Fondateur et 1er secrétaire général de la Fesci, Dr Martial Joseph Ahipeaud est aujourd’hui enseignant-chercheur à l’université de Bouaké et chef de parti politique (l’Union pour le développement et les libertés (UDL). Dans cette interview, il juge la Fesci actuelle, critique la méthodologie de Banny pour la réconciliation nationale. Selon lui, Gbagbo ne devait pas être extradé. Et la réconciliation ne peut se faire sans les partisans de l’ancien chef de l’Etat. Ce qu’il a dit de Soro, Ouattara et Banny.
Qu’est devenu Dr Ahipeaud Martial puisqu’on ne vous entend plus depuis un bon moment ?
Le docteur Ahipeaud Martial est là dans l’attente de l’ouverture des universités pour travailler en tant que professeur à l’université de Bouaké. Et d’un point de vue strictement politique, comme au niveau du parti, nous avons décrété des vacances politiques en 2010 pour mettre un peu d’ordre dans notre appareil et reprendre les activités dans les semaines à venir.
On vous a connu en tant que secrétaire général de la Fesci et aujourd’hui avec la fermeture de l’université, la Fesci est au banc des accusés avec le nouveau pouvoir. Ne vous sentez-vous pas un peu responsable?
Je ne crois pas que la Fesci soit au banc des accusés par rapport au nouveau pouvoir. Seulement que le nouveau pouvoir a tenu à mettre un peu d’ordre au niveau de l’université avant de rouvrir puisque l’organisation n’a pas été dissoute. Sur le second point, c’est vrai que nous avons dirigé le mouvement et qu’en notre temps, on avait des pratiques particulières, une autre philosophie. Malheureusement, il y a eu une autre génération qui est venue et qui a fait du syndicalisme de participation. Qui a été instrumentalisée par une organisation, un pouvoir politique. Et aujourd’hui, cette génération paie les conséquences de sa trop grande immixtion avec le pouvoir politique. Ce qui n’est en réalité pas le rôle du syndicat. Le syndicat peut avoir des plates-formes de combat politique avec des organisations ou des pouvoirs politiques. Mais les syndicats ne doivent jamais se confondre dans leurs gestions quotidiennes avec les objectifs ou avec tout ce que ce genre de pouvoir ou de parti désire.
Voulez-vous insinuer que ce n’est pas votre génération qui a introduit les machettes sur les campus de nos universités ?
Disons que notre génération était celle qui a manié le discours, le verbe et a surtout focalisé son effort sur la mise en place d’une espèce de fondation. Pour que le syndicat puisse fonctionner, mais malheureusement, avec l’arrivée d’un certain nombre de jeunes pendant une certaine période, on n’a pas pu maintenir le cap puisque nous-mêmes on a dû partir en exil et il y a eu une cassure dans la formation syndicale et politique de ces jeunes. Et en fin de compte, les conséquences sont là. Il y a eu une dérive totale, une transformation du syndicat en un moyen d’enrichissement illicite et illégal. Il y a aussi la mise en place d’une espèce de stratégie de la violence organisée qui n’a pas véritablement donné un résultat positif.
La fermeture d’une université pendant une longue période pour vous, enseignant, n’est-elle pas une politique qui vise à sacrifier des générations entières ?
Non, je pense que la fermeture de l’université en fonction de ses objectifs peut être un moyen efficace de remise en ordre à l’université. D’autant plus que depuis pratiquement 15 à 17 ans, nous étions dans des années scolaires qui se chevauchaient. Si l’université a été fermée, mais pour combien de temps ? La remise en ordre, la fourniture en nouveaux matériels pour donner des conditions de travail tout à fait adéquates à ces étudiants et à ces enseignants. Mais je suppose que cela n’ira pas au-delà de cette année scolaire. A partir de septembre, nous attendons la réouverture de l’ensemble des sites universitaires pour que les étudiants et enseignants s’y retrouvent pour faire normalement leur travail.
On vous savait très proche de Laurent Gbagbo, du Fpi et aujourd’hui, vous avez pris vos distances vis-à-vis de l’ancien pouvoir. Qu’est-ce qui s’est passé ?
J’ai toujours été proche de Laurent Gbagbo en ce qui concerne nos idées de gauche, socialistes, démocratiques… Sauf qu’il y a eu rupture à un moment épistémiologique par rapport à notre vision des choses. Fondamentalement, j’ai été contre l’ivoirité que j’ai considérée comme une idéologie d’extrême droite, une imposture idéologique. Et donc à partir de ce moment où il y avait connivence entre les dirigeants de la gauche démocratique et cette idéologie, cela a créé une espèce de rupture. Mais mis à part cela, je crois que l’histoire a parlé. Nous sommes donc aujourd’hui dans la gestion des conséquences de toute cette dynamique historique.
Parlant d’histoire, vous avez suivi la crise ivoirienne. Peut-on avoir l’avis du politologue ?
Disons que je parlerai de deux choses. J’ai écrit un livre intitulé : «La Côte d’Ivoire entre démocratie et barbarie», publié par les éditions Cera. J’ai longtemps développé dans ce bouquin ce que je considérais comme étant la dynamique en cours. Malheureusement, les résultats de la crise postélectorale m’ont pratiquement donné raison. Ce que nous avons vécu pendant cette période était déjà prévisible. Des voix comme les nôtres, ne pouvaient être entendues puisque les Ivoiriens avaient d’autres objectifs dans le vacarme quotidien. Ils pensaient qu’ils allaient dans une certaine direction alors que nous autres, qui avions été justement formés par les anciens, voyions clairement dans quelle direction nous allions. On a eu tort d’avoir raison et il faut maintenant tirer les conclusions. Retenir un certain nombre de leçons et à partir de cela, qu’on puisse orienter notre stratégie politique autrement.
La réconciliation nationale bat de l’aile, il y a une commission vérité, réconciliation qui a été créée, malheureusement, elle a du plomb dans l’aile avec le transfèrement du président Laurent Gbagbo à La Haye. Quelle est la position de Dr Martial Ahipeaud ?
