Requin de studio, arrangeur ou tout simplement musicien émérite, le musicien Noir américain Emmett McDonald ne laisse personne indifférent. Méticuleux, il cultive le professionnalisme jusqu`au bout des ongles. C’est que l’homme a contribué à l’éclosion de nombre de stars qui ont fait la fierté de la musique ivoirienne et africaine. Un exemple pour les jeunes générations de musiciens ivoiriens. Nous l’avons rencontré.
Q: New York city, USA. Nous sommes en 2012. Près de 15 ans que l’homme a quitté Abidjan. Que devient Emmett McDonald ?
R: Emmett est toujours le même. Les années passent mais je n’ai pas changé. C’est vrai que j’ai quitté la Côte d’Ivoire depuis une décennie, mais bon, je continue de rouler ma bosse. Ici à New York, on dit « out of sight, out of mind ! » (loin des yeux, loin du cœur, NDLR), mais j’étais ici avant, non ? Je suis juste revenu dans mon pays...
Q: Votre studio d’Abidjan est fermé depuis…
R: Oui, effectivement. J’étais Directeur artistique et musical du studio de l’EDEC. Bien sûr, depuis mon départ, tout est arrêté, mais ce n’est pas un drame. On fera l’état des lieux et on remettra facilement tout en place. Facile de reconstruire lorsqu’on est le concepteur d’une œuvre. De toutes façons, mon épouse Rose et moi, nous avons des projets pour le centre. De nouveaux et grands projets. Nous allons, non seulement remettre en service le studio d’enregistrement, mais aussi lancer une chaîne de télévision privée, bref, transformer le centre en un véritable complexe audiovisuel…
Q: Quand avez-vous quitté la Côte d’Ivoire ?
R: En 1996-1997, précisément un an avant Rose. J’étais venu préparer des spectacles, et puis Rose m’a rejoint pour des problèmes de santé. Au moment où on s’apprêtait à retourner à Abidjan, les événements ont commencé…
Q: Vous êtes donc restés ici un peu malgré vous. Mais je suppose que vous avez mis à profit ce temps pour réaliser des choses ?
R: Oui, bien sûr. Entre autres, nous avons monté une ONG, la « Guiraud-McDonald Cultural Exchange, inc. ». En janvier 1999. On tourne beaucoup ici, dans le cadre des échanges culturels, on anime des workshops (ateliers), etc.
Q: Quelle est votre spécialité ?
R: Sur le plan musical, je suis tromboniste, et également spécialiste des tubas et de la basse. J’ai étudié la basse à Boston, Massachusetts. J’ai aussi étudié à Alabama State University. En fait, j’ai commencé la musique à l’école primaire, grâce à une institution qui s’appelait Alabama Faith, et qui recrutait des enfants pour chanter à Noël. C’est comme ça que je me suis intéressé à la musique. Par ailleurs, mon oncle était un grand musicien. Il est mort jeune, mais après avoir fait ses preuves aux côtés de géants tels que le saxophoniste John Coltrane.
Q: Votre environnement naturel était donc favorable à la musique…
R: Oui, surtout dans le sud des USA. Dans le Michigan où je suis né, il y a une très grande politique musicale dans les écoles. Très jeune, j’ai joué dans des fanfares. Au high school (lycée, NDLR), je voulais faire « Art and Model Design », pour dessiner les voitures, mais heureusement ou malheureusement, le virus de la musique était plus fort.
Q: Et vous continuez de vivre de votre art ?
R: Je suis musicien professionnel, pas une vedette. Je joue dans des orchestres comme le « Broadway Show ». Entre nous, musiciens, nous nous connaissons. New York est grand, mais nous savons qui appeler pour faire telle ou telle prestation. C’est ce que je fais ici, même si la culture ivoirienne, Rose et ses Guirivoires m’ont pris la tête (rires !). Depuis bientôt 20 ans, je travaille avec eux. J’ai beaucoup appris avec eux, notamment le théâtre, la chorégraphie, etc. Mais, personnellement, j’ai de nombreuses compositions que je n’ai pas encore mis sous presse. Ça viendra en temps opportun.
