Une fois de plus, la région Ouest de la Côte d’Ivoire vient de s’embraser. La ville de Duékoué pleure depuis le jeudi dernier ses morts. Encore l’on serait tenté d’écrire. Car ce n’est pas la première fois que cette ville connait ce genre de drames. En janvier 2010, la ville avait déjà connu de telles scènes. Pendant la crise postélectorale, plusieurs centaines de personnes avaient trouvé la mort dans les affrontements pendant la prise de la capitale du Guémon par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire. Aujourd’hui encore, Duékoué continue de pleurer. Une affaire de braquage a mis le feu aux poudres. Et depuis, les autorités se battent pour ramener le calme au sein des populations. Quand on voit le nombre de massacres et tueries perpétrés dans cette région, on se demande pourquoi toujours l’Ouest. Les populations de cette partie de la Côte d’Ivoire sont-elles frappées d’une malédiction ? Sans écarté cette piste qui relève de l’irrationnel, l’on peut à la lumière des dires et actes posés ces dernières années donner une explication rationnelle à la situation que vivent les populations de l’Ouest. Tout est parti de la crise du 19 septembre 2002. Après une tentative de prise de pouvoir par les armes à Abidjan qui échoue, une rébellion voit le jour dans la partie septentrionale de la Côte d’Ivoire. La rébellion, par la suite, va s’étendre à l’Ouest. Des villes comme Man, Logoualé et Bangolo vont tomber après d’âpres batailles aux mains des rebelles. Menaçant durement des villes comme Duékoué et Guiglo. Face à cette menace, les cadres FPI et fils de la région vont décider de réagir. Mais comment ? En armant la jeunesse de la région et en recrutant au Liberia voisin des chiens de guerre sans foi ni loi. Ces mercénaires se chargeront d’encadrer et former avec l’aide de certains militaires de rangs et d’officiers des ex-FDS, tous les jeunes originaires de la région à qui on avait demandé de rallier Duékoué, Guiglo et les autres villes de la région pour venir défendre la terre de leurs ancêtres. Des armes étaient, pour les besoins de la cause, convoyées par milliers de tonnes depuis Abidjan. Au point que tout le triangle de l’Ouest était devenu une véritable poudrière. C’est dans cette poudrière que les miliciens qui faisaient la pluie et le beau dans cette contrée, puisait. Les jeunes autochtones d’ethnie guéré, sous l’instigation de leurs ainés cadres proches du FPI et avec la bénédiction du palais présidentiel, créent plusieurs milices. A savoir le FLGO (Front de Libération du Grand ouest) de Mao Glofiéi, le MILOCI (Mouvement ivoirien de Libération de l’Ouest de Côte d’Ivoire) du Pasteur Gammi, l’AP-Wê de Julien Mompoho dit « Colombo » pour ne citer que les plus connues. Ces milices fonctionnaient en synergie avec les ex-FDS qui les utilisaient comme des supplétifs. Ces derniers percevaient chaque fin de mois de la part du palais présidentiel une sorte de solde qui était parfois la source de violents disputes entre les sans grades et leurs chefs. A côté de foisonnement de milices, il y a côté les mercénaires libériens du LIMA. Ces chiens de guerre étaient à la fois redoutés par l’adversaire et par les ex-FDS qui les utilisaient également comme première ligne dans les batailles. Leur devise est « pays yourself ». Ce qui signifie « paye-toi toi-même ». C’est pourquoi au cours des combats, leur cruauté était sans pareil. Après leur passage, tout était dévasté et emporté. Ces affreux venus de l’autre côté de la frontière ont fait plus de mal aux populations que tous ceux qui ont eu à participer aux combats dans l’Ouest. Pis, ils ont communiqué cette cruauté aux jeunes miliciens qu’ils sont venus formés et encadrés. Les massacres de Guitrozon et de Petit Duékoué en juin 2005 portent leur marque. Un rapport de l’ONU a révélé une semaine après les massacres qui ont eu lieu dans la nuit du 30 mai au 1er juin qu’il s’agissait d’un règlement de comptes entre certains cadres FPI de la région et des mercénaires libériens, mécontents du non paiement du reliquat de leurs primes et ont décidé de se venger sur leurs parents. De 2005 jusqu’à la crise postélectorale, il n’y a pas un jour où il n’y a eu des morts à Duékoué. Les victimes pour la plupart étaient des allogènes. Les tueries en général se déroulaient au niveau du corridor du quartier Carrefour, essentiellement peuplé par des populations autochtones. Le quartier Carrefour, pour mémoire, était le fief du chef milicien Julien Mompoho de l’AP-Wê. En janvier 2010, lors des malheureux événements suite à un autre braquage sanglant et qui ont plus d’une cinquantaine de morts, les miliciens de la ville ont beaucoup participé aux pillages et aux tueries qui ont lieu au marché, aux centres villes et au quartier Kokoman. Les renforts des ex-FDS venus de Daloa et d’Abidjan au lieu de s’interposer entre les différentes communautés, ont pris fait et cause pour les autochtones. Cet épisode douloureux est resté au travers de la gorge de certains habitants de la ville. Pendant la période postélectorale, les premières tueries ont commencé dans le quartier Kokoman. Mais à partir du 27 mars, le théâtre des affrontements s’est déplacé au quartier Carrefour. La suite, on la connait. Plus de 400 personnes ont trouvé la mort dans les affrontements. Après la chute de Laurent Gbagbo, le 11 avril 2011, la ville connait une paix relative. Le processus de réconciliation était en cours. La visite du chef de l’Etat à l’Ouest a apporté beaucoup d’espoir aux populations. Jusqu’à ce jeudi et vendredi noirs. Les raisons de tout ce qui passe à Duékoué puisent leur source dans le passé tumultueux de Duékoué. Le fait qu’un simple divers où cinq personnes ont trouvé la mort, ait pu faire basculer toute la ville dans la violence est symptomatique. Duékoué souffre de son histoire qui s’est écrite avec les larmes et le sang de ses fils. Malheureusement, le cycle infernal de la violence est en train de s’enraciner durablement dans cette partie de la Côte d’Ivoire. Car les ranc?urs et les rancunes semblent avoir la dent dure. Et les vieux démons refusent de mourir. Pour sauver Duékoué et l’Ouest, il faut une véritable thérapie de choc et en profondeur. Car les ennemis de la paix qui ont chosifié et sacrifié toute génération n’ont pas encore renoncé. Au contraire.
Jean-Claude Coulibaly
Jean-Claude Coulibaly