Après une période de 4 mois de chômage technique, 300 agents de la Radiodiffusion télévision ivoirienne (Rti) ont été licenciés. Ainsi en a décidé le régime Ouattara. Et pourtant…
La Radiodiffusion télévision ivoirienne (Rti) qui comprend désormais Rti 1, Rti 2, Radio Côte d’Ivoire et Rti Bouaké vit des moments troubles depuis le renversement du Président Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011. Avec Aka Sayé Lazare, nouveau directeur général de la Rti, cette entreprise d’Etat s’est muée en un club d’amis. Le point commun étant d’être des proches de l’actuel chef de l’Etat, Alassane Dramane Ouattara, ou des militants ou sympathisants de sa coalition de partis, le Rhdp. Comme il fallait s’y attendre, plusieurs personnes soupçonnées proches de l’ancien pouvoir payent cash leur position.
En effet, depuis lundi 12 mars 2012, 300 agents de l’entreprise ont été licenciés. Ils ont tous reçu leur «kit», à l’Espace Rfk : une enveloppe comportant un courrier individuel, un certificat de travail plus un chèque. Deux catégories d’agents ont été visées par les mesures d’Aka Sayé Lazare. La première concerne ceux qui ont opté pour un départ volontaire négocié. Au nombre de 151, ils étaient au chômage technique 4 mois auparavant. Ce qui leur a permis de se retrouver avec 8 mois de salaire en plus de leurs droits légaux. En outre, ils bénéficient, un an durant, de l’assurance maladie. Le second groupe est composé de ceux qui n’ont pas demandé à partir de la Maison bleue. Ils forment une liste de licenciés pour « motifs économiques ».
Face à cette situation, c’est la désolation totale chez ces 149 agents. Ils se retrouvent avec un forfait représentant pratiquement le tiers de la cagnotte des autres, selon les promotions. Fait curieux, il y a des licenciés qui ne faisaient pas partie des effectifs des chômeurs techniques. C’est le cas de Serges Koléa (rédaction Rti 1), Emmanuel Bissouma (réalisateur) et Ulrich Zinta (monteur). En somme, ces agents ne s’attendaient pas à un tel sort.
Comble du ridicule, des agents qui devaient faire valoir leurs droits à la retraite, début 2013, n’ont pas été épargnés. C’est le cas de Brice Dagou Zouzoua qui n’avait que quelques mois à passer encore à la Rti. Il aurait fallu les laisser s’en aller tout bonnement pour ne pas avoir à débourser de grosses sommes en droits légaux et autres. Sauf s’il y a une volonté manifeste d’écarter un agent devenu gênant. Toutefois, Laurence Sautier et Ange Assoukrou- qui figuraient sur la liste des chômeurs techniques du 11 novembre 2011- ont été rappelés depuis lundi dernier et ont repris fonction. Une chose est sûre. Les téléspectateurs ne verront plus sur leur petit écran des professionnels aguerris comme Fernand Dedeh, Barthélemy Inabo et Tonton Bouba. Si le renvoi de ces derniers reste une surprise, celui de Brou Amessan Pierre (ancien Dg), Claude Franck About, Hermann Aboa, Germain de Guézé, Serges Boguhé, Yoh Claude Armand Vigil, Pol Dokui, pour ne citer que ceux-là, n’en est pas un. Il leur est reproché d’avoir animé ou aidé à la réalisation de certaines émissions à caractère politique et patriotique. Notamment « Raison d’Etat » tout au long de la crise ivoirienne. Ce n’est pas tout. Georges Aboké (ex-Dg), Charles Akesse (publicité) et Sylver Nébout qui étaient en détachement comme conseillers à la présidence de la République, payent également pour leur proximité avec Laurent Gbagbo.
Le contingent Tci, Al Bayane et Tv Notre Patrie
Au total, 2,8 milliards Fcfa ont été débloqués par la direction générale de la Rti pour tenter d’honorer ses engagements vis-à-vis des licenciés. C’est-à-dire, 2 milliards Fcfa payés aux 149 licenciés pour « motifs économiques » et 800 millions Fcfa pour les départs volontaires négociés.
