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Société Publié le mercredi 29 mai 2013 | Le Patriote

Adama Sankara (Président de l’association des Ivoiriens d’origine burkinabé en Côte d’Ivoire) : « Si la loi était appliquée, on aurait moins de 5% d’étrangers en Côte d’Ivoire»

La question de la nationalité a toujours soulevé des débats controversés en Côte d’Ivoire. Adama Sankara, chef du fichier des permis de conduire à la Direction des Transports terrestres et de la Circulation (DGTTC), par ailleurs président de l’association des Ivoiriens d’origine burkinabé se prononce, dans cet entretien, sur ce délicat sujet et exhorte les autorités à l’application des textes juridiques.

Le Patriote : Comment est née l’association des Ivoiriens d’origine burkinabé et quels en sont les objectifs ?

Adama Sankara : Notre association est née le 10 août 1988 à Koumassi, chez feu Ouédraogo Tiémoko Boniface, ex-maire de ladite commune et ex-conseiller économique et social. Et comme toute association poursuit un but, la nôtre visait à attirer l’attention des autorités ivoiriennes sur un certain nombre d’injustice liée à la nationalité ivoirienne et qui pouvait si l’on n’y prenait garde déboucher sur une grave crise.

L P : Lesquelles pour être précis ?

AS : C’est que, selon la loi ivoirienne, beaucoup d’entre nous devraient pouvoir être Ivoiriens, sans passer nécessairement par la procédure de naturalisation. C’est la loi N°61-415 du 14 décembre 1961 portant code de la nationalité ivoirienne et dont l’article 17 stipule que tout enfant né en Côte d’ivoire est Ivoirien par déclaration. C’est-à-dire que dès lors que cet enfant est déclaré dans une mairie, il est Ivoirien. Et le seul élément de preuve que la personne doit apporter, c’est son extrait de naissance ou son jugement supplétif. Cependant, nous avons remarqué que lorsque nous allons à la justice pour demander un certificat de nationalité, on nous demande de fournir un décret de naturalisation. Comment peut-on demander à des Ivoiriens, conforment à la loi citée ci-haut, d’apporter un décret de naturalisation qui n’existe pas. Cette difficulté avec la justice nous a fait prendre conscience très tôt de la nécessité de nous organiser en association. C’est ainsi qu’est née notre association.

LP: Et comment aviez-vous abordé la question avec les autorités à l’époque ?
AS: Nous avons trouvé une oreille attentive auprès des autorités d’alors. Puisque le 12 novembre 1993, notre association a été reçu par le président Henri Konan Bédié, alors président de l’Assemblée nationale, à son domicile. Celui-ci s’était montré très attentif à notre préoccupation. Pour preuve, lorsqu’il est devenu président de la République, il a mis en place un ministère chargé de l’Intégration nationale, dont le titulaire était le ministre Laurent Dona Fologo, pour régler cette question. Malheureusement, il s’est trouvé des personnes autour du président Bédié ne voyaient d’un bon œil le règlement de ce problème. Ce qui va l’amener à prendre, en lieu et place d’un règlement définitif, des problèmes que nous avons soulevés, un décret pour naturaliser 15.000 de nos compatriotes vivant à Bouaflé.

LP : C’était tout de même un geste fort de sa part sur un sujet considéré comme politique ?

AS : Evidemment, le sujet est politique. Mais la particularité de cette naturalisation est qu’elle est collective. En principe, selon la loi ivoirienne, quand tu es naturalisé, tu dois attendre cinq ans pour jouir de tes premiers droits, et dix ans pour être éligible. La particularité donc du décret de Bédié, c’est que les 15.000 naturalisés ont été exemptés de ces incapacités. C’était un grand pas que le président Bédié venait de faire dans sa politique d’intégration. Notre association voudrait ici lui renouveler notre gratitude.

LP : Mais à vous entendre, la prise de décret de naturalisation n’était pas la solution idéale ?

