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Société Publié le vendredi 1 février 2013 | Nord-Sud

Exhumation annoncée des victimes de la crise : comment les populations vivent la nouvelle

© Nord-Sud Par Emma
Campus ou cimetière : après le campus de Cocody,Exhumation de corps de la cité de Port-Bouët 3
Mardi 15 mai 2012. Abidjan. Résidence universitaire de Port-Bouët III. Les pompes funèbres procèdent à l`exhumation de nombreux corps , en présence de la police scientifique, de la gendarmerie, de l`ONUCI et des représentants des organisations internationales de défense des droits humains
La décision prise par le gouvernement de procéder à l’exhumation et l’autopsie des morts de la crise ensevelis dans les fosses communes est diversement accueillie par les habitants des sous-quartiers Mamie Fatai et Doukouré, à Yopougon.

A Mamie Fatai, on cohabite depuis deux ans avec les morts. Des fosses communes dans lesquelles sont ensevelis des fils et filles de ce quartier tués lors de la crise postélectorale sont encore visibles dans ces sous-quartiers. La plus grande de toutes et qui attire l’attention du premier venu, est celle située à l’entrée principale de cette périphérie. Sur quatre mètres sur deux, quadrillée de briques avec du sable à l’intérieur, la fosse est visiblement bien entretenue. Selon Oumar T., elle contient au moins une dizaine de corps et jouit d’une attention particulière. « Quand tu viens ici pour la première fois, tu es tout de suite frappé par cette fosse commune.

Fosses communes précaires

C’est pourquoi nous avons mis des briques autour et demandé aux femmes de balayer régulièrement ses abords », confie le fils du chef du quartier Mamie Faitai. « Ce n’est pas parce que nous prenons soin des fosses qui contiennent des membres de nos familles que leur présence ne nous dérange pas », s’ empresse-t-il de préciser, en réponse à la question de savoir si la cohabitation avec les fosses communes ne leur causait aucun désagrément. « Sincèrement, chaque fois que je passe devant cette tombe où mes amis sont enterrés comme des animaux, je suis révolté. Je veux m’attaquer à ceux qui sont responsables de leur mort et qui sont revenus vivre avec nous. Mais au nom de la réconciliation, nous nous contenons pour ne pas nous rendre justice nous-mêmes », s’indigne-t-il par la suite. Si la présence des fosses communes dans leur habitat réveille des douleurs qu’ils croyaient à jamais enfouies dans leurs mémoires, elles suscitent en revanche le sentiment de mal-être chez certains habitants. Dame Diarrassouba fait partie de ceux-là. La soixantaine révolue, sa concession jouxte une fosse en pleine ruelle. « Vous voyez là-bas ?», pointe-t-elle l’index, en direction d’un monticule de sable rouge entouré de morceaux de caillou, lorsque nous l’avons abordée.

Un repos digne pour les morts

«C’est une tombe. Deux personnes sont enterrées dedans », lâche la septuagénaire, la voix nouée. Elle nous informe que les gens sont tellement habitués à cette tombe qu’ils laissent souvent les enfants les fouler et perturber ainsi l’esprit des morts. « Les vivants sont en ville et les morts au cimetière. Ces deux entités ne doivent pas cohabiter car la nuit, les esprits des morts se promènent. Dites aux autorités de venir nous débarrasser de ces fosses qui nous encombrent », interpelle-t-elle le gouvernement.
Au quartier Doukouré, des riverains ne supportent plus également de vivre avec les morts. Et la particularité dans ce secteur est que les fosses communes sont concentrées sur un grand espace. Youssouf Chérif nous en donne les raisons. « Pour ne pas créer des tombes disséminées à travers le quartiers, nous avons ramassé les corps des personnes qui étaient tuées pendant la crise pour les enterrer au même endroit », informe le doyen de ce quartier. Il nous conduit ensuite sur le site en question. C’est une place à peu près de cent mètres carrés envahie par des mauvaises herbes. Elle est dominée par une grande fosse commune au contour cimenté. Celle-ci regorgerait, selon notre interlocuteur, plus d’une vingtaine de corps, quand les six autres fosses en monticule sur le même terrain renfermeraient chacune deux à trois cadavres. « Moralement et spirituellement, il n’est pas bien que des tombes traînent parmi les hommes. En plus, on nous demande de pardonner à nos bourreaux. Mais comment pardonner si nous vivons au quotidien avec le corps de nos enfants que ceux-ci ont lâchement assassinés », s’ interroge le vieillard, avant d’interpeller l’Etat. « vivement, que le président Ouattara vienne déterrer, souhaite-t-il, nos enfants pour aller les enterrer dignement». Un appel que le gouvernement a fini par entendre puisqu’à l’issue du dernier conseil des ministres, mercredi, il a décidé d’engager une vaste opération visant à débarrasser les habitations de ces tranchées mortuaires.

L’autopsie en question

Une décision qui est diversement interprétée. Mayabra Kamara est la présidente de l’Association des victimes de Mami-Faitai (Avmf). Cinq de ses frères ont été tués lors de la crise postélectorale et ensevelis dans une fosse avoisinante. « Il se dit qu’ils y sont avec deux ou quatre autres personnes », révèle-t-elle. Son avis sur la décision d’exhumation prise par le gouvernement est plutôt mitigé. Si la dame n’éprouve aucun inconvénient à voir des corps exhumés pour leur donner une sépulture digne, elle a des appréhensions. «Si on doit faire des autopsies, cela va susciter des réactions», s’inquiète-t-elle. Pour la présidente de l’Avmf, «on sait déjà la circonstance de leur mort.» Ce qu’elle souhaite : « qu’on retire simplement les corps de ces endroits et qu’on laisse tomber les autopsies, parce qu’on viendra interroger encore les parents sur ce qu’il s’est passé. Ça n’aura d’intérêt que de réveiller nos douleurs ».

KM
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