plus, encore eu gain de cause. Polycarpe. I, reporter photographe professionnel, a quant à lui été confronté à des problèmes administratifs qui ont bloqué son dossier. « Il y a eu une erreur sur mon nom. On m’a demandé de faire un certificat d’individualité. Quand je suis allé le faire, à mon retour c’est quelqu’un d’autre qui avait pris mon argent à ma place », explique l’infortuné. Comme Polycarpe, beaucoup d’autres victimes se plaignent de ce que l’indemnisation des victimes était entourée de corruption et de tracasserie. Cela semble avoir été aussi le cas de Bakayoko Vamory Ba, ayant-droit de son frère Moussa décédé dans le cadre des déchets toxiques (Lire l’interview). Des agents du Trésor ont donc été ouvertement accusés de corruption et de falsification de documents. « Ils avaient mis un système de corruption qui consistait à prélever 50 mille francs sur les deux cent mille des victimes ambulatoires des déchets toxiques », dénonce Charles Koffi.
Le chantage des agents du Trésor décrié
Un système dont se seraient rendus complices des responsables d’associations, selon des victimes qui citent nommément Gohourou Claude, en exil aujourd’hui. « Certaines victimes, les plus chanceuses, marchandaient directement après plusieurs aller et venues avec Gohourou, sur la base de la moitié de leur argent », accuse Koffi.
Dans un contexte où le régime d’alors se montrait peu soucieux des bonnes pratiques, les victimes, sans défense ni protection, se faisaient gruger. Mais le sort des victimes ambulatoires reste de loin meilleur à celui des associations elles-mêmes. Elles n’ont rien perçu du tout. « Aucune association ni fédération n’a reçu un seul centime », regrette Marvin Ouattara, président de l’Union des victimes des déchets toxiques d’Abidjan et banlieues (Uvdtab). Alors que cent millions leur avait été alloués sur les cent milliards. Toujours est-il que depuis 2009, le Trésor a suspendu, sur instruction de l’ex-régime, les indemnisations. « Aujourd’hui, il reste encore près de trente mille victimes non indemnisées », selon Charles Koffi.
Mais pour Mavin Ouattara, les cent milliards de Trafigura ont servi à autre chose que l’indemnisation. « Nous avons assisté à une arnaque à grande échelle. L’argent des victimes a tout simplement servi d’appui budgétaire à l’Etat de 2008 à 2010 », accuse t-il. Marvin Ouattara en veut pour preuve la construction du pont « Vagabond » de Yopougon qui a couté la bagatelle de 1,2 milliard et qui relie aujourd’hui les quartiers Sideci et Niangon. L’argent de Trafigura aurait été détourné dans se sens, selon lui. Il cite également l’aménagement du carrefour de l’Indenié pour près de 300 millions FCFA.
En fait d’appui budgétaire, le président de l’Uvdtab ne semble pas avoir tort. Car selon nos investigations, le projet de transformation des centres de formations sanitaires en hôpitaux généraux ne datait pas d’aujourd’hui. « Ce sont des projets en souffrance que l’Etat ne pouvait pas conduire, faute de moyens », révèle Eugène Kouadio, anciennement en service au ministère de la santé. Il a donc fallu l’argent providentiel des déchets toxiques pour que l’Etat ivoirien dote nos hôpitaux de plateaux techniques dignes de ce nom. Ce qui conforte la thèse que l’argent de Trafigura a bien servi d’appui budgétaire.
Pour faire le point de la gestion des cent milliards, nous nous sommes rendus au Trésor où nous avons été orientés vers l’ex-trésorier payeur général, M. Kalou Emmanuel ; actuellement directeur de cabinet adjoint du ministre de l’Economie et des Finances. Selon lui, ce sont 60.107 victimes qui avaient été indemnisées à la date de la suspension des paiements des indemnisations en 2009, sur un total de 95.247 bénéficiaires. «
7 milliards toujours dans les caisses du Trésor
Sur un montant prévisionnel de 20,7 milliards, 13,7 milliards ont été payés », explique t-il. Sur les raisons de la suspension des paiements, M. Kalou précise ceci : « Nous avons dû suspendre le paiement parce qu’à un moment, les informations qui nous permettaient de filtrer ont commencé à sortir, de sorte que le risque de se tromper était devenu grand. On ne pouvait plus parer au cas de fraude ».
Le Trésor avait pourtant pris des dispositions pour faire en sorte que la gestion de l’argent soit la plus transparente possible. « Le ministre de l’Economie nous avait mis en garde à ce sujet et je vous affirme que le trésor a géré ce dossier sans la moindre indemnité», rappelle M. Kalou. Comme pour prévenir de la délicatesse du dossier qu’il a eu à traiter.
En effet, le Trésor dont le rôle dans la chaîne était le paiement des indemnisations, avait reçu une liste de 95. 247 victimes de la cellule présidentielle qui, elle-même, l’avait reçue du ministère de la Santé.
« Le Trésor a adopté une attitude assez rigoureuse. Nous n’avions pas la possibilité de modifier le moindre nom. Quand les victimes se présentaient à nos guichets, on procédait à des vérifications. Lorsque les choses étaient conformes, la victime était payée », explique M. Kalou qui précise, au passage, que seule la cellule présidentielle était habilitée à gérer les questions liées aux erreurs et partant, des réclamations. L’ex-trésorier payeur général, nous a même révélé avoir indemnisé à hauteur de cent millions FCFA un prisonnier, ayant droit d’une victime, après que des vérifications aient été faites. « En tant que comptable, je me suis soucié du niveau de moralité. Les agents qui étaient pris en flagrant délit de corruption ont été mis aux arrêts. Je crois que nous avons eu deux cas comme ça mais aussi de l’autre côté d’autres personnes ont été pris pour tentatives de fraude », nous informe M. Kalou.
Au-delà de la question des victimes humaines, l’ex-trésorier payeur général a tenu à assurer que pour ce qui est des projets sociocommunautaires, les fonds n’ont pas été remis directement aux mairies. « Tous les équipements et les réalisations ont été faits par appel d’offres, que ce soit les achats des scanners ou des IRM. C’était la volonté du ministre de l’Economie. Les paiements, en ce qui concerne les projets, se poursuivent toujours au Trésor. C’est le Bnedt qui en assure le suivi », tranche t-il.
Au titre de la dépollution, M. Kalou a révélé ce qui suit : « Sur 119 projets retenus pour la dépollution, nous avons payé 23 milliards sur un montant de 26 milliards. Pour la dépollution complémentaire, il a été prévu dix milliards, nous avons déjà payé 1,3 milliard ».
Selon l’ex-trésorier payeur général, le trésor a exécuté le travail qu’il avait à faire dans les règles de l’art. Le responsable de l’ex-cellule présidentielle le Pr Bony étant introuvable à Abidjan depuis la crise post-électorale, nous n’avons pas pu avoir sa version sur la gestion des cent milliards. Mais le bilan dressé par M. Kalou Emmanuel indique clairement que de l’argent de Trafigura reste disponible dans les caisses du Trésor. A l’analyse, il reste encore, pour les victimes humaines estimées à quelques 30.000 personnes par les associations, 7 milliards à percevoir. D’où la grogne des bénéficiaires qui attendent toujours dans l’indifférence des autorités.
Alexandre Lebel Ilboudo