Décédé à l’âge de 74 ans le mardi 20 mars dernier à Abidjan, le tour à tour enseignant, homme politique, écrivain, dramaturge et musicien ivoirien a laissé derrière lui un héritage culturel fort impressionnant dans lequel l’écrivain et le moraliste ne se sont jamais si bien accordés que pour soutenir deux causes : la revalorisation des cultures africaines et la dénonciation des politiques postcoloniales.
Pour avoir une juste idée de tout le talent qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître chez Bernard Zadi Zaourou, il faut le lire d’un bout à l’autre : Césarienne, La Tignasse, Fer de Lance, La Guerre des Femmes, Césaire entre deux cultures etc. Il n’y en a pas moins dans l’ensemble que dans les détails et les caractères sont parfaitement soutenus. C’est peut être là l’écrivain et l’homme de culture qu’il nous fallait. Il n’avait plus rien à dire, plus rien à transmettre. Le langage chez lui perdait complètement sa fonction de communication pour devenir expression. Et c’est à juste titre que ses mises en scène théâtrales, sa littérature ont fait de lui, un auteur d’une ampleur considérable.
De l’originalité d’un art : le Didiga.
Proche du patrimoine culturel ancestral et doublé d’une écriture empruntée à l’oralité, le Didiga, forme d’expression dramaturgique est définie par son créateur Bernard Zadi Zaourou : comme une expression artistique à deux niveaux : l’une purement linguistique qui «apparaît comme la forme achevée, le degré supérieur d’un art quel qu’il soit : l’art de rendre la justice, l’art de chanter, l’art de dire des contes, l’art de maîtriser la parole en général.» et l’autre qui « admet une dimension qui a un rapport à la vision du monde, pas seulement des Bétés, mais de tous les Africains, noirs en tout cas.»
Concept moderne qui a su tirer ses origines des traditions orales africaines et ivoiriennes en particulier, le Didiga qui s’inscrit dans le nouvel élan de la découverte d’une esthétique dramatique négro-africaine s’est vite imposé sur la scène théâtrale à travers plusieurs créations. Il atteint son apogée en 1983 avec « la Guerre des Femmes » l’une de ses pièces les plus achevées. Une pièce à vocation initiatique qui met en scène dans un rituel, la prouesse d’un héros ou encore l’image de femmes guerrières intrépides qui relancent la question de la fragilité du pouvoir mâle. Cet extrait de La guerre des Femmes nous immerge dans l’un de ses récits les plus aboutis.
« Quand tu seras seule avec l’homme avec qui tu passeras la première nuit, observe bien sa nudité. A la lisière de sa prairie qui est à tous points semblable à la nôtre, tu découvriras un arbre sans feuillage. Il porte un fruit qui renferme deux fèves. Ne t’acharne pas sur le fruit. Tu tuerais l’homme. Caresse plutôt l’arbre. Il grandira et grossira subitement. A vue d’œil. Ne t’effraie pas. Couche-toi sur le dos. (…)Les tisons que tu portes là, sur ta poitrine, le brûleront d’un feu si doux qu’il roucoulera comme une colombe. Il s’abandonnera à toi. Engage alors son arbre dans ton sentier ; fais en sorte que lui-même lui imprime un rythme : haut-bas ! haut-bas ! haut-bas ! Tu verras. Ses yeux se révulseront et il s’oubliera dans une jouissance indicible. Quand tu le verras ainsi désarmé et à ta merci, ne le tue pas mais retiens que toi seule pourras l’envoûter de la sorte, chaque fois que tu le voudras, toi. »
Féministe, volontiers en quête d’ineffable, son esprit, sans rien quitter de sa rigueur, avait gardé toute sa valeur poétique. Une rigueur parfois légère qu’on aurait pu croire hostile à sa littérature mais qui, prodige plus rare, a fait au contraire de ses œuvres, des merveilles si accomplies. Ecrire, mettre en scène ses œuvres en épurant de plus en plus, chaque fois un peu moins de mots et un peu plus de silence. Il a toujours vécu en ajoutant, sans rien retrancher à sa valeur poétique. Cet effrayant génie se nommait Bernard Zadi Zaourou.
