Enfin, un témoignage. Un vrai. Sans aucune coloration politique partisane, sur la crise en Côte d'Ivoire. Du moins, les cinq dernières années de la tourmente ivoirienne. Pour son deuxième livre après « Au rythme lent de la vie », paru aux éditions PUCI, en 2004, Ibrahim Sy Savané, ancien ministre de la Communication et, aujourd'hui, Président de la HACA (Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle), a choisi de plonger sa plume au cœur de la bourrasque politico-militaire ivoirienne. Il en sort « D'espérance et de douleurs vives », une œuvre bouleversante riche en confessions, celles d'un homme, d'ordinaire tranquille et effacé, embarqué dans une aventure inattendue mais si cruciale pour l'avenir de son pays et qui, en fait, se révèlera à la fois exaltante et stressante. Avec tout ce que cela comporte comme peines et joies. Déjà, la couverture du livre éveille les soupçons du lecteur, sur ce qu'il s'apprête à vivre, que dis-je lire, va être palpitant. On y voit une paire de rangers, aux lacets défaits, comme si un soldat épuisé par l'éreintante bataille d'Abidjan venait de s'en débarrasser, posée sur un sol aride fissuré, à l'image des plaies béantes, donc des douleurs vives, de la Côte d'Ivoire durant cette période troublante. Même si la jeune pousse, qui trône, à côté de ces chaussures, entretient l'espérance de lendemains meilleurs, cette image résume, en elle seule, toute la trame de cet essai.
Dans un style alerte, assez dépouillé mais porté par un langage soutenu, l'auteur raconte, en tant qu'acteur et aussi spectateur, les quatre dernières années de la crise ivoirienne. Il prend pour point d'ancrage de son récit la date du 7 avril 2007, jour de sa nomination, alors qu'il s'y attendait le moins, à la tête du ministère de la Communication, dans le premier gouvernement de l'Accord Politique de Ouagadougou. Ensuite, il se laisse aller à des confidences non moins importantes. C'est ainsi qu'il révèle comment il a dissuadé Laurent Gbagbo de nommer l'épouse de Diégou Bailly à la tête du CNCA (Conseil National de la Communication audiovisuelle), après le décès de ce dernier, et surtout comment il a habilement soufflé le nom de Franck Anderson Kouassi, pour ce poste, à l'ex-Chef d'Etat(P26). Bien entendu, il n'occulte pas les dossiers chauds de son département ministériel, à savoir la situation sociale des journalistes, et notamment l'épineuse question de la RTI, qu'il a appelée, avec une pointe d'ironie, « boîtes à malices et à convoitises », devenue, à son corps défendant, un outil de propagande politique à la solde du pouvoir d'alors plutôt qu'un média de service public. Une situation qui contraria le grand professionnel qu'il est là et face à laquelle, il n'a pu faire grand-chose malgré sa bonne foi et un « dialogue direct autour de la télévision », à Yamoussoukro, avec Laurent Gbagbo, en compagnie d'Eugène Kacou, Président du CNP, et de Franck Anderson Kouassi, Président du CNP, à cette période. Il revient aussi sur la balade « spectaculaire », faite sur la lagune, et qui, on se souvient, avait fait les choux gras de la presse. L'auteur dévoile, par ailleurs, à la page 114, sa grande amitié avec Désiré Tagro, l'ex-ministre de l'Intérieur de Laurent Gbagbo, aujourd'hui décédé, et explique comment celui-ci a tenté en 2010 de le recruter comme directeur de campagne de l'ex-président. Naturellement, Ibrahim Sy Savané n'occulte pas l'épisode haletant des deux tours de la présidentielle : la hantise de l'attente des résultats, la guerre sournoise des chiffres portée par de véhémentes accusations de fraudes au Nord… Il évoque les stratagèmes du camp présidentiel pour déposséder la CEI de ses prérogatives, dans la publication des résultats et le jeu trouble des responsables de la RTI, sous la pression des proches de Gbagbo.
Il ne cache pas non plus son admiration pour la force de caractère de Young Jin Choi, et « trahit » même l'une de ses confidences. « Au cours d'un échange autour d'un café, il me fit une drôle de confidence. Pour lui, il était fort probable que Gbagbo perde les élections et fort probable également qu'il refuse les résultats et dans ces conditions, l'ONUCI prendrait ses responsabilités», écrit-il (P123). Il explique aussi comment il a joué le rôle de conseiller en stratégie de communication pour le président Ouattara, pendant son retranchement au Golf Hôtel(P161). Mais là où il surprend, non pas qu'il n'en est pas capable, mais parce qu'il est «avare» en compliments, c'est l'éloge qu'il fait de l'épouse du Chef de l'Etat. «On prête à Dominique Ouattara, beaucoup de pouvoir. Elle a sans contexte de l'influence et de la ténacité. Et certains croient qu'elle est adulée parce qu'elle distribue de l'argent. Or, si elle est généreuse, c'est surtout l'attention qu'elle sait accorder aux autres qui lui vaut autant de fidélités», lâche t-il(P165).
