Dans cette interview, le chef du bureau des douanes de Ouangolo terrestre, commandant Fofana Bhouakeye, explique le défi qu’il a relevé à la frontière ivoiro-burkinabé et annonce de bonnes perspectives pour l’économie ivoirienne.
Mon commandant, comment avez-vous réussi à prendre fonction, ici, à Ouangolodougou?
Lorsque j’ai été nommé au mois de juillet, j’étais inspecteur des douanes. J’ai fait à peu près dix ans d’inspectorat. J’ai passé le concours de l’Ena, j’y suis retourné et j’en suis ressorti administrateur. Le Directeur général a voulu me faire confiance, sans même me connaître.
Peut-être, c’est par rapport à ce que les gens disaient de moi puisque j’ai fait au moins cinq ans aux enquêtes douanières. Donc, en juillet, j’ai été nommé. Lorsque je venais à Ouangolo, il y a des gens qui me disaient "Yako". Ils me demandaient : "qu’est-ce que tu vas faire là-bas ?" Avril, mai, juin, juillet 2011, cela faisait à peine trois mois que la crise prenait fin. C’était encore brûlant. Je me rappelle qu’un de nos responsables m’avait même proposé, si je le voulais, de rester à Abidjan. Mais je me suis demandé s’il fallait fuir les défis. Je venais de sortir de l’école et on me donnait là un défi. Peut-être, des gens pensaient que je n’allais pas réussir. Mais, c’était à moi de leur montrer que je pouvais réussir. J’ai donc décidé de venir.
Mais quand j’ai traversé Yamoussoukro, j’ai commencé à me demander sur quoi j’allais tomber parce que je partais dans l’inconnu. De l’autre côté, les gens disaient que les toits étaient décoiffés, les gens ont des armes, etc. Malgré ça, on est venu. Sur place il faut tirer le chapeau à Monsieur le préfet. Il nous a beaucoup aidés parce qu’il a une haute opinion de l’Etat. Il m’a reçu comme un petit frère et m’a donné des conseils d’usage. Comprenez que lui, en tant que préfet, les gens ne respectaient pas l’autorité de l’Etat. C’est donc dans ce contexte qu’on est venu. Il fallait faire l’état des lieux. Et je me suis rendu compte que nos locaux étaient occupés par des individus qui se disaient de la Centrale (Bouaké) et qui récupéraient les recettes. Où les envoyer, nul ne le savait. Ce qui est sûr, c’est qu’ils étaient là, ils avaient leur système de taxation, les camions étaient garés. Donc, j’ai essayé de les croiser. Mais, ce n’était pas du tout facile. Ils ne voulaient même pas me parler. Moi, je leur ai dit que c’est fini. Il y a eu des élections. Si certains ont mené des combats qu’ils sachent que leur combat a abouti. Maintenant, si c’est un autre combat, moi, je ne m’inscris pas là-dedans. Ils m’ont répondu que tant qu’ils n’ont pas eu une note de leur administration (la Centrale), ils seront là. Même s’ils voient à la télévision que cette centrale n’existe plus.
C’était logique puisqu’ils ne sont pas venus s’installer comme ça. C’était une administration qui fonctionnait avec ses règles. Je leur ai répondu que si leur administration n’avait pas le courage de leur dire, moi, je viens leur dire que c’est fini. Je me rappelle, ce jour-là, il y a un d’entre eux qui a sorti son arme et a tiré en l’air. Mais je suis resté ferme sur ma position.
