En quête d’un mieux-être, elles ont choisi de se mettre au service des familles relativement aisées. Payées au rabais, elles abattent un travail d’Hercule, souvent dans des conditions inhumaines.
Issue d’une famille nombreuse et modeste (basée à Abobo), S. Francine a 15 ans quand elle atterrit chez les Konan (dans la commune de Yopougon) pour travailler comme servante. Adolescente déscolarisée, elle a le visage illuminé par la joie, à l’idée de changer d’air. Mais, surtout de gagner un peu d’argent. 15.000 FCFA le mois. Pour son âge, c’est du bonheur. Elle ignore, cependant, ce qui l’attend. La suite de l’aventure sera un calvaire. Corvéable de jour comme de nuit, elle est harcelée par son vicieux de patron. Excédée, S. Francine renonce à ce travail au bout de quelques mois seulement. Mariée désormais, c’est le cœur meurtri que l’infortunée d’hier évoque cette triste parenthèse de sa vie. Elle écrase même une larme qui rappelle la cruauté du traitement subie, il y a plus de 10 ans. Comme Francine, ce sont plusieurs adolescentes et jeunes filles en quête de bonheur qui font l’amère expérience de cette vie de domestique. Chaque jour, dans les différentes communes de la capitale, elles subissent les humeurs de leurs patrons.
Heure de descente inconnue
Très tôt au boulot, elles rentrent tardivement, quand elles ne dorment pas chez leurs employeurs. Comme quoi, ici, les 8 heures réglementaires de travail par jour ne sont pas respectées. Akissi est servante chez un Libanais, à Marcory (Remblais) depuis des années. Elle en a vu des vertes et des pas mûres. « Je sais à quelle heure je commence le travail (7h30 ndlr). Mais, jamais l’heure de la descente. En cas de réception, je peux rester au-delà de 23 heures », révèle-t-elle, sur un ton de profonde déception. La jeune fille, sur qui pèse la charge de deux gosses, fait contre mauvaise fortune bon cœur. « Je n’ai pas le choix. J’ai besoin de ça pour m’occuper de mes enfants ». C’est une autre paire de manches, lorsque celle-ci égrène le chapelet de ses tâches quotidiennes. « Je lave les assiettes, essuie le salon, surveille les enfants. Sans compter les nombreuses allées et venues entre les super marchés ». Au finish, Akissi s’en tire avec des doigts endoloris «pour des miettes ». Le salaire de la jeune servante est fixé à 50.000 FCFA. Le même depuis son entrée dans cette famille libanaise. Si une telle rétribution peut faire éructer d’envie certaines collègues des bas-quartiers, elle est loin de combler leurs bénéficiaires. Bien au contraire, elle est jugée insuffisante. Safi, 25 ans, au service d’une autre famille libanaise en Zone4, ne cache pas sa désolation au sujet du traitement salarial. « Mon problème, c’est le salaire. Ce n’est pas bon. Cela fait cinq ans que je suis ici. Ce sont toujours les mêmes 50.000 FCFA que je perçois». Avec le coût de la vie de plus en plus élevé, les propos de Safi sonnent comme un véritable cri du cœur. En de bons termes avec ses patrons après cinq années de collaboration, la jeune orpheline venue de l’est ivoirien aurait souhaité une meilleure condition financière. Surtout que, comme dans bien de cas en Zone 4, les nounous et autres filles de maison doivent s’alimenter à leurs propres frais. Et ce n’est pas dans ce genre de quartiers qu’on trouvera des plats en dessous de 700 FCFA. Soit 21000 FCFA mensuels à défalquer du salaire global. Finalement, c’est la somme de 29.000 FCFA qui leur revient à la fin du mois. Si cette somme ne représente plus rien à Abidjan, comme le dit une autre servante sous le sceau de l’anonymat, que dire alors des 15.000 FCFA proposés dans certains foyers, notamment dans les familles d’Africains avec des paiements en monnaie de singe? «C’est de l’esclavage sous une autre forme », résume Cynthia, servante à Yopougon.
