Lead-vocal du groupe Magic System, Salif Traoré alias A’salfo est aussi le Commissaire général du Festival des Musiques Urbaines d’Anoumabo (FEMUA), dont la 5ème édition a rythmé ce village de Marcory du 6 au 9 avril dernier. Avant de s’envoler pour Paris, il a bien voulu se confier au Patriote. Au menu de cet entretien : le bilan naturellement de ce Femua5, la non venue de Gadji Céli, ses relations avec le couple présidentiel, son combat pour le retour au pays des artistes exilés, les malversations au Burida (Bureau Ivoirien du Droit d’auteur) et, bien entendu, la carrière de Magic System. A’salfo dit tout sans ambages
Le Patriote : Le Femua 5 vient de s’achever. Quel bilan pouvez-vous faire à chaud de l’événement ?
A’salfo : C’est un bilan très positif parce que tout s’est très bien passé. Les Dieux de la technique et du temps étaient avec nous. On a eu un beau temps et un beau festival, sans des désagréments.
L.P : Le Femua, c’était d’ordinaire 3 nuits de concert live à Anoumabo. Cette année, il n’y en a eu que deux. Est-ce pour des restrictions budgétaires ?
A : Non, ce n’est pas pour cela. Cette année, nous avons voulu donner l’occasion à un partenaire qui nous suit depuis quelques années, de faire plaisir à ses abonnés en lui offrant une soirée. Ce qui était, tout à fait, normal. En fait, il y a eu trois soirées comme d’habitude. La différence c’est que la première était réservée aux abonnés de notre sponsor officiel.
L.P : Autre constat, Magic System ne s’est pas produit chez lui au village. Pourquoi avez-vous choisi de sevrer le public d’Anoumabo d’un spectacle de Magic System, surtout qu’il n’a pas toujours l’occasion de vous voir sur une scène ?
A : Je pense qu’il fallait trancher entre jouer pour faire plaisir au public d’Anoumabo et laisser notre place à un autre artiste dans la programmation, afin qu’il se fasse voir. Il fallait faire un choix. Et nous avons trouvé la seconde option judicieuse parce que nous pouvons jouer à tout moment à Anoumabo. Cela nous permettait surtout de libérer une place pour laisser l’opportunité à d’autres artistes de s’exprimer.
L.P : En cinq éditions, on constate qu’il manque dans la programmation du Femua, des artistes de l’Afrique du Nord. Pourquoi les ignorez-vous ?
A : Nous ne les ignorons pas. Je crois que c’est une question de programmation. Vous savez, le Femua est un jeune festival, même si de par sa programmation, il a une notoriété grandissante aujourd’hui. Nous ne voulons donc pas aller vite en besogne. Mais, ce n’est pas quelque chose que nous excluons. Dans quelques années, nous essaierons d’avoir au Femua, l’Afrique dans tous ses compartiments. Ce n’est pas un oubli, mais plutôt une question de stratégie et de positionnement. Nous voulions d’abord nous imposer avec les musiques urbaines africaines noires avant d’essayer d’introduire d’autres musiques. Cela dit, si on doit le faire, ça sera pour 2014, parce que la programmation du Femua 2013 est déjà entamée.
LP : Justement quels sont les artistes que vous avez pistés ?
A : Je ne souhaite pas m’étendre sur ce sujet préférant laisser jouer l’effet de surprise, qui fait le Femua. Ce qu’il faut savoir, c’est que nous avons des contacts très avancés avec certaines sommités de la musique africaine. Le moment venu, on pourra dévoiler leurs noms. Pour l’instant, nous sommes au stade des tractations.
L.P : Pour le Femua 5, vous aviez annoncé des ateliers de formation pour les artistes, des rencontres professionnelles. Finalement, on n’a rien vu. Pourquoi ces activités ont-elles été biffées du programme ?
A : Quand on n’est pas prêt à faire quelque chose, on ne le fait pas et après, on assume. C’est vrai qu’un comité scientifique avait été mis en place par le ministère de la Culture et de la Francophonie pour nous accompagner. Mais, nous n’étions pas prêts. Il fallait avoir la disponibilité des formateurs et tous les moyens logistiques qui pouvaient permettre la tenue de ces activités. C’est pourquoi, nous avons préféré attendre l’année prochaine, histoire de bien mûrir le projet avant de s’engager.
