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Politique Publié le samedi 10 mars 2012 | Le Patriote

Interview /Ibrahim Sy Savané (Président de la HACA): “Pourquoi il faut un milliard de cautionnement”

© Le Patriote Par EMMA
Libéralisation de l`espace audiovisuel : Le ministre de la Culture, Bandama Maurice reçoit le président de la HACA, Ibrahim Sy Savané
Lundi 16 janvier 2012. Abidjan. Cabinet du ministre de la Culture. Le ministre Bandama Maurice reçoit le président de la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA), Sy Savané. Photo : Ibrahim Sy Savané
Ancien ministre de la Communication et Officier de l’Ordre National, M. Ibrahim Sy Savané préside aujourd’hui la Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle (HACA), l’instance de régulation du paysage audiovisuel. Dans cet entretien, il lève un coin de voile sur la libéralisation annoncée de l’espace audiovisuel et explique les enjeux de ce processus qui favorisera, pour la première fois, la création de chaînes de télévision privées en Côte d’Ivoire. De même, il analyse avec force arguments la concurrence à laquelle, la RTI devra bientôt faire face.
Le Patriote : M. Le Président, le processus de libéralisation de l’espace audiovisuel devait entrer dans sa dernière ligne droite ce mois-ci. Apparemment, ce n’est pas le cas. Qu’est-ce qui coince ?
Ibrahim Sy Savané : On ne peut pas dire que quelque chose coince. Dans ce processus, il y a un certain nombre d’étapes. D’un côté, du travail technique qui est fait. De l’autre, des actes administratifs qui doivent être pris. Comme vous le savez, le Gouvernement a déjà fait beaucoup puisque le Président de la République a signé les décrets organiques de la Haute Autorité. Il restait deux décrets à signer : l’un portant sur les conditions d’exploitation des fréquences et l’autre sur la commission d’attribution des fréquences. Il s’agit d’une commission où siègent huit entités et qui doit attribuer les fréquences. Cette commission n’est pas encore en place. Or, c’est elle qui prend finalement la décision d’attribuer les fréquences, puisque c’est elle qui analyse les dossiers. Nous, nous avions fait un chronogramme idéal, qui nous permettait d’entrevoir la libéralisation dès le 28 mars. Nous nous sommes rendu compte que ce n’est pas possible. On n’en fait pas non plus un problème majeur, même si nous devons rester attentifs et tenir les prochains délais. Tout dépend aujourd’hui de la mise en place de cette commission. De plus, nous avons décidé en interne, d’anticiper. Donc, nos collaborateurs travaillent en ce moment sur les cahiers de charges, les dossiers d’appels à candidature. Dès que cette commission sera en place, elle va se réunir rapidement pour pouvoir aboutir dans les délais raisonnables à cette libéralisation.

L.P : On a l’impression que l’Etat ivoirien traîne les pieds comme si elle avait peur de cette échéance…
ISS : Non, je ne crois pas qu’on puisse dire cela. D’abord, dans ce genre de situation, il faut isoler les variables essentielles. L’une de ces variables, c’est la volonté politique. Très franchement, je ne peux pas dire que l’Etat traîne. Bien au contraire, le Président de la République veille lui-même sur cette question. Et le ministre de la Communication a également fait ce qu’il avait à faire en essayant de porter les décrets qui, précisément, permettent cette libéralisation.
La réalité est qu’une libéralisation est toujours complexe. Le temps administratif est un temps spécifique. Vous savez, il suffit que pour telle ou telle raison, il n’y ait pas de conseil de ministres pendant deux semaines, pour qu’il y ait un décalage de deux semaines. Il y a tellement de choses à prendre en compte. Mais, il ne serait pas juste de dire qu’il y a un manque de volonté de la part de l’Etat. Non, bien au contraire.