Ce qui semble incompréhensible, c’est que pendant que la Rti renvoie à tour de bras ses agents expérimentés, elle recrute des novices. Notamment des personnes ayant bossé sur Tci, la chaîne pirate et propagandiste que Ouattara et ses amis ont mise sur pied pendant leur séjour au Golf hôtel, avec l’aide de la France et de l’Onuci. Une sorte de récompense pour services rendus. Il y a aussi des animateurs issus de la radio confessionnelle musulmane, Al Bayane, désormais inscrits à l’effectif de la Rti. A preuve, Ali Diarrassouba, présentateur du Journal de 20 h – sacrilège – est un transfuge d’Al Bayane, alors que Charles Gnahoré vient de Tci, en passant par Tv Notre Patrie qui émettait à Bouaké pour le compte de la rébellion armée pro-Ouattara. Au total, une quarantaine de journalistes et de techniciens ayant travaillé dans ces médias pirates se retrouvent aujourd’hui à la Rti, comme par un tour de baguette magique. Ainsi, les personnes touchées par les mesures de la Rti comprennent difficilement cette logique qui veut que l’on se sépare de ses agents pour «motifs économiques» et dans le même temps, on procède à des recrutements. Comme si les recrues ne seront pas rémunérées avec les ressources financières de la Rti.
Des communiqués pour justifier la mise en scène
Pour justifier la mise en chômage technique et le licenciement des agents de la Rti, la direction générale a pondu, lundi dernier, un communiqué de presse. «L’application de cette mesure contraignante est la conséquence de la crise financière qui affecte l’entreprise depuis plusieurs années. Les audits successifs ont mis en exergue le déséquilibre des finances, l’effectif pléthorique et la nécessité de procéder à des réformes urgentes pour assurer la survie de la Rti. Le licenciement opéré ce jour a été précédé de la mise en chômage technique pendant 4 mois de 322 agents, toutes catégories professionnelles confondues. La Rti a rempli ses obligations en payant intégralement les indemnités de licenciement au personnel concerné et ce, conformément aux dispositions légales. Tout en regrettant de devoir recourir à cette mesure douloureuse pour ces agents, la direction générale reste cependant convaincue que celui-ci permettra de sauver l’entreprise et de la rendre apte à relever les défis futurs», explique le document. Mais une semaine avant, le lundi 5 mars, Aka Sayé Lazare, à travers une correspondance, avait annoncé la mauvaise nouvelle aux différents syndicats de l’entreprise.
La fête aux annonceurs et la redevance Rti
Un autre fait intrigue. Récemment, le nouveau Dg de la Rti a célébré la hausse de 45% des recettes publicitaires de l’entreprise, en présence de plusieurs annonceurs. Pourquoi renvoyer, alors ? Nul n’ignore que ce sont les recettes publicitaires qui font vivre les entreprises de presse et contribuent à plus de 60% à leur fonctionnement. En plus, la Rti vit pour beaucoup de la redevance imposée aux usagers de la Compagnie ivoirienne d’électricité (Cie). C’est ce qu’on appelle la redevance Rti et qui s’élève au moins à 2000 Fcfa que chaque abonné est astreint, à partir de 10 ampères, à payer tous les deux mois. Combien d’abonnés sur tout le territoire ivoirien paient cette redevance ? Ils sont plusieurs milliers. C’est évidemment beaucoup d’argent qui est ainsi récolté par la Rti. Malgré cette belle cagnotte, les responsables claironnent que les charges de la maison ne permettent pas de faire face à toutes les obligations. Faisons un peu de calcul pour édifier l’opinion. Ceux qui paient effectivement la redevance Rti sont environ 350 mille abonnés. Quand chacun d’eux paie au moins 2000 Fcfa tous les deux mois, on se retrouve avec 700 millions Fcfa. Durant une année, on a 4 milliards 200 millions Fcfa prélevés pour le compte de la Rti au titre de sa redevance. C’est un bon pactole et ça n’a rien à voir avec les recettes publicitaires en hausse de 45% et la subvention de l’Etat. Sans oublier les prestations payantes comme les passages à « Matin Bonheur », «Midi chez nous», « Agenda », les avis et communiqués, les promotions d’artistes, etc. D’ailleurs, juste après la crise, l’Etat a dégagé la rondelette somme de 4 milliards Fcfa pour permettre à la Rti de se rééquiper et de fonctionner normalement.
La bataille juridique qui s’annonce
Le licenciement des 300 agents de la Rti n’a pas encore fini de faire des vagues. Puisque, depuis lundi, plusieurs cabinets d’avocats reçoivent des plaintes des licenciés qui se disent lésés. Certains estiment que ce qu’ils ont perçu est en deçà de ce qui leur est dû. Ils n’entendent pas se laisser faire et affirment qu’ils iront jusqu’au bout pour entrer dans leurs droits. Cette bataille juridique qui, à n’en point douter, fera couler beaucoup d’encre et de salive car on parle d’un abus d’autorité. Il n’y a donc pas de doute. La comptabilité de la Rti va en pâtir.