L.P : Vous avez aussi annoncé l’arrivée de Gadji Céli. Est-ce parce que vous aviez eu peur qu’il soit mis aux arrêts dans l’affaire des malversations au Burida, qu’il n’est pas venu?
A : Non, ce n’est pas pour cela. Je crois qu’il y a la présomption d’innocence qui peut prévaloir dans toute question de justice. Il n’est pas coupable, il est accusé. Cela dit, s’il est coupable, je n’ai pas le droit de le défendre. Il doit assumer. Je suis membre du Burida, je ne peux donc pas pardonner une personne qui y a fait des malversations. Maintenant, son arrivée était entre deux feux. D’une part, il y avait les malversations au Burida et d’autre part, ma volonté de faire rentrer au pays, les artistes qui sont à l’extérieur du pays. Il y a eu ce que je pourrais appeler une incompatibilité. Il fallait donner laisse Gadji là où il est. Je ne voulais pas non plus que l’affaire Gadji Céli occulte ce pourquoi on voulait le faire venir, à savoir le Femua.
L.P : A propos du retour des artistes exilés au pays, on a le sentiment que vous avez levé un peu le pied…
A : En toute chose, il faut aller doucement. Entre le peu et le trop, il y a la mesure. Le retour des artistes, ce n’est pas le fait que nous allions les chercher pour les ramener en Côte d’Ivoire. Il faudra plutôt que notre manière de faire et nos messages donnent le courage à ces artistes de rentrer au pays. Certains comme Glazaï Dohoun Kévin et bien d’autres sont rentrés tous seuls. Nous ne sommes pas allés les chercher au Bénin. Je l’ai eu plus ou moins au téléphone et je lui ai fait comprendre qu’il pouvait rentrer en toute quiétude. C’est ce qu’il a fait. Seulement, il y a d’autres cas sur lesquels, on s’épanche un peu plus. Ils étaient indexés plus ou moins. Et c’est l’inquiétude de ceux-là qu’on veut dissiper.
L.P : Cette action s’inscrit dans le cadre de la réconciliation. Selon vous cette réconciliation doit-elle se faire à quel prix ?
A : Elle doit se faire au prix qu’il faut, c`est-à-dire des sacrifices. Aujourd’hui quand tu parles de réconciliation, on t’étiquette comme étant dans le camp du président Ouattara. On se dit que s’il parle aujourd’hui comme ça, c’est qu’il travaille pour le compte du pouvoir, oubliant que je suis un artiste qui représente tout le pays avec mon groupe. C’est un peu délicat. On entend des choses par-ci, par-là. On est même vomi par certains de nos pairs. Mais, si c’est la croix qu’il faut porter pour la réconciliation, on la portera.
L.P : D’aucuns vous reprochent d’avoir retourné votre veste en vous rapprochant du Président Ouattara, alors que vous étiez proche de son prédécesseur…
A : Etre proche de Laurent Gbagbo, ce n’est pas être membre d’un parti politique. Je suis un artiste. J’appartiens à la Côte d’Ivoire. Si demain, il y a un nouveau Président, nous n’aurions d’autre choix que de travailler avec lui. Nous travaillons pour le Président de la République et non celui d’un parti. Les gens confondent les cris du cœur et les cris de passion. Il faut qu’à un moment donné, on sache faire la part des choses. C’est vrai qu’on a tous connu le Président Gbagbo, travaillé autour de lui, eu ses faveurs, mais c’est parce qu’il était Président de la République. Aujourd’hui, s’il y a un nouveau Président, c’est notre devoir de citoyen de l’accompagner, pour l’image de la Côte d’Ivoire.