L.P : Vous avez dévoilé récemment quelques contours de cette libéralisation. Et on se rend compte que l’Etat imposera un milliard de cautionnement aux entreprises. Cela n’est-il pas un frein à la liberté d’entreprendre ?
ISS : Non, je ne le crois pas. D’abord, il s’agit d’un cautionnement. Cela veut dire que le postulant fait la preuve de sa crédibilité, au sens bancaire du terme. Que quelqu’un s’engage, pour son compte, à dire que si jamais il était retenu, il a les capacités d’investir. Vous qui êtes des professionnels, savez combien cela peut coûter de monter une chaîne de télévision. Donc pour nous le milliard de cautionnement devrait être à la portée de tout entrepreneur audiovisuel, qui veut faire la preuve de sa crédibilité. L’Etat n’a rien à gagner dans ce domaine précis. C’est d’ailleurs un cautionnement qui est donc remboursé au bout du compte. Mais, on l’a fait aussi pour que le processus puisse avoir une certaine crédibilité. Une fois que vous avez attribué ces fréquences et que celui qui doit l’exploiter s’avère désargenté, vous imaginez ce que cela provoque. Je pense même que si on fait une petite analogie, il y a le cas des licences de téléphonie cellulaire, qui sont quand même vendues à 40 milliards de FCFA. Ici, il ne s’agit même pas de vente, mais simplement de cautionnement. C’est pourquoi, je ne pense que ce soit un montant susceptible de décourager celui qui a un véritable projet en la matière. Il est vrai que cela peut écrémer les choses, et reléguer au second plan un certain nombre de gens qui pensaient que tout devrait être très facile. Mais, n’oubliez pas que le nombre chaînes de télévision susceptibles d’être mises à marché est quand même réduit. Il faut donc effectivement des gens très crédibles, ayant une capacité financière certaine. Ce qui ne veut pas dire que les considérations culturelles de contenu ne sont pas prises en compte.

L.P : En outre, pourquoi avez-vous décidé de restreindre le nombre de fréquences à octroyer, quand on sait dans certains pays, moins développés que le nôtre, il y a un nombre de chaînes de télévision plus élevé que les cinq que vous allez autoriser en Côte d’Ivoire ?
ISS : En réalité, on n’a pas restreint le nombre de chaînes de télévision privées. La vérité, c’est que la capacité technique de la Côte d’Ivoire aujourd’hui, c’est de pouvoir offrir cinq chaînes, pas plus. C’est-à-dire que nous avons un certain nombre de spectres de fréquences et chaque télévision absorbe une quantité donnée. Quand on a fait les projections, les techniciens nous ont dit qu’on ne pouvait pas pour le moment dépasser cinq chaînes, avant le basculement numérique. Cela est impossible, en tout cas par la méthode hertzienne. C’est pour cette raison qu’on se limite pour l’instant à cinq chaînes. Et ces cinq chaînes sont, pour moi, le maximum. Cela ne signifie pas d’ailleurs qu’elles doivent être toutes attribuées. Il y a quand même la dimension économique de cette affaire. Est-ce que le pays peut absorber cinq chaînes en un laps de temps très court si on veut des chaînes économiquement viables ? C’est vrai, il y a des pays qui en ont attribué beaucoup. L’un de ces pays d'Afrique centrale en a même attribué en un tour de main une quarantaine. Mais, les conséquences n’ont pas été à la mesure de ce qu’ils souhaitaient. Ces chaînes-là vivent de mendicité au point que mon collègue de ce pays envisage, à nouveau, de récupérer toutes les licences pour les réattribuer parce que cela n’a pas créé la diversité et le pluralisme qu’on attendait. Il y a eu abondance sans diversité comme je le dis souvent.

L.P : En un mot, voulez-vous éviter l’erreur qui a été commise au niveau de la presse écrite ?
ISS : Il est clair que dans le cas de la télévision, les ressources spectrales ne sont pas illimitées. C’est le patrimoine commun à tous les Ivoiriens. Quand on les prête à quelqu’un, il faut que cette personne soit crédible, apporte une vraie plus-value et dont la traçabilité de la fortune est facile à établir. Il y a tout cela. Qui avons-nous en face ? Dans beaucoup de pays, vous constaterez que bien des promoteurs de chaînes de télé privées sont aussi des politiques. On a même pu constater dans deux ou trois cas où les crises ont été exacerbées, que les télévisions ont quand même joué un certain rôle. Effectivement, on a l’idée d’éviter ce qui s’est passé dans le domaine de la presse écrite. Mais, je crois que cela n’arrivera pas. D’abord, le nombre est limité. Ensuite, les enjeux économiques sont différents. Moi, je ne regrette pas qu’il y ait une explosion de la presse écrite parce que cela correspondait à un moment, à un temps de l’histoire. Et il fallait effectivement cette ouverture. Après, les ajustements économiques se font d’eux-mêmes. La preuve, c’est que certains journaux ont disparu, d’autres les ont remplacé. Dans le cas de la télévision, on n’aura pas droit à l’erreur parce que ce sont des investissements colossaux et l’impact est tout autre. D’ailleurs, vous l’avez vu, la Côte d’Ivoire est un gros marché pour la plupart des chaînes qui se disent panafricaines ou le sont réellement. Mais notre bassin publicitaire est parfois la variable stratégique pour ces gens là qui créent pratiquement leurs chaînes de télévision en comptant sur l’Afrique de l’Ouest. C'est dire que si les quelques chaînes qui seront retenues sont entre des mains expertes, elles pourront non seulement vivre au plan économique de façon optimale, mais aussi créer pas mal d’emplois et en quelque sorte "booster" la production audiovisuelle. Il ne s’agit pas de créer des chaînes de télévision et compter sur les telenovelas brésiliens ou indiens, mais aussi de favoriser une production audiovisuelle nationale.

