Dans cette interview qu’elle nous a accordée, Hortense Aka-Anghui assure que sa longévité à la tête de la commune repose sur le contrat de confiance qui existe entre elle et les populations de Port-Bouët. Elle évoque aussi les prochaines municipales dans sa commune.
Vous représentez le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) aux municipales dans votre commune. On croirait que vous êtes indéboulonnable à Port-Bouët…
Je ne suis pas indéboulonnable. Depuis 1980, je suis au service, à la disposition de la population de Port-Bouët. J’estime que ma responsabilité de gestionnaire de cité s’exprime en termes de services : services à autrui, services aux populations. Donc depuis 1980, je suis avec cette population. J’ai fait cinq mandats successifs, dans un contexte démocratique. Ce n’est pas une nomination qui m’a portée à la tête de la commune de Port-Bouët. Il y a déjà une nuance : ce qui signifie que la parole est donnée aux électeurs qui choisissent. Vous me demandez si je suis indéboulonnable. Je pense que cette question doit être posée aux populations. Pour ce mandat, ça fait pratiquement deux ans (2011-2013) que les populations nous disent : « nous, nous avons encore besoin de vous, et vous devez rester ». Donc c’est le choix des populations dans toutes leurs composantes. Des politiciens pourraient me dire que c’est une réponse bateau. Mais, je leur dis déjà que ce n’est pas une réponse bateau. Si des gens pensent que je suis indéboulonnable, c’est parce qu’il règne une confiance entre les populations et moi. Je ne triche pas avec les populations. Cette confiance est basée sur la sincérité, sur la vérité. C’est peut-être une raison. J’ai foi en ce que je fais. Je suis responsable. Je crois en Dieu. Ma mission à Port-Bouët, je la considère comme un sacerdoce. Il faut s’y mettre. Il faut faire le maximum pour coller aux réalités et faire plaisir à ces populations.
En 2000, Henriette Diabaté a essayé de vous ravir le fauteuil et elle n’y est pas parvenue…
C’est la règle de la démocratie. Cela ne signifie pas que ma sœur, Madame Diabaté, est moins bien. Mais elle est arrivée à un moment où les gens opèrent un libre choix. Chacun se plie au choix de la population. Ce chapitre relève du passé. Regardons plutôt le présent et l’avenir.
Vous dirigez cette cité, depuis qu’elle a été érigée en commune de plein exercice en 1980. A quand la retraite ?
On entend un peu partout qu’en politique, on ne prend jamais de retraite. Je vous ai dit que les populations dans leur grande majorité, les chefs traditionnels, les autorités religieuses, les jeunes, les femmes ont dit : « il faut que la vieille mère continue ». Avec eux tous, les nouvelles équipes que nous allons constituer, les structures que nous allons mettre en place pour réaliser un développement participatif, tout sera mis ensemble, afin que tout le monde participe au développement. C’est mon souhait. Qu’on soit au conseil municipal ou pas, chacun aura son rôle à jouer pour que Port-Bouët change de visage. Que je sois maire ou que je ne le sois pas, Port-Bouët entendra toujours parler de moi. Après plus de trente ans, nous avons des attaches. Quels que soient ceux qui seront à la tête demain, on me verra à Port-Bouët pour participer d’une manière ou d’une autre à la recherche du bien-être de la population.
Quelles sont les raisons pour lesquelles vos administrés devraient encore vous accorder leur suffrage ?
Il faut leur poser la question. Je sais qu’avec les différentes équipes du conseil municipal, nous avons essayé de booster le développement de Port-Bouët. Beaucoup de choses ont été réalisées. Le bilan est largement positif. Nous nous tournons plus vers l’avenir, vers les perspectives.
Quelles sont ces perspectives ?
