La Côte d’Ivoire vient de vivre une situation inédite avec la suspension de six journaux de l’opposition. Cette suspension a été levée mardi, suite à des interventions diverses et des pressions de la part des chancelleries et autres organisations de défense de la liberté de la presse, sans oublier la partition même des journaux victimes du 11 avril 2010 (JV11). Pour la première fois en Côte d’Ivoire, depuis la période baptisée printemps de la presse, une partie des journaux nationaux a été contrainte au silence. En effet, excipant de l’argument selon lequel, il ne s’agit ni plus ni moins faire preuve de sédition, en inscrivant sous des photos des membres de l’ancien gouvernement de Gilbert Marie Aké N’Gbo, les légendes « ministres », le Conseil national de la presse (CNP) a pris la décision de suspendre de parution les journaux « bleus » dits pro-Gbagbo. Une décision qui a eu pour effet de priver le lectorat ivoirien, pendant quatre jours, d’une opinion divergente. Finalement, les choses sont rentrées dans l’ordre et cent fleurs éclosent de nouveau. Mais l’image de la Côte d’Ivoire, pas déjà très brillante, a pris un sérieux coup quant à la construction de la démocratie. Quoi qu’on puisse dire, et cela est une vérité irréfragable, pour qu’un pays soit estampillé démocratique, il doit y exister deux instruments. Ce sont la presse et la justice. Dit ainsi, tous les pays sont démocratiques. Toutefois, certaines conditions doivent être remplies. La presse doit être libre et la justice indépendante. Tant que ces deux conditions ne sont pas cumulativement remplies, il n’y a pas de démocratie. Pour ainsi dire, la presse et la justice sont les deux piliers de toute société démocratique. D’aucuns diront à juste titre qu’elles sont le baromètre de la démocratie. L’ancien chef d’Etat ivoirien, le président Gbagbo, disait souvent que lorsqu’il va dans un pays et qu’il met en marche la télévision, il se rend compte automatiquement si ce pays est démocratique ou pas. De fait, une télévision qui ne donne que dans le culte de la personnalité du chef et à laquelle l’opposition n’a pas accès est un indicateur de l’état démocratique du pays. Un pays dans lequel pour un oui ou pour un non les journaux sont suspendus, les journalistes emprisonnés ne peut raisonnablement se prévaloir de pays de démocratie. Il en va de même lorsque dans ce pays la justice n’est pas indépendante. Et que les décisions sont prises non en fonction de l’intime conviction du juge mais plutôt selon les desiderata du politique. Un tel pays est d’avance condamné. Il ne faut pas se le cacher, une presse libre et une justice indépendante sont les préalables à toute politique de développement, qu’elle soit économique, politique, sociale, culturelle, etc. Cela est d’autant vrai que dans une société démocratique, où donc la presse n’est pas bridée et la justice entravée, les énergies sont libérées, la pensée fonctionne à plein régime, les lois qui régissent la nature sont découvertes et convoquées par l’homme pour son épanouissement. Qui peut contredire cette vérité quand s’étalent, chaque jour, sous nos yeux, les terribles différences, les différences injurieuses entre les sociétés de dictature tropicales, ravagées par le sida, le pian, la tuberculose, la syphilis, la petite vérole, le paludisme, la malaria, la guerre, la famine, etc., et les sociétés de démocratie occidentales qui sont maintenant au stade de la quête de loisir, à l’ère postindustrielle ? Il est temps qu’en Afrique, où la mentalité prélogique est curieusement reine, singulièrement en Côte d’Ivoire, les politiques œuvrent pour l’homme. Car le gap s’élargit davantage, chaque jour, entre le continent et le reste du monde. Pour notre propre malheur.
Souleymane T. Senn
Souleymane T. Senn