L.P : Il n’empêche, ces reproches doivent sans doute vous chagriner…
A : Non. Je vais peut-être vous surprendre. Ils ne me chagrinent nulle part. C’est quand ta conscience te gronde, que tu peux avoir des chagrins. Quand tu as une conscience libre, tu ne peux pas avoir de chagrins. Si demain je me retrouve devant le Président Gbagbo, je ne baisserai pas la tête. Savez-vous que dans les moments où je rencontrais beaucoup le Président Gbagbo, je rendais visite également à Alassane Ouattara quand j’en avais l’opportunité. Je n’ai pas attendu le départ de Laurent Gbagbo, pour me rapprocher du Président Ouattara. Il a été Premier ministre, quelqu’un qui a représenté la Côte d’Ivoire dans de hautes fonctions, pour qui j’ai de l’admiration. L’affinité qu’il y a entre Mme Ouattara et moi, pour nos convergences d’idées vers les œuvres sociales, m’a aussi rapproché du couple.
L.P : Comment cette collaboration est-elle justement née, au point que vous ayiez enregistré un single, ce qui est une première pour Magic System, pour sa fondation ?
A : Il y a des petits gestes dans la vie qui marquent. Je suis très sentimental et j’aime la loyauté. Et puis, j’aime la reconnaissance. Nous étions en tournée aux Etats-Unis lorsque Mme Ouattara nous a fait l’honneur de nous inviter chez eux. Ils nous ont prodigué beaucoup de conseils et elle m’a influencé dans ma volonté de me lancer dans le social. Quand cette grande dame se déplace, malgré son emploi du temps chargé, pour assister à votre spectacle, vous encourager et rester avec vous jusqu’à la fin du spectacle, cela marque beaucoup. Comment voulez-vous qu’un sentiment de grande sœur et de petit-frère ne naisse pas. Donc, ce sentiment est né, il y a plus de cinq ou six ans. Et depuis, nous avons gardé de bons contacts. En quittant les Etats-Unis, nous avons promis d’apporter notre soutien à Children of Africa afin que cette fondation puisse atteindre ses objectifs. Nous avons alors promis faire une chanson sur Children of Africa. Malheureusement, nous n’avons pas sorti d’album avant la crise, sinon nous aurions fait ce single avant que Laurent Gbagbo ne quitte le pouvoir. C’était une promesse. La coïncidence a voulu que cette chanson sorte au moment où le Président Ouattara soit au pouvoir. D’aucuns diront que c’est de l’opportunisme. Moi, je répondrai que ce n’est qu’une promesse tenue.
L.P : Revenons au Femua. Pour beaucoup, si ce festival connaît un succès grandissant, c’est parce qu’il surfe sur la notoriété de Magic System ?
A : C’est vrai que nous avons profité de notre image pour initier ce festival. Entre-nous, il n’y a aucun mal à servir de la notoriété de Magic System. Nous avons la chance d’être un groupe assez connu aussi bien en Côte d’Ivoire, qu’à l’extérieur du pays. C’est donc tout à fait normal que les gens disent cela. Mais, je ne crois pas que tous ces milliers de personnes qui viennent au Femua, le font uniquement pour Magic System. Pour preuve, cette année, Magic System n’était pas dans la programmation à Anoumabo, mais c’est l’un des Femua qui a eu le plus d’affluence. C’est ce qu’on voulait enlever de la tête des gens. Il ne faut pas venir au Femua, parce qu’on a envie de voir Magic System. C’est une fête pour tout le monde.
L.P : A quand la réhabilitation de la pouponnière de Bouaké ?
A : Ce sera fait dans l’immédiat. Une équipe d’experts va entrer en contact avec la directrice de l’établissement. Dès que les premiers devis arrivent, les fonds seront débloqués pour les travaux. En plus de ce que nous faisons, un de nos partenaires offre une tonne de riz et une tonne de sucre à cette pouponnière. C’est vraiment le but du Femua, permettre à tout le monde de faire parler son cœur.
L.P : Vous êtes sociétaire du Burida. Comment avez-vous réagi quand vous avez appris le trou de 5 milliards de FCFA ?