C’est le changement dans la continuité. La politique de développement que nous avons mise en œuvre et qui touche tous les domaines, santé, éducation, aménagement du territoire, assainissement…font partie de notre programme de développement. Nous avons commencé, donc il faut poursuivre et parfaire ce qui a été fait. Il y a certainement des domaines pour lesquels nous avons souhaité réaliser un certain nombre de choses, mais nous n’avons pas pu le faire. Je pense par exemple au secteur touristique. Port-Bouët est une cité balnéaire qu’il faut assainir en vue d’améliorer l’environnement. Nos plages et nos berges lagunaires doivent être libérées pour qu’elles soient aménagées en vue d’embellir la cité, et surtout pour offrir des emplois. La jeunesse constitue pour nous une priorité avec la problématique de l’emploi. En le disant, nous allons nous coller au programme du gouvernement et traduire sur le terrain ce qu’il faut faire en termes de besoins. Nous avons agi ; nous avons créé des microprojets avec la micro-finance. Nous avons traité le problème de la formation, de l’éducation, afin de donner aux jeunes les possibilités de se prendre en charge. Il faut poursuivre ce programme, l’amplifier et le développer. De toutes les façons, dans une commune comme dans toute la ville d’Abidjan, les autorités municipales ne sont pas seules à régler le problème du chômage. Un jeune qui ne travaille pas est un danger. Il faut encadrer les jeunes et les aider. C’est un problème national et même mondial. Il appartient à chacun de jouer sa partition. Voilà un peu un volet de ce que nous voulons faire dans l’avenir.
Au-delà du problème de chômage, que voulez-vous apporter de nouveau à la commune que vous n’avez pas eu l’occasion de faire pendant plus de trois décennies de gestion ?
Un programme de développement ne se réalise pas en cinq ans, en dix ans ou en vingt ans. Il faut avoir des projections dans l’avenir ; il faut agir à court, à moyen et long terme. C’est un premier point. Pour être beaucoup plus concret, quand vous faites le développement, quand vous voulez réaliser des investissements par exemple, vous êtes tributaires des moyens mis en œuvre. Dans la gestion municipale, certes on élabore un budget; il est mis en place théoriquement. Mais vous êtes tributaires de l’Etat qui vous affecte des moyens pour pouvoir exécuter votre programme. Mais lorsque ces moyens ne viennent pas, vous êtes obligé d’attendre. Ces éléments freinent notre volonté de développement. Mais on ne s’arrête pas là, parce qu’une autorité municipale doit quand même avoir un carnet d’adresses, des relations à l’extérieur. Nous avons plus d’une fois établi des partenariats.
Vous ne répondez pas à la question…
Ce que nous n’avons pas pu réaliser, c’est la suppression des quartiers précaires, les zones taudis. Nous avons, pendant nos deux premiers mandats, initié un vaste programme d’aménagement du territoire avec la création de nouveaux quartiers. Après que nous avons tenté l’expérience de rénovation urbaine pour aménager les quartiers, ouvrent des voies afin d’amener les populations à changer un peu leur manière de vie. Nous nous sommes surtout dit qu’il faut créer à Port-Bouët des quartiers neufs. La mairie a développé un partenariat avec le secteur privé pour la production de logements modernes; ce qui a été fait. Et nous avons un très beau quartier à Port-Bouët baptisé « Sipim la sirène ». Nous l’avons réalisé pour d’abord atteindre cet objectif de réduction de l’habitat précaire. Et ensuite porter la preuve qu’on peut très bien développer l’habitat avec un partenariat privé. Ce qui est aussi une vision du gouvernement. Malheureusement, nous nous sommes heurtés à des difficultés. Ce programme test qui devait s’étendre à toute la commune, tout le long de la route de Bassam, dans les localités villageoises, n’a pas pu être continué. C’est notre regret ; c’est vraiment dommageable. Mais nous pouvons, si Dieu le permet, poursuivre ce programme. Les besoins sont tellement énormes que, quel que soit le budget municipal, il faut un soutien du gouvernement dans le cadre d’un programme national. Port-Bouët, au départ, était la zone la moins urbanisée d’Abidjan. Quand on démarrait, la commune était urbanisée à peine à 30%. Tout le reste était constitué par l’habitat précaire (…). C’est toujours l’habitat précaire et les zones taudis. Comme il y a beaucoup d’espace libre, les populations viennent de partout s’installer parce que la nature a horreur du vide. Elles se trouvent un lopin de terre et avec un peu de complicité, elles s’installent. Les zones qui abritent les taudis s’accumulent. Mais ce n’est pas une situation qui devrait rester en l’état. Nous avons un vaste programme d’aménagement du territoire et l’amélioration des conditions de vie des populations. Nous allons nous y mettre.
L’un des problèmes que vous aurez à régler dans les prochaines années, si vous êtes élue est celui de l’érosion. Quelle est la réponse que vous comptez apporter pour résorber ce problème?
