«Monsieur, essuie-glace, enjoliveur, cric…. », des propositions de vente à la criée de pièces de véhicules de toute marque et de tout modèle qui vous accueillent dans le vacarme. Vous êtes bien à la fameuse casse d’Abobo, lieu emblématique qui rivalise avec tous les grands concessionnaires de vente de pièces de véhicules. La seule différence se situe entre la neuve et la récupérée. Délocalisée depuis janvier 2003 au quartier Anador, installée sur une superficie de 6 hectares, cette casse est un endroit où s'opèrent les plus grands négoces de l'industrie automobile artisanale. Il est quasiment impossible de ne pas avoir à portée de main et de prix vos besoins en pièces automobiles. Car tout y est. Des moteurs et autres accessoires au véhicule entier. Exprimez seulement vos besoins, il y a toujours une solution sur place pour vous, même la plus inimaginable. Mais au-delà du décor des activités commerciales officielles qui font vivre de nombreuses familles, il y a bien un arbre qui cache la forêt. En grattant le vernis qui recouvre l'ongle, une autre découverte, aussi vivante que l'énergie dont débordent les vendeurs, vous plaque au nez cette autre qui se coordonne de main de maître. Avec un réseau qui se confond aux ferrailles. La vente au détail de véhicules volés. Suivons.
La casse d'Abobo constitue la plus grande de toutes celles que compte la ville d'Abidjan. Ce mastodonte de la mécanique où se vendent pour la plupart toutes sortes de pièces détachées de véhicules importés d’Europe, d’Asie ou d’Afrique, s'est imposé comme un endroit qui concentre la plus grande activité commerciale de la commune. Le gagne-pain de personnes ivoiriennes et de la sous-région, en grand nombre. Quand, au cours de la crise armée de 2002, la casse d'Adjamé est partie en fumée, les plus tenaces des vendeurs ont pu reconstituer leur capital et se relocaliser à cet endroit. Selon les statistiques des autorités municipales, c'est une zone de concentration qui regorge plus de 10000 âmes et un nombre important de magasins. Le regard des riverains
La relocalisation fortuite de la casse à cet endroit est diversement appréciée par les riverains. Pour certains, comme dame Abiba vendeuse de denrées alimentaires depuis plus de 15 ans, la casse est aubaine pour ses affaires. «Avant, je vendais ma nourriture à Adjamé. Aujourd'hui, je vends sur place car presque tous mes clients se trouvent à la casse et moi ça m'arrange car je ne paye plus de frais de transport», se réjouit-elle. Ce qui n'est pas le cas de beaucoup d'autres, dans le voisinage qui voient en cette casse un nid de bandits, de bruits, de promiscuité et de toutes sortes de désagréments importés d'Adjamé. Avec la bienveillante caution de la mairie. «Quand les gens ont commencé à s'installer progressivement à partir de 2003, nous avons plusieurs fois saisi les autorités municipales sur le danger qui nous guette. Aujourd'hui voilà, on ne peut plus rien faire. On est tous coincé», fustige Coulibaly N., résident propriétaire dans les environs. Quels que soient les avis, la casse, elle continue de grouiller de son monde et de ses activités. Y compris avec l'absorption de véhicules volés et avec la célérité d'opération digne d'un mécanicien de Formule 1.
Le véhicule qui y arrive est dépiécé à la minute
La nuit de préférence. Loin des regards curieux, la livraison de la marchandise volée, surtout à l'issue d'un braquage, se fait selon une procédure bien huilée qui échappe à toute vigilance. Bon nombre de ceux qui animent le réseau de ravitaillement en pièces auto volées, sont des mécanos reconvertis qui s'adonnent à cette activité plus juteuse que les heures infructueuses passées dans un garage à attendre un hypothétique véhicule en panne. Selon un de nos informateurs, ces mécaniciens travailleurs au noir, se sont vaillamment illustrés dans le dépiéçage de véhicules arrachés aux particuliers à partir du 31 mars 2011. À cette époque, la crise avait atteint son pic avec l'invasion des communes comme Cocody. Il estime à plus de 500 véhicules arrachés arme au poing au cours de ce mois, qui sont passés aux mains des dépeceurs. Mais impossible pour un propriétaire d'avoir la chance de retrouver un seul indice le menant à son véhicule. Tout est dissimulé et confondu dans la masse de ferrailles détachées destinée à la vente.