C’était un risque parce qu’à tout moment, ça pouvait dégénérer. Et là, si vous vous prenez une balle, c’est fini. Et puis, souvenez-vous qu’à deux reprises, l’administration des douanes a essayé de venir mais n’a jamais pu s’installer. Donc, je le disais en prenant beaucoup de risques mais il fallait oser. Ce n’était pas facile. Je suis retourné à Abidjan. J’ai fait mon rapport. Mais, il fallait mettre une stratégie en place parce qu’ils n’allaient pas quitter aussi facilement pour vous donner à vous asseoir. Ma chance, c’est que j’ai eu deux types de personnel. C’est-à-dire, eux, qui étaient des douaniers comme moi et ceux (des jeunes) qui, dans le cadre de l’Apo, avaient été intégrés dans l’armée. Donc je me suis appuyé sur ceux-là parce que ceux qui étaient en face les connaissaient. Ces jeunes ont été vraiment extraordinaires. Il faut leur tirer le chapeau. D’abord, pour être s’imposer, dans ma démarche, je leur ai dit qu’il fallait être visibles. Je leur ai dit qu’il fallait qu’ils viennent au bureau, habillés en uniforme. Il fallait qu’ils soient vus en tenue pour mettre la pression sur ceux qui sont là et qui ne voulaient pas partir. Il fallait qu’ils sachent que leur temps était en train de finir. Donc, notre seule présence et le fait qu’ils nous voyaient en tenue, les dérangeaient. On a donc commencé par cette phase de visibilité. Après, j’ai dit à mes agents de mettre le panneau de la douane ivoirienne. Mais, le jour où ils ont mis le panneau, mes agents ont été encerclés par des éléments armés et exigeaient que le panneau soit enlevé.
J’ai dit à mes éléments de leur répondre que c’est le commandant qui a dit de mettre le panneau là et que celui qui n’en voulait, l’enlève. Mais, personne n’a eu le courage de l’enlever. C’était une victoire pour nous. Ensuite, j’ai demandé à mes éléments de monter dans les cars pour sensibiliser les voyageurs pour leur dire que la douane était là et qu’il y avait des produits qu’ils ne fallait pas transporter. Mais le jour où mes agents ont commencé à monter dans les cars, il y a eu des échauffourées. J’étais en contact permanent avec le capitaine Dosso Befa (en formation actuellement à l’Ecole des douanes). J’ai fait tirer la "S", c’est-à-dire fermer le passage et empêcher les camions de passer. Ce jour-là, tout pouvait arriver. Mais, quand on a agi comme ça ils ont vu qu’on était déterminé. Si on baissait les bras, on n’allait pas pouvoir s’imposer. Après, ils ont dit à Befa de me dire de leur laisser jusqu’au soir pour partir.
Dans quel état avez-vous trouvé vos locaux ?
On a été obligé de tout refaire. L’administration n’existait pas. Alors, pour revenir sur le départ des éléments des Forces nouvelles qui étaient ici, lorsqu’ils ont annoncé leur départ, mon intuition me disait qu’ils allaient revenir la nuit pour nous attaquer. J’ai donc dit aux éléments de faire attention. Effectivement le soir, ils sont partis boire de l’alcool, et ont foncé sur le barrage. J’ai dit aux éléments de ne pas réagir. Il s’agissait de savoir comment gérer tout ça parce qu’ils ont des armes. C’était la même chose au poste avancé. Le premier jour, j’y suis arrivé et j’ai été entouré par des gens qui avaient des kalachs qui nous attendaient de pied ferme. Or, si vous n’avez pas un poste avancé, les gens contournent votre bureau. Donc, j’ai pris un ancien et je lui ai dit d’aller avec des éléments à ce poste. Je lui ai dit de ne pas chasser les gens en armes qu’il trouverait là-bas mais de leur annoncer que nous sommes la douane et que nous sommes là pour travailler ensemble. Et qu’il pouvait même les envoyer fouiller les cars de sorte qu’ils ne se sentent pas rejetés. C’est ce qu’il a fait. Et vers 16 heures, mes éléments viennent me voir pour me dire qu’ils (les éléments des Fafn, Ndlr) demandent à ce qu’on dorme avec eux là. Je leur ai répondu, c’est vrai que vous avez fraternisé mais si vous dormez là-bas, est-ce que vous pensez que c’est sécurisant pour vous. Et finalement je leur ai demandé de revenir vers 18 heures. Un jour, le groupe et leur chef sont venus me voir et ils m’ont dit Commandant on était prêts à en découdre avec vous et il allait avoir mort d’hommes. Mais la manière dont vous nous avez pris, on s’est dit : c’est bon, nous voulons partir. Je leur ai demandé : Pourquoi ? Vous allez où ? Restez ! Nous venons d’arriver, nous allons statuer sur la question. Leur chef m’a répondu : « si on a fait dix ans on n’a rien eu, ce n’est pas dans ces derniers moments que nous allons avoir quelque chose ». Et c’est comme ça qu’ils nous ont laissé nos bureaux. Ainsi, on a pu donc récupérer progressivement nos bureaux. Après, j’ai vu des éléments démobilisés traînés dans la nature, je me suis dit qu’il ne fallait pas laisser les gens ronger leurs freins de peur qu’ils attaquent le bureau, un jour. Il y a certains que je voyais, même celui qui a tiré en l’air, et je leur ai dit qu’ils pouvaient venir constituer une sorte d’interface entre les commerçants et nous. Quand on fait les dédouanements, même si vous avez 50.000 Fcfa cela vous permettrait de vous en sortir. Donc, ils ont commencé à être des démarcheurs. De temps en temps, quand ils arrivent, on fait les évaluations. S’ils ont 50 ou 100 mille francs que leur donnent les commerçants en permettant aux camions de sortir rapidement, c’est bon pour eux. Et ils étaient contents. De sorte que quand d’autres veulent mener des actions contre nous, ils s’opposent.