Ce problème est vieux ; il est récurrent. Dans les années 85, nous avions été victimes de cette érosion marine et nous avons aménagé là où nous sommes actuellement parce que la mer avançait. Nous avons fait mener des études à l’époque en tant que maire, avec l’expertise d’une structure géographique et le Bnedt pour trouver les solutions à ce problème. Les solutions apparaissaient et nous avons vu le gouvernement pour une analyse de la situation et pour les moyens. Il y a eu un appel d’offre à l’époque qui a été fait. Les Grands travaux, si j’ai bonne mémoire, ont été retenus pour faire des études. Déjà à cette époque, nous étions préoccupés par le problème. Cette fois, avec tout ce que nous avons éprouvé en Côte d’Ivoire, le chef de l’Etat lui-même est monté au créneau pour la mise en place d’une commission paritaire dans laquelle est représentée la mairie de Port-Bouët pour traiter de ce problème qui dépasse les compétences de l’administration municipale. Nous sommes donc partie prenante pour le suivi, le traitement de l’aspect humain des populations qui se trouvent sur le rivage. Pour des raisons techniques, c’est l’Etat qui pilote l’étude et les travaux. Ces études et ces travaux coûtent excessivement cher. Cela dépasse de loin le budget de la commune. La mairie est le démembrement de l’Etat, donc quel que soit le problème qui se pose, s’il doit se réaliser, l’Etat joue sa partition.
Pour les prochaines municipales, vous avez la caution du Rdr. Ce qui fait de vous l’un des rares candidats à se présenter finalement sous la bannière du Rhdp. Comment avez-vous manœuvré pour arriver à ce résultat?
J’ai apprécié, toute la commune avec moi en tant que « dinosaure » du Pdci, que le Rdr ait trouvé utile de me mettre aussi tête de liste. C’est le résultat d’une vision. Nous estimons que la gestion d’une cité est l’affaire de tous. Certes, les textes qui nous régissent commandent que nous fassions les choses à partir de nos familles politiques. C’est ce que nous avons fait. Dès que nous avons mis en place le Rhdp, -notre commune est unique en son genre- nous nous sommes retrouvés avec les différents responsables et nous avons établi un dialogue permanent. Nous avons toujours travaillé ensemble. Je pense que c’est au vu de ce que nous avons fait que les responsables de ces partis politiques, Rhdp s’entend, ont dit : « si la doyenne est pressentie, nous nous rangeons derrière elle, parce que nous estimons qu’elle a encore beaucoup à faire. Nous sommes à son école. Il faudrait que nous cheminions ensemble pour qu’elle prépare la relève ». Je suis en train de préparer la relève ; je ne dis pas je suis indispensable. Je pense qu’avec les uns et les autres, les jeunes, les femmes, les quelques doyens, nous devons tous nous mettre ensemble pour préparer cette relève. Ce choix qui a été fait nous honore grandement. Je trouve que c’est un challenge lourd de responsabilité. Cela veut dire que nous devons apporter la preuve en toutes circonstances, il faut d’abord travailler sur l’humain, consulter les populations, être proche d’elles. Dans les discussions, dans les contacts que nous avons avec les uns et les autres, surtout avec les responsables politiques, nous devons être vrais. Et ensemble chercher à résoudre les problèmes et les différends qui nous opposent. C’est ce que nous avons fait. Je ne dis pas que tout est parfait entre le Pdci, le Rdr, l’Udpci, le Fpi... Déjà à la précédente mandature, nous avions fait l’expérience de faire appel au Fpi. C’était un cas unique. Nous étions majoritaires, mais nous avons proposé à nos conseillers municipaux d’accepter un membre du Fpi dans la municipalité. Nous avons ensuite demandé à la direction du Fpi de nous proposer quelqu’un. Nous avons le souci de dire que nous devons mettre ensemble toute l’intelligence et tous les partis politiques. Quand vous voulez gérer une cité, il ne faut pas faire de palabres au sommet; il faut être ensemble pour montrer l’exemple de l’unité dans la diversité. Donc candidate, tête de liste pour le Rdr et le Pdci, c’est pour nous un challenge, une nouvelle expérience que nous allons tenter. Et apporter la preuve que sur le terrain, avec de la bonne volonté, un dialogue permanent, le respect des uns et des autres, nous pouvons toujours nous mettre ensemble pour construire de grandes choses.
Le Rhdp réussira-t-il à préserver sa cohésion au terme des élections qui se profilent à l’horizon ?