Enfin, il raconte, comment il sait l'écho de la guerre, depuis son «retranchement» dans un hôtel parisien, loin certes des rafles de mitraillettes ou des détonations assourdissantes d'armes lourdes, mais si proche de la souffrance des Ivoiriens enfermés dans le piège infernal et sanglant de la guerre d'Abidjan. On réalise, avec émotion, comment il a souffert dans son âme et son corps, au point d'être évacué dans une clinique de la capitale française, suite à un malaise…
Ce qui est intéressant dans cette œuvre, c'est qu'Ibrahim Sy Savané ne cède pas à ce que l'on pourrait appeler la tentation de l'héroïsme, comme c'est souvent le cas, dans ce genre d'exercice. En général, quand l'auteur est un témoin clé de l'histoire qu'il raconte, il a tendance à tirer la couverture vers lui. Lui refuse de tomber habilement, dans ce piège.
Homme, attaché plus aux valeurs qui fondent une société, qu'aux artifices, il s'efface avec une humilité déconcertante, pour laisser l'entière latitude au lecteur de se faire un jugement sur ce qui s'est passé, qui a fait quoi ? Qui a joué quel rôle ? Toutefois, quelques confidences qu'il laisse échapper, achèvent de convaincre que, quoique loin des projecteurs, il fut un personnage clé du mélodrame ivoirien. On apprend par exemple qu'après la double dissolution du gouvernement et de la CEI en février 2010, il fut l'homme qui joua la médiation entre Laurent Gbagbo, et son Premier ministre d'alors Guillaume Soro. On comprend surtout que si le pays n'a pas basculé dans le conflit à cette période, c'est bien grâce à son entregent, lui qui a usé de tact et de diplomatie, pour rapprocher ces deux personnalités.
On découvre, par ailleurs, comment il est arrivé à faire fléchir Laurent Gbagbo sur sa décision de refouler certains membres du gouvernement. Mais au-delà de cette révélation, on découvre, à travers cette œuvre, l'autre facette insoupçonnée de l'homme. Derrière le calme olympien du professionnel aguerri des médias, se cache aussi un médiateur hors pair. Plus qu'un simple témoignage, ce livre est un véritable mémorandum des quatre dernières années de la crise ivoirienne. Ses 22 chapitres se lisent d'un trait, et on se pâme d'admiration devant la dextérité et la souplesse avec laquelle, l'auteur manie la langue de Molière. Un vrai régal pour les amoureux de la lecture
Y. Sangaré
Dans un style alerte, assez dépouillé mais porté par un langage soutenu, l'auteur raconte, en tant qu'acteur et aussi spectateur, les quatre dernières années de la crise ivoirienne. Il prend pour point d'ancrage de son récit la date du 7 avril 2007, jour de sa nomination, alors qu'il s'y attendait le moins, à la tête du ministère de la Communication, dans le premier gouvernement de l'Accord Politique de Ouagadougou. Ensuite, il se laisse aller à des confidences non moins importantes. C'est ainsi qu'il révèle comment il a dissuadé Laurent Gbagbo de nommer l'épouse de Diégou Bailly à la tête du CNCA (Conseil National de la Communication audiovisuelle), après le décès de ce dernier, et surtout comment il a habilement soufflé le nom de Franck Anderson Kouassi, pour ce poste, à l'ex-Chef d'Etat(P26). Bien entendu, il n'occulte pas les dossiers chauds de son département ministériel, à savoir la situation sociale des journalistes, et notamment l'épineuse question de la RTI, qu'il a appelée, avec une pointe d'ironie, « boîtes à malices et à convoitises », devenue, à son corps défendant, un outil de propagande politique à la solde du pouvoir d'alors plutôt qu'un média de service public. Une situation qui contraria le grand professionnel qu'il est là et face à laquelle, il n'a pu faire grand-chose malgré sa bonne foi et un « dialogue direct autour de la télévision », à Yamoussoukro, avec Laurent Gbagbo, en compagnie d'Eugène Kacou, Président du CNP, et de Franck Anderson Kouassi, Président du CNP, à cette période. Il revient aussi sur la balade « spectaculaire », faite sur la lagune, et qui, on se souvient, avait fait les choux gras de la presse. L'auteur dévoile, par ailleurs, à la page 114, sa grande amitié avec Désiré Tagro, l'ex-ministre de l'Intérieur de Laurent Gbagbo, aujourd'hui décédé, et explique comment celui-ci a tenté en 2010 de le recruter comme directeur de campagne de l'ex-président. Naturellement, Ibrahim Sy Savané n'occulte pas l'épisode haletant des deux tours de la présidentielle : la hantise de l'attente des résultats, la guerre sournoise des chiffres portée par de véhémentes accusations de fraudes au Nord… Il évoque les stratagèmes du camp présidentiel pour déposséder la CEI de ses prérogatives, dans la publication des résultats et le jeu trouble des responsables de la RTI, sous la pression des proches de Gbagbo.