Disons que pour nous, il ne peut pas avoir de réconciliation sans vérité. Lorsque la vérité sera sue sur tout ce qui s’est passé depuis environ 19 ans dans cette nation, car il faut dire que c’est depuis 1993 que nous vivons une crise que nous appelons la lutte des «diadoques». Si en Côte d’Ivoire, on n’est pas capable de savoir ce qui s’est passé, il ne peut pas y avoir de solutions possibles. Le premier travail de la CDVR, à notre avis, devait être d’organiser ce que nous appelons un grand débat national sur les causes profondes de cette crise-là. Malheureusement, le premier ministre Banny a un autre programme et apparemment, c’est ce programme qu’il suit. Sinon, aussi longtemps qu’on ne saurait pas pourquoi telle personne a été tuée ; on ne sait pas jusqu’à aujourd’hui dans quelle circonstance Boga Doudou et Guéi Robert sont morts, je ne vois pas comment on peut se réconcilier. D’un autre côté, il aurait fallu que toutes les personnalités qui sont impliquées dans cette crise, nous-mêmes y compris, soient jugées par la nation ivoirienne et non pas être extradées ailleurs. Je veux dire que les autorités ivoiriennes ont la possibilité de nous faire trouver des voies et moyens de sortir de cette crise en organisant des débats entre les Ivoiriens. Mais aussi longtemps que chacun campe sur sa position, tant qu’on se considère victime, les autres bourreaux, on ne pourra pas trouver de solutions. Je ne connais pas l’agenda du Premier ministre Banny, mais je pense que sa méthodologie n’est pas la bonne.
Pensez-vous que la réconciliation est vouée à l’échec ?
Non, je ne dis pas qu’elle est vouée à l’échec. Les autorités sont là, le président Ouattara a tout intérêt à ce que la réconciliation se fasse, parce qu’on a vu ce que c’est que gérer un pouvoir dans une situation conflictuelle. Car le conflit peut être latent au début, mais expressif au fil du temps. Donc pour nous, tout le monde, y compris le président, a intérêt à ce que la réconciliation se fasse, parce qu’une nation qui n’est pas réconciliée avec elle-même ne peut pas connaître de succès. Vous avez vu avec le cas des Eléphants ? Nous apprécions fondamentalement le travail que le président Ouattara fait en ce moment, la construction des routes et les autres travaux. Mais aussi longtemps qu’il n’abordera pas le fond des causes de cette crise, nous demeurerons dans une situation délicate qui peut exploser à tout moment. Donc pour nous, il faut que les Ivoiriens s’asseyent autour d’une table pour se parler franchement et faire des concessions. C’est comme cela qu’on pourrait aborder sereinement l’avenir. Sinon, c’est une perte de temps inutile.
Quand on observe les choses, on a l’impression que la réconciliation se fait seulement dans le camp Ouattara et en dehors des partisans de Laurent Gbagbo. Partout où on parle de réconciliation, il n’y a que les partisans du président Ouattara. Pensez-vous que ce genre d’actes peut contribuer à la vraie réconciliation ?
Pour moi, la réconciliation du point de vue social se fait impérieusement avec celui avec qui on a des différends. Donc, si on ne l’implique pas, la réconciliation ne peut se faire. Ensuite, on a l’impression que les gens ne se rendent pas compte que la première victime, c’est la Côte d’Ivoire. Quand on va dans la sous-région, on voit que les autres souhaitent que la Côte d’Ivoire reste en crise pour qu’ils émergent. Si nous considérons ce fait-là, nous avons intérêt à aller à la réconciliation. Le 1er ministre Banny, à qui le chef de l’Etat a fait confiance, doit impliquer tout le monde dans le processus de réconciliation. Il ne faut plus de conciliabule de leaders qui, on l’a vu, a échoué pour donner la chance à un débat national.
Donc pour vous, il faut un dialogue national où toutes les parties seront en présence et où les sacs vont se vider…
Nous sommes dans une situation de traumatisme collectif et on n’a jamais demandé aux Ivoiriens de s’exprimer sur ce qui s’est passé ; c’est quand même bizarre. La population a été fortement affectée et il peut y avoir des cas de maladies mentales très graves, mais personne n’en fait cas. Aujourd’hui, ce qui semble être important, c’est le quotidien ; mais le quotidien sans feed-back, n’a aucune importance. Et le fait que chacun garde ses rancunes n’aide pas à trouver solutions à nos problèmes. Il faut aussi être humble pour que les choses puissent s’arranger, reconnaître son tort quand c’est nécessaire. Car seul Dieu a pleinement raison.
Le mot « rattrapage » que le président Ouattara a prononcé lors de sa visite en France a fait couler beaucoup d’encre et de salive...
Le président a parlé de rattrapage ? En tout cas, moi ce qui m’intéresse dans sa visite, c’est le fait qu’il ait été à Paris pour rétablir la Côte d’Ivoire dans ses droits au plan diplomatique, au plan international et faire la promotion du pays pour que les investisseurs reviennent. Pour moi, c’est ça le plus important. Maintenant, si on veut nous ramener dans les débats sur le tribalisme et autres considérations, je ne me sens pas concerné.
N’avez-vous pas l’impression que le tribalisme qu’on a décrié par le passé est de retour ? Et qu’on suscite l’ivoirité contre d’autres Ivoiriens? Ce que nous avons décrié hier.
Peut-être qu’on ne vit pas dans le même pays, mais je ne vois pas cette espèce de tribalisme qui est en train de naître. C’est vrai que les nominations font jaser beaucoup les gens, mais cela ne veut pas dire que c’est du tribalisme. Car le tribalisme, c’est une méthodologie, c’est une vision, le concept du tribalisme, c’est de faire en sorte qu’une ethnie soit supérieure aux autres. Pourtant, l’histoire des élections a prouvé que cela ne peut pas être possible. Donc quiconque s’inscrit dans une telle dynamique est dans le faux. Pour moi, je ne vois pas fondamentalement une dynamique tribale. Le président Ouattara a suffisamment souffert de l’exclusion pour venir accorder du crédit à celui qui dans son entourage voudrait que l’exclusivité soit réservée aux siens.
Le président Laurent Gbagbo mérite-t-il le transfèrement à La Haye ?