‘’Madame 2 jours’’, la terrible
En fait, la situation varie d’une commune à une autre et d’une famille à une autre. Les patron (nes) rivalisent d’ardeur dans la maltraitance des domestiques. En Zone 4, par exemple, une Syrienne rafle pratiquement la mise. Au point d’être affublée du surnom de ‘’madame 2 jours’’, une image pour caricaturer le passage éclair des différentes servantes. « Elle change les servantes jour après jour. Elle est insupportable. Les filles ne font pas deux jours chez elle », raconte un groupe de servantes. La Syrienne matérialise sa méchanceté par des actes pour le moins intrigants. Elle met expressément, dit-on, des chaussures sous les fauteuils pour s’assurer que le ménage a été fait. Dans le cas contraire, c’est une tonne d’injures qui s’abat sur la «victime », suivie d’un renvoi sans condition. Dans une certaine mesure, la servante apparaît comme un sous-homme. Interdite de regarder la télévision, de se laver chez son employeur quand il n’y a pas une douche de secours. Très souvent, c’est la cuisine qui lui sert de couchette. Finalement, endurcies par ce traitement de choc, elles ont tué la peur en elles. Les domestiques, selon des témoignages vivants, vont jusqu’à affronter leurs patrons, Libanais comme Africains. « Souvent, on ne se laisse pas faire. Quand, c’est exagéré, on se dit les quatre vérités » rèvèle ce même groupe. Des prises de bec qui débouchent sur des renvois immédiats. Mais, parfois, elles relèvent de la banalité. Ce métier informel occupe une grande partie des adolescentes et jeunes filles. C’est pourquoi, les praticiennes souhaitent une intervention de l’Etat pour l’amélioration de leur condition. Leurs yeux sont tournés vers le Palais présidentiel. «Le président Alassane avait promis de se pencher sur le cas des domestiques, une fois au pouvoir. Depuis, nous attendons vainement la solution magique ». L’idée de mener des actions concertées leur effleure l’esprit. Mais, difficile de passer à l’acte. « On ne peut pas manifester; c’est difficile. Lorsqu’on refuse des salaires miséreux, certaines filles les acceptent. Ce sont surtout les étrangères qui agissent ainsi ». Pour leur attitude grognonne, les Ivoiriennes ne seraient pas les bienvenues dans les familles libanaises.
MARTIAL GALE
Issue d’une famille nombreuse et modeste (basée à Abobo), S. Francine a 15 ans quand elle atterrit chez les Konan (dans la commune de Yopougon) pour travailler comme servante. Adolescente déscolarisée, elle a le visage illuminé par la joie, à l’idée de changer d’air. Mais, surtout de gagner un peu d’argent. 15.000 FCFA le mois. Pour son âge, c’est du bonheur. Elle ignore, cependant, ce qui l’attend. La suite de l’aventure sera un calvaire. Corvéable de jour comme de nuit, elle est harcelée par son vicieux de patron. Excédée, S. Francine renonce à ce travail au bout de quelques mois seulement. Mariée désormais, c’est le cœur meurtri que l’infortunée d’hier évoque cette triste parenthèse de sa vie. Elle écrase même une larme qui rappelle la cruauté du traitement subie, il y a plus de 10 ans. Comme Francine, ce sont plusieurs adolescentes et jeunes filles en quête de bonheur qui font l’amère expérience de cette vie de domestique. Chaque jour, dans les différentes communes de la capitale, elles subissent les humeurs de leurs patrons.