AS : Beaucoup de gens parlent de la nationalité sans savoir de quoi cela répond. La nationalité, c’est le lien juridique entre un individu et un Etat reconnu par les instances de l’ONU. Or sous l’ancien régime, la nationalité était définie selon le lien entre l’individu et son patronyme. Voilà là où réside le problème de la nationalité, qui a fait du tort à la Côte d’Ivoire. Nous savons que la Côte d’ivoire a eu son indépendance le 07 août 1960. Si on reste sur ce principe, cela voudrait dire que tous ceux qui sont nés avant cette date ne sont pas Ivoiriens. Puisque la nationalité qui existait avant était la nationalité française. A preuve, et vous pouvez le vérifier, tous ceux qui sont nés avant cette date ont leur dossier à Nantes en France. Quand j’étais là-bas, j’ai voulu prendre la nationalité française et je suis allé à la préfecture et on m’a orienté à Nantes. Là bas, ils appellent cette procédure la réintégration. On a donc ceux qui sont nés avant le 07 août 1960 et ceux qui sont nés après. Et pour ceux qui sont nés après, il a fallu attendre un an avant que la Côte d’Ivoire se dote de son premier code de nationalité qui est la loi °61-415 du 14 décembre 1961.

LP : Mais cette loi a été entre-temps modifiée en 1972…

AS : Certes, cette loi a été modifiée en 1972, mais à quelle fin ? Nous nous demandons pourquoi la loi de 1961 a été modifiée en 1972. Qu’est-ce qui a bien pu motiver les députés à changer cette loi pour qu’elle stipule que désormais, sont Ivoiriens les personnes nées des deux parents ivoiriens, celles nées d’un parent ivoirien ou encore les conjoints des époux ivoiriens ?

LP: La Côte d’Ivoire est tout de même un pays souverain, libre d’adopter les lois qu’elle veut ?

AS : J’en conviens et, d’ailleurs, personne ne remet en cause cela. Les lois que les députés votent doivent être respectées et par les Ivoiriens eux-mêmes et par les étrangers. Et ce que nous demandons ne sort pas de nos droits. Quand on donne des droits aux gens, il faut les appliquer. La loi n’étant pas rétroactive, nous nous sommes dit que s’il y a des gens qui sont nés avant 1972 et qui peuvent le prouver, ils ont droit à ce qu’on leur délivre un certificat de nationalité. Et il suffit dans ce cas que ces personnes s’adressent au président du tribunal ou au juge de section de leur lieu de résidence pour l’obtention de leur certificat.

LP : Vos préoccupations ont fini par être prises en compte par les accords de Marcoussis en 2003. Etait-ce l’aboutissement d’un combat, à votre avis?

AS : Ce n’est pas l’aboutissement d’un combat, mais la mise en exergue de la justesse et la pertinence de ce combat. Je suis à l’aise quand vous parlez de Marcoussis. Parce que cela me permet de rendre hommage au ministre Cissé Ibrahim Bacongo qui a été celui qui a soulevé ce sujet à Marcoussis. A cette époque, il faut le reconnaître, le ministre Cissé Bacongo n’était pas soutenu dans ce combat, même dans son parti. Dans son propre parti, il y a eu des gens qui n’ont pas manqué de lui dire de laisser tomber. La question en fait dérangeait beaucoup bien qu’elle ait une base juridique. Et quand bien même le sujet était évident, il fallait du courage pour l’évoquer.

LP : Pourquoi dites-vous cela ?

AS : Vous étiez dans ce pays pendant la crise et vous n’ignorez pas que le parti du rassemblement des républicains (ndlr : RDR) était traité de parti des étrangers. Que n’a-t-on pas dit d’ailleurs au sujet de son président dans ce pays. L’histoire est encore récente. Pourtant, la nationalité n’est pas une question politique, mais juridique. D’ailleurs, pour revenir à Marcoussis, il faut rappeler que ce conclave a été dirigé par un grand constitutionaliste Français en la personne de Pierre Mazeaud. Quand on a présenté à ce dernier, à sa demande, les deux codes de nationalité ivoirienne, il était surpris de constater qu’il n’y avait aucun problème. Il a même demandé aux protagonistes quel était le problème. C’est ainsi qu’on lui a dit que le problème résidait dans l’application de la loi.