Moi, personnellement, je ne l’aurais pas fait et je ne l’aurais pas conseillé au président Ouattara pour une raison simple. J’estime que le débat doit être mené en Côte d’Ivoire et les juges de La Haye ne devraient observer que l’aspect juridique, l’aspect criminologique. Nous sommes au cœur d’un débat politique et il aurait fallu que le président Laurent Gbagbo ait la possibilité de s’expliquer devant les Ivoiriens parce qu’il y a des Ivoiriens lambda qui auraient souhaité poser certaines questions à l’ancien chef de l’Etat. Certainement, qu’il y a des considérations stratégiques qui justifient ce transfèrement, mais politiquement à mon avis, je crois que c’est en Côte d’Ivoire qu’on trouve la solution. Les problèmes des Ivoiriens ne peuvent se régler qu’au bord de la lagune Ebrié et non sur le toit d’Amsterdam.
Quel est votre avis sur le boycott des législatives par le Fpi et leur refus d’entrer au gouvernement de réconciliation nationale ?
Personnellement, j’ai été très ravi de prendre part à ces élections. C’était pour moi l’occasion de me présenter au peuple Dida qui ne me connaît pas sur le terrain. Mais malheureusement, le mot d’ordre du Fpi a été largement suivi dans cette partie du pays. En tout cas, à Lakota, moins de 2% des populations Dida sont sorties pour voter ce jour-là. Je crois que c’est une grosse erreur qu’a commise la direction actuelle du Fpi, parce qu’en démocratie, on ne fait pas la promotion de l’abstention. L’abstention n’est jamais une solution. Au contraire, il faut participer pour démontrer sa légitimité et ses capacités. Aussi longtemps qu’on n’a pas cette option, je pense qu’on s’inscrit dans une dynamique de repli sur soi-même, qui à la longue ne donnera rien. A moins que ce soit cela l’objectif qu’on vise. Mais à mon avis, le président Gbagbo est un militant, il a été transféré à la Haye, le combat continue ; il faut que des hommes et des femmes qui croient en son combat se lèvent pour mener la lutte. Maintenant, si on doit considérer qu’il n’est pas là, alors on ne peut pas mener son combat, là on risque de tomber dans le jeu de l’adversaire. Celui-ci peut considérer que comme ils ne peuvent pas mener le combat sans leur leader, alors il peut tout mettre en œuvre pour qu’il soit maintenu là-bas le plus longtemps possible. A tout point de vue, la direction du Fpi devrait rester sereine et participer à tous les processus. Et pour rester cohérente, la direction va boycotter toutes les autres échéances à venir. Mais pour quels résultats ?
Vous avez été un candidat malheureux aux dernières législatives…
Non, non, j’étais absolument heureux. Si les Dida étaient sortis mais n’avaient pas voté pour moi, en ce moment je me serais senti malheureux. Alors que l’engouement était total à notre égard pendant la campagne. Des gens même nous en voulaient parce qu’on n’a pas pu aller leur rendre visite dans leurs villages. Mais le peuple Dida a estimé que Laurent Gbagbo, leur leader étant en prison, ils se devaient de ne pas le trahir en allant voter. Moi, ma vision était différente. J’ai considéré que malgré la situation, on devait montrer qu’on reste debout. Mais il y a deux écoles différentes ; celle des fondateurs et celle des refondateurs. Nous considérons que nous sommes les fondateurs et nous avons mené le combat quel que soit le contexte. Ceux qui sont arrivés après nous, et qui aujourd’hui ont la gestion de l’organisation, ont une vision différente de la nôtre. Je crois qu’au résultat, ils auront encore tort. Malheureusement.
Martial Ahipeaud veut-il rebondir par rapport aux municipales et aux régionales ?
Non, vous savez, moi je ne suis pas intéressé par la gestion des organisations ou des collectivités locales. Je suis un homme politique et ce qui m’intéressait personnellement, c’était le parlement pour aller y mener les grands combats, les combats pour la vision de la Côte d’Ivoire de demain. Les débats sur le changement de la constitution, sur la citoyenneté sont ce qui nous intéresse. Malgré que nous ne soyons pas à l’hémicycle par la volonté populaire, nous trouverons les moyens pour débattre de ces sujets-là. Je laisse donc le soin à ceux qui sont intéressés par la gestion quotidienne des organisations de faire leur travail.
On a cru qu’après vos études en Europe, vous viendrez occuper un poste au sein de l’instance dirigeante du Fpi. Mais voilà que vous venez et vous créez votre parti, c’est le divorce en quelque sorte d’avec ce parti ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
J’ai été militant du parti socialiste ivoirien. Je n’ai jamais été militant du Fpi et donc je n’ai aucun engagement vis-à-vis de ce parti, sauf que le combat du président Gbagbo rejoignait le nôtre dans l’opposition. Aussi longtemps que nous étions sur la même plate-forme, il n’y avait aucun problème. Sauf qu’à un moment donné, il y a eu une petite mésentente qui m’a contraint à me retirer un peu. Notre parti a été créé justement pour continuer le combat tel que nous l’avons toujours conçu, c’est-à-dire nous battre pour que la démocratie soit une réalité en Côte d’Ivoire. Sinon notre combat n’est pas un combat de postes. Vous voyez aujourd’hui avec l’arrivée du RDR au pouvoir, pour ceux des responsables du Fpi qui m’accusaient d’être un affidé de Ouattara, ils se rendent compte que je n’ai jamais défendu autre chose que des opinions objectives. On peut ne pas être d’accord avec moi, mais j’ai mes convictions et mes principes qui ne sont pas toujours corrects, mais en fonction desquels je détermine mes prises de position. Depuis 1990, alors que j’étais un filleul d’Houphouët-Boigny, j’ai rompu d’avec le système et cela prouve donc que je suis très loin de la « mangécratie ». Le contexte se prête éventuellement au développement du banditisme de grand chemin. L’effort du gouvernement est à saluer mais il faut que le gouvernement aille plus loin pour que la sérénité revienne définitivement dans cette nation.
Que pensez-vous de la situation actuelle des exilés ivoiriens qui meurent en cascade à l’étranger parce que leurs avoirs sont gelés et ils n’ont pas la possibilité de rentrer chez eux ?