Q: Qu’allez-vous faire de l’Ecole de danse et d’échanges culturels (EDEC) d’Abidjan ?
R: L’EDEC est une institution. Nous travaillons au développement de l’art en Côte d’Ivoire.
Q: Parlons justement de ce que vous avez réalisé en Côte d’Ivoire
R: Le premier artiste ivoirien que j’ai connu, c’est feu Ernesto Djédjé. Ensuite, à la télévision ivoirienne, j’ai rencontré des animateurs comme Georges Taï Benson et surtout le chaleureux Roger Fulgence Kassy. Comme artistes, j’ai aussi connu Boncana Maïga, Mamadou Doumbia, Houon Pierre, un requin de studio, Alpha Blondy qui cherchait un producteur en 1981, et que Rose a présenté à RFK…
Q: Et ceux que vous accompagné ou formé ?
R: J’ai accompagné beaucoup de jeunes artistes en studio, à Abidjan, tels que Nahawa Doumbia, Afia Mala, etc. Je travaillais au studio JBZ. Certains ne sont plus, comme Marcelin Yacé et Cheick Smith. J’ai travaillé avec François Lougah, Gnahoré Djimmy, Jimmy Hyacinthe, et bien d’autres. Ce sont des grandes expériences que je n’oublierai jamais.
Q: Votre meilleur souvenir ?
R: Mon meilleur souvenir, c’est lorsque j’ai joué avec Dizzie Gillepsie, en live. Autre souvenir inoubliable, mon premier séjour en Afrique et ma rencontre avec feu le Président Félix Houphouët-Boigny. C’était un très grand honneur. J’ai aussi rencontré des grands de la région de ma femme, comme son grand-père qui est décédé à 120 ans, Goué Jean, Jean Taï. Niangoran Bouah également m’a marqué…
Q: Que pensez-vous de la musique ivoirienne, aujourd’hui ?
R: La musique ivoirienne évolue tant bien que mal. C’est une affaire de génération. C’est comme ici aux Etats-unis, il y a le bon, mais aussi le mauvais rap. En Côte d’Ivoire, il y a aussi le bon et le mauvais zouglou. Mais, dans l’ensemble, il y a de moins en moins de bons chanteurs. Il faut dire aussi que la guerre a constitué un frein pour l’art. Avant, c’est la musique congolaise et ghanéenne qui marchait en Côte d’Ivoire. Puis il y a eu une explosion de la culture ivoirienne. Vous vous en souvenez ? L’étoile de l’art et de la culture brillait sur la Côte d’Ivoire avec Ernesto Djédjé, Adjé Daniel, Diallo Ticouaï Vincent et le Soleil de Cocody, Rose Marie Guiraud et les Guirivoires, Alpha Blondy, Aïcha Koné, le « grioticien » et son « griotoire », l’arc musical de Zady Zaourou et que sais-je encore ? Et puis subitement, tout s’est effondré à cause des palabres politiques…
Q: Vous rentrez bientôt en Côte d’Ivoire avec votre épouse. Faut-il s’attendre à une renaissance de l’art ivoirien ?
R: Nous ferons de notre mieux pour redonner le goût de l’art aux ivoiriens, et pour relever le drapeau ivoirien très haut dans le ciel. Parce qu’il faut redorer l’image de la Côte d’Ivoire, mais aussi réconcilier les Ivoiriens avec leur propre culture. A force de faire la politique, ils se sont oubliés. Nous, nous ne faisons pas de la politique. Nous n’en avons jamais fait. Ça n’intéresse ni Rose, ni moi-même. RFK avait dit que « tant qu’il y aura des hommes et des femmes sensibles à la chose musicale… », vous connaissez le reste, et bien, nous disons que tant qu’il s`écoulera du rythme dans les veines des Ivoiriens, la culture vivra ! Les tueries et la haine ne ressemblent pas à la Côte d’Ivoire. Il faut soigner les ivoiriens afin que ce pays redevienne le pays de l’hospitalité et de la fraternité qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.
Q: En conclusion, êtes-vous heureux de retourner en Côte d’Ivoire ?