L.P : Au plan du contenu, rassurez-vous les Ivoiriens qu’ils auront des chaînes totalement libres, à l’image de celles dite internationales, de traiter l’actualité comme elles le souhaitent ?
ISS : Oui. Cela est évident. S’il s’agit de dupliquer les chaînes de l’ancien temps, ce n’est même pas la peine. Il n’y aura pas de valeur ajoutée. Ces chaînes seront libres, dans la mesure où elles respectent l’éthique et la déontologie. Je crois que cela ne pose aucun problème. Du reste, je pense que la capacité à donner une information crédible fait partie des conditions de succès de ces chaînes. Si elle font moins bien que les chaînes nationales, alors je pense que leur viabilité peut être problématique.

L.P : Est-ce que la HACA a réfléchit au fait qu’un homme politique ivoirien puisse être propriétaire d’une chaîne de télé privée ?
ISS : Vous savez, pour pouvoir postuler, il faut créer une société anonyme. Donc, les personnes physiques disparaissent. il peut toujours y avoir des alliances capitalistiques souterraines, mais la loi dit que ce sont des personnes morales, des sociétés anonymes qui ont le droit de postuler. A partir de ce moment là nous regardons : Est-ce que les sociétés sont constituées comme il le faut ? Est-ce que leurs business plan sont vraiment au point ? Est-ce que leur contenu est conforme aux cahiers de charge ? C’est sur cela que nous allons nous concentrer. Maintenant, il est difficile aussi de disqualifier un certain nombre de gens parce que la loi n’a jamais dit clairement que tel ou tel ne pouvait pas être actionnaire, sauf s’il se trouve dans une position de conflit d’intérêt. Le président de la HACA ne peut en aucun cas par exemple être actionnaire d’une chaîne de télévision. Et il y a un certain nombre de gens, à la tête d’institutions, qui sont d’emblée exclus. C'est évident. Pour le reste, il est difficile de dissimuler les orientations éditoriales, donc on s’en rendra vite compte et la sanction du public cette fois-ci ne sera pas amortie pas une redevance télévisuelle automatique, mais cela va se ressentir même dans les résultats annuels de ces chaînes de télévision. Je crois qu’on peut être rassuré, car nous avons la volonté de faire en sorte que tout ce processus soit transparent et le fait que le choix soit opéré au sein d’une commission de huit membres plus le secrétariat permanent qui est ici à la Haute Autorité est une garantie supplémentaire. De notre point de vue, c’est une garantie de transparence et d’équité.

L.P : Lorsque vous étiez encore à la tête du ministère de la Communication, vous avez initié une étude sur les conditions de la viabilité de la RTI. Avec le recul, pensez-vous que la RTI pourra survivre à ces chaînes de télé privées qui vont certainement venir avec beaucoup de moyens ?
ISS : Sans aucun doute oui. La RTI peut survivre et même profiter de cette occasion pour avoir un second souffle. Effectivement, une étude d’impact avait été commanditée par moi-même et qui concluait en la libéralisation graduelle et donnait un certain nombre d’indications aux responsables de la RTI et même au gouvernement. En tant que Président de la Haute Autorité, lorsque j’ai rendu visite à la RTI, je leur ai même suggéré de mettre en place un comité d’experts pour anticiper tous les impacts de la libéralisation, voir notamment quel peut être l’impact sur l’organisation de leurs chaînes sur les stratégies éditoriales, quel peut être l’impact même en termes commerciales, sur la publicité puisqu’on rentre dans une concurrence qui est vraiment frontale. Pour avoir beaucoup échangé avec eux, je pense qu’il y a une véritable prise de conscience de la part des dirigeants de la RTI, qui savent qu’ils doivent s’ajuster. Sinon, ils vont être confrontés à de sérieuses difficultés. Si on regarde de près, on réalise que la RTI fait déjà face à la concurrence. C’est parce que beaucoup de ces chaînes de télé n’émettent pas encore en mode hertzien. Mais, à la RTI, ils ont déjà une idée de ce que cela peut représenter.