Aussi rapide que des mécaniciens d'une course de formule 1
Selon un réseau qui nous a été partiellement mais vraisemblablement décrit, le véhicule qui y arrive après une opération donnée, n'a au plus qu'une heure pour survivre à sa posture originelle. Les intermédiaires s'affairent à le faire disparaître dans un entrepôt officiellement pris pour la vente de pièces ou la réparation de véhicules. Une liaison bien discrète permet d'effectuer en toute sérénité les opérations jusqu'à la finition complète. Pour les sous-produits obtenus, des passeurs d'un deuxième chainon attendent de les récupérer et les insérer dans les circuits de vente. Même l'œil averti d'un fin limier ne pourrait déceler la moindre trace du passage du véhicule en bloc en compartiments. Des marchandises livrées aussi discrètement qu'elles ont été obtenues à un troisième chainon, celui des revendeurs qui n'ont rien à redouter d'éventuels ennuis.
Le point de chute et la valeur marchande des pièces
Pour la majorité des revendeurs, ivoiriens du Nord mais surtout des Guinéens, c'est la discrétion totale. Personne n'ose dire comment il a obtenu sa marchandise. Pour le raccourci, ce sont plutôt des pièces obtenues de l'import ou tout simplement de véhicules accidentés. Mais pour les initiés de la caste, de nombreuses pièces ont une origine douteuse. Impossible cependant de démêler les unes des autres. C'est la fonte totale qui s'offre aux clients au détail ou en gros. Un petit tour côté prix, nous offre le panorama suivant pour ce qui est des parties maîtresses de l'engin, selon les marques et les modèles :le bloc moteur livré entre 150 000 et 250 000 au prix de gros, le démarreur, les écrous et boulons, les alternateurs, les batteries, la pompe à injection moteur à diesel, le carburateur pour moteur à essence, passent aussi par des prix tout alléchants que les premiers articles. Les pare-brises, la pneumatique et les autres composantes du véhicule n'échappent pas à la règle. Mais la partie visible de l'iceberg subit un traitement de choc pour parer à toute éventualité. En effet, le châssis de la voiture qui constitue la partie la moins dissimulable et plus facile à repérer, est cisaillé et vendu comme tel, à des ferrailleurs d'une autre catégorie. Notamment les fabricants artisanaux d'ustensiles de cuisine qui s'approprient aussi les plaques d'immatriculations, et les sous-pièces du châssis.
Nous faisant passer pour des acheteurs de marmites en quantités importantes, nous avons pu tirer la langue de KabaH, fabricant-vendeur de marmite installé au quartier Pk18. Sur l'origine de sa matière première, voici sa version. «Nous, on nous livre de partout. On a les gens qui ont les pousse-pousse avec les ferrailles ramassés ou achetés qui nous livrent. Mais c'est surtout de la casse à Anador qu'on nous livre», indique-t-il, non sans avouer implicitement que les plaques d'immatriculation qui constituent d'ailleurs la meilleure matière première, ont une provenance qu'il ignore. Cependant, à l'en croire, il redoute les ennuis liés à l’achat d'un article. C'est pourquoi, dit-il, il prend toujours toutes ses précautions. Et ce qu'il entend par précaution, c'est la rapidité avec laquelle il fait fondre la marchandise, surtout les plaques d'immatriculations.
Les commissariats du 21e et du 14e arrondissement impuissants
Les autorités policières qui semblent être au parfum de tout ce qui se trame au cœur de la casse d'Anador, brillent par leur inertie. Nous voulons pour preuves ces nombreuses plaintes de particuliers, mais restées sans suite. À en croire un officier du 21e arrondissement qui a requis l'anonymat, les plaintes qui sont introduites pour des cas de véhicules braqués connaissent difficilement des dénouements heureux. Il avoue les difficultés à mener à terme une enquête suite à une voiture volée. Pour la simple raison qu'ils n'ont pas les moyens de leur politique. À la question de savoir ce qu'il en entend par «les moyens de leur politique», il n'en dira pas plus. Mais après avoir jeté quelques regards fouineurs, nous nous sommes aperçus que la police est bien impuissante face à une mafia qui a des ramifications qui dépassent la compétence des hommes de loi. Ce qui fait dire à un de nos interlocuteurs que les casseurs continueront toujours de casser au nez et à la barbe de la police. Pour preuve, il y a de cela 6 mois, un particulier a pu suivre les traces de son véhicule qui venait de lui être arraché. Le véhicule a pu être repéré grâce à un système Gps fourni par une entreprise de télésurveillance qui lui offre ses services. Malgré la plainte instantanée et la localisation effective avant dépiéçage du véhicule, la police n'a pu bouger. Le malheureux continue de se poser des questions. Ce cas unique est symptomatique de l'impuissance de la police face à une organisation bien plus alerte et qui ne semble rien craindre de la force régalienne. Pendant ce temps, rien n'est fait pour démanteler ce réseau labyrinthe aux ramifications insoupçonnées. Ce qui revient à dire que la vente des pièces auto a encore de beaux jours devant elle, quelle que soit leur origine.