Il ne cache pas non plus son admiration pour la force de caractère de Young Jin Choi, et « trahit » même l'une de ses confidences. « Au cours d'un échange autour d'un café, il me fit une drôle de confidence. Pour lui, il était fort probable que Gbagbo perde les élections et fort probable également qu'il refuse les résultats et dans ces conditions, l'ONUCI prendrait ses responsabilités», écrit-il (P123). Il explique aussi comment il a joué le rôle de conseiller en stratégie de communication pour le président Ouattara, pendant son retranchement au Golf Hôtel(P161). Mais là où il surprend, non pas qu'il n'en est pas capable, mais parce qu'il est «avare» en compliments, c'est l'éloge qu'il fait de l'épouse du Chef de l'Etat. «On prête à Dominique Ouattara, beaucoup de pouvoir. Elle a sans contexte de l'influence et de la ténacité. Et certains croient qu'elle est adulée parce qu'elle distribue de l'argent. Or, si elle est généreuse, c'est surtout l'attention qu'elle sait accorder aux autres qui lui vaut autant de fidélités», lâche t-il(P165).
Enfin, il raconte, comment il sait l'écho de la guerre, depuis son «retranchement» dans un hôtel parisien, loin certes des rafles de mitraillettes ou des détonations assourdissantes d'armes lourdes, mais si proche de la souffrance des Ivoiriens enfermés dans le piège infernal et sanglant de la guerre d'Abidjan. On réalise, avec émotion, comment il a souffert dans son âme et son corps, au point d'être évacué dans une clinique de la capitale française, suite à un malaise…
Ce qui est intéressant dans cette œuvre, c'est qu'Ibrahim Sy Savané ne cède pas à ce que l'on pourrait appeler la tentation de l'héroïsme, comme c'est souvent le cas, dans ce genre d'exercice. En général, quand l'auteur est un témoin clé de l'histoire qu'il raconte, il a tendance à tirer la couverture vers lui. Lui refuse de tomber habilement, dans ce piège.
Homme, attaché plus aux valeurs qui fondent une société, qu'aux artifices, il s'efface avec une humilité déconcertante, pour laisser l'entière latitude au lecteur de se faire un jugement sur ce qui s'est passé, qui a fait quoi ? Qui a joué quel rôle ? Toutefois, quelques confidences qu'il laisse échapper, achèvent de convaincre que, quoique loin des projecteurs, il fut un personnage clé du mélodrame ivoirien. On apprend par exemple qu'après la double dissolution du gouvernement et de la CEI en février 2010, il fut l'homme qui joua la médiation entre Laurent Gbagbo, et son Premier ministre d'alors Guillaume Soro. On comprend surtout que si le pays n'a pas basculé dans le conflit à cette période, c'est bien grâce à son entregent, lui qui a usé de tact et de diplomatie, pour rapprocher ces deux personnalités.
On découvre, par ailleurs, comment il est arrivé à faire fléchir Laurent Gbagbo sur sa décision de refouler certains membres du gouvernement. Mais au-delà de cette révélation, on découvre, à travers cette œuvre, l'autre facette insoupçonnée de l'homme. Derrière le calme olympien du professionnel aguerri des médias, se cache aussi un médiateur hors pair. Plus qu'un simple témoignage, ce livre est un véritable mémorandum des quatre dernières années de la crise ivoirienne. Ses 22 chapitres se lisent d'un trait, et on se pâme d'admiration devant la dextérité et la souplesse avec laquelle, l'auteur manie la langue de Molière. Un vrai régal pour les amoureux de la lecture
Y. Sangaré