Sont-ils encore là ?
Beaucoup sont partis. Ceux qui devaient être dans l’armée sont partis. Les démobilisés qui devaient être dans d’autres secteurs sont également partis.
Pendant la crise, les transporteurs passaient par Noé. Est-ce qu’aujourd’hui, après la crise les camions ont-ils renoué avec l’axe du nord ?
Oui. Il est vrai que les gens avaient fait courir la rumeur que la douane allait les taxer. Donc, la plupart des camions avaient été bloqués. Donc, j’ai essayé de toucher certains réseaux ou certains commerçants. Et il y en a qui ont commencé à venir timidement. Le problème qui s’est posé, c’est qu’on se demandait s’il fallait appliquer notre système douanier. Il fallait faire preuve d’intelligence. J’ai essayé de voir leur barème de taxation. Et j’ai cherché à fusionner avec nos propres barèmes. Sur cette base, les calculs que j’ai faits, ont permis à beaucoup de revenir. Il faut dire, aujourd’hui, qu’à ce niveau là, ça va.
Etes-vous satisfait des recettes?
Je suis venu en septembre. Octobre, novembre, décembre, j’ai fait 1,6 milliard Fcfa. Pour les recettes, les gens s’attendaient à ce que je fasse 50 millions Fcfa. En moins de trois mois, atteindre ces chiffres-là, tout le monde était étonné et j’ai reçu les félicitations du Directeur général. Il m’avait donné sa vision avant que je ne vienne. Il m’a dit, il faut savoir se fondre dans le milieu dans lequel tu vis.
Est-ce que vous avez les moyens d’accomplir votre mission ?
En terme de moyens, le gouvernement a fait beaucoup d’efforts. Vous savez qu’au soir des événements, tout est prioritaire. Vous me demandez, est-ce qu’on a les moyens ? On a les moyens qu’on veut bien se donner. Parce qu’on ne peut jamais totalement avoir les moyens.
Déjà, l’Etat a fait beaucoup pour nous. Tout ce que vous voyez autour de moi, c’est le gouvernement. L’Etat a vraiment envie d’une douane moderne. Monsieur le directeur général des Douanes ne lésine pas sur les moyens. Je me rappelle, lorsque je devrais venir ici, la plupart de ceux qui devaient aller aux frontières sont venus prendre des pick-up avec plein d’autres choses. On aurait pu nous laisser aller comme cela. Je veux dire qu’au niveau de la douane, beaucoup est fait. C’est à nous de pouvoir faire preuve de beaucoup d’imagination pour atteindre les objectifs qu’on nous a assignés. Ce que je veux qu’on retienne de moi, c’est quelqu’un qui est venu dix ans après et qui a permis à l’administration des douanes de s’installer. C’est le plus grand cadeau. Tous ceux avec qui j’ai travaillé ont tous quelque chose à raconter. Nous pourrons dire à nos enfants, qu’après dix ans de guerre, c’est nous qui sommes, aujourd’hui, à la frontière.
