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Politique Publié le lundi 10 décembre 2012 | L’intelligent d’Abidjan

Côte d’Ivoire / Modifications du code électoral et de la loi relative à la décentralisation : Comment le gouvernement piétine les textes de la Cédéao

© L’intelligent d’Abidjan Par Nathan KONE
Abidjan : Ouverture du sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO sur le Mali
Mardi 27 mars 2012. Abidjan. Hotel Ivoire, Cocody. Ouverture du sommet extraordinaire des chefs de la Cédéao sur la crise Malienne. Photo : SEM. Alassane Ouattara
Bien que président en exercice de la Cédéao, Alassane Ouattara s’apprête une nouvelle fois à violer les textes de l’organisation sous-régionale, tout en sonnant le glas de la politique de décentralisation amorcée par la Côte d’Ivoire depuis quelques années. But de la manœuvre : procéder à la va-vite à des élections locales taillées sur mesure pour mieux asseoir un pouvoir déjà dictatorial et violent, en passant outre la résolution 2062 du conseil de sécurité de l’Onu.

Un des ressorts de la bonne gouvernance et du développement demeure aujourd’hui la décentralisation. Dans la plupart des pays démocratiques, ce processus s’est mis en place et consiste à transférer aux populations la gestion de secteurs essentiels pour le développement de leur localité et pour leur mieux-être. Cette déconcentration du pouvoir, dont certains domaines reposent ainsi entre les mains des élus locaux, implique de nouvelles responsabilités au niveau des communautés. C’est aussi un processus participatif qui, à partir d’une administration de proximité, motive l’intérêt des populations à la gestion de leurs localités, avec une plus grande possibilité de participation citoyenne dans les orientations et les activités qui fondent le développement local.
Le Président de la République de Côte d’Ivoire qui, aux dires de son ministre de l’Intérieur, appelle de ses vœux une plus grande décentralisation, va cependant dans le sens contraire des fondamentaux même de la décentralisation. En effet, le lundi 3 décembre 2012, le ministre de l’Intérieur soumettait à la commission des affaires générales et institutionnelles de l’Assemblée nationale deux projets de lois relatifs à la décentralisation et au code électoral.
Le premier projet de loi portant organisation des collectivités territoriales abroge toutes les dispositions antérieures contraires, notamment les lois 98-485 du 4 septembre 1998 relative à l’organisation de la région et 80-1180 du 17 octobre 1980 relative à l’organisation municipale telle que modifiée par les lois 85-578 du 19 juillet 1985, 95-608 ainsi que 95-611 du 3 aout 1995.
La conséquence est que la commune et la région sont les deux échelons territoriaux retenus. On se retrouve là dans un schéma qui est aux antipodes de la décentralisation. De fait donc, les départements et les conseils généraux ne sont plus des entités décentralisées. Il faut se rappeler que le Président avait déjà, en 2011, créé 12 districts et les avait transformés par ordonnance en entités déconcentrées. En d’autres termes, les gouverneurs de Districts sont désormais désignés par le Président lui-même et placés sous un contrôle hiérarchique et non plus de tutelle. Dans le même ordre d’idées, le Président Ouattara avait supprimé 1126 communes créées entre 2001 et 2010. En clair, la décentralisation à peine amorcée par la Côte d’Ivoire est piétinée au profit de la déconcentration, qui est un mode autoritaire d’organisation administrative qui peine à faire avancer le progrès.
L’argumentation du ministre de l’Intérieur pour justifier ce projet de loi ne peut convaincre. Selon lui, cette nouvelle loi offre un meilleur ancrage de la démocratie. Ce qui est un non-sens dans la mesure où le gouvernement dit vouloir ancrer la démocratie par la décentralisation, mais en faisant tout le contraire de la décentralisation. On ne peut pas faire de la décentralisation en transformant des entités décentralisées en entités déconcentrées. De plus, le ministre évoque un contexte difficile qui justifie selon lui, une tutelle forte de l’Etat pour éviter que les collectivités ne s’endettent. Là encore, le gouvernement prend le problème du mauvais côté, car ce ne sont pas les collectivités qui s’endettent, mais l’Etat lui-même, qui a fondé depuis deux ans toute sa politique sur l’endettement et le surendettement extérieurs.
Le deuxième projet de loi présenté par Hamed Bakayoko est quant à lui relatif à la modification de plusieurs articles du code électoral. Ainsi, il envisage modifier les articles 120, 121, 128, 149, 150 et 157 de la loi n° 2000-514 du 1 août 2000 portant code électoral.
