Depuis le 08 février dernier des soldats guinéens occupent le campement de Kpéaba, situé dans le département de Sipilou, à l’ouest de la Côte d’Ivoire. Ce village d’environ 250 habitants, est en majorité peuplé de Yacouba qui vivent avec leurs frères ivoiriens Mahouka. Hier, lors de notre passage dans ce village, nous avons trouvé sur place quelques habitants du village. Mais il faut reconnaitre que, suite à l’arrivée des soldats guinéens, beaucoup d’entre eux se disent très «inquiètes». Certains habitants de Sipilou, chef-lieu de région, n’ont pas manqué de nous faire savoir leur agacement face à cette énième crise. Car, à en croire ceux-ci, ce n’est pas la première fois qu’une telle situation arrive. Déjà en 1997, un incident similaire a eu lieu. Des soldats guinéens avaient franchi la frontière pour s’installer à Kpéaba. Mais ils ont été désarmés, puis reconduits à la frontière par des gendarmes venus en renfort à la brigade de Sipilou. Les populations disent garder le calme. Eu égard, selon eux, aux nombreux liens de fraternité qui unissent les deux ethnies -Yacouba (en Côte d’Ivoire) et Guerzé (en Guinée) qui peuplent les deux côtés de la frontière. « Personne ici ne peut dire qu’il n’a pas un parent, soit une grand-mère, un cousine ou cousin qui ne vienne de la Guinée », nous a expliqué notre guide, un natif de Sipilou. A Kpéaba, où nous sommes arrivés ce jeudi 22 février, les soldats guinéens ont érigé un barrage juste à l’entrée. De loin on peut apercevoir le drapeau rouge-jaune-vert de la Guinée Conakry flotter dans l’air. Les trois soldats en faction à l’entrée du village nous aperçoivent et demandent de nous approcher. Nous nous exécutons, déclinons notre identité et leur indiquons ce que nous sommes venus faire. Une fois la présentation faite, l’un d’entre eux, un caporal-chef nous conduit à leur base, qui apprendrons nous plus tard, se trouve être la maison du chef du village, pour rencontrer leur chef. Manque de pot pour nous, celui-ci est absent. Mais le capitaine guinéen présent à l’intérieur de la maison nous fait savoir que son chef ne va pas tarder à arriver. C’est dans cette attente que nous demandons la permission de rencontrer les populations. Ce qui nous fût accordé. Déjà à notre arrivée, nous étions une curiosité pour les habitants de Kpéaba qui ne nous quittaient pas des yeux. Quand nous faisons mouvement vers eux pour leur parler, les visages des uns et des autres tout de suite s’illuminent, heureux probablement de voir des Ivoiriens. « Je suis untel, je suis ivoirien », se présentaient-ils à nous. Sans que nous ne leur demandions, certains sont tout de suite rentrer dans leurs cases pour venir nous présenter leurs cartes d’identité ivoirienne. En plus de leurs cartes d’électeurs. Pour apporter la preuve, si besoin en était, qu‘ils sont bel et bien des Ivoiriens. Ensuite, ils nous font part de leurs rapports avec les soldats guinéens. Et surtout de leurs angoisses. « Au début, quand ils sont arrivés, ils ont voulu se faire respecter. Ils ont donc battu certains d’entre nous. Aujourd’hui, ils essaient de nous expliquer qu’ils n’ont rien contre nous et que nous ne devons pas avoir peur. Mais nous sommes très inquiets », rapporte Victor, un habitant du village. Mais ce qui fait craindre le pire aux populations de Kpéaba, c’est qu’après l’invasion de l’armée guinéenne, les rapports entre elles et leurs voisins du village de Gonota, en Guinée, sont venus difficiles. Ces derniers subitement ont retrouvé de la voix et ne cesse de revendiquer la paternité des terres sur lesquelles est installé le village de Kpéaba. Chose que réfutent les habitants de ce village situé à 3 kms de la frontière guinéenne. Pour soutenir leurs propos, les habitants de Kpéaba rappellent à leurs frères de Gonota que la limite de la frontière qui est matérialisé par la rivière Zia se trouve bien au-delà de leur village. Mieux, les trois frères fondateurs du village, Bakayoko Zimodeu, Bakayoko Gbatosiekan et Loua Diomandé sont plutôt venus du village de Koulalé, en Côte d’Ivoire. Les soldats guinéens qui sont arrivés semblaient bien déterminés à changer cette situation. Aux dires des habitants, le ponceau situé entre Koulalé et Kpéaba, détruit par les soldats guinéens, est la limite entre les deux pays. Des champs de riz au-delà de ce ponceau que nous avons vu et qui appartiennent à des Ivoiriens, disent-ils, ont été détruits par les soldats venus de l’autre côté de la frontière pour les inciter à partir. « Nous sommes des Ivoiriens. Que le gouvernement ne nous oublie pas », nous ont confié les habitants restés sur place, quand nous les quittions pour rejoindre le chef du détachement des soldats guinéens qui venait d’arriver. Selon cet officier de l’armée guinéenne, leur présence en cet endroit se justifie par le fait la Guinée a toujours eu un poste avancé à Kpéaba qui date du temps du président Sékou Touré, premier président de la Guinée. « Nous sommes ici jusqu’à ce que nos autorités décident », nous a-t-il fait savoir. Pour le chef du village de Kpéaba, Diomandé Tonga Denis, aujourd’hui réfugié Koulalé, l’Etat devrait essayer de trouver une solution définitive à ce problème en matérialisant la délimitation de la frontière. « En 1997 j’ai été enlevé par des soldats guinéens et mis en prison à Guiasso, en Guinée. Si je me trouve ici, c’est parce que ma maison est actuellement occupée par des soldats guinéens. J’ai peur qu’ils ne m’arrêtent à nouveau », explique-t-il la voix nouée par l’émotion. Du côté de l’administration ivoirienne, l’on essaye de calme le jeu. Pour le préfet de Sipilou, Assamoi Florentin, que nous avons rentré, l’heure est à la sensibilisation. « Nous sensibilisons la population pour lui demander d’observer le calme et lui dire que l’Etat ne les oubliera pas », rassure-t-il. Car convaincu que la guerre n’est pas la solution au problème. « C’est pourquoi nous avons retiré nos forces du terrain. Nos deux Etats s’attèlent à gérer au mieux cette affaire dans l’intérêt de chacune de nos populations. Les superficies des deux pays sont connues. La Côte d’Ivoire c’est plus de 322 000km2», martèle-t-il. Aux dernières nouvelles, les soldats guinéens se seraient retirés de Kpéaba, le jour de notre passage à 18h.
Rahoul Sainfort, envoyé spécial
Rahoul Sainfort, envoyé spécial