A : J’ai été à la fois surpris et choqué. Cela dit, j’ai mal pris la manière avec laquelle le Comité de Gestion et de Restructuration a rendu public cette information. Je me rappelle qu’au lendemain de ma nomination au sein de ce comité, j’avais pris attache avec le ministre de la Culture et de la Francophonie, et tout son cabinet. Je leur avais fait part de mon manque de temps pour assister aux réunions. On m’a fait comprendre que c’était compréhensif. Quand le comité de gestion devait faire cette révélation, je n’ai pas été informé. Je n’ai reçu ni un courrier, ni un mail. Cela m’a beaucoup choqué et je me suis posé la question de savoir si j’étais dans ce comité à titre honorifique ou si mes décisions et avis comptaient vraiment.
L.P : Allez-vous claquer la porte comme Tiken Jah Fakoly ?
A : Non, je n’irai jusque pas là. J’ai donné ma parole au ministre Bandaman. Je la respecterai. Il a besoin de nous tous pour réussir sa mission. C’est pourquoi, j’ai accepté d’entrer dans ce comité. Sinon, l’idée d’occuper une fonction au Burida ne m’a jamais effleuré l’esprit. Cette maison est gangrenée. Il faut des solutions fortes pour éradiquer cette gangrène. Et si nous qui avons la chance d’être à l’extérieur et d’acquérir une certaine expérience, nous ne la mettons pas au service de cette maison, elle va mourir un jour et on aura trahi notre mission. C’est pourquoi, il y a des choses que je peux faire et d’autre que je ne peux faire.
L.P : Pensez-vous qu’il faut reformer le Burida ? Etes-vous de l’avis de ceux arguent qu’il doit se consacrer uniquement aux chanteurs et musiciens ?
A : Le Burida ne doit pas être destiné forcément aux musiciens. Mais, il doit appartenir à ceux qui génèrent des droits d’auteur. On ne peut pas mettre au Burida tous les gens de la culture. Ce n’est pas possible parce que ce n’est pas tous les secteurs de la culture qui génèrent des droits d’auteur. Je suis un peu déboussolé qu’on veuille faire la parité des choses en y incluant des couturiers, des promoteurs de spectacles, des distributeurs. Ce ne sont pas choses qu’on a l’habitude de voir dans les grandes maisons de droits d’auteur. En France, c’est les auteurs compositeurs, les dramaturges et les éditeurs qui composent la Sacem. Dire qu’Yves Saint-Laurent est à la Sacem, cela surprendrait beaucoup de personnes. C’est des choses à revoir. Il faut donc qu’on s’asseye pour discuter.
L.P : Après une dizaine de disques d’Or, trois disques de platine, une tournée des Zénith qui se passe bien, quel est le prochain défi de Magic System ?
A : Déjà à partir du mois de septembre, nous préparons notre 7ème album. C’est un autre challenge à relever. Cela dit, on n’a que des disques d’or et des disques de platine, pourtant, il y a des disques de diamant qu’on n’a pas encore, sans oublier les Grammy Awards. Bref, ce sont des récompenses, qui n’ont pas tant d’importance que ça. Nous avons plutôt envie de monter une grosse structure de production et de distribution en Côte d’Ivoire, parce que le marché du disque est en train de mourir. Les artistes ne vivent plus de leur art. Les maisons de disques se battent pour survivre.
L.P : Selon vous, que faut-il faire dans l’urgence pour sauver l’industrie musicale ?
A : Il faut voter et promulguer la loi sur la piraterie. Tant qu’elle ne prend pas effet, les faussaires restent impunis. Après au niveau de la distribution, je ne peux pas comprendre qu’un pays comme la Côte d’Ivoire puisse permettre à celui qui fabrique les CD, de les distribuer et de les vendre. Il doit y avoir des structures différentes. Il faut vraiment réorganiser ce secteur, apurer les textes du Burida. Il faut une profonde réflexion autour de cette question.
L.P : Vous repartez en France pour la suite de la tournée des Zénith. Un message à l’endroit de vos fans ?
A : C’est vrai que nous reprenons la tournée des Zénith. Nous avons fait sept dates, nous repartons pour continuer les quinze autres d’ici la mi-mai. Ce sont des salles de 6000 places. Après, il y aura la tournée de l’été que nous allons attaquer. Les gens nous reprochent de ne pas assez jouer au pays, mais notre mission, c’est de défendre le pays à l’extérieur du pays. Ce n’est pas pour autant que nous les avons oubliés. Nous sommes en train de prendre toutes les dispositions pour pouvoir renouer avec eux. Quitte à donner un ou deux spectacles grandioses pour faire plaisir à tout le monde.