Nous réussirons absolument ; moi, j’ai foi. De toutes les façons, il y a toujours des hauts et des bas dans toutes les relations humaines. Les journaux racontent ce qu’ils peuvent. Mais il y a des réalités, des combats, des rapprochements qui se font. Nous n’avons pas besoin d’étaler tout cela sur la place publique. Certes dans le cadre de ces élections, il y a des choix qui s’opèrent. Il y a surtout le choc des ambitions personnelles. Mais, il faut arriver à transcender tout cela pour voir l’intérêt général. Nous faisons partie de ceux qui ont souhaité le rapprochement de tous les partis politiques pour constituer une entité ; parce qu’un seul parti ne peut pas diriger un pays. Il faut se mettre ensemble. Nous sommes à une phase où le président de la République, Alassane Ouattara, veut se mettre au-dessus de ces contingences politiques. Avec son grand-frère le président Bédié, il demande toujours que les gens s’accordent, qu’ils se mettent ensemble. Le Rhdp réussira. De toutes les façons, nous sommes condamnés à nous entendre. Si nous disons que nous sommes des houphouétistes, il y a surtout l’idéal d’Houphouet-Boigny qu’il faut mettre en pratique. Dans le cas contraire, on n’est pas un bon militant du Rhdp.
Pensez-vous que l’appel du président Ouattara et du président Bédié à aller aux régionales en Rhdp sera entendu ?
Les uns et les autres se disent que ce sont des décisions politiques. Certains peuvent dire que cette décision politique est tardive. Ça nous met dans l’embarras. Mais nous sommes en Côte d’Ivoire, où il y a toujours le dialogue. Je pense qu’à beaucoup d’endroits, les gens arriveront à s’entendre. De toutes les façons, si certains vont en rangs dispersés ou en indépendants, il y aura toujours un retour à la maison.
Sur la question du report des élections, le chef de l’Etat a dit que c’était pour permettre à l’opposition d’y participer…
Nous y souscrivons pleinement. Nous avons tous souffert durant la période de crise et nous cherchons à recoller les morceaux. Nous cherchons à nous retrouver, à nous réconcilier et à cheminer ensemble. J’opte pour l’unité dans la diversité ; il faut faire des élections inclusives. Tous les partis à mon sens devraient pouvoir participer aux élections. Des conditions ont été posées. Si toutes ces conditions sont réunies à bien des égards, par exemple le financement et bon nombre de choses, il n’y a pas de raison que le Fpi ne puisse pas participer aux élections.
Des opposants politiques demandent la recomposition de la Cei, la libération de certains prisonniers pro-Gbagbo …
Des rencontres se mènent à ce niveau. Les uns et les autres apprécieront la meilleure formule. Mais ce qu’il faut retenir, c’est l’objectif qui est de permettre à tout le monde de participer et chacun apportera ses propositions. Quand on se met ensemble pour décider d’une chose, il y a des contraintes, des exigences qu’on laisse de côté dans l’intérêt de la communauté.
Que dites-vous au Fpi qui voudrait qu’on reporte les élections en 2014 ?
N’entrons pas dans ces détails. Je voudrais tout simplement m’arrêter sur le principe que nous encourageons : tout le monde, y compris le Fpi, doit participer à ces élections locales. Pour le développement, nous avons besoin de toutes ces intelligences, de toutes les sensibilités dans les localités et dans les régions.
Il y a quelques agitations autour du congrès du Pdci. A quoi est-ce que cela rime-t-il ?
Je viens à peine de rentrer au pays. Et ma préoccupation, c’est d’abord Port-Bouët : l’unité entre les militants du Pdci. Ceci dit, au niveau de la direction du parti, il y a toujours des agitations lorsqu’on veut renouveler les instances. Lorsqu’on veut une renaissance, il y a toujours des mouvements. Mais à chaque étape et à chaque moment, les solutions seront trouvées ; moi j’ai confiance. Il y a toujours cette sagesse et cette pondération qui caractérisent et le Pdci, et les Ivoiriens.
Quel message voulez-vous adresser aux populations de Port-Bouët pour éviter que les prochaines élections ne dégénèrent en violence ?
Les populations de Port-Bouët sont déjà conscientes de la nécessité d’aller à ces élections. Mais, le scrutin doit être apaisé. Nous y travaillons. Lorsque toute une population, dans sa grande majorité, nous demande d’être encore aux commandes, cela signifie qu’elle est prête à jouer sa partition. Nous aussi, en toute responsabilité, dans le respect du choix formulé par nos populations, nous allons jouer la nôtre. Cela signifie que nous irons à ces élections unis. Je souhaite une campagne apaisée. Les élections, ce n’est pas un combat, c’est un jeu démocratique.