La constitution interdit qu’un Ivoirien soit en exil et comme je l’ai dit, j’ai un devoir de cohérence et aussi longtemps que les conditions de dialogue national ne sont pas réunies, on assistera toujours à ce genre de situation. Je pense que les plaies sont encore béantes mais la force du président Ouattara, aujourd’hui, est de tout faire pour que cette sérénité revienne dans ce pays. Qu’il fasse asseoir ses frères et ses sœurs qui sont concernés par cette crise pour qu’ensemble, on trouve une solution. Ce n’est jamais intéressant de voir des nationaux à l’étranger, car moi-même, j’ai été exilé en Angleterre pendant une dizaine d’années. Et je sais qu’on ne peut jamais être heureux que chez soi. Je crois que la défaite des Eléphants et les morts en cascade sont une interpellation divine pour que le gouvernement réfléchisse. Certainement qu’après les partielles du 26 février 2012 avec le nouveau gouvernement qui va arriver, on aura encore l’occasion de voir si c’est encore possible de créer des conditions de dialogue entre les Ivoiriens. Pour moi, c’est un peu difficile et même malheureux. On souhaite que ceux qui sont à l’étranger aient une autre responsabilité à assumer puisqu’il y a eu des élections et qu’ils le veulent ou pas, il y a un pouvoir qui est là. Il faut admettre que ce pouvoir est là et créer des ouvertures pour qu’ils puissent s’asseoir avec le nouveau pouvoir et discuter. Mais aussi longtemps qu’ils resteront dans une logique où ils considèrent qu’ils ne reconnaissent pas ce pouvoir, je pense qu’on ne pourra pas avancer. Il est important que le Premier ministre Banny à qui on a donné la responsabilité d’organiser cette réconciliation aille vers les deux ou trois camps. Qu’il aille en direction de tous les Ivoiriens pour voir comment faire de sorte que ce genre de situation soit évité.
Quels sont aujourd’hui vos rapports en tant qu’ancien membre de la Fesci avec les anciens tels que le premier ministre Soro, Blé Goudé, Djué et les autres ?
Nous avons des rapports parfaitement sereins sauf que les uns et les autres sont très pris. Vous vous imaginez qu’on ne peut pas partager sa tasse de café du petit matin avec le Premier ministre puisqu’il doit recevoir des rapports de sécurité. Son cas à lui est tout à fait particulier. Je suis en contact avec les autres frères et certains anciens membres du mouvement sont venus me voir pour qu’on puisse avoir une rencontre dans les jours qui viennent. Je crois qu’à cette rencontre, on pourra retrouver l’ensemble des amis pour voir dans quel cadre pousser le processus de réconciliation nationale. A mon avis, les anciens fescistes sont absolument en bons termes entre eux.
Préparez-vous la relève pour la génération future?
Vous savez, la relève est naturelle. Les gens arrivent au pouvoir et ils s’en vont. D’autres dirigent, comme moi j’ai dirigé et je suis parti. Après moi, il y a eu les autres camarades : Soro, Blé et autres. C’est une question physique, physiologique et on n’a pas le choix.
Pouvez-vous assurer la relève si vous êtes divisés ?
Non, non, si c’est en ce qui concerne la gestion du pays, mais je pense que le Premier ministre Guillaume Soro a clairement montré que nous sommes suffisamment outillés. Cela fait maintenant cinq ans qu’il est à la Primature et je crois que pour ceux qui vendaient sa peau moins chère, ils se sont rendu compte qu’un ancien Secrétaire général de la Fesci était capable de gérer convenablement la Primature peut- être même au-delà de la Primature. En ce qui nous concerne, au plan intellectuel, pour l’ensemble de nos générations, je crois qu’on n’a rien à se reprocher puisqu’on a toutes catégories de personnes : des docteurs, des voleurs… Donc en ce qui concerne l’outillage idéologique politique, sociologique, on n’a pas d’autres problèmes et nous sommes prêts. On n’a jamais été aussi prêt que maintenant puisqu’on a un jeune frère qui est à la Primature et qui fait bien son travail.
Nous allons mettre fin à cet entretien…
Je pense qu’il y a eu un engagement pré-électoral. Le président Ouattara est un homme d’honneur et il doit s’en tenir à cet engagement-là. Je pense que ce n’est pas quelqu’un qui a deux paroles. Il a donné sa parole au Pdci et je suis persuadé qu’il va la respecter et à mon avis, il nommera sûrement un Premier ministre du Pdci après les partielles. Quitte à ce que le Rdr qui est majoritaire aujourd’hui au parlement élise un des leurs comme président de l’Assemblée nationale. Si c’est Soro Guillaume qui est mon jeune frère, je ne serai pas malheureux. Je serai heureux qu’il soit président de l’Assemblée nationale. Cela voudrait dire que les fescistes se rapprochent de plus en plus du pouvoir d’Etat. Je tiens donc à remercier les journalistes qui ont fait un travail dans cette nation et je tiens également à présenter tous mes encouragements aux Ivoiriens qui ont traversé cette crise avec beaucoup de difficultés. Je m’incline devant la mémoire des disparus. Cette nation a trop bu le sang de ses fils et je crois qu’il faut qu’on s’arrête là aujourd’hui pour qu’on pense à autre chose. Le combat démocratique a ses hauts et ses bas. En son temps, le président Laurent Gbagbo disait qu’on peut aller en prison et de la prison on peut aller au palais, vice versa. Mais cela ne veut pas dire qu’entre les deux, il faut la guerre. La guerre n’a jamais résolu un problème mais au contraire a toujours contribué à rendre les problèmes encore plus difficiles. Il faut donc se focaliser sur la gestion des conséquences de la démocratie en toute responsabilité. Permettre à ceux qui sont là de gérer et à l’opposition de s’organiser pour que la Côte d’Ivoire, la seule victime que je connais de cette crise, puisse sortir grandie. Aucune nation n’est grande si elle ne passe par cette période. Nous pensons que certainement, c’est la dernière grande étape avant le processus d’éclosion et de développement de notre nation. Vraiment, si tout le monde se met dans cette logique, je crois que les dix prochaines années seront les dix glorieuses de notre pays. Merci pour tous ceux qui ont cru et à Dieu qui nous a préservés. J’espère qu’on aura retenu qu’il faut être moins arrogant et être humble pour que Dieu puisse nous donner ce qu’il a prévu pour cette nation.