Réalisée par Y. Sangaré
Le Patriote : Le Femua 5 vient de s’achever. Quel bilan pouvez-vous faire à chaud de l’événement ?
A’salfo : C’est un bilan très positif parce que tout s’est très bien passé. Les Dieux de la technique et du temps étaient avec nous. On a eu un beau temps et un beau festival, sans des désagréments.
L.P : Le Femua, c’était d’ordinaire 3 nuits de concert live à Anoumabo. Cette année, il n’y en a eu que deux. Est-ce pour des restrictions budgétaires ?
A : Non, ce n’est pas pour cela. Cette année, nous avons voulu donner l’occasion à un partenaire qui nous suit depuis quelques années, de faire plaisir à ses abonnés en lui offrant une soirée. Ce qui était, tout à fait, normal. En fait, il y a eu trois soirées comme d’habitude. La différence c’est que la première était réservée aux abonnés de notre sponsor officiel.
L.P : Autre constat, Magic System ne s’est pas produit chez lui au village. Pourquoi avez-vous choisi de sevrer le public d’Anoumabo d’un spectacle de Magic System, surtout qu’il n’a pas toujours l’occasion de vous voir sur une scène ?
A : Je pense qu’il fallait trancher entre jouer pour faire plaisir au public d’Anoumabo et laisser notre place à un autre artiste dans la programmation, afin qu’il se fasse voir. Il fallait faire un choix. Et nous avons trouvé la seconde option judicieuse parce que nous pouvons jouer à tout moment à Anoumabo. Cela nous permettait surtout de libérer une place pour laisser l’opportunité à d’autres artistes de s’exprimer.
L.P : En cinq éditions, on constate qu’il manque dans la programmation du Femua, des artistes de l’Afrique du Nord. Pourquoi les ignorez-vous ?
A : Nous ne les ignorons pas. Je crois que c’est une question de programmation. Vous savez, le Femua est un jeune festival, même si de par sa programmation, il a une notoriété grandissante aujourd’hui. Nous ne voulons donc pas aller vite en besogne. Mais, ce n’est pas quelque chose que nous excluons. Dans quelques années, nous essaierons d’avoir au Femua, l’Afrique dans tous ses compartiments. Ce n’est pas un oubli, mais plutôt une question de stratégie et de positionnement. Nous voulions d’abord nous imposer avec les musiques urbaines africaines noires avant d’essayer d’introduire d’autres musiques. Cela dit, si on doit le faire, ça sera pour 2014, parce que la programmation du Femua 2013 est déjà entamée.
LP : Justement quels sont les artistes que vous avez pistés ?
A : Je ne souhaite pas m’étendre sur ce sujet préférant laisser jouer l’effet de surprise, qui fait le Femua. Ce qu’il faut savoir, c’est que nous avons des contacts très avancés avec certaines sommités de la musique africaine. Le moment venu, on pourra dévoiler leurs noms. Pour l’instant, nous sommes au stade des tractations.
L.P : Pour le Femua 5, vous aviez annoncé des ateliers de formation pour les artistes, des rencontres professionnelles. Finalement, on n’a rien vu. Pourquoi ces activités ont-elles été biffées du programme ?
A : Quand on n’est pas prêt à faire quelque chose, on ne le fait pas et après, on assume. C’est vrai qu’un comité scientifique avait été mis en place par le ministère de la Culture et de la Francophonie pour nous accompagner. Mais, nous n’étions pas prêts. Il fallait avoir la disponibilité des formateurs et tous les moyens logistiques qui pouvaient permettre la tenue de ces activités. C’est pourquoi, nous avons préféré attendre l’année prochaine, histoire de bien mûrir le projet avant de s’engager.
L.P : Vous avez aussi annoncé l’arrivée de Gadji Céli. Est-ce parce que vous aviez eu peur qu’il soit mis aux arrêts dans l’affaire des malversations au Burida, qu’il n’est pas venu?