Interview réalisée par Marc Dossa et Danielle Tagro
Vous représentez le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) aux municipales dans votre commune. On croirait que vous êtes indéboulonnable à Port-Bouët…
Je ne suis pas indéboulonnable. Depuis 1980, je suis au service, à la disposition de la population de Port-Bouët. J’estime que ma responsabilité de gestionnaire de cité s’exprime en termes de services : services à autrui, services aux populations. Donc depuis 1980, je suis avec cette population. J’ai fait cinq mandats successifs, dans un contexte démocratique. Ce n’est pas une nomination qui m’a portée à la tête de la commune de Port-Bouët. Il y a déjà une nuance : ce qui signifie que la parole est donnée aux électeurs qui choisissent. Vous me demandez si je suis indéboulonnable. Je pense que cette question doit être posée aux populations. Pour ce mandat, ça fait pratiquement deux ans (2011-2013) que les populations nous disent : « nous, nous avons encore besoin de vous, et vous devez rester ». Donc c’est le choix des populations dans toutes leurs composantes. Des politiciens pourraient me dire que c’est une réponse bateau. Mais, je leur dis déjà que ce n’est pas une réponse bateau. Si des gens pensent que je suis indéboulonnable, c’est parce qu’il règne une confiance entre les populations et moi. Je ne triche pas avec les populations. Cette confiance est basée sur la sincérité, sur la vérité. C’est peut-être une raison. J’ai foi en ce que je fais. Je suis responsable. Je crois en Dieu. Ma mission à Port-Bouët, je la considère comme un sacerdoce. Il faut s’y mettre. Il faut faire le maximum pour coller aux réalités et faire plaisir à ces populations.
En 2000, Henriette Diabaté a essayé de vous ravir le fauteuil et elle n’y est pas parvenue…
C’est la règle de la démocratie. Cela ne signifie pas que ma sœur, Madame Diabaté, est moins bien. Mais elle est arrivée à un moment où les gens opèrent un libre choix. Chacun se plie au choix de la population. Ce chapitre relève du passé. Regardons plutôt le présent et l’avenir.
Vous dirigez cette cité, depuis qu’elle a été érigée en commune de plein exercice en 1980. A quand la retraite ?
On entend un peu partout qu’en politique, on ne prend jamais de retraite. Je vous ai dit que les populations dans leur grande majorité, les chefs traditionnels, les autorités religieuses, les jeunes, les femmes ont dit : « il faut que la vieille mère continue ». Avec eux tous, les nouvelles équipes que nous allons constituer, les structures que nous allons mettre en place pour réaliser un développement participatif, tout sera mis ensemble, afin que tout le monde participe au développement. C’est mon souhait. Qu’on soit au conseil municipal ou pas, chacun aura son rôle à jouer pour que Port-Bouët change de visage. Que je sois maire ou que je ne le sois pas, Port-Bouët entendra toujours parler de moi. Après plus de trente ans, nous avons des attaches. Quels que soient ceux qui seront à la tête demain, on me verra à Port-Bouët pour participer d’une manière ou d’une autre à la recherche du bien-être de la population.
Quelles sont les raisons pour lesquelles vos administrés devraient encore vous accorder leur suffrage ?
Il faut leur poser la question. Je sais qu’avec les différentes équipes du conseil municipal, nous avons essayé de booster le développement de Port-Bouët. Beaucoup de choses ont été réalisées. Le bilan est largement positif. Nous nous tournons plus vers l’avenir, vers les perspectives.
Quelles sont ces perspectives ?
C’est le changement dans la continuité. La politique de développement que nous avons mise en œuvre et qui touche tous les domaines, santé, éducation, aménagement du territoire, assainissement…font partie de notre programme de développement. Nous avons commencé, donc il faut poursuivre et parfaire ce qui a été fait. Il y a certainement des domaines pour lesquels nous avons souhaité réaliser un certain nombre de choses, mais nous n’avons pas pu le faire. Je pense par exemple au secteur touristique. Port-Bouët est une cité balnéaire qu’il faut assainir en vue d’améliorer l’environnement. Nos plages et nos berges lagunaires doivent être libérées pour qu’elles soient aménagées en vue d’embellir la cité, et surtout pour offrir des emplois. La jeunesse constitue pour nous une priorité avec la problématique de l’emploi. En le disant, nous allons nous coller au programme du gouvernement et traduire sur le terrain ce qu’il faut faire en termes de besoins. Nous avons agi ; nous avons créé des microprojets avec la micro-finance. Nous avons traité le problème de la formation, de l’éducation, afin de donner aux jeunes les possibilités de se prendre en charge. Il faut poursuivre ce programme, l’amplifier et le développer. De toutes les façons, dans une commune comme dans toute la ville d’Abidjan, les autorités municipales ne sont pas seules à régler le problème du chômage. Un jeune qui ne travaille pas est un danger. Il faut encadrer les jeunes et les aider. C’est un problème national et même mondial. Il appartient à chacun de jouer sa partition. Voilà un peu un volet de ce que nous voulons faire dans l’avenir.