Réalisée par Maxime Wangué, collab : Larissa G, Tapé Guillaume
Qu’est devenu Dr Ahipeaud Martial puisqu’on ne vous entend plus depuis un bon moment ?
Le docteur Ahipeaud Martial est là dans l’attente de l’ouverture des universités pour travailler en tant que professeur à l’université de Bouaké. Et d’un point de vue strictement politique, comme au niveau du parti, nous avons décrété des vacances politiques en 2010 pour mettre un peu d’ordre dans notre appareil et reprendre les activités dans les semaines à venir.
On vous a connu en tant que secrétaire général de la Fesci et aujourd’hui avec la fermeture de l’université, la Fesci est au banc des accusés avec le nouveau pouvoir. Ne vous sentez-vous pas un peu responsable?
Je ne crois pas que la Fesci soit au banc des accusés par rapport au nouveau pouvoir. Seulement que le nouveau pouvoir a tenu à mettre un peu d’ordre au niveau de l’université avant de rouvrir puisque l’organisation n’a pas été dissoute. Sur le second point, c’est vrai que nous avons dirigé le mouvement et qu’en notre temps, on avait des pratiques particulières, une autre philosophie. Malheureusement, il y a eu une autre génération qui est venue et qui a fait du syndicalisme de participation. Qui a été instrumentalisée par une organisation, un pouvoir politique. Et aujourd’hui, cette génération paie les conséquences de sa trop grande immixtion avec le pouvoir politique. Ce qui n’est en réalité pas le rôle du syndicat. Le syndicat peut avoir des plates-formes de combat politique avec des organisations ou des pouvoirs politiques. Mais les syndicats ne doivent jamais se confondre dans leurs gestions quotidiennes avec les objectifs ou avec tout ce que ce genre de pouvoir ou de parti désire.
Voulez-vous insinuer que ce n’est pas votre génération qui a introduit les machettes sur les campus de nos universités ?
Disons que notre génération était celle qui a manié le discours, le verbe et a surtout focalisé son effort sur la mise en place d’une espèce de fondation. Pour que le syndicat puisse fonctionner, mais malheureusement, avec l’arrivée d’un certain nombre de jeunes pendant une certaine période, on n’a pas pu maintenir le cap puisque nous-mêmes on a dû partir en exil et il y a eu une cassure dans la formation syndicale et politique de ces jeunes. Et en fin de compte, les conséquences sont là. Il y a eu une dérive totale, une transformation du syndicat en un moyen d’enrichissement illicite et illégal. Il y a aussi la mise en place d’une espèce de stratégie de la violence organisée qui n’a pas véritablement donné un résultat positif.
La fermeture d’une université pendant une longue période pour vous, enseignant, n’est-elle pas une politique qui vise à sacrifier des générations entières ?
Non, je pense que la fermeture de l’université en fonction de ses objectifs peut être un moyen efficace de remise en ordre à l’université. D’autant plus que depuis pratiquement 15 à 17 ans, nous étions dans des années scolaires qui se chevauchaient. Si l’université a été fermée, mais pour combien de temps ? La remise en ordre, la fourniture en nouveaux matériels pour donner des conditions de travail tout à fait adéquates à ces étudiants et à ces enseignants. Mais je suppose que cela n’ira pas au-delà de cette année scolaire. A partir de septembre, nous attendons la réouverture de l’ensemble des sites universitaires pour que les étudiants et enseignants s’y retrouvent pour faire normalement leur travail.
On vous savait très proche de Laurent Gbagbo, du Fpi et aujourd’hui, vous avez pris vos distances vis-à-vis de l’ancien pouvoir. Qu’est-ce qui s’est passé ?
J’ai toujours été proche de Laurent Gbagbo en ce qui concerne nos idées de gauche, socialistes, démocratiques… Sauf qu’il y a eu rupture à un moment épistémiologique par rapport à notre vision des choses. Fondamentalement, j’ai été contre l’ivoirité que j’ai considérée comme une idéologie d’extrême droite, une imposture idéologique. Et donc à partir de ce moment où il y avait connivence entre les dirigeants de la gauche démocratique et cette idéologie, cela a créé une espèce de rupture. Mais mis à part cela, je crois que l’histoire a parlé. Nous sommes donc aujourd’hui dans la gestion des conséquences de toute cette dynamique historique.
Parlant d’histoire, vous avez suivi la crise ivoirienne. Peut-on avoir l’avis du politologue ?
Disons que je parlerai de deux choses. J’ai écrit un livre intitulé : «La Côte d’Ivoire entre démocratie et barbarie», publié par les éditions Cera. J’ai longtemps développé dans ce bouquin ce que je considérais comme étant la dynamique en cours. Malheureusement, les résultats de la crise postélectorale m’ont pratiquement donné raison. Ce que nous avons vécu pendant cette période était déjà prévisible. Des voix comme les nôtres, ne pouvaient être entendues puisque les Ivoiriens avaient d’autres objectifs dans le vacarme quotidien. Ils pensaient qu’ils allaient dans une certaine direction alors que nous autres, qui avions été justement formés par les anciens, voyions clairement dans quelle direction nous allions. On a eu tort d’avoir raison et il faut maintenant tirer les conclusions. Retenir un certain nombre de leçons et à partir de cela, qu’on puisse orienter notre stratégie politique autrement.
La réconciliation nationale bat de l’aile, il y a une commission vérité, réconciliation qui a été créée, malheureusement, elle a du plomb dans l’aile avec le transfèrement du président Laurent Gbagbo à La Haye. Quelle est la position de Dr Martial Ahipeaud ?