Cette modification appelle deux observations essentielles. D’abord, elle est contraire au protocole additionnel A/SP1/12/01 de la Cédéao sur la démocratie et la bonne gouvernance. En effet, l’article 2 de ce protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité prévoit qu’ «aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques». D’évidence, le Président de la République n’a engagé aucune consultation avec les acteurs politiques avant de proposer ce projet de loi, et ce d’autant plus que l’opposition n’est pas représentée au parlement. Le Président de la République, qui en outre est également le président en exercice de la Cédéao, viole ainsi une nouvelle fois les textes de l’organisation sous-régionale. Il avait déjà piétiné ce protocole en procédant l’année dernière, à un nouveau découpage des circonscriptions législatives, augmentant du coup, le nombre de députés dans les communes lui étant réputées favorables à quelques semaines des élections.
Ensuite, cette volonté de modifier au forceps les textes en vigueur cache mal l’improvisation et la précipitation qui règnent au sommet de l’Etat relativement à l’organisation des prochaines élections locales. En effet, la plupart des articles dont la modification est proposée est relative aux délais. L’article 120 par exemple porte sur le délai de dépôt des listes de candidatures ainsi que sur le délai imparti à la Cei pour publier la liste définitive. L’article 121 est relatif aux délais de contestation devant le Conseil d’Etat. Les articles 128 et 157 quant à eux portent sur les délais d’inscription sur les listes de candidatures des élections municipales.
De toute évidence, le gouvernement cherche à rallonger les délais parce qu’il est bien conscient qu’organiser des élections locales dans de bonnes conditions le 24 février 2013, relève de la gageure. Les bricolages et autres rallonges ne règlent pas le problème, mais ne font qu’en retarder la survenue. LIDER préconise depuis plusieurs mois que le gouvernement renonce à organiser coûte que coûte ces élections et qu’on prenne le temps de régler les nombreux problèmes qui sont en suspens, à savoir : le renouvellement de la liste électorale qui doit inclure tous les jeunes ayant atteint leur majorité depuis 2009, la recomposition de la Cei, la réalisation effective du désarmement et la sécurisation des biens et des personnes, la mise en place d’un statut de l’opposition et d’un financement clair et transparent des partis politiques de l’opposition parlementaire et extra-parlementaire... L’ONU va dans le même sens que le parti au flambeau puisque la résolution 2062 du conseil de sécurité du 26 juillet 2012, recommande que toutes les réformes nécessaires soient faites avant la tenue des élections locales. L’ambassadeur des USA en Côte d’Ivoire, S.E. Philippe Carter III, vient également de donner raison à LIDER en exigeant une liste électorale rénovée avant la tenue de toute élection locale.
La précipitation avec laquelle le gouvernement prépare ces élections nous conduira au-devant de problèmes plus graves en 2015. Ces projets de lois, contrairement à ce que prétend le gouvernement ne vont pas dans le sens de la décentralisation, bien au contraire. Ces réformes s’inscrivent dans la ligne de concentration du pouvoir entre les mains du Président. Alors qu’il parle de décentralisation, le gouvernement mène une politique qui éloigne son action des populations au profit d’une bureaucratie lourde et inefficace. Les populations n’attendent pas des «dons» sporadiques du chef de l’Etat ou de son épouse. Elles attendent plutôt une plus grande liberté dans la conduite des affaires de leurs cités. Le Président dans un Etat de droit ne peut pas ainsi tout faire tout seul. Cette logique est dangereuse dans la mesure où elle sape le rôle des institutions. Le ministre de l’Intérieur a tort quand il évoque la nécessité d’un Etat fort pour encadrer les collectivités. Un Etat fort n’a jamais été le moteur du développement. La liberté oui.
Personne ne semble pouvoir cependant arrêter l’hyper-Président, son partenaire gouvernemental, le Pdci, lui suggérant même, par la bouche de son secrétaire général Djédjé Mady, de recourir à l’article 48 de la constitution pour adopter ces modifications, ce qui serait, soit dit en passant, parfaitement illégal. Mais l’illégalité et l’impunité ne sont-elles pas les deux valeurs les mieux célébrées par le gouvernement Ouattara ?
Par Mohamed Radwan,
Délégué national aux réformes institutionnelles de LIDER
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