R: Oui, très heureux même. Heureux pour ce que je vais y faire, et heureux parce que Dieu me fait cette grâce. Vous savez, je suis toujours à la recherche mes racines. Même si mon ADN dit que je viens d’Arabie...
Interview réalisé à New York par Koné Seydou
Q: New York city, USA. Nous sommes en 2012. Près de 15 ans que l’homme a quitté Abidjan. Que devient Emmett McDonald ?
R: Emmett est toujours le même. Les années passent mais je n’ai pas changé. C’est vrai que j’ai quitté la Côte d’Ivoire depuis une décennie, mais bon, je continue de rouler ma bosse. Ici à New York, on dit « out of sight, out of mind ! » (loin des yeux, loin du cœur, NDLR), mais j’étais ici avant, non ? Je suis juste revenu dans mon pays...
Q: Votre studio d’Abidjan est fermé depuis…
R: Oui, effectivement. J’étais Directeur artistique et musical du studio de l’EDEC. Bien sûr, depuis mon départ, tout est arrêté, mais ce n’est pas un drame. On fera l’état des lieux et on remettra facilement tout en place. Facile de reconstruire lorsqu’on est le concepteur d’une œuvre. De toutes façons, mon épouse Rose et moi, nous avons des projets pour le centre. De nouveaux et grands projets. Nous allons, non seulement remettre en service le studio d’enregistrement, mais aussi lancer une chaîne de télévision privée, bref, transformer le centre en un véritable complexe audiovisuel…
Q: Quand avez-vous quitté la Côte d’Ivoire ?
R: En 1996-1997, précisément un an avant Rose. J’étais venu préparer des spectacles, et puis Rose m’a rejoint pour des problèmes de santé. Au moment où on s’apprêtait à retourner à Abidjan, les événements ont commencé…
Q: Vous êtes donc restés ici un peu malgré vous. Mais je suppose que vous avez mis à profit ce temps pour réaliser des choses ?
R: Oui, bien sûr. Entre autres, nous avons monté une ONG, la « Guiraud-McDonald Cultural Exchange, inc. ». En janvier 1999. On tourne beaucoup ici, dans le cadre des échanges culturels, on anime des workshops (ateliers), etc.
Q: Quelle est votre spécialité ?
R: Sur le plan musical, je suis tromboniste, et également spécialiste des tubas et de la basse. J’ai étudié la basse à Boston, Massachusetts. J’ai aussi étudié à Alabama State University. En fait, j’ai commencé la musique à l’école primaire, grâce à une institution qui s’appelait Alabama Faith, et qui recrutait des enfants pour chanter à Noël. C’est comme ça que je me suis intéressé à la musique. Par ailleurs, mon oncle était un grand musicien. Il est mort jeune, mais après avoir fait ses preuves aux côtés de géants tels que le saxophoniste John Coltrane.
Q: Votre environnement naturel était donc favorable à la musique…
R: Oui, surtout dans le sud des USA. Dans le Michigan où je suis né, il y a une très grande politique musicale dans les écoles. Très jeune, j’ai joué dans des fanfares. Au high school (lycée, NDLR), je voulais faire « Art and Model Design », pour dessiner les voitures, mais heureusement ou malheureusement, le virus de la musique était plus fort.
Q: Et vous continuez de vivre de votre art ?
R: Je suis musicien professionnel, pas une vedette. Je joue dans des orchestres comme le « Broadway Show ». Entre nous, musiciens, nous nous connaissons. New York est grand, mais nous savons qui appeler pour faire telle ou telle prestation. C’est ce que je fais ici, même si la culture ivoirienne, Rose et ses Guirivoires m’ont pris la tête (rires !). Depuis bientôt 20 ans, je travaille avec eux. J’ai beaucoup appris avec eux, notamment le théâtre, la chorégraphie, etc. Mais, personnellement, j’ai de nombreuses compositions que je n’ai pas encore mis sous presse. Ça viendra en temps opportun.
Q: Qu’allez-vous faire de l’Ecole de danse et d’échanges culturels (EDEC) d’Abidjan ?
R: L’EDEC est une institution. Nous travaillons au développement de l’art en Côte d’Ivoire.