Disons que pour nous, il ne peut pas avoir de réconciliation sans vérité. Lorsque la vérité sera sue sur tout ce qui s’est passé depuis environ 19 ans dans cette nation, car il faut dire que c’est depuis 1993 que nous vivons une crise que nous appelons la lutte des «diadoques». Si en Côte d’Ivoire, on n’est pas capable de savoir ce qui s’est passé, il ne peut pas y avoir de solutions possibles. Le premier travail de la CDVR, à notre avis, devait être d’organiser ce que nous appelons un grand débat national sur les causes profondes de cette crise-là. Malheureusement, le premier ministre Banny a un autre programme et apparemment, c’est ce programme qu’il suit. Sinon, aussi longtemps qu’on ne saurait pas pourquoi telle personne a été tuée ; on ne sait pas jusqu’à aujourd’hui dans quelle circonstance Boga Doudou et Guéi Robert sont morts, je ne vois pas comment on peut se réconcilier. D’un autre côté, il aurait fallu que toutes les personnalités qui sont impliquées dans cette crise, nous-mêmes y compris, soient jugées par la nation ivoirienne et non pas être extradées ailleurs. Je veux dire que les autorités ivoiriennes ont la possibilité de nous faire trouver des voies et moyens de sortir de cette crise en organisant des débats entre les Ivoiriens. Mais aussi longtemps que chacun campe sur sa position, tant qu’on se considère victime, les autres bourreaux, on ne pourra pas trouver de solutions. Je ne connais pas l’agenda du Premier ministre Banny, mais je pense que sa méthodologie n’est pas la bonne.
Pensez-vous que la réconciliation est vouée à l’échec ?
Non, je ne dis pas qu’elle est vouée à l’échec. Les autorités sont là, le président Ouattara a tout intérêt à ce que la réconciliation se fasse, parce qu’on a vu ce que c’est que gérer un pouvoir dans une situation conflictuelle. Car le conflit peut être latent au début, mais expressif au fil du temps. Donc pour nous, tout le monde, y compris le président, a intérêt à ce que la réconciliation se fasse, parce qu’une nation qui n’est pas réconciliée avec elle-même ne peut pas connaître de succès. Vous avez vu avec le cas des Eléphants ? Nous apprécions fondamentalement le travail que le président Ouattara fait en ce moment, la construction des routes et les autres travaux. Mais aussi longtemps qu’il n’abordera pas le fond des causes de cette crise, nous demeurerons dans une situation délicate qui peut exploser à tout moment. Donc pour nous, il faut que les Ivoiriens s’asseyent autour d’une table pour se parler franchement et faire des concessions. C’est comme cela qu’on pourrait aborder sereinement l’avenir. Sinon, c’est une perte de temps inutile.
Quand on observe les choses, on a l’impression que la réconciliation se fait seulement dans le camp Ouattara et en dehors des partisans de Laurent Gbagbo. Partout où on parle de réconciliation, il n’y a que les partisans du président Ouattara. Pensez-vous que ce genre d’actes peut contribuer à la vraie réconciliation ?
Pour moi, la réconciliation du point de vue social se fait impérieusement avec celui avec qui on a des différends. Donc, si on ne l’implique pas, la réconciliation ne peut se faire. Ensuite, on a l’impression que les gens ne se rendent pas compte que la première victime, c’est la Côte d’Ivoire. Quand on va dans la sous-région, on voit que les autres souhaitent que la Côte d’Ivoire reste en crise pour qu’ils émergent. Si nous considérons ce fait-là, nous avons intérêt à aller à la réconciliation. Le 1er ministre Banny, à qui le chef de l’Etat a fait confiance, doit impliquer tout le monde dans le processus de réconciliation. Il ne faut plus de conciliabule de leaders qui, on l’a vu, a échoué pour donner la chance à un débat national.
Donc pour vous, il faut un dialogue national où toutes les parties seront en présence et où les sacs vont se vider…
Nous sommes dans une situation de traumatisme collectif et on n’a jamais demandé aux Ivoiriens de s’exprimer sur ce qui s’est passé ; c’est quand même bizarre. La population a été fortement affectée et il peut y avoir des cas de maladies mentales très graves, mais personne n’en fait cas. Aujourd’hui, ce qui semble être important, c’est le quotidien ; mais le quotidien sans feed-back, n’a aucune importance. Et le fait que chacun garde ses rancunes n’aide pas à trouver solutions à nos problèmes. Il faut aussi être humble pour que les choses puissent s’arranger, reconnaître son tort quand c’est nécessaire. Car seul Dieu a pleinement raison.
Le mot « rattrapage » que le président Ouattara a prononcé lors de sa visite en France a fait couler beaucoup d’encre et de salive...
Le président a parlé de rattrapage ? En tout cas, moi ce qui m’intéresse dans sa visite, c’est le fait qu’il ait été à Paris pour rétablir la Côte d’Ivoire dans ses droits au plan diplomatique, au plan international et faire la promotion du pays pour que les investisseurs reviennent. Pour moi, c’est ça le plus important. Maintenant, si on veut nous ramener dans les débats sur le tribalisme et autres considérations, je ne me sens pas concerné.
N’avez-vous pas l’impression que le tribalisme qu’on a décrié par le passé est de retour ? Et qu’on suscite l’ivoirité contre d’autres Ivoiriens? Ce que nous avons décrié hier.
Peut-être qu’on ne vit pas dans le même pays, mais je ne vois pas cette espèce de tribalisme qui est en train de naître. C’est vrai que les nominations font jaser beaucoup les gens, mais cela ne veut pas dire que c’est du tribalisme. Car le tribalisme, c’est une méthodologie, c’est une vision, le concept du tribalisme, c’est de faire en sorte qu’une ethnie soit supérieure aux autres. Pourtant, l’histoire des élections a prouvé que cela ne peut pas être possible. Donc quiconque s’inscrit dans une telle dynamique est dans le faux. Pour moi, je ne vois pas fondamentalement une dynamique tribale. Le président Ouattara a suffisamment souffert de l’exclusion pour venir accorder du crédit à celui qui dans son entourage voudrait que l’exclusivité soit réservée aux siens.
Le président Laurent Gbagbo mérite-t-il le transfèrement à La Haye ?