Au-delà du problème de chômage, que voulez-vous apporter de nouveau à la commune que vous n’avez pas eu l’occasion de faire pendant plus de trois décennies de gestion ?
Un programme de développement ne se réalise pas en cinq ans, en dix ans ou en vingt ans. Il faut avoir des projections dans l’avenir ; il faut agir à court, à moyen et long terme. C’est un premier point. Pour être beaucoup plus concret, quand vous faites le développement, quand vous voulez réaliser des investissements par exemple, vous êtes tributaires des moyens mis en œuvre. Dans la gestion municipale, certes on élabore un budget; il est mis en place théoriquement. Mais vous êtes tributaires de l’Etat qui vous affecte des moyens pour pouvoir exécuter votre programme. Mais lorsque ces moyens ne viennent pas, vous êtes obligé d’attendre. Ces éléments freinent notre volonté de développement. Mais on ne s’arrête pas là, parce qu’une autorité municipale doit quand même avoir un carnet d’adresses, des relations à l’extérieur. Nous avons plus d’une fois établi des partenariats.
Vous ne répondez pas à la question…
Ce que nous n’avons pas pu réaliser, c’est la suppression des quartiers précaires, les zones taudis. Nous avons, pendant nos deux premiers mandats, initié un vaste programme d’aménagement du territoire avec la création de nouveaux quartiers. Après que nous avons tenté l’expérience de rénovation urbaine pour aménager les quartiers, ouvrent des voies afin d’amener les populations à changer un peu leur manière de vie. Nous nous sommes surtout dit qu’il faut créer à Port-Bouët des quartiers neufs. La mairie a développé un partenariat avec le secteur privé pour la production de logements modernes; ce qui a été fait. Et nous avons un très beau quartier à Port-Bouët baptisé « Sipim la sirène ». Nous l’avons réalisé pour d’abord atteindre cet objectif de réduction de l’habitat précaire. Et ensuite porter la preuve qu’on peut très bien développer l’habitat avec un partenariat privé. Ce qui est aussi une vision du gouvernement. Malheureusement, nous nous sommes heurtés à des difficultés. Ce programme test qui devait s’étendre à toute la commune, tout le long de la route de Bassam, dans les localités villageoises, n’a pas pu être continué. C’est notre regret ; c’est vraiment dommageable. Mais nous pouvons, si Dieu le permet, poursuivre ce programme. Les besoins sont tellement énormes que, quel que soit le budget municipal, il faut un soutien du gouvernement dans le cadre d’un programme national. Port-Bouët, au départ, était la zone la moins urbanisée d’Abidjan. Quand on démarrait, la commune était urbanisée à peine à 30%. Tout le reste était constitué par l’habitat précaire (…). C’est toujours l’habitat précaire et les zones taudis. Comme il y a beaucoup d’espace libre, les populations viennent de partout s’installer parce que la nature a horreur du vide. Elles se trouvent un lopin de terre et avec un peu de complicité, elles s’installent. Les zones qui abritent les taudis s’accumulent. Mais ce n’est pas une situation qui devrait rester en l’état. Nous avons un vaste programme d’aménagement du territoire et l’amélioration des conditions de vie des populations. Nous allons nous y mettre.
L’un des problèmes que vous aurez à régler dans les prochaines années, si vous êtes élue est celui de l’érosion. Quelle est la réponse que vous comptez apporter pour résorber ce problème?