A : Non, ce n’est pas pour cela. Je crois qu’il y a la présomption d’innocence qui peut prévaloir dans toute question de justice. Il n’est pas coupable, il est accusé. Cela dit, s’il est coupable, je n’ai pas le droit de le défendre. Il doit assumer. Je suis membre du Burida, je ne peux donc pas pardonner une personne qui y a fait des malversations. Maintenant, son arrivée était entre deux feux. D’une part, il y avait les malversations au Burida et d’autre part, ma volonté de faire rentrer au pays, les artistes qui sont à l’extérieur du pays. Il y a eu ce que je pourrais appeler une incompatibilité. Il fallait donner laisse Gadji là où il est. Je ne voulais pas non plus que l’affaire Gadji Céli occulte ce pourquoi on voulait le faire venir, à savoir le Femua.
L.P : A propos du retour des artistes exilés au pays, on a le sentiment que vous avez levé un peu le pied…
A : En toute chose, il faut aller doucement. Entre le peu et le trop, il y a la mesure. Le retour des artistes, ce n’est pas le fait que nous allions les chercher pour les ramener en Côte d’Ivoire. Il faudra plutôt que notre manière de faire et nos messages donnent le courage à ces artistes de rentrer au pays. Certains comme Glazaï Dohoun Kévin et bien d’autres sont rentrés tous seuls. Nous ne sommes pas allés les chercher au Bénin. Je l’ai eu plus ou moins au téléphone et je lui ai fait comprendre qu’il pouvait rentrer en toute quiétude. C’est ce qu’il a fait. Seulement, il y a d’autres cas sur lesquels, on s’épanche un peu plus. Ils étaient indexés plus ou moins. Et c’est l’inquiétude de ceux-là qu’on veut dissiper.
L.P : Cette action s’inscrit dans le cadre de la réconciliation. Selon vous cette réconciliation doit-elle se faire à quel prix ?
A : Elle doit se faire au prix qu’il faut, c`est-à-dire des sacrifices. Aujourd’hui quand tu parles de réconciliation, on t’étiquette comme étant dans le camp du président Ouattara. On se dit que s’il parle aujourd’hui comme ça, c’est qu’il travaille pour le compte du pouvoir, oubliant que je suis un artiste qui représente tout le pays avec mon groupe. C’est un peu délicat. On entend des choses par-ci, par-là. On est même vomi par certains de nos pairs. Mais, si c’est la croix qu’il faut porter pour la réconciliation, on la portera.
L.P : D’aucuns vous reprochent d’avoir retourné votre veste en vous rapprochant du Président Ouattara, alors que vous étiez proche de son prédécesseur…
A : Etre proche de Laurent Gbagbo, ce n’est pas être membre d’un parti politique. Je suis un artiste. J’appartiens à la Côte d’Ivoire. Si demain, il y a un nouveau Président, nous n’aurions d’autre choix que de travailler avec lui. Nous travaillons pour le Président de la République et non celui d’un parti. Les gens confondent les cris du cœur et les cris de passion. Il faut qu’à un moment donné, on sache faire la part des choses. C’est vrai qu’on a tous connu le Président Gbagbo, travaillé autour de lui, eu ses faveurs, mais c’est parce qu’il était Président de la République. Aujourd’hui, s’il y a un nouveau Président, c’est notre devoir de citoyen de l’accompagner, pour l’image de la Côte d’Ivoire.
L.P : Il n’empêche, ces reproches doivent sans doute vous chagriner…
A : Non. Je vais peut-être vous surprendre. Ils ne me chagrinent nulle part. C’est quand ta conscience te gronde, que tu peux avoir des chagrins. Quand tu as une conscience libre, tu ne peux pas avoir de chagrins. Si demain je me retrouve devant le Président Gbagbo, je ne baisserai pas la tête. Savez-vous que dans les moments où je rencontrais beaucoup le Président Gbagbo, je rendais visite également à Alassane Ouattara quand j’en avais l’opportunité. Je n’ai pas attendu le départ de Laurent Gbagbo, pour me rapprocher du Président Ouattara. Il a été Premier ministre, quelqu’un qui a représenté la Côte d’Ivoire dans de hautes fonctions, pour qui j’ai de l’admiration. L’affinité qu’il y a entre Mme Ouattara et moi, pour nos convergences d’idées vers les œuvres sociales, m’a aussi rapproché du couple.