Moi, personnellement, je ne l’aurais pas fait et je ne l’aurais pas conseillé au président Ouattara pour une raison simple. J’estime que le débat doit être mené en Côte d’Ivoire et les juges de La Haye ne devraient observer que l’aspect juridique, l’aspect criminologique. Nous sommes au cœur d’un débat politique et il aurait fallu que le président Laurent Gbagbo ait la possibilité de s’expliquer devant les Ivoiriens parce qu’il y a des Ivoiriens lambda qui auraient souhaité poser certaines questions à l’ancien chef de l’Etat. Certainement, qu’il y a des considérations stratégiques qui justifient ce transfèrement, mais politiquement à mon avis, je crois que c’est en Côte d’Ivoire qu’on trouve la solution. Les problèmes des Ivoiriens ne peuvent se régler qu’au bord de la lagune Ebrié et non sur le toit d’Amsterdam.
Quel est votre avis sur le boycott des législatives par le Fpi et leur refus d’entrer au gouvernement de réconciliation nationale ?
Personnellement, j’ai été très ravi de prendre part à ces élections. C’était pour moi l’occasion de me présenter au peuple Dida qui ne me connaît pas sur le terrain. Mais malheureusement, le mot d’ordre du Fpi a été largement suivi dans cette partie du pays. En tout cas, à Lakota, moins de 2% des populations Dida sont sorties pour voter ce jour-là. Je crois que c’est une grosse erreur qu’a commise la direction actuelle du Fpi, parce qu’en démocratie, on ne fait pas la promotion de l’abstention. L’abstention n’est jamais une solution. Au contraire, il faut participer pour démontrer sa légitimité et ses capacités. Aussi longtemps qu’on n’a pas cette option, je pense qu’on s’inscrit dans une dynamique de repli sur soi-même, qui à la longue ne donnera rien. A moins que ce soit cela l’objectif qu’on vise. Mais à mon avis, le président Gbagbo est un militant, il a été transféré à la Haye, le combat continue ; il faut que des hommes et des femmes qui croient en son combat se lèvent pour mener la lutte. Maintenant, si on doit considérer qu’il n’est pas là, alors on ne peut pas mener son combat, là on risque de tomber dans le jeu de l’adversaire. Celui-ci peut considérer que comme ils ne peuvent pas mener le combat sans leur leader, alors il peut tout mettre en œuvre pour qu’il soit maintenu là-bas le plus longtemps possible. A tout point de vue, la direction du Fpi devrait rester sereine et participer à tous les processus. Et pour rester cohérente, la direction va boycotter toutes les autres échéances à venir. Mais pour quels résultats ?
Vous avez été un candidat malheureux aux dernières législatives…
Non, non, j’étais absolument heureux. Si les Dida étaient sortis mais n’avaient pas voté pour moi, en ce moment je me serais senti malheureux. Alors que l’engouement était total à notre égard pendant la campagne. Des gens même nous en voulaient parce qu’on n’a pas pu aller leur rendre visite dans leurs villages. Mais le peuple Dida a estimé que Laurent Gbagbo, leur leader étant en prison, ils se devaient de ne pas le trahir en allant voter. Moi, ma vision était différente. J’ai considéré que malgré la situation, on devait montrer qu’on reste debout. Mais il y a deux écoles différentes ; celle des fondateurs et celle des refondateurs. Nous considérons que nous sommes les fondateurs et nous avons mené le combat quel que soit le contexte. Ceux qui sont arrivés après nous, et qui aujourd’hui ont la gestion de l’organisation, ont une vision différente de la nôtre. Je crois qu’au résultat, ils auront encore tort. Malheureusement.
Martial Ahipeaud veut-il rebondir par rapport aux municipales et aux régionales ?
Non, vous savez, moi je ne suis pas intéressé par la gestion des organisations ou des collectivités locales. Je suis un homme politique et ce qui m’intéressait personnellement, c’était le parlement pour aller y mener les grands combats, les combats pour la vision de la Côte d’Ivoire de demain. Les débats sur le changement de la constitution, sur la citoyenneté sont ce qui nous intéresse. Malgré que nous ne soyons pas à l’hémicycle par la volonté populaire, nous trouverons les moyens pour débattre de ces sujets-là. Je laisse donc le soin à ceux qui sont intéressés par la gestion quotidienne des organisations de faire leur travail.
On a cru qu’après vos études en Europe, vous viendrez occuper un poste au sein de l’instance dirigeante du Fpi. Mais voilà que vous venez et vous créez votre parti, c’est le divorce en quelque sorte d’avec ce parti ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ?
J’ai été militant du parti socialiste ivoirien. Je n’ai jamais été militant du Fpi et donc je n’ai aucun engagement vis-à-vis de ce parti, sauf que le combat du président Gbagbo rejoignait le nôtre dans l’opposition. Aussi longtemps que nous étions sur la même plate-forme, il n’y avait aucun problème. Sauf qu’à un moment donné, il y a eu une petite mésentente qui m’a contraint à me retirer un peu. Notre parti a été créé justement pour continuer le combat tel que nous l’avons toujours conçu, c’est-à-dire nous battre pour que la démocratie soit une réalité en Côte d’Ivoire. Sinon notre combat n’est pas un combat de postes. Vous voyez aujourd’hui avec l’arrivée du RDR au pouvoir, pour ceux des responsables du Fpi qui m’accusaient d’être un affidé de Ouattara, ils se rendent compte que je n’ai jamais défendu autre chose que des opinions objectives. On peut ne pas être d’accord avec moi, mais j’ai mes convictions et mes principes qui ne sont pas toujours corrects, mais en fonction desquels je détermine mes prises de position. Depuis 1990, alors que j’étais un filleul d’Houphouët-Boigny, j’ai rompu d’avec le système et cela prouve donc que je suis très loin de la « mangécratie ». Le contexte se prête éventuellement au développement du banditisme de grand chemin. L’effort du gouvernement est à saluer mais il faut que le gouvernement aille plus loin pour que la sérénité revienne définitivement dans cette nation.
Que pensez-vous de la situation actuelle des exilés ivoiriens qui meurent en cascade à l’étranger parce que leurs avoirs sont gelés et ils n’ont pas la possibilité de rentrer chez eux ?