Interview réalisée par Diarrassouba Sory, François Konan, Lance Touré,
Envoyés spéciaux
Mon commandant, comment avez-vous réussi à prendre fonction, ici, à Ouangolodougou?
Lorsque j’ai été nommé au mois de juillet, j’étais inspecteur des douanes. J’ai fait à peu près dix ans d’inspectorat. J’ai passé le concours de l’Ena, j’y suis retourné et j’en suis ressorti administrateur. Le Directeur général a voulu me faire confiance, sans même me connaître.
Peut-être, c’est par rapport à ce que les gens disaient de moi puisque j’ai fait au moins cinq ans aux enquêtes douanières. Donc, en juillet, j’ai été nommé. Lorsque je venais à Ouangolo, il y a des gens qui me disaient "Yako". Ils me demandaient : "qu’est-ce que tu vas faire là-bas ?" Avril, mai, juin, juillet 2011, cela faisait à peine trois mois que la crise prenait fin. C’était encore brûlant. Je me rappelle qu’un de nos responsables m’avait même proposé, si je le voulais, de rester à Abidjan. Mais je me suis demandé s’il fallait fuir les défis. Je venais de sortir de l’école et on me donnait là un défi. Peut-être, des gens pensaient que je n’allais pas réussir. Mais, c’était à moi de leur montrer que je pouvais réussir. J’ai donc décidé de venir.
Mais quand j’ai traversé Yamoussoukro, j’ai commencé à me demander sur quoi j’allais tomber parce que je partais dans l’inconnu. De l’autre côté, les gens disaient que les toits étaient décoiffés, les gens ont des armes, etc. Malgré ça, on est venu. Sur place il faut tirer le chapeau à Monsieur le préfet. Il nous a beaucoup aidés parce qu’il a une haute opinion de l’Etat. Il m’a reçu comme un petit frère et m’a donné des conseils d’usage. Comprenez que lui, en tant que préfet, les gens ne respectaient pas l’autorité de l’Etat. C’est donc dans ce contexte qu’on est venu. Il fallait faire l’état des lieux. Et je me suis rendu compte que nos locaux étaient occupés par des individus qui se disaient de la Centrale (Bouaké) et qui récupéraient les recettes. Où les envoyer, nul ne le savait. Ce qui est sûr, c’est qu’ils étaient là, ils avaient leur système de taxation, les camions étaient garés. Donc, j’ai essayé de les croiser. Mais, ce n’était pas du tout facile. Ils ne voulaient même pas me parler. Moi, je leur ai dit que c’est fini. Il y a eu des élections. Si certains ont mené des combats qu’ils sachent que leur combat a abouti. Maintenant, si c’est un autre combat, moi, je ne m’inscris pas là-dedans. Ils m’ont répondu que tant qu’ils n’ont pas eu une note de leur administration (la Centrale), ils seront là. Même s’ils voient à la télévision que cette centrale n’existe plus.
C’était logique puisqu’ils ne sont pas venus s’installer comme ça. C’était une administration qui fonctionnait avec ses règles. Je leur ai répondu que si leur administration n’avait pas le courage de leur dire, moi, je viens leur dire que c’est fini. Je me rappelle, ce jour-là, il y a un d’entre eux qui a sorti son arme et a tiré en l’air. Mais je suis resté ferme sur ma position.
