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Politique Publié le mardi 17 avril 2012 | Le Patriote

Osange Kieffer: “Mon époux était au sous-sol de la Présidence encadré par Bahi et deux autres de ses adjoints”

Mme Osange Kieffer, épouse du journaliste franco-canadien disparu le 16 avril 2004 à Abidjan, a affirmé avoir eu 500 à 600 témoins en 8 ans et dit avoir encore 1% de chance de le retrouver vivant et qu’elle ne baissera jamais les bras tant qu’elle n’aura pas de réponse à ses interrogations, dans un entretien lundi avec ALERTE INFO.
Vous êtes à Abidjan depuis vendredi dans le cadre des 8 ans de l’enlèvement de votre époux. Quel sens donnez-vous à votre visite?
Je voulais venir déjà depuis plus d’un an. Mon premier réflexe a été que la Côte d’Ivoire a changé de gouvernement, il faut que je me rende à Abidjan. Mais je n’ai plus effectué le déplacement pour plusieurs raisons. Quand le président (Alassane) Ouattara est venu en visite officielle en France, on avait demandé une audience. Mais il ne pouvait pas nous recevoir parce qu’il voulait nous consacrer du temps. Et il a voulu savoir si on ne pouvait pas venir à Abidjan. Alors j’ai demandé à Reporter sans frontières (Rsf) de se rendre à Abidjan avec moi. Comme ça, non seulement, on va demander audience au chef de l’Etat, mais aussi audience au Garde des sceaux et en même temps au Premier ministre pour faire le point sur le dossier de manière très approfondie. Ça va permettre aussi de faire le point avec notre avocat qu’on n’a pas vu depuis un certain moment.

Qu’attendez-vous exactement du nouveau gouvernement?
Avec l’arrivée du nouveau gouvernement, on ne sait plus s’il y a un juge d’instruction. Et s’il y en a, qui est-il ? "Les choses sont plus simples dans les relations", me dit le juge Ramaël. Mais il ne suffit pas que les choses soient simples dans les relations ; il faut que les choses soient simples dans les investigations, dans tout. J’ai toujours considéré que la machine judiciaire ivoirienne doit avoir sa part de pouvoir et de responsabilité dans l’enquête. Je ne peux attendre simplement qu’un juge français vienne de temps en temps à Abidjan et que tout le service judiciaire et le service de la police de la Côte d’Ivoire se contentent de se mettre à la disposition du juge Ramaël.

Est-ce à dire que la justice ivoirienne n’enquête pas sur le sujet ?
La justice ivoirienne s’est autosaisie du dossier en 2004, bien avant qu’on ne vienne et qu’on ne dépose plainte. Donc, la justice ivoirienne a fait son devoir en ce moment là. Un juge, Koffi Kouadio, a été nommé. (Mais) la cohabitation n’a pas été très facile. Ils sont venus à Paris, ils ont voulu nous entendre, on a joué le jeu, on a accepté parce que j’estime que c’est logique. Mais depuis un an, il n’y a que le juge Ramaël et son collègue qui sont sur le dossier. Au niveau de la justice ivoirienne, aucun juge n’a contacté notre avocat, Me Bilé Aka, l’actuel bâtonnier, alors que tout le monde sait depuis 8 ans, qu’il est l’avocat de toutes les parties civiles. Donc, il faut qu’on fasse le point. On a eu une réunion de travail samedi avec lui, on a fait le tour sur le dossier. Comment doit-on le reprendre en main. Je veux que la justice ivoirienne enquête, qu’elle soit au niveau de ce dossier l’égale de la justice française. Et c’est pour ça qu’on a déposé une plainte en Côte d’Ivoire.
C’est parce que vous n’avez plus d’espoir que vous voulez que la justice ivoirienne joue pleinement sa partition ?
Dès le début, je l’ai demandé. Quand le juge Kouadio a été nommé, il est venu à Paris. Je lui ai dit publiquement que j’étais absolument ravie que la justice ivoirienne se saisisse du dossier (le 18 ou 19 avril 2004). Et j’ai manifesté ma grande satisfaction de voir qu’il y avait une équipe en Côte d’Ivoire qui gérait ce dossier en même temps que la justice en France. Ce n’est pas parce que je n’ai pas d’espoir. Rien du tout.