L.P : Concernant le statut des deux chaînes nationales, pensez-vous que l’Etat devrait toujours avoir la mainmise sur la RTI1 et la RTI2 ?
ISS : Vous parlez de mainmise. L’ambiguïté, c’est cela. Il y a eu une période où on a dit qu’il y a trop d’Etat, qu'il faut démanteler. Lorsqu’on a procédé de cette façon, on s’est retrouvé avec un Etat tellement affaibli, désargenté, n’ayant plus du tout de levier en mains, au point que cela a même été une menace. Parce qu’une extrême faiblesse de l’Etat n’est pas souhaitable. Le fait qu’il soit l’actionnaire principal, ce n’est, en soi, pas le problème. Je peux vous citer le cas de beaucoup de grands pays où les médias sont effectivement entre les mains de l’Etat, mais en même temps, il les laisse travailler. Est-ce que les gens savent que RFI, France 24, France 2, France Ô, France 5 sont des médias d’Etat ? Est-ce que cela apparaît toujours dans leur traitement de l’information ? Non. Je pense que pour un certain nombre de raisons, l’Etat peut demeurer actionnaire, en même temps, signer une convention pour que ceux qui dirigent ces chaînes puissent d’abord le faire comme pour toute autre chaîne, en tenant compte des désirs du public, de la volonté de faire la promotion du pluralisme.
Je crois que nous sommes arrivés à une étape où il faut simplement donner la possibilité à ceux qui sont là, d’évaluer le temps qu’ils doivent passer à la tête d’une chaîne de télévision. Il ne faut pas qu’ils soient assis constamment sur un siège éjectable. C’est d’ailleurs ce qui a amené l’Etat à réfléchir à ces questions d’appel à candidature. S’ils ont la durée pour eux, et qu’ils savent de façon très claire de quel temps ils disposent pour mener à bien les reformes, ou gérer simplement, ils pourront être davantage efficaces. Et s’il y a dans un Conseil d’administration pluraliste, des instruments de contrôle, et une opinion publique qui joue aussi son rôle.
Les gens sont souvent indifférents au contenu des médias. Or, dans la mesure où c’est notre instrument commun, tout le monde devrait s’y intéresser un peu plus. Et au moment de la forte concurrence, cet ajustement sera, de tous les façons, indispensable, parce que sinon, les questions de l’audimat, qui sont pour le moment négligées, montreront très rapidement que ces chaînes doivent avoir la possibilité de vivre leur politique éditoriale. Mais, en toute transparence et aussi en toute liberté.
Quant aux démangeaisons interventionnistes de l’Etat, il faut que cela reflue un peu sinon, on aura des chaînes croupions. Mais, je ne crois pas que ça soit la volonté gouvernementale. Le respect des cahiers de charges étant sous notre responsabilité, nous avons l’intention de regarder de près, de nous assurer que le pluralisme est respecté, que le quota des productions nationales est aussi respecté, que la protection des enfants par une signalétique est également respectée, mais surtout que le pluralisme dans ces médias là est mis en œuvre.