L.P : Comment cette collaboration est-elle justement née, au point que vous ayiez enregistré un single, ce qui est une première pour Magic System, pour sa fondation ?
A : Il y a des petits gestes dans la vie qui marquent. Je suis très sentimental et j’aime la loyauté. Et puis, j’aime la reconnaissance. Nous étions en tournée aux Etats-Unis lorsque Mme Ouattara nous a fait l’honneur de nous inviter chez eux. Ils nous ont prodigué beaucoup de conseils et elle m’a influencé dans ma volonté de me lancer dans le social. Quand cette grande dame se déplace, malgré son emploi du temps chargé, pour assister à votre spectacle, vous encourager et rester avec vous jusqu’à la fin du spectacle, cela marque beaucoup. Comment voulez-vous qu’un sentiment de grande sœur et de petit-frère ne naisse pas. Donc, ce sentiment est né, il y a plus de cinq ou six ans. Et depuis, nous avons gardé de bons contacts. En quittant les Etats-Unis, nous avons promis d’apporter notre soutien à Children of Africa afin que cette fondation puisse atteindre ses objectifs. Nous avons alors promis faire une chanson sur Children of Africa. Malheureusement, nous n’avons pas sorti d’album avant la crise, sinon nous aurions fait ce single avant que Laurent Gbagbo ne quitte le pouvoir. C’était une promesse. La coïncidence a voulu que cette chanson sorte au moment où le Président Ouattara soit au pouvoir. D’aucuns diront que c’est de l’opportunisme. Moi, je répondrai que ce n’est qu’une promesse tenue.
L.P : Revenons au Femua. Pour beaucoup, si ce festival connaît un succès grandissant, c’est parce qu’il surfe sur la notoriété de Magic System ?
A : C’est vrai que nous avons profité de notre image pour initier ce festival. Entre-nous, il n’y a aucun mal à servir de la notoriété de Magic System. Nous avons la chance d’être un groupe assez connu aussi bien en Côte d’Ivoire, qu’à l’extérieur du pays. C’est donc tout à fait normal que les gens disent cela. Mais, je ne crois pas que tous ces milliers de personnes qui viennent au Femua, le font uniquement pour Magic System. Pour preuve, cette année, Magic System n’était pas dans la programmation à Anoumabo, mais c’est l’un des Femua qui a eu le plus d’affluence. C’est ce qu’on voulait enlever de la tête des gens. Il ne faut pas venir au Femua, parce qu’on a envie de voir Magic System. C’est une fête pour tout le monde.
L.P : A quand la réhabilitation de la pouponnière de Bouaké ?
A : Ce sera fait dans l’immédiat. Une équipe d’experts va entrer en contact avec la directrice de l’établissement. Dès que les premiers devis arrivent, les fonds seront débloqués pour les travaux. En plus de ce que nous faisons, un de nos partenaires offre une tonne de riz et une tonne de sucre à cette pouponnière. C’est vraiment le but du Femua, permettre à tout le monde de faire parler son cœur.
L.P : Vous êtes sociétaire du Burida. Comment avez-vous réagi quand vous avez appris le trou de 5 milliards de FCFA ?
A : J’ai été à la fois surpris et choqué. Cela dit, j’ai mal pris la manière avec laquelle le Comité de Gestion et de Restructuration a rendu public cette information. Je me rappelle qu’au lendemain de ma nomination au sein de ce comité, j’avais pris attache avec le ministre de la Culture et de la Francophonie, et tout son cabinet. Je leur avais fait part de mon manque de temps pour assister aux réunions. On m’a fait comprendre que c’était compréhensif. Quand le comité de gestion devait faire cette révélation, je n’ai pas été informé. Je n’ai reçu ni un courrier, ni un mail. Cela m’a beaucoup choqué et je me suis posé la question de savoir si j’étais dans ce comité à titre honorifique ou si mes décisions et avis comptaient vraiment.