La constitution interdit qu’un Ivoirien soit en exil et comme je l’ai dit, j’ai un devoir de cohérence et aussi longtemps que les conditions de dialogue national ne sont pas réunies, on assistera toujours à ce genre de situation. Je pense que les plaies sont encore béantes mais la force du président Ouattara, aujourd’hui, est de tout faire pour que cette sérénité revienne dans ce pays. Qu’il fasse asseoir ses frères et ses sœurs qui sont concernés par cette crise pour qu’ensemble, on trouve une solution. Ce n’est jamais intéressant de voir des nationaux à l’étranger, car moi-même, j’ai été exilé en Angleterre pendant une dizaine d’années. Et je sais qu’on ne peut jamais être heureux que chez soi. Je crois que la défaite des Eléphants et les morts en cascade sont une interpellation divine pour que le gouvernement réfléchisse. Certainement qu’après les partielles du 26 février 2012 avec le nouveau gouvernement qui va arriver, on aura encore l’occasion de voir si c’est encore possible de créer des conditions de dialogue entre les Ivoiriens. Pour moi, c’est un peu difficile et même malheureux. On souhaite que ceux qui sont à l’étranger aient une autre responsabilité à assumer puisqu’il y a eu des élections et qu’ils le veulent ou pas, il y a un pouvoir qui est là. Il faut admettre que ce pouvoir est là et créer des ouvertures pour qu’ils puissent s’asseoir avec le nouveau pouvoir et discuter. Mais aussi longtemps qu’ils resteront dans une logique où ils considèrent qu’ils ne reconnaissent pas ce pouvoir, je pense qu’on ne pourra pas avancer. Il est important que le Premier ministre Banny à qui on a donné la responsabilité d’organiser cette réconciliation aille vers les deux ou trois camps. Qu’il aille en direction de tous les Ivoiriens pour voir comment faire de sorte que ce genre de situation soit évité.
Quels sont aujourd’hui vos rapports en tant qu’ancien membre de la Fesci avec les anciens tels que le premier ministre Soro, Blé Goudé, Djué et les autres ?
Nous avons des rapports parfaitement sereins sauf que les uns et les autres sont très pris. Vous vous imaginez qu’on ne peut pas partager sa tasse de café du petit matin avec le Premier ministre puisqu’il doit recevoir des rapports de sécurité. Son cas à lui est tout à fait particulier. Je suis en contact avec les autres frères et certains anciens membres du mouvement sont venus me voir pour qu’on puisse avoir une rencontre dans les jours qui viennent. Je crois qu’à cette rencontre, on pourra retrouver l’ensemble des amis pour voir dans quel cadre pousser le processus de réconciliation nationale. A mon avis, les anciens fescistes sont absolument en bons termes entre eux.
Préparez-vous la relève pour la génération future?
Vous savez, la relève est naturelle. Les gens arrivent au pouvoir et ils s’en vont. D’autres dirigent, comme moi j’ai dirigé et je suis parti. Après moi, il y a eu les autres camarades : Soro, Blé et autres. C’est une question physique, physiologique et on n’a pas le choix.
Pouvez-vous assurer la relève si vous êtes divisés ?
Non, non, si c’est en ce qui concerne la gestion du pays, mais je pense que le Premier ministre Guillaume Soro a clairement montré que nous sommes suffisamment outillés. Cela fait maintenant cinq ans qu’il est à la Primature et je crois que pour ceux qui vendaient sa peau moins chère, ils se sont rendu compte qu’un ancien Secrétaire général de la Fesci était capable de gérer convenablement la Primature peut- être même au-delà de la Primature. En ce qui nous concerne, au plan intellectuel, pour l’ensemble de nos générations, je crois qu’on n’a rien à se reprocher puisqu’on a toutes catégories de personnes : des docteurs, des voleurs… Donc en ce qui concerne l’outillage idéologique politique, sociologique, on n’a pas d’autres problèmes et nous sommes prêts. On n’a jamais été aussi prêt que maintenant puisqu’on a un jeune frère qui est à la Primature et qui fait bien son travail.
Nous allons mettre fin à cet entretien…
Je pense qu’il y a eu un engagement pré-électoral. Le président Ouattara est un homme d’honneur et il doit s’en tenir à cet engagement-là. Je pense que ce n’est pas quelqu’un qui a deux paroles. Il a donné sa parole au Pdci et je suis persuadé qu’il va la respecter et à mon avis, il nommera sûrement un Premier ministre du Pdci après les partielles. Quitte à ce que le Rdr qui est majoritaire aujourd’hui au parlement élise un des leurs comme président de l’Assemblée nationale. Si c’est Soro Guillaume qui est mon jeune frère, je ne serai pas malheureux. Je serai heureux qu’il soit président de l’Assemblée nationale. Cela voudrait dire que les fescistes se rapprochent de plus en plus du pouvoir d’Etat. Je tiens donc à remercier les journalistes qui ont fait un travail dans cette nation et je tiens également à présenter tous mes encouragements aux Ivoiriens qui ont traversé cette crise avec beaucoup de difficultés. Je m’incline devant la mémoire des disparus. Cette nation a trop bu le sang de ses fils et je crois qu’il faut qu’on s’arrête là aujourd’hui pour qu’on pense à autre chose. Le combat démocratique a ses hauts et ses bas. En son temps, le président Laurent Gbagbo disait qu’on peut aller en prison et de la prison on peut aller au palais, vice versa. Mais cela ne veut pas dire qu’entre les deux, il faut la guerre. La guerre n’a jamais résolu un problème mais au contraire a toujours contribué à rendre les problèmes encore plus difficiles. Il faut donc se focaliser sur la gestion des conséquences de la démocratie en toute responsabilité. Permettre à ceux qui sont là de gérer et à l’opposition de s’organiser pour que la Côte d’Ivoire, la seule victime que je connais de cette crise, puisse sortir grandie. Aucune nation n’est grande si elle ne passe par cette période. Nous pensons que certainement, c’est la dernière grande étape avant le processus d’éclosion et de développement de notre nation. Vraiment, si tout le monde se met dans cette logique, je crois que les dix prochaines années seront les dix glorieuses de notre pays. Merci pour tous ceux qui ont cru et à Dieu qui nous a préservés. J’espère qu’on aura retenu qu’il faut être moins arrogant et être humble pour que Dieu puisse nous donner ce qu’il a prévu pour cette nation.
Réalisée par Maxime Wangué, collab : Larissa G, Tapé Guillaume