C’était un risque parce qu’à tout moment, ça pouvait dégénérer. Et là, si vous vous prenez une balle, c’est fini. Et puis, souvenez-vous qu’à deux reprises, l’administration des douanes a essayé de venir mais n’a jamais pu s’installer. Donc, je le disais en prenant beaucoup de risques mais il fallait oser. Ce n’était pas facile. Je suis retourné à Abidjan. J’ai fait mon rapport. Mais, il fallait mettre une stratégie en place parce qu’ils n’allaient pas quitter aussi facilement pour vous donner à vous asseoir. Ma chance, c’est que j’ai eu deux types de personnel. C’est-à-dire, eux, qui étaient des douaniers comme moi et ceux (des jeunes) qui, dans le cadre de l’Apo, avaient été intégrés dans l’armée. Donc je me suis appuyé sur ceux-là parce que ceux qui étaient en face les connaissaient. Ces jeunes ont été vraiment extraordinaires. Il faut leur tirer le chapeau. D’abord, pour être s’imposer, dans ma démarche, je leur ai dit qu’il fallait être visibles. Je leur ai dit qu’il fallait qu’ils viennent au bureau, habillés en uniforme. Il fallait qu’ils soient vus en tenue pour mettre la pression sur ceux qui sont là et qui ne voulaient pas partir. Il fallait qu’ils sachent que leur temps était en train de finir. Donc, notre seule présence et le fait qu’ils nous voyaient en tenue, les dérangeaient. On a donc commencé par cette phase de visibilité. Après, j’ai dit à mes agents de mettre le panneau de la douane ivoirienne. Mais, le jour où ils ont mis le panneau, mes agents ont été encerclés par des éléments armés et exigeaient que le panneau soit enlevé.
J’ai dit à mes éléments de leur répondre que c’est le commandant qui a dit de mettre le panneau là et que celui qui n’en voulait, l’enlève. Mais, personne n’a eu le courage de l’enlever. C’était une victoire pour nous. Ensuite, j’ai demandé à mes éléments de monter dans les cars pour sensibiliser les voyageurs pour leur dire que la douane était là et qu’il y avait des produits qu’ils ne fallait pas transporter. Mais le jour où mes agents ont commencé à monter dans les cars, il y a eu des échauffourées. J’étais en contact permanent avec le capitaine Dosso Befa (en formation actuellement à l’Ecole des douanes). J’ai fait tirer la "S", c’est-à-dire fermer le passage et empêcher les camions de passer. Ce jour-là, tout pouvait arriver. Mais, quand on a agi comme ça ils ont vu qu’on était déterminé. Si on baissait les bras, on n’allait pas pouvoir s’imposer. Après, ils ont dit à Befa de me dire de leur laisser jusqu’au soir pour partir.
Dans quel état avez-vous trouvé vos locaux ?
On a été obligé de tout refaire. L’administration n’existait pas. Alors, pour revenir sur le départ des éléments des Forces nouvelles qui étaient ici, lorsqu’ils ont annoncé leur départ, mon intuition me disait qu’ils allaient revenir la nuit pour nous attaquer. J’ai donc dit aux éléments de faire attention. Effectivement le soir, ils sont partis boire de l’alcool, et ont foncé sur le barrage. J’ai dit aux éléments de ne pas réagir. Il s’agissait de savoir comment gérer tout ça parce qu’ils ont des armes. C’était la même chose au poste avancé. Le premier jour, j’y suis arrivé et j’ai été entouré par des gens qui avaient des kalachs qui nous attendaient de pied ferme. Or, si vous n’avez pas un poste avancé, les gens contournent votre bureau. Donc, j’ai pris un ancien et je lui ai dit d’aller avec des éléments à ce poste. Je lui ai dit de ne pas chasser les gens en armes qu’il trouverait là-bas mais de leur annoncer que nous sommes la douane et que nous sommes là pour travailler ensemble. Et qu’il pouvait même les envoyer fouiller les cars de sorte qu’ils ne se sentent pas rejetés. C’est ce qu’il a fait. Et vers 16 heures, mes éléments viennent me voir pour me dire qu’ils (les éléments des Fafn, Ndlr) demandent à ce qu’on dorme avec eux là. Je leur ai répondu, c’est vrai que vous avez fraternisé mais si vous dormez là-bas, est-ce que vous pensez que c’est sécurisant pour vous. Et finalement je leur ai demandé de revenir vers 18 heures. Un jour, le groupe et leur chef sont venus me voir et ils m’ont dit Commandant on était prêts à en découdre avec vous et il allait avoir mort d’hommes. Mais la manière dont vous nous avez pris, on s’est dit : c’est bon, nous voulons partir. Je leur ai demandé : Pourquoi ? Vous allez où ? Restez ! Nous venons d’arriver, nous allons statuer sur la question. Leur chef m’a répondu : « si on a fait dix ans on n’a rien eu, ce n’est pas dans ces derniers moments que nous allons avoir quelque chose ». Et c’est comme ça qu’ils nous ont laissé nos bureaux. Ainsi, on a pu donc récupérer progressivement nos bureaux. Après, j’ai vu des éléments démobilisés traînés dans la nature, je me suis dit qu’il ne fallait pas laisser les gens ronger leurs freins de peur qu’ils attaquent le bureau, un jour. Il y a certains que je voyais, même celui qui a tiré en l’air, et je leur ai dit qu’ils pouvaient venir constituer une sorte d’interface entre les commerçants et nous. Quand on fait les dédouanements, même si vous avez 50.000 Fcfa cela vous permettrait de vous en sortir. Donc, ils ont commencé à être des démarcheurs. De temps en temps, quand ils arrivent, on fait les évaluations. S’ils ont 50 ou 100 mille francs que leur donnent les commerçants en permettant aux camions de sortir rapidement, c’est bon pour eux. Et ils étaient contents. De sorte que quand d’autres veulent mener des actions contre nous, ils s’opposent.