L.P : Allez-vous claquer la porte comme Tiken Jah Fakoly ?
A : Non, je n’irai jusque pas là. J’ai donné ma parole au ministre Bandaman. Je la respecterai. Il a besoin de nous tous pour réussir sa mission. C’est pourquoi, j’ai accepté d’entrer dans ce comité. Sinon, l’idée d’occuper une fonction au Burida ne m’a jamais effleuré l’esprit. Cette maison est gangrenée. Il faut des solutions fortes pour éradiquer cette gangrène. Et si nous qui avons la chance d’être à l’extérieur et d’acquérir une certaine expérience, nous ne la mettons pas au service de cette maison, elle va mourir un jour et on aura trahi notre mission. C’est pourquoi, il y a des choses que je peux faire et d’autre que je ne peux faire.
L.P : Pensez-vous qu’il faut reformer le Burida ? Etes-vous de l’avis de ceux arguent qu’il doit se consacrer uniquement aux chanteurs et musiciens ?
A : Le Burida ne doit pas être destiné forcément aux musiciens. Mais, il doit appartenir à ceux qui génèrent des droits d’auteur. On ne peut pas mettre au Burida tous les gens de la culture. Ce n’est pas possible parce que ce n’est pas tous les secteurs de la culture qui génèrent des droits d’auteur. Je suis un peu déboussolé qu’on veuille faire la parité des choses en y incluant des couturiers, des promoteurs de spectacles, des distributeurs. Ce ne sont pas choses qu’on a l’habitude de voir dans les grandes maisons de droits d’auteur. En France, c’est les auteurs compositeurs, les dramaturges et les éditeurs qui composent la Sacem. Dire qu’Yves Saint-Laurent est à la Sacem, cela surprendrait beaucoup de personnes. C’est des choses à revoir. Il faut donc qu’on s’asseye pour discuter.
L.P : Après une dizaine de disques d’Or, trois disques de platine, une tournée des Zénith qui se passe bien, quel est le prochain défi de Magic System ?
A : Déjà à partir du mois de septembre, nous préparons notre 7ème album. C’est un autre challenge à relever. Cela dit, on n’a que des disques d’or et des disques de platine, pourtant, il y a des disques de diamant qu’on n’a pas encore, sans oublier les Grammy Awards. Bref, ce sont des récompenses, qui n’ont pas tant d’importance que ça. Nous avons plutôt envie de monter une grosse structure de production et de distribution en Côte d’Ivoire, parce que le marché du disque est en train de mourir. Les artistes ne vivent plus de leur art. Les maisons de disques se battent pour survivre.
L.P : Selon vous, que faut-il faire dans l’urgence pour sauver l’industrie musicale ?
A : Il faut voter et promulguer la loi sur la piraterie. Tant qu’elle ne prend pas effet, les faussaires restent impunis. Après au niveau de la distribution, je ne peux pas comprendre qu’un pays comme la Côte d’Ivoire puisse permettre à celui qui fabrique les CD, de les distribuer et de les vendre. Il doit y avoir des structures différentes. Il faut vraiment réorganiser ce secteur, apurer les textes du Burida. Il faut une profonde réflexion autour de cette question.
L.P : Vous repartez en France pour la suite de la tournée des Zénith. Un message à l’endroit de vos fans ?
A : C’est vrai que nous reprenons la tournée des Zénith. Nous avons fait sept dates, nous repartons pour continuer les quinze autres d’ici la mi-mai. Ce sont des salles de 6000 places. Après, il y aura la tournée de l’été que nous allons attaquer. Les gens nous reprochent de ne pas assez jouer au pays, mais notre mission, c’est de défendre le pays à l’extérieur du pays. Ce n’est pas pour autant que nous les avons oubliés. Nous sommes en train de prendre toutes les dispositions pour pouvoir renouer avec eux. Quitte à donner un ou deux spectacles grandioses pour faire plaisir à tout le monde.
Réalisée par Y. Sangaré