Marcel Dezogno
La casse d'Abobo constitue la plus grande de toutes celles que compte la ville d'Abidjan. Ce mastodonte de la mécanique où se vendent pour la plupart toutes sortes de pièces détachées de véhicules importés d’Europe, d’Asie ou d’Afrique, s'est imposé comme un endroit qui concentre la plus grande activité commerciale de la commune. Le gagne-pain de personnes ivoiriennes et de la sous-région, en grand nombre. Quand, au cours de la crise armée de 2002, la casse d'Adjamé est partie en fumée, les plus tenaces des vendeurs ont pu reconstituer leur capital et se relocaliser à cet endroit. Selon les statistiques des autorités municipales, c'est une zone de concentration qui regorge plus de 10000 âmes et un nombre important de magasins. Le regard des riverains
La relocalisation fortuite de la casse à cet endroit est diversement appréciée par les riverains. Pour certains, comme dame Abiba vendeuse de denrées alimentaires depuis plus de 15 ans, la casse est aubaine pour ses affaires. «Avant, je vendais ma nourriture à Adjamé. Aujourd'hui, je vends sur place car presque tous mes clients se trouvent à la casse et moi ça m'arrange car je ne paye plus de frais de transport», se réjouit-elle. Ce qui n'est pas le cas de beaucoup d'autres, dans le voisinage qui voient en cette casse un nid de bandits, de bruits, de promiscuité et de toutes sortes de désagréments importés d'Adjamé. Avec la bienveillante caution de la mairie. «Quand les gens ont commencé à s'installer progressivement à partir de 2003, nous avons plusieurs fois saisi les autorités municipales sur le danger qui nous guette. Aujourd'hui voilà, on ne peut plus rien faire. On est tous coincé», fustige Coulibaly N., résident propriétaire dans les environs. Quels que soient les avis, la casse, elle continue de grouiller de son monde et de ses activités. Y compris avec l'absorption de véhicules volés et avec la célérité d'opération digne d'un mécanicien de Formule 1.
Le véhicule qui y arrive est dépiécé à la minute
La nuit de préférence. Loin des regards curieux, la livraison de la marchandise volée, surtout à l'issue d'un braquage, se fait selon une procédure bien huilée qui échappe à toute vigilance. Bon nombre de ceux qui animent le réseau de ravitaillement en pièces auto volées, sont des mécanos reconvertis qui s'adonnent à cette activité plus juteuse que les heures infructueuses passées dans un garage à attendre un hypothétique véhicule en panne. Selon un de nos informateurs, ces mécaniciens travailleurs au noir, se sont vaillamment illustrés dans le dépiéçage de véhicules arrachés aux particuliers à partir du 31 mars 2011. À cette époque, la crise avait atteint son pic avec l'invasion des communes comme Cocody. Il estime à plus de 500 véhicules arrachés arme au poing au cours de ce mois, qui sont passés aux mains des dépeceurs. Mais impossible pour un propriétaire d'avoir la chance de retrouver un seul indice le menant à son véhicule. Tout est dissimulé et confondu dans la masse de ferrailles détachées destinée à la vente.
Aussi rapide que des mécaniciens d'une course de formule 1
Selon un réseau qui nous a été partiellement mais vraisemblablement décrit, le véhicule qui y arrive après une opération donnée, n'a au plus qu'une heure pour survivre à sa posture originelle. Les intermédiaires s'affairent à le faire disparaître dans un entrepôt officiellement pris pour la vente de pièces ou la réparation de véhicules. Une liaison bien discrète permet d'effectuer en toute sérénité les opérations jusqu'à la finition complète. Pour les sous-produits obtenus, des passeurs d'un deuxième chainon attendent de les récupérer et les insérer dans les circuits de vente. Même l'œil averti d'un fin limier ne pourrait déceler la moindre trace du passage du véhicule en bloc en compartiments. Des marchandises livrées aussi discrètement qu'elles ont été obtenues à un troisième chainon, celui des revendeurs qui n'ont rien à redouter d'éventuels ennuis.