L.P : M. Le Président, cela n’est-il pas un rêve ? Quelle vocation donner aujourd’hui à la RTI dit média de service public par rapport à ces télévisions qui vont venir s’ouvrir à toutes les opinions ? Pensez-vous qu’il est possible d’avoir une RTI à l’image de France 24 ? Ne redoutez-vous pas que ces chaînes d’Etat soient à la remorque de celles dites privées ?
ISS : Vous savez, beaucoup de choses qu’on construit commencent par les rêves. Mais sérieusement, je pense que ça serait tragique que nous retombions dans les travers d’une télévision qu’on ne voit même plus dans les régimes totalitaires. Je pense aussi que la télévision qui a été un outil politique et même militaire dans notre pays a besoin de respiration et qu’on doit lui permettre d’évoluer. Cela ne veut pas dire qu’elle va faire semblant de ne pas avoir de responsabilités vis-à-vis du traitement de l’information institutionnelle. Mais, l’équité, l’égalité entre les citoyens, l’accès équitable aux médias est un minimum. C’est quelque chose qui est important pour les gouvernants eux-mêmes, sinon on atteint une sorte d’entropie, de vide, en essayant de peindre une réalité qui n’a strictement rien à avoir avec ce que les gens vivent. L’intérêt du Gouvernement n’est pas d’avoir des chaînes de télévision sans aucune crédibilité, même si je ne suis pas naïf au point de penser que personne n’interviendra dans le contenu de ses émissions là, mais il faut aussi que ceux qui sont à l’intérieur de ces chaînes de télévision fassent la preuve de leurs capacités professionnelles. Il faut également que le public se sente concerné. Que les régulateurs jouent, en effet, leur rôle. Beaucoup de gens dans nos médias publics essaient de faire croire qu’on les empêche de travailler. Il y a effectivement des velléités dans ce sens. Un pouvoir politique tente toujours d’orienter. Mais la capacité aussi du journaliste, c’est de résister à un certain nombre de pressions. Malheureusement, certains journalistes aussi bien de la presse écrite qu’audiovisuelle, courent au devant des désirs mêmes des politiques, comme s’ils voulaient absolument leur faire plaisir, alors qu’ils devraient dire aux politiques que ce n’est même pas dans leur intérêt. Comme le disait Napoléon, on peut tout faire avec une baïonnette sauf s’asseoir dessus.
J’ai tendance à penser que tous ceux qui abusent de la télévision courent au-devant de grands déboires. Il y a là, une sorte d’excès qui finit par devenir tout à fait contre-productif et beaucoup de dirigeants se rendent compte aujourd’hui que l’usage excessif et outrancier de la télévision peut aussi être un mal. Donc, pour me résumer, oui, il faut des journalistes qui aient la capacité à apporter quelque chose et qui ne soient pas à la remorque du politique.
Je vous ferai remarquer que c’est le Président de la République Alassane Ouattara, lui-même, qui a dit : « On me voit trop à la télévision ». Je pense que cela a été une remarque extrêmement importante et que tout le monde n’en a pas tiré les conclusions. Et j’avoue personnellement que lorsque j’ai entendu cela, j’étais absolument soulagé. Et je me suis dit qu’à partir de cette simple phrase, qui a été reprise même en conseil des ministres, que la question globale de la régulation est ainsi simplifiée. Si déjà le Président de la République estime lui-même qu’on ne devrait pas le surexposer à la télévision, chacun devrait, à partir de là, faire preuve de plus de professionnalisme. Et c’est pour cela que je ne considère pas cela comme un rêve. Je considère qu’il y a toute une génération habituée au pluralisme qui est en passe de prendre les commandes, et qui va faire un travail beaucoup plus libre d’autant que les menaces proviennent de toutes les chaînes concurrentes.

L.P : Comment les responsables de la RTI peuvent-ils s’émanciper de l’autorité de la tutelle, à qui ils doivent leur nomination ?
ISS : Un grand homme dans ce pays, que j’admire beaucoup, a parlé de devoir d’ingratitude vis-à-vis de celui qui vous nomme. Je veux parler du Pr Francis Wodié (ndlr, Président du Conseil Constitutionnel). Je pense que c’est une réflexion qu’il faut mener. La question est de savoir si cela est dans l’intérêt de celui-là même qui vous a nommé, de mal travailler finalement. Il s’agit de faire correctement son travail et de ne pas se préoccuper de ce qu’on pourrait penser. Il est clair, je suis bien placé pour le savoir, qu’il y a toujours une tentation pour orienter. Mais, il faut sans cesse faire preuve de pédagogie. Il y a toujours nécessité à s’expliquer. Même dans les grandes chaînes de télévision que nous admirons, il y a constamment des conflits, même s’ils sont de basse intensité, entre ceux qui dirigent ces entités audiovisuelles publiques et certains démembrements de l’Etat, à commencer par les plus hauts responsables. Mais, il s’agit de tout faire pour marier cette exigence de service public et le professionnalisme. Je crois que cela est tout à fait possible.
Je ne peux pas généraliser mais en temps normal, il y a parfois moins de pression, moins d’intervention et plus d’autocensure, et une volonté de se faire bien voir.