Zacharie ACAFOU
Pour avoir une juste idée de tout le talent qu’on ne peut s’empêcher de reconnaître chez Bernard Zadi Zaourou, il faut le lire d’un bout à l’autre : Césarienne, La Tignasse, Fer de Lance, La Guerre des Femmes, Césaire entre deux cultures etc. Il n’y en a pas moins dans l’ensemble que dans les détails et les caractères sont parfaitement soutenus. C’est peut être là l’écrivain et l’homme de culture qu’il nous fallait. Il n’avait plus rien à dire, plus rien à transmettre. Le langage chez lui perdait complètement sa fonction de communication pour devenir expression. Et c’est à juste titre que ses mises en scène théâtrales, sa littérature ont fait de lui, un auteur d’une ampleur considérable.
De l’originalité d’un art : le Didiga.
Proche du patrimoine culturel ancestral et doublé d’une écriture empruntée à l’oralité, le Didiga, forme d’expression dramaturgique est définie par son créateur Bernard Zadi Zaourou : comme une expression artistique à deux niveaux : l’une purement linguistique qui «apparaît comme la forme achevée, le degré supérieur d’un art quel qu’il soit : l’art de rendre la justice, l’art de chanter, l’art de dire des contes, l’art de maîtriser la parole en général.» et l’autre qui « admet une dimension qui a un rapport à la vision du monde, pas seulement des Bétés, mais de tous les Africains, noirs en tout cas.»
Concept moderne qui a su tirer ses origines des traditions orales africaines et ivoiriennes en particulier, le Didiga qui s’inscrit dans le nouvel élan de la découverte d’une esthétique dramatique négro-africaine s’est vite imposé sur la scène théâtrale à travers plusieurs créations. Il atteint son apogée en 1983 avec « la Guerre des Femmes » l’une de ses pièces les plus achevées. Une pièce à vocation initiatique qui met en scène dans un rituel, la prouesse d’un héros ou encore l’image de femmes guerrières intrépides qui relancent la question de la fragilité du pouvoir mâle. Cet extrait de La guerre des Femmes nous immerge dans l’un de ses récits les plus aboutis.
« Quand tu seras seule avec l’homme avec qui tu passeras la première nuit, observe bien sa nudité. A la lisière de sa prairie qui est à tous points semblable à la nôtre, tu découvriras un arbre sans feuillage. Il porte un fruit qui renferme deux fèves. Ne t’acharne pas sur le fruit. Tu tuerais l’homme. Caresse plutôt l’arbre. Il grandira et grossira subitement. A vue d’œil. Ne t’effraie pas. Couche-toi sur le dos. (…)Les tisons que tu portes là, sur ta poitrine, le brûleront d’un feu si doux qu’il roucoulera comme une colombe. Il s’abandonnera à toi. Engage alors son arbre dans ton sentier ; fais en sorte que lui-même lui imprime un rythme : haut-bas ! haut-bas ! haut-bas ! Tu verras. Ses yeux se révulseront et il s’oubliera dans une jouissance indicible. Quand tu le verras ainsi désarmé et à ta merci, ne le tue pas mais retiens que toi seule pourras l’envoûter de la sorte, chaque fois que tu le voudras, toi. »
Féministe, volontiers en quête d’ineffable, son esprit, sans rien quitter de sa rigueur, avait gardé toute sa valeur poétique. Une rigueur parfois légère qu’on aurait pu croire hostile à sa littérature mais qui, prodige plus rare, a fait au contraire de ses œuvres, des merveilles si accomplies. Ecrire, mettre en scène ses œuvres en épurant de plus en plus, chaque fois un peu moins de mots et un peu plus de silence. Il a toujours vécu en ajoutant, sans rien retrancher à sa valeur poétique. Cet effrayant génie se nommait Bernard Zadi Zaourou.
Zacharie ACAFOU