LP : N’était-ce pas une injure faite à nos magistrats que de tenir un tel raisonnement?
AS : Il appartenait aux magistrats d’en tirer les leçons qui plutôt que de dire le droit, ont préféré faire de la politique. Mais ce que je voudrais relever ici, c’est que beaucoup de personnes tentent de faire croire que Marcourssis a demandé la naturalisation, des étrangers. C’est totalement faux. Marcoussis demande un règlement simple et accessible conformément à la loi. En clair, cela revient à appliquer la loi de 1961 pour ceux qui y ont droit. Or cette loi ne parle pas de naturalisation mais d’acquisition de la nationalité ivoirienne par déclaration. La nuance est d’importance. Mais quand ils sont revenus de Marcoussis, nous avons vu que Mme Henriette Dagri Diabaté qui était ministre de la Justice et Garde des sceaux à l’époque n’a pas pu présenter son projet de loi au parlement. Elle a dû se retirer et ce sont les députés FPI et PDCI qui ont continué et adopté la loi N°2004-663 du 17 décembre 2004 qui a été contestée. Cela a valu un autre voyage à Pretoria en Afrique du Sud. Même les juristes sud africains chargés de résoudre cette question ont reconnu que ce qui a été fait à l’Assemblée nationale n’était pas conforme à Marcoussis. Ils ont donc demandé au président de la République de prendre une ordonnance pour rendre les lois conformes à l’esprit de Marcoussis. Et le président a préféré pendre des décisions présidentielles, notamment la décision 2005-04/PR du 15 juillet 2005 et la décision N°2005-10/PR du 15 juillet 2005. Donc en lieu et place d’une ordonnance pour rendre conforme les lois, le président Laurent Gbagbo a préféré prendre des décisions présidentielles pour confirmer ce qui a été voté à l’Assemblée nationale. Tout cela visait à amener les gens à la naturalisation.

LP: Pourquoi l’ancien régime tenait tant à la naturalisation plutôt qu’au terme « acquisition » de la nationalité, selon vous ?

AS : L’ancien régime était dans une logique politique. Parce qu’en procédant par la naturalisation, il se disait que les naturalisés seraient astreints à cinq ans d’incapacité. Donc, ils ne pourraient pas voter dans l’immédiat. Or l’acquisition donnait droit ipso facto au droit de vote et bien plus. C’est parce qu’on a estimé que la plupart des personnes concernées étaient des burkinabè. Et que qui dit burkinabé, dit le RDR, et donc dit Alassane Ouattara. Voici comment les gens percevaient la nationalité au détriment de la loi.

LP : Ne pensez-vous pas que l’ex-régime avait des raisons d’être inquiet au regard du nombre important d’étrangers en Côte d’Ivoire ?

AS : Ce n’était pas une question d’humeur ou de calculs politiques, mais une question juridique concernant la vie de citoyens. Et puis, de quel nombre parle-t-on ? En se référant à l’histoire, on ne saurait s’étonner de la forte présence d’étrangers en Côte d’Ivoire. Comment le peuplement de ce pays s’est fait. De 1932 à 1947, le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire n’était qu’un seul et même pays, la haute et la basse Côte d’Ivoire. Pourquoi alors s’étonner qu’un Ouédraogo, ou un Zoungrana soit chef de service quelque part dans l’administration ivoirienne ? Heureusement ou malheureusement, la crise foncière est venue rappeler à beaucoup d’Ivoiriens que ce n’est pas seulement le burkinabé qui est étranger. Quand le baoulé s’est vu lui aussi chasser de son champ et traité d’étranger. Sinon, comment un pays qui doit son développement aux étrangers peut s’étonner de leur nombre ? Les gens sont venus du Ghana, du Libéria, du Burkina Faso et j’en passe. C’est comme ça que ce pays a été construit. Ce pays n’a que cinquante trois ans. Vous trouverez à Bassam des Ivoiriens qui vont au Ghana chez leurs parents et vice-versa. A Bondoukou, c’est la même chose. A l’ouest, les guéré et les yacouba ont leurs parents au Libéria. Mais quand Sankara veut aller au Burkina chez ses parents, on trouve qu’il y a problème. Quand on veut être un grand pays, on ne diabolise pas ce qui fait sa grandeur. Il faut que l’on sache que c’est l’amour et l’hospitalité qui ont développé ce pays. C’est parce que ce pays s’est ouvert aux autres qu’il est ce qu’il est aujourd’hui. La Guinée, par exemple, est un pays très riche en ce qui concerne son sous-sol, mais pourquoi le Burkina qui est un pays enclavé est en avance sur le plan économique sur ce pays. La raison est simple. C’est parce que la Guinée est restée pendant longtemps un pays fermé. Quand il fallait creuser le Canal de Vridi, bâtir le pont Félix Houphouët-Boigny et poser les rails, les patriotes qui parlent d’étrangers étaient où ? Quand il fallait créer et entretenir les plantations qui font de la Côte d’Ivoire le premier producteur mondial du cacao, ceux qui parlent d’étrangers étaient où ? Le Burkina et la côte d’Ivoire sont comme deux frères siamois.

LP: A vous entendre, la forte présence des étrangers en Côte d’Ivoire est un atout pour le pays ?