Mais 8 ans après, est-ce que vous avez toujours espoir ?
Bien sûr que j’ai de l’espoir. Tant que je n’ai aucune information… Qu’est-ce qu’on sait sur le dossier Kieffer? On sait qu’à 13 heures, il était sur le parking de Prima (un des supermarchés situés Abidjan-Marcory), et on le sait de source sûre parce qu’un Français l’avait vu. Et Guy-André lui avait dit qu’il attendait quelqu’un qui était en retard. On sait qu’il avait rendez-vous avec Michel Légré (beau-frère de l’ex-Première dame, Mme Simone Gbagbo)… On sait que Michel Legré lui parlait toutes les 10 minutes, tous les quarts d’heure ce jour-là; on sait qu’à 19h et c’est un témoin fiable, il était dans le sous-sol de la présidence encadré par Bahi (Patrice) et deux autres de ses adjoints; on sait que son ordinateur a été allumé à 13h30 GMT mais qu’on n’a pas pu rentrer dans les dossiers ; on s’était contenté de circuler sur le bureau et à 15h, l’ordinateur s’est éteint ; on sait que sa voiture a été déposée à l’aéroport et on sait que la personne qui a déposé la voiture n’est pas Guy-André parce qu’elle n’a pas la même corpulence. On a retrouvé l’ADN de M. Légré sur le tableau de bord et sur le volant de la voiture. Mais c’est tout ce qu’on sait. Concrètement, c’est tout ce qu’on sait.
La dernière fois que quelqu’un a vu Guy-André sur ses pieds, c’est ce vendredi soir (du 16 avril 2004) à 19h GMT (heures locales).
Alors vous espérez encore quoi ?
Je veux savoir ce qui est arrivé à mon époux. Dès le début, je pose trois questions: où est-il ? Qui l’a enlevé ? Pourquoi, on l’a enlevé ? Ces trois questions n’ont toujours pas de réponse. Je ne baisserai jamais les bras tant que je n’aurai pas de réponse à toutes les trois.

La découverte du squelette d’Issia (ouest ivoirien) est quand même la preuve qu’il ne vit plus!
Il y a pleins de gens qui me disent: "votre époux, c’est sûr qu’il est mort". Je leur réponds : "C’est vous qui le dites". Ma philosophie est s’il y a, ne serait-ce 1% de chance pour qu’on le voie vivant, je préfère vivre avec. Je ne suis pas dupe, je ne suis pas naïve. Je préfère me dire qu’il est peut-être quelque part. Et si ce "peut-être" s’avère être la vérité, je ne voudrais pas que Guy-André m’entende dire : "je crois que mon mari est mort". (Parce que) là, il va vraiment mourir.

Quand le test d’ADN s’est révélé négatif, cela ne vous a pas touché outre mesure ?
Je n’ai jamais cru que ce squelette est celui de mon époux. Ça me semble curieux. Quelqu’un qu’on a trouvé sous des buissons. C’est dans le fief de (feu Paul Antoine Bohoun) Bouabré (ancien ministre sous Gbagbo entendu dans le dossier), d’accord. Mais croyez-vous vraiment qu’un ministre qui a fait assassiner un journaliste, va le déposer dans un buisson, dans son fief ? Ce n’est pas logique ça. Ou alors, il est encore plus con que je ne le pensais. Ce qui me semble, n’était pas le cas. C’était aberrant comme histoire. Mais il y avait des choses, de petits a priori, (qui ont fait) que j’ai accepté. Moi, je n’aurai jamais rendu cette information publique avant d’avoir le résultat des tests ADN.

Vous devez effectuer sur une visite à Prima où votre époux a été enlevé. Pourquoi faire ?
Rien ! En 2004, quand je suis venu ici (Abidjan) après l’enlèvement, on m’avait proposé d’y aller. Le Centre commercial Prima est un lieu que je connais parce que ce n’était pas la première fois que je venais en Côte d’Ivoire. Je n’ai pas voulu y aller parce que j’avais un tsunami dans ma tête. C’était très douloureux. Donc, je n’ai pas voulu me rendre sur les lieux. Mais je suis à Abidjan (ce 16 avril 2012). Je me dis que pour parler, pour expliquer, pour dire pourquoi je suis là, c’est ce lieu là, où peut-être mon époux s’est exprimé pour la dernière fois.

Comment la famille Kieffer se sent huit ans après ?
C’est douloureux. Ce sont des choses avec lesquelles on apprend à vivre aussi. Il y a un proverbe caraïbe qui dit : "le malheur rend plus sage que le bonheur". Il y a des moments où quand il y a un petit truc, on y croit. Quand le téléphone sonne et qu’il n’y a personne au bout du fil, je me dis que c’est peut-être lui. Il y a des petits moments comme ça, des histoires qu’on vole à la vie et de longs moments qui sont de plus en plus longs et décalés par rapport aux petits moments d’espoir.

Les témoignages et les témoins ont-ils été la source de vos petits moments d’espoir ?
Depuis huit ans, c’est le dossier le plus pollué qui existe au monde. Toutes les semaines, on a des témoins. Toutes les semaines, il y a quelqu’un qui a vu le chat qui avait bouffé l’orteil... il y a 15 jours, on a eu quelqu’un qui a dit: "moi, je sais où il est ; je peux vous y conduire directement ; mais il faut qu’on me donne 5 millions d’euros, une petite voiture blanche et un visa pour mon frère de 32 ans pour qu’il aille en France". Et quand vous ne répondez pas au premier mail, il vous envoie un deux pour vous engluer. Ce dossier est excessivement pollué, volontairement ou involontairement par les commanditaires et les responsables. Au début, je ne rigolais pas, ça m’énervait. Maintenant, je rigole et je comptabilise.

Vous avez eu combien de témoins depuis 2004 ?
Jusqu’au mois dernier, en 8 ans, j’ai eu 500 ou 600 témoins potentiels qui sont au courant de tout, qui veulent de l’argent...ça a commencé très tôt en 2004. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n’y a pas que des Ivoiriens qui ont vu le loup mangé l’agneau.

[Source ALERTE INFO]
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