Le point de chute et la valeur marchande des pièces
Pour la majorité des revendeurs, ivoiriens du Nord mais surtout des Guinéens, c'est la discrétion totale. Personne n'ose dire comment il a obtenu sa marchandise. Pour le raccourci, ce sont plutôt des pièces obtenues de l'import ou tout simplement de véhicules accidentés. Mais pour les initiés de la caste, de nombreuses pièces ont une origine douteuse. Impossible cependant de démêler les unes des autres. C'est la fonte totale qui s'offre aux clients au détail ou en gros. Un petit tour côté prix, nous offre le panorama suivant pour ce qui est des parties maîtresses de l'engin, selon les marques et les modèles :le bloc moteur livré entre 150 000 et 250 000 au prix de gros, le démarreur, les écrous et boulons, les alternateurs, les batteries, la pompe à injection moteur à diesel, le carburateur pour moteur à essence, passent aussi par des prix tout alléchants que les premiers articles. Les pare-brises, la pneumatique et les autres composantes du véhicule n'échappent pas à la règle. Mais la partie visible de l'iceberg subit un traitement de choc pour parer à toute éventualité. En effet, le châssis de la voiture qui constitue la partie la moins dissimulable et plus facile à repérer, est cisaillé et vendu comme tel, à des ferrailleurs d'une autre catégorie. Notamment les fabricants artisanaux d'ustensiles de cuisine qui s'approprient aussi les plaques d'immatriculations, et les sous-pièces du châssis.
Nous faisant passer pour des acheteurs de marmites en quantités importantes, nous avons pu tirer la langue de KabaH, fabricant-vendeur de marmite installé au quartier Pk18. Sur l'origine de sa matière première, voici sa version. «Nous, on nous livre de partout. On a les gens qui ont les pousse-pousse avec les ferrailles ramassés ou achetés qui nous livrent. Mais c'est surtout de la casse à Anador qu'on nous livre», indique-t-il, non sans avouer implicitement que les plaques d'immatriculation qui constituent d'ailleurs la meilleure matière première, ont une provenance qu'il ignore. Cependant, à l'en croire, il redoute les ennuis liés à l’achat d'un article. C'est pourquoi, dit-il, il prend toujours toutes ses précautions. Et ce qu'il entend par précaution, c'est la rapidité avec laquelle il fait fondre la marchandise, surtout les plaques d'immatriculations.
Les commissariats du 21e et du 14e arrondissement impuissants
Les autorités policières qui semblent être au parfum de tout ce qui se trame au cœur de la casse d'Anador, brillent par leur inertie. Nous voulons pour preuves ces nombreuses plaintes de particuliers, mais restées sans suite. À en croire un officier du 21e arrondissement qui a requis l'anonymat, les plaintes qui sont introduites pour des cas de véhicules braqués connaissent difficilement des dénouements heureux. Il avoue les difficultés à mener à terme une enquête suite à une voiture volée. Pour la simple raison qu'ils n'ont pas les moyens de leur politique. À la question de savoir ce qu'il en entend par «les moyens de leur politique», il n'en dira pas plus. Mais après avoir jeté quelques regards fouineurs, nous nous sommes aperçus que la police est bien impuissante face à une mafia qui a des ramifications qui dépassent la compétence des hommes de loi. Ce qui fait dire à un de nos interlocuteurs que les casseurs continueront toujours de casser au nez et à la barbe de la police. Pour preuve, il y a de cela 6 mois, un particulier a pu suivre les traces de son véhicule qui venait de lui être arraché. Le véhicule a pu être repéré grâce à un système Gps fourni par une entreprise de télésurveillance qui lui offre ses services. Malgré la plainte instantanée et la localisation effective avant dépiéçage du véhicule, la police n'a pu bouger. Le malheureux continue de se poser des questions. Ce cas unique est symptomatique de l'impuissance de la police face à une organisation bien plus alerte et qui ne semble rien craindre de la force régalienne. Pendant ce temps, rien n'est fait pour démanteler ce réseau labyrinthe aux ramifications insoupçonnées. Ce qui revient à dire que la vente des pièces auto a encore de beaux jours devant elle, quelle que soit leur origine.
Marcel Dezogno