AS : Evidemment et vous ne trouverez personne pour soutenir le contraire. Aucun pays ne peut vivre et se développement en autarcie. Les pays développés doivent leur développement en partie aux étrangers. En Côte d’Ivoire, si la loi était appliquée, normalement, on aurait moins de 5% d’étrangers. On dit qu’au Sénégal, il y seulement 1% d’étranger, mais c’est bien parce que ce pays dispose d’une bonne loi en ce qui concerne la nationalité. En Côte d’Ivoire, sous l’ancien régime, la nationalité était définie selon le lien entre l’individu et son patronyme. Comme s’il existait un répertoire de noms ivoiriens et d’étrangers au tribunal que les juges consultent chaque fois qu’un requérant sollicite un acte. Je le répète, en Côte d’ivoire, le problème c’est la mauvaise application des lois.

LP: A combien estimez-vous aujourd’hui le nombre de burkinabé naturalisé en Côte d’Ivoire?

AS : Je n’ai pas de chiffres exacts, mais ils sont estimés entre 200.000 et 300.000 personnes. Ce qui est très peu par rapport au chiffre de 3 à 4 millions de burkinabé vivant dans ce pays. Les premiers décrets de naturalisation en Côte d’Ivoire datent de 1980 alors que la loi a été votée en 1961. C’est-à-dire qu’il a fallu attendre 21 ans. Ce qui représente aussi 21 ans d’injustice. Après cette vague, il a fallu attendre en 95, soit 15 ans encore d’injustice pour voir le président Bédié signer des décrets de naturalisation. C’est une avancée, certes, mais ce n’est pas la loi qui est appliquée. Comment des gens qui vivent sur un même territoire, il y a une partie qu’on naturalise et l’autre partie ne l’est pas. La plupart des hauts cadres de l’administration burkinabé sont nés ici en Côte d’ivoire et sont repartis à cause des problèmes de la nationalité. L’actuel ministre burkinabé des Mines est né ici à vridi tout comme moi. Mais moi je suis dans la fonction publique ivoirienne et sans complexe.

LP: Qu’est-ce que l’association des Ivoiriens d’origine burkinabé attend alors concrètement de la loi sur la nationalité ivoirienne?

AS : Nous n’attendons rien d’autre que l’application de la loi. C’est l’injustice qui engendre des crises. La grave crise que nous avons vécue est la résultante d’un certain nombre de comportements et de propos tenus par certains hommes politiques. Ceux-là pour atteindre leurs objectifs, ont inoculé des idées nocives à la population. Idées selon lesquelles une catégorie d’Ivoiriens ne seraient pas des vrais Ivoiriens et que la crise économique que nous vivons serait le fait que les étrangers qui pillent le pays. C’est de ces propos mensongers et irresponsables que l’exclusion est née. Il y a donc pas d’ambiguïté aujourd’hui, le président Alassane Ouattara n’a même pas besoin de prendre une ordonnance. Les lois existent, il suffit tout simplement de dire aux magistrats d’appliquer la loi. On n’a même pas besoin de voter de loi, parce que la Côte d’ivoire a ratifié la charte universelle des droits de l’homme qui consacre le droit de sol.

LP : La question de la nationalité a toujours déchaîné des débats passionnés en Côte d’Ivoire. L’actuel pouvoir ne s’attirerait-il pas des critiques en donnant suite à l’application des textes?

AS : Qui plus que le président Alassane Ouattara a souffert de la nationalité en Côte d’Ivoire ? L’actuel président de l’Assemblée nationale avait été aussi victime de la nationalité quand lors d’un contrôle de pièce sur le pont De Gaule, en compagnie d’un ami, un policier avait demandé à ce dernier qu’est-ce qu’il faisait avec un étranger. Parlant de Soro. C’est ce jour-là que Soro dit avoir mesuré l’ampleur de la question identitaire. D’ailleurs, c’est par une révolution que la crise s’est achevée. Et le président Guillaume Soro l’a dit et je le cite: « La cause préjudicielle de la crise que la Côte d’Ivoire a traversée, c’est le problème identitaire». Ça veut dire que les actuelles autorités cernent pleinement le sujet. Il y a donc pas mille manières de régler ce problème en dehors de l’application de la loi. Je voudrais ici rendre hommage au président de l’assemblée nationale, Guillaume Soro qui a combattu le bon combat pour que la Côte d’Ivoire redevienne un pays de droit. La jeunesse africaine doit prendre l’exemple sur lui.

Réalisée par Alexandre Lebel Ilboudo
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