Ce problème est vieux ; il est récurrent. Dans les années 85, nous avions été victimes de cette érosion marine et nous avons aménagé là où nous sommes actuellement parce que la mer avançait. Nous avons fait mener des études à l’époque en tant que maire, avec l’expertise d’une structure géographique et le Bnedt pour trouver les solutions à ce problème. Les solutions apparaissaient et nous avons vu le gouvernement pour une analyse de la situation et pour les moyens. Il y a eu un appel d’offre à l’époque qui a été fait. Les Grands travaux, si j’ai bonne mémoire, ont été retenus pour faire des études. Déjà à cette époque, nous étions préoccupés par le problème. Cette fois, avec tout ce que nous avons éprouvé en Côte d’Ivoire, le chef de l’Etat lui-même est monté au créneau pour la mise en place d’une commission paritaire dans laquelle est représentée la mairie de Port-Bouët pour traiter de ce problème qui dépasse les compétences de l’administration municipale. Nous sommes donc partie prenante pour le suivi, le traitement de l’aspect humain des populations qui se trouvent sur le rivage. Pour des raisons techniques, c’est l’Etat qui pilote l’étude et les travaux. Ces études et ces travaux coûtent excessivement cher. Cela dépasse de loin le budget de la commune. La mairie est le démembrement de l’Etat, donc quel que soit le problème qui se pose, s’il doit se réaliser, l’Etat joue sa partition.
Pour les prochaines municipales, vous avez la caution du Rdr. Ce qui fait de vous l’un des rares candidats à se présenter finalement sous la bannière du Rhdp. Comment avez-vous manœuvré pour arriver à ce résultat?
J’ai apprécié, toute la commune avec moi en tant que « dinosaure » du Pdci, que le Rdr ait trouvé utile de me mettre aussi tête de liste. C’est le résultat d’une vision. Nous estimons que la gestion d’une cité est l’affaire de tous. Certes, les textes qui nous régissent commandent que nous fassions les choses à partir de nos familles politiques. C’est ce que nous avons fait. Dès que nous avons mis en place le Rhdp, -notre commune est unique en son genre- nous nous sommes retrouvés avec les différents responsables et nous avons établi un dialogue permanent. Nous avons toujours travaillé ensemble. Je pense que c’est au vu de ce que nous avons fait que les responsables de ces partis politiques, Rhdp s’entend, ont dit : « si la doyenne est pressentie, nous nous rangeons derrière elle, parce que nous estimons qu’elle a encore beaucoup à faire. Nous sommes à son école. Il faudrait que nous cheminions ensemble pour qu’elle prépare la relève ». Je suis en train de préparer la relève ; je ne dis pas je suis indispensable. Je pense qu’avec les uns et les autres, les jeunes, les femmes, les quelques doyens, nous devons tous nous mettre ensemble pour préparer cette relève. Ce choix qui a été fait nous honore grandement. Je trouve que c’est un challenge lourd de responsabilité. Cela veut dire que nous devons apporter la preuve en toutes circonstances, il faut d’abord travailler sur l’humain, consulter les populations, être proche d’elles. Dans les discussions, dans les contacts que nous avons avec les uns et les autres, surtout avec les responsables politiques, nous devons être vrais. Et ensemble chercher à résoudre les problèmes et les différends qui nous opposent. C’est ce que nous avons fait. Je ne dis pas que tout est parfait entre le Pdci, le Rdr, l’Udpci, le Fpi... Déjà à la précédente mandature, nous avions fait l’expérience de faire appel au Fpi. C’était un cas unique. Nous étions majoritaires, mais nous avons proposé à nos conseillers municipaux d’accepter un membre du Fpi dans la municipalité. Nous avons ensuite demandé à la direction du Fpi de nous proposer quelqu’un. Nous avons le souci de dire que nous devons mettre ensemble toute l’intelligence et tous les partis politiques. Quand vous voulez gérer une cité, il ne faut pas faire de palabres au sommet; il faut être ensemble pour montrer l’exemple de l’unité dans la diversité. Donc candidate, tête de liste pour le Rdr et le Pdci, c’est pour nous un challenge, une nouvelle expérience que nous allons tenter. Et apporter la preuve que sur le terrain, avec de la bonne volonté, un dialogue permanent, le respect des uns et des autres, nous pouvons toujours nous mettre ensemble pour construire de grandes choses.
Le Rhdp réussira-t-il à préserver sa cohésion au terme des élections qui se profilent à l’horizon ?