L.P : Il y a aussi la question des radios de proximité. Avec la reforme qui s’annonce, y aura-t-il une évolution au niveau au niveau de la restriction relative au traitement de l’information ?
ISS : Il faut que cela soit clair: Pour le moment, les radios de proximité n’ont pas le droit de traiter l’information. Pourquoi ? Parce qu’elles n’ont pas en leur sein, des journalistes bien formés. Notre souhait est que ces radios puissent traiter l’information. Personnellement, je n’arrive pas à me résoudre à l'idée qu’une radio puisse exister sans traiter l’information. Et pour ce faire, il faut donc former les journalistes et avoir un quota de deux à trois journalistes pour traiter l’information. Nous avons d’ailleurs enclenché une réflexion avec M. Dan Moussa, directeur de l’ISTC, pour voir quel type de modules pourrait être envisagé avec l’appui d’un certain nombre de facilitateurs qui se sont déjà manifestés pour former des journalistes de radios de proximité. Evidemment, s’il y a des journalistes professionnels, cela pose la question des rémunérations, et il ne s’agit pas d'embaucher des gens au rabais, qui ne seraient pas complètement intégrés à la convention collective, qui, elle-même, a des difficultés d’application. Notre souhait à la Haute Autorité est que ces radios puissent faire de l’information. Et pour le faire, il faut des journalistes formés.

LP : L’avènement de la TNT (Télévision Numérique Terrestre) est prévu à l’horizon 2015. Quel sera son apport au paysage audiovisuel en Côte d’Ivoire ?
ISS : Cela va permettre d’avoir des dizaines et des dizaines de chaînes de télévision. La télévision numérique terrestre permet effectivement de décupler les capacités audiovisuelles d’un pays. Toute la transition numérique va jusqu’aux terminaux de réception. Nous sommes membres du Groupe de Travail, qui a été institué par le ministère de la Communication conjointement avec le ministère des NTIC. Ce Groupe de Travail réfléchit sur la transition numérique. Nous-mêmes, au sein de la Haute Autorité, avons une cellule qui travaille sur cette question et a des échanges réguliers avec l’ATCI.
C’est le chemin critique vers le basculement numérique nous recherchons. Beaucoup de pays font de l’incantation dans ce domaine. Nous souhaitons qu’on abandonne les pétitions de principe pour aller résolument vers les étapes qui nous permettent de réaliser cela. Il y a beaucoup trop de réunions dans nos pays et même à l’extérieur, mais il y a très peu d’actions. Or cet horizon 2015, il faudra le tenir. Et l’Union Internationale des Télécommunications a certes prévu des ouvertures au-delà de 2015, mais si vous ne le réalisez pas à temps, vous ne trouverez plus de fabricant pour votre matériel. Vous ne trouverez plus quelqu’un pour intervenir en cas de difficultés. Il y a un programme national qui est en cours. Notre souhait est en tout cas, qu’il y ait beaucoup de techniciens qui fassent des propositions concrètes, et qu’on n’arrête un peu les déclarations. Les incantations ne suffisent pas en la matière. Il est temps d’agir.

LP : Justement qu’est-ce qui sera prévu pour que les populations ne ressentent pas le contrecoup des charges, car il faut acquérir du matériel comme par exemple un décodeur pour recevoir les images des chaînes de télé ?
ISS : Effectivement dans beaucoup de pays qui se sont engagés dans cette voie, des aides ont été prévues. Mais comme je vous le disais tantôt, une commission nationale a été mise en place, où il y a pratiquement une vingtaine de personnes et qui regroupent ceux qui ont à répondre de ces questions de basculement numérique. Donc, on va les laisser faire leurs propositions. Mais, en ce qui nous concerne, nous avons déjà rencontré beaucoup de situations aussi bien en France qu’au Maroc, il y a des possibilités. Toutefois, je le répète, il appartient au groupe de travail de travailler sur ces questions.
Réalisée par Charles Sanga & Y. Sangaré
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