Sont-ils encore là ?
Beaucoup sont partis. Ceux qui devaient être dans l’armée sont partis. Les démobilisés qui devaient être dans d’autres secteurs sont également partis.
Pendant la crise, les transporteurs passaient par Noé. Est-ce qu’aujourd’hui, après la crise les camions ont-ils renoué avec l’axe du nord ?
Oui. Il est vrai que les gens avaient fait courir la rumeur que la douane allait les taxer. Donc, la plupart des camions avaient été bloqués. Donc, j’ai essayé de toucher certains réseaux ou certains commerçants. Et il y en a qui ont commencé à venir timidement. Le problème qui s’est posé, c’est qu’on se demandait s’il fallait appliquer notre système douanier. Il fallait faire preuve d’intelligence. J’ai essayé de voir leur barème de taxation. Et j’ai cherché à fusionner avec nos propres barèmes. Sur cette base, les calculs que j’ai faits, ont permis à beaucoup de revenir. Il faut dire, aujourd’hui, qu’à ce niveau là, ça va.
Etes-vous satisfait des recettes?
Je suis venu en septembre. Octobre, novembre, décembre, j’ai fait 1,6 milliard Fcfa. Pour les recettes, les gens s’attendaient à ce que je fasse 50 millions Fcfa. En moins de trois mois, atteindre ces chiffres-là, tout le monde était étonné et j’ai reçu les félicitations du Directeur général. Il m’avait donné sa vision avant que je ne vienne. Il m’a dit, il faut savoir se fondre dans le milieu dans lequel tu vis.
Est-ce que vous avez les moyens d’accomplir votre mission ?
En terme de moyens, le gouvernement a fait beaucoup d’efforts. Vous savez qu’au soir des événements, tout est prioritaire. Vous me demandez, est-ce qu’on a les moyens ? On a les moyens qu’on veut bien se donner. Parce qu’on ne peut jamais totalement avoir les moyens.
Déjà, l’Etat a fait beaucoup pour nous. Tout ce que vous voyez autour de moi, c’est le gouvernement. L’Etat a vraiment envie d’une douane moderne. Monsieur le directeur général des Douanes ne lésine pas sur les moyens. Je me rappelle, lorsque je devrais venir ici, la plupart de ceux qui devaient aller aux frontières sont venus prendre des pick-up avec plein d’autres choses. On aurait pu nous laisser aller comme cela. Je veux dire qu’au niveau de la douane, beaucoup est fait. C’est à nous de pouvoir faire preuve de beaucoup d’imagination pour atteindre les objectifs qu’on nous a assignés. Ce que je veux qu’on retienne de moi, c’est quelqu’un qui est venu dix ans après et qui a permis à l’administration des douanes de s’installer. C’est le plus grand cadeau. Tous ceux avec qui j’ai travaillé ont tous quelque chose à raconter. Nous pourrons dire à nos enfants, qu’après dix ans de guerre, c’est nous qui sommes, aujourd’hui, à la frontière.
Interview réalisée par Diarrassouba Sory, François Konan, Lance Touré,
Envoyés spéciaux