Heure de descente inconnue
Très tôt au boulot, elles rentrent tardivement, quand elles ne dorment pas chez leurs employeurs. Comme quoi, ici, les 8 heures réglementaires de travail par jour ne sont pas respectées. Akissi est servante chez un Libanais, à Marcory (Remblais) depuis des années. Elle en a vu des vertes et des pas mûres. « Je sais à quelle heure je commence le travail (7h30 ndlr). Mais, jamais l’heure de la descente. En cas de réception, je peux rester au-delà de 23 heures », révèle-t-elle, sur un ton de profonde déception. La jeune fille, sur qui pèse la charge de deux gosses, fait contre mauvaise fortune bon cœur. « Je n’ai pas le choix. J’ai besoin de ça pour m’occuper de mes enfants ». C’est une autre paire de manches, lorsque celle-ci égrène le chapelet de ses tâches quotidiennes. « Je lave les assiettes, essuie le salon, surveille les enfants. Sans compter les nombreuses allées et venues entre les super marchés ». Au finish, Akissi s’en tire avec des doigts endoloris «pour des miettes ». Le salaire de la jeune servante est fixé à 50.000 FCFA. Le même depuis son entrée dans cette famille libanaise. Si une telle rétribution peut faire éructer d’envie certaines collègues des bas-quartiers, elle est loin de combler leurs bénéficiaires. Bien au contraire, elle est jugée insuffisante. Safi, 25 ans, au service d’une autre famille libanaise en Zone4, ne cache pas sa désolation au sujet du traitement salarial. « Mon problème, c’est le salaire. Ce n’est pas bon. Cela fait cinq ans que je suis ici. Ce sont toujours les mêmes 50.000 FCFA que je perçois». Avec le coût de la vie de plus en plus élevé, les propos de Safi sonnent comme un véritable cri du cœur. En de bons termes avec ses patrons après cinq années de collaboration, la jeune orpheline venue de l’est ivoirien aurait souhaité une meilleure condition financière. Surtout que, comme dans bien de cas en Zone 4, les nounous et autres filles de maison doivent s’alimenter à leurs propres frais. Et ce n’est pas dans ce genre de quartiers qu’on trouvera des plats en dessous de 700 FCFA. Soit 21000 FCFA mensuels à défalquer du salaire global. Finalement, c’est la somme de 29.000 FCFA qui leur revient à la fin du mois. Si cette somme ne représente plus rien à Abidjan, comme le dit une autre servante sous le sceau de l’anonymat, que dire alors des 15.000 FCFA proposés dans certains foyers, notamment dans les familles d’Africains avec des paiements en monnaie de singe? «C’est de l’esclavage sous une autre forme », résume Cynthia, servante à Yopougon.
‘’Madame 2 jours’’, la terrible
En fait, la situation varie d’une commune à une autre et d’une famille à une autre. Les patron (nes) rivalisent d’ardeur dans la maltraitance des domestiques. En Zone 4, par exemple, une Syrienne rafle pratiquement la mise. Au point d’être affublée du surnom de ‘’madame 2 jours’’, une image pour caricaturer le passage éclair des différentes servantes. « Elle change les servantes jour après jour. Elle est insupportable. Les filles ne font pas deux jours chez elle », raconte un groupe de servantes. La Syrienne matérialise sa méchanceté par des actes pour le moins intrigants. Elle met expressément, dit-on, des chaussures sous les fauteuils pour s’assurer que le ménage a été fait. Dans le cas contraire, c’est une tonne d’injures qui s’abat sur la «victime », suivie d’un renvoi sans condition. Dans une certaine mesure, la servante apparaît comme un sous-homme. Interdite de regarder la télévision, de se laver chez son employeur quand il n’y a pas une douche de secours. Très souvent, c’est la cuisine qui lui sert de couchette. Finalement, endurcies par ce traitement de choc, elles ont tué la peur en elles. Les domestiques, selon des témoignages vivants, vont jusqu’à affronter leurs patrons, Libanais comme Africains. « Souvent, on ne se laisse pas faire. Quand, c’est exagéré, on se dit les quatre vérités » rèvèle ce même groupe. Des prises de bec qui débouchent sur des renvois immédiats. Mais, parfois, elles relèvent de la banalité. Ce métier informel occupe une grande partie des adolescentes et jeunes filles. C’est pourquoi, les praticiennes souhaitent une intervention de l’Etat pour l’amélioration de leur condition. Leurs yeux sont tournés vers le Palais présidentiel. «Le président Alassane avait promis de se pencher sur le cas des domestiques, une fois au pouvoir. Depuis, nous attendons vainement la solution magique ». L’idée de mener des actions concertées leur effleure l’esprit. Mais, difficile de passer à l’acte. « On ne peut pas manifester; c’est difficile. Lorsqu’on refuse des salaires miséreux, certaines filles les acceptent. Ce sont surtout les étrangères qui agissent ainsi ». Pour leur attitude grognonne, les Ivoiriennes ne seraient pas les bienvenues dans les familles libanaises.
MARTIAL GALE