Marcellin Boguy
La Radiodiffusion télévision ivoirienne (Rti) qui comprend désormais Rti 1, Rti 2, Radio Côte d’Ivoire et Rti Bouaké vit des moments troubles depuis le renversement du Président Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011. Avec Aka Sayé Lazare, nouveau directeur général de la Rti, cette entreprise d’Etat s’est muée en un club d’amis. Le point commun étant d’être des proches de l’actuel chef de l’Etat, Alassane Dramane Ouattara, ou des militants ou sympathisants de sa coalition de partis, le Rhdp. Comme il fallait s’y attendre, plusieurs personnes soupçonnées proches de l’ancien pouvoir payent cash leur position.
En effet, depuis lundi 12 mars 2012, 300 agents de l’entreprise ont été licenciés. Ils ont tous reçu leur «kit», à l’Espace Rfk : une enveloppe comportant un courrier individuel, un certificat de travail plus un chèque. Deux catégories d’agents ont été visées par les mesures d’Aka Sayé Lazare. La première concerne ceux qui ont opté pour un départ volontaire négocié. Au nombre de 151, ils étaient au chômage technique 4 mois auparavant. Ce qui leur a permis de se retrouver avec 8 mois de salaire en plus de leurs droits légaux. En outre, ils bénéficient, un an durant, de l’assurance maladie. Le second groupe est composé de ceux qui n’ont pas demandé à partir de la Maison bleue. Ils forment une liste de licenciés pour « motifs économiques ».
Face à cette situation, c’est la désolation totale chez ces 149 agents. Ils se retrouvent avec un forfait représentant pratiquement le tiers de la cagnotte des autres, selon les promotions. Fait curieux, il y a des licenciés qui ne faisaient pas partie des effectifs des chômeurs techniques. C’est le cas de Serges Koléa (rédaction Rti 1), Emmanuel Bissouma (réalisateur) et Ulrich Zinta (monteur). En somme, ces agents ne s’attendaient pas à un tel sort.
Comble du ridicule, des agents qui devaient faire valoir leurs droits à la retraite, début 2013, n’ont pas été épargnés. C’est le cas de Brice Dagou Zouzoua qui n’avait que quelques mois à passer encore à la Rti. Il aurait fallu les laisser s’en aller tout bonnement pour ne pas avoir à débourser de grosses sommes en droits légaux et autres. Sauf s’il y a une volonté manifeste d’écarter un agent devenu gênant. Toutefois, Laurence Sautier et Ange Assoukrou- qui figuraient sur la liste des chômeurs techniques du 11 novembre 2011- ont été rappelés depuis lundi dernier et ont repris fonction. Une chose est sûre. Les téléspectateurs ne verront plus sur leur petit écran des professionnels aguerris comme Fernand Dedeh, Barthélemy Inabo et Tonton Bouba. Si le renvoi de ces derniers reste une surprise, celui de Brou Amessan Pierre (ancien Dg), Claude Franck About, Hermann Aboa, Germain de Guézé, Serges Boguhé, Yoh Claude Armand Vigil, Pol Dokui, pour ne citer que ceux-là, n’en est pas un. Il leur est reproché d’avoir animé ou aidé à la réalisation de certaines émissions à caractère politique et patriotique. Notamment « Raison d’Etat » tout au long de la crise ivoirienne. Ce n’est pas tout. Georges Aboké (ex-Dg), Charles Akesse (publicité) et Sylver Nébout qui étaient en détachement comme conseillers à la présidence de la République, payent également pour leur proximité avec Laurent Gbagbo.
Le contingent Tci, Al Bayane et Tv Notre Patrie
Au total, 2,8 milliards Fcfa ont été débloqués par la direction générale de la Rti pour tenter d’honorer ses engagements vis-à-vis des licenciés. C’est-à-dire, 2 milliards Fcfa payés aux 149 licenciés pour « motifs économiques » et 800 millions Fcfa pour les départs volontaires négociés.