Q: Parlons justement de ce que vous avez réalisé en Côte d’Ivoire
R: Le premier artiste ivoirien que j’ai connu, c’est feu Ernesto Djédjé. Ensuite, à la télévision ivoirienne, j’ai rencontré des animateurs comme Georges Taï Benson et surtout le chaleureux Roger Fulgence Kassy. Comme artistes, j’ai aussi connu Boncana Maïga, Mamadou Doumbia, Houon Pierre, un requin de studio, Alpha Blondy qui cherchait un producteur en 1981, et que Rose a présenté à RFK…
Q: Et ceux que vous accompagné ou formé ?
R: J’ai accompagné beaucoup de jeunes artistes en studio, à Abidjan, tels que Nahawa Doumbia, Afia Mala, etc. Je travaillais au studio JBZ. Certains ne sont plus, comme Marcelin Yacé et Cheick Smith. J’ai travaillé avec François Lougah, Gnahoré Djimmy, Jimmy Hyacinthe, et bien d’autres. Ce sont des grandes expériences que je n’oublierai jamais.
Q: Votre meilleur souvenir ?
R: Mon meilleur souvenir, c’est lorsque j’ai joué avec Dizzie Gillepsie, en live. Autre souvenir inoubliable, mon premier séjour en Afrique et ma rencontre avec feu le Président Félix Houphouët-Boigny. C’était un très grand honneur. J’ai aussi rencontré des grands de la région de ma femme, comme son grand-père qui est décédé à 120 ans, Goué Jean, Jean Taï. Niangoran Bouah également m’a marqué…
Q: Que pensez-vous de la musique ivoirienne, aujourd’hui ?
R: La musique ivoirienne évolue tant bien que mal. C’est une affaire de génération. C’est comme ici aux Etats-unis, il y a le bon, mais aussi le mauvais rap. En Côte d’Ivoire, il y a aussi le bon et le mauvais zouglou. Mais, dans l’ensemble, il y a de moins en moins de bons chanteurs. Il faut dire aussi que la guerre a constitué un frein pour l’art. Avant, c’est la musique congolaise et ghanéenne qui marchait en Côte d’Ivoire. Puis il y a eu une explosion de la culture ivoirienne. Vous vous en souvenez ? L’étoile de l’art et de la culture brillait sur la Côte d’Ivoire avec Ernesto Djédjé, Adjé Daniel, Diallo Ticouaï Vincent et le Soleil de Cocody, Rose Marie Guiraud et les Guirivoires, Alpha Blondy, Aïcha Koné, le « grioticien » et son « griotoire », l’arc musical de Zady Zaourou et que sais-je encore ? Et puis subitement, tout s’est effondré à cause des palabres politiques…
Q: Vous rentrez bientôt en Côte d’Ivoire avec votre épouse. Faut-il s’attendre à une renaissance de l’art ivoirien ?
R: Nous ferons de notre mieux pour redonner le goût de l’art aux ivoiriens, et pour relever le drapeau ivoirien très haut dans le ciel. Parce qu’il faut redorer l’image de la Côte d’Ivoire, mais aussi réconcilier les Ivoiriens avec leur propre culture. A force de faire la politique, ils se sont oubliés. Nous, nous ne faisons pas de la politique. Nous n’en avons jamais fait. Ça n’intéresse ni Rose, ni moi-même. RFK avait dit que « tant qu’il y aura des hommes et des femmes sensibles à la chose musicale… », vous connaissez le reste, et bien, nous disons que tant qu’il s`écoulera du rythme dans les veines des Ivoiriens, la culture vivra ! Les tueries et la haine ne ressemblent pas à la Côte d’Ivoire. Il faut soigner les ivoiriens afin que ce pays redevienne le pays de l’hospitalité et de la fraternité qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être.
Q: En conclusion, êtes-vous heureux de retourner en Côte d’Ivoire ?
R: Oui, très heureux même. Heureux pour ce que je vais y faire, et heureux parce que Dieu me fait cette grâce. Vous savez, je suis toujours à la recherche mes racines. Même si mon ADN dit que je viens d’Arabie...
Interview réalisé à New York par Koné Seydou