Si la mort ne l’avait pas fauché tôt, il serait aujourd’hui peut-être le plus grand artiste musicien de toute l’histoire de la Côte d’Ivoire. Mais, son nom figure déjà en lettres d’or au panthéon de la musique ivoirienne. Jeudi 9 juin 1983, Ernesto Djédjé, puisque c’est de lui qu’il s’agit, décède subitement à l’hôpital de Yamoussoukro. Pris d’un malaise dans sa chambre d’hôtel où il se reposait, de retour d’une tournée au Burkina Faso, le chanteur y avait été admis urgemment, pour les premiers soins en attendant une évacuation sur Abidjan, à l’époque la capitale politique ivoirienne. Ernesto Djédjé avait à peine 35 ans. 30 ans après, sa disparition reste toujours un mystère. Et ses raisons, encore inconnues. Selon une enquête du défunt hebdomadaire Ivoire Dimanche (I.D), menée par Diégou Bailly, en collaboration avec Jérôme Carlos, et parue dans I.D n°646 du 26 juin1983, Ernesto Djédjé a dit aux médecins qu’il souffrait d’un ulcère. Ce que, d’après ces confrères, les médecins n’ont jamais voulu confirmer ou infirmer, parce que tenus par le secret professionnel. Il serait mort, rapporte le journal, à la suite de l’évolution rapide d’un mal qu’il traînait depuis longtemps, tout en épiloguant sur l’hypothèse d’une péritonite, d’autant que l’artiste aux favoris aurait, écrivent les deux journalistes, pris quatre cachets d’aspirine les 6 et 7 juin. Soit trois et deux jours avant son décès. Pour ses proches, il aurait été victime d’un empoisonnement lors d’un repas à Yamoussoukro ou encore de la sorcellerie, thèse que soutenait, sa mère, aujourd’hui décédée, dans les colonnes d’ID n°748 du 9 juin 1985. Qu’importe, sa mort est un terrible choc pour la Côte d’Ivoire. La nation est en émoi. Elle vient de perdre le plus célèbre ambassadeur de sa musique. Le 30 juillet 1983, il est inhumé à Tahiraguhé, après des funérailles grandioses marquées par la prestation de plusieurs artistes entre autres Johnny Lafleur, Alpha Blondy, Allah Thérèse…
C’est en 1947, à Tahiraguhé, dans la région de Daloa, que naît Ernest Djédjé Blé Loué. Son père, un certain Touré, est un homme d’affaires originaire du Sénégal. Sa mère, Dapia Blé, fonctionnaire de l’église baptiste «œuvre et missions» est Bété. Très tôt, Touré abandonne son fils pour émigrer en République Centrafricaine, pour devenir, aux côtés, de l’Empereur Bokassa, Imam de Bangui. Le jeune Ernest grandit donc avec sa mère et son oncle Blé Loué, dont il portera finalement le nom à l’état-civil. Très vite, il développe de bonnes prédispositions pour le chant et la danse et s’attire la sympathie des chansonniers de Tahiraguhé. A 10 ans, Ernest Djédjé est initié au «Tohourou», un rythme du terroir bété, qui lui permet de s’aguerrir au chant. A 16 ans, il monte, avec son «pote» Mamadou Konté, «Les Antilopes», un orchestre de fortune. Au sein de cette formation, il s’outille au maniement de la guitare. Et le groupe se produit à Daloa et ses localités environnantes. En 1965, Amédée Pierre le remarque à Vavoua, et l’enrôle aussitôt dans son orchestre «Ivoiro-Star». Il en devient rapidement le chef, et y apprend à jouer de la guitare métallique. Mais, le jeune homme nourrit de grandes ambitions. En 1968, son BEPC en poche, Ernest Djédjé choisit de partir pour la France. A Paris, il étudie l’informatique, puis rentre en Côte d’Ivoire où il est recruté comme responsable culturel à l’ARSO (Autorité pour l’aménagement de la région du sud-ouest) à San Pedro. Avec l’aide d’Emmmanuel Dioulo, son pataron, il monte le « San-Pedro Orchestra », avant de regagner la France.
Un artiste complet et
un gros travailleur
Et en 1970, il enregistre son premier album intitulé «Anowa», un 45 tours, mélange de soul, rythm & blues, et de jerk dance. Les arrangements sont assurés par Manu Dibango. C’est le début de sa marche vers la gloire. Entre 1970 et 1973, Ernesto Djédjé enchaîne les œuvres musicales «N'wawuile/ N'koiyeme», «Mamadou Coulibaly», «Zokou Gbeuly»… au total, six disques qui connaissent tous un franc succès en Côte d’Ivoire. Et en 1973, précédé d’une belle réputation, il rentre au pays. Dans sa tête, il sait ce qu’il veut : révolutionner la musique ivoirienne. Ernesto Djédjé mêle donc habilement disco danse, rumba, makossa et musique du terroir bété. Il accentue ses recherches dans la tradition et signe, en 1975, «Aguissè», l’album dont le titre-éponyme devient une chanson culte. Avec le producteur Raïmi Gbadamassi dit Badmos, il part à Lagos, au Nigéria, et y découvre l’afrobeat de Fela Anikulapo Kuti, savant dosage de sonorités yoruba, funk, jazz et highlife. Séduit, Ernesto Djédjé décide de le mêler aux chants lyriques du «tohourou», ainsi qu’au disco et à la percussion traditionnelle de Côte d’Ivoire. Cette rythmique nouvelle, qu’il vient de créer, est baptisée Ziglibithy. Sous la houlette de Badmos, Ernesto Djédjé sort en 1977 son premier 33 tours, une œuvre enregistrée à Lagos qui s‘intitule « Ziboté ». Le succès est phénoménal aussi bien en Côte d’Ivoire que dans la sous-région. Ernesto Djédjé devient dans la foulée avec son ziglibithy, le « Gnoantré (épervier en bété) national». Peu après, celui qui vient d’être élu meilleur musicien de l’année par ID crée «Les Ziglibithiens». Diabo Steck est à la batterie, Bamba Yang au clavier et à la guitare. Dans ses rangs, l’orchestre compte aussi des noms comme Léon Sina, Eugène Gba, Yodé, Tagus, Assalé Best, Abou et Youbla. Sans oublier John Mayal, qui deviendra Yalley, qui fait office de danseur auprès d'Ernesto Djédjé. Avec ce groupe composé de musiciens talentueux, il sort l'album Les “Ziglibithiens” en 1978. L’année suivante, il met sur le marché « Golozo » et, en 1980, «Azonadé ». En 1981, c’est l'album «Zouzou Palegu» qu’il jette dans les bacs. Douze plus tard, il sort «Tizeré », avec le titre « Konan Bédié» en hommage à cet illustre homme politique et une autre, dédiée au président Félix Houphouët-Boigny, intitulé «Houphouët-Boigny Zeguehi». Ce sera son dernier album… De l’avis de plusieurs musicologues, Ernesto Djédjé était complet : génial auteur-compositeur-interprète, talentueux instrumentiste, danseur hors pair. Il savait tout faire et en plus, il le faisait bien. Très bien même. Sur scène, il était tout simplement époustouflant. Avec son pantalon «patte d’éléphant», ses souliers en cuirs brillants et surtout ses déhanchés qui déchaînaient les passions lors de ses prestations. Enfin, Ernesto Djédjé, avec son 1,98m pour 95kg, était un forçat du travail, qui ne s’arrêtait que quand il pensait avoir atteint la perfection. C’est cela aussi