Nous réussirons absolument ; moi, j’ai foi. De toutes les façons, il y a toujours des hauts et des bas dans toutes les relations humaines. Les journaux racontent ce qu’ils peuvent. Mais il y a des réalités, des combats, des rapprochements qui se font. Nous n’avons pas besoin d’étaler tout cela sur la place publique. Certes dans le cadre de ces élections, il y a des choix qui s’opèrent. Il y a surtout le choc des ambitions personnelles. Mais, il faut arriver à transcender tout cela pour voir l’intérêt général. Nous faisons partie de ceux qui ont souhaité le rapprochement de tous les partis politiques pour constituer une entité ; parce qu’un seul parti ne peut pas diriger un pays. Il faut se mettre ensemble. Nous sommes à une phase où le président de la République, Alassane Ouattara, veut se mettre au-dessus de ces contingences politiques. Avec son grand-frère le président Bédié, il demande toujours que les gens s’accordent, qu’ils se mettent ensemble. Le Rhdp réussira. De toutes les façons, nous sommes condamnés à nous entendre. Si nous disons que nous sommes des houphouétistes, il y a surtout l’idéal d’Houphouet-Boigny qu’il faut mettre en pratique. Dans le cas contraire, on n’est pas un bon militant du Rhdp.
Pensez-vous que l’appel du président Ouattara et du président Bédié à aller aux régionales en Rhdp sera entendu ?
Les uns et les autres se disent que ce sont des décisions politiques. Certains peuvent dire que cette décision politique est tardive. Ça nous met dans l’embarras. Mais nous sommes en Côte d’Ivoire, où il y a toujours le dialogue. Je pense qu’à beaucoup d’endroits, les gens arriveront à s’entendre. De toutes les façons, si certains vont en rangs dispersés ou en indépendants, il y aura toujours un retour à la maison.
Sur la question du report des élections, le chef de l’Etat a dit que c’était pour permettre à l’opposition d’y participer…
Nous y souscrivons pleinement. Nous avons tous souffert durant la période de crise et nous cherchons à recoller les morceaux. Nous cherchons à nous retrouver, à nous réconcilier et à cheminer ensemble. J’opte pour l’unité dans la diversité ; il faut faire des élections inclusives. Tous les partis à mon sens devraient pouvoir participer aux élections. Des conditions ont été posées. Si toutes ces conditions sont réunies à bien des égards, par exemple le financement et bon nombre de choses, il n’y a pas de raison que le Fpi ne puisse pas participer aux élections.
Des opposants politiques demandent la recomposition de la Cei, la libération de certains prisonniers pro-Gbagbo …
Des rencontres se mènent à ce niveau. Les uns et les autres apprécieront la meilleure formule. Mais ce qu’il faut retenir, c’est l’objectif qui est de permettre à tout le monde de participer et chacun apportera ses propositions. Quand on se met ensemble pour décider d’une chose, il y a des contraintes, des exigences qu’on laisse de côté dans l’intérêt de la communauté.
Que dites-vous au Fpi qui voudrait qu’on reporte les élections en 2014 ?
N’entrons pas dans ces détails. Je voudrais tout simplement m’arrêter sur le principe que nous encourageons : tout le monde, y compris le Fpi, doit participer à ces élections locales. Pour le développement, nous avons besoin de toutes ces intelligences, de toutes les sensibilités dans les localités et dans les régions.
Il y a quelques agitations autour du congrès du Pdci. A quoi est-ce que cela rime-t-il ?
Je viens à peine de rentrer au pays. Et ma préoccupation, c’est d’abord Port-Bouët : l’unité entre les militants du Pdci. Ceci dit, au niveau de la direction du parti, il y a toujours des agitations lorsqu’on veut renouveler les instances. Lorsqu’on veut une renaissance, il y a toujours des mouvements. Mais à chaque étape et à chaque moment, les solutions seront trouvées ; moi j’ai confiance. Il y a toujours cette sagesse et cette pondération qui caractérisent et le Pdci, et les Ivoiriens.
Quel message voulez-vous adresser aux populations de Port-Bouët pour éviter que les prochaines élections ne dégénèrent en violence ?
Les populations de Port-Bouët sont déjà conscientes de la nécessité d’aller à ces élections. Mais, le scrutin doit être apaisé. Nous y travaillons. Lorsque toute une population, dans sa grande majorité, nous demande d’être encore aux commandes, cela signifie qu’elle est prête à jouer sa partition. Nous aussi, en toute responsabilité, dans le respect du choix formulé par nos populations, nous allons jouer la nôtre. Cela signifie que nous irons à ces élections unis. Je souhaite une campagne apaisée. Les élections, ce n’est pas un combat, c’est un jeu démocratique.
Interview réalisée par Marc Dossa et Danielle Tagro