Ce qui semble incompréhensible, c’est que pendant que la Rti renvoie à tour de bras ses agents expérimentés, elle recrute des novices. Notamment des personnes ayant bossé sur Tci, la chaîne pirate et propagandiste que Ouattara et ses amis ont mise sur pied pendant leur séjour au Golf hôtel, avec l’aide de la France et de l’Onuci. Une sorte de récompense pour services rendus. Il y a aussi des animateurs issus de la radio confessionnelle musulmane, Al Bayane, désormais inscrits à l’effectif de la Rti. A preuve, Ali Diarrassouba, présentateur du Journal de 20 h – sacrilège – est un transfuge d’Al Bayane, alors que Charles Gnahoré vient de Tci, en passant par Tv Notre Patrie qui émettait à Bouaké pour le compte de la rébellion armée pro-Ouattara. Au total, une quarantaine de journalistes et de techniciens ayant travaillé dans ces médias pirates se retrouvent aujourd’hui à la Rti, comme par un tour de baguette magique. Ainsi, les personnes touchées par les mesures de la Rti comprennent difficilement cette logique qui veut que l’on se sépare de ses agents pour «motifs économiques» et dans le même temps, on procède à des recrutements. Comme si les recrues ne seront pas rémunérées avec les ressources financières de la Rti.
Des communiqués pour justifier la mise en scène
Pour justifier la mise en chômage technique et le licenciement des agents de la Rti, la direction générale a pondu, lundi dernier, un communiqué de presse. «L’application de cette mesure contraignante est la conséquence de la crise financière qui affecte l’entreprise depuis plusieurs années. Les audits successifs ont mis en exergue le déséquilibre des finances, l’effectif pléthorique et la nécessité de procéder à des réformes urgentes pour assurer la survie de la Rti. Le licenciement opéré ce jour a été précédé de la mise en chômage technique pendant 4 mois de 322 agents, toutes catégories professionnelles confondues. La Rti a rempli ses obligations en payant intégralement les indemnités de licenciement au personnel concerné et ce, conformément aux dispositions légales. Tout en regrettant de devoir recourir à cette mesure douloureuse pour ces agents, la direction générale reste cependant convaincue que celui-ci permettra de sauver l’entreprise et de la rendre apte à relever les défis futurs», explique le document. Mais une semaine avant, le lundi 5 mars, Aka Sayé Lazare, à travers une correspondance, avait annoncé la mauvaise nouvelle aux différents syndicats de l’entreprise.
La fête aux annonceurs et la redevance Rti
Un autre fait intrigue. Récemment, le nouveau Dg de la Rti a célébré la hausse de 45% des recettes publicitaires de l’entreprise, en présence de plusieurs annonceurs. Pourquoi renvoyer, alors ? Nul n’ignore que ce sont les recettes publicitaires qui font vivre les entreprises de presse et contribuent à plus de 60% à leur fonctionnement. En plus, la Rti vit pour beaucoup de la redevance imposée aux usagers de la Compagnie ivoirienne d’électricité (Cie). C’est ce qu’on appelle la redevance Rti et qui s’élève au moins à 2000 Fcfa que chaque abonné est astreint, à partir de 10 ampères, à payer tous les deux mois. Combien d’abonnés sur tout le territoire ivoirien paient cette redevance ? Ils sont plusieurs milliers. C’est évidemment beaucoup d’argent qui est ainsi récolté par la Rti. Malgré cette belle cagnotte, les responsables claironnent que les charges de la maison ne permettent pas de faire face à toutes les obligations. Faisons un peu de calcul pour édifier l’opinion. Ceux qui paient effectivement la redevance Rti sont environ 350 mille abonnés. Quand chacun d’eux paie au moins 2000 Fcfa tous les deux mois, on se retrouve avec 700 millions Fcfa. Durant une année, on a 4 milliards 200 millions Fcfa prélevés pour le compte de la Rti au titre de sa redevance. C’est un bon pactole et ça n’a rien à voir avec les recettes publicitaires en hausse de 45% et la subvention de l’Etat. Sans oublier les prestations payantes comme les passages à « Matin Bonheur », «Midi chez nous», « Agenda », les avis et communiqués, les promotions d’artistes, etc. D’ailleurs, juste après la crise, l’Etat a dégagé la rondelette somme de 4 milliards Fcfa pour permettre à la Rti de se rééquiper et de fonctionner normalement.
La bataille juridique qui s’annonce
Le licenciement des 300 agents de la Rti n’a pas encore fini de faire des vagues. Puisque, depuis lundi, plusieurs cabinets d’avocats reçoivent des plaintes des licenciés qui se disent lésés. Certains estiment que ce qu’ils ont perçu est en deçà de ce qui leur est dû. Ils n’entendent pas se laisser faire et affirment qu’ils iront jusqu’au bout pour entrer dans leurs droits. Cette bataille juridique qui, à n’en point douter, fera couler beaucoup d’encre et de salive car on parle d’un abus d’autorité. Il n’y a donc pas de doute. La comptabilité de la Rti va en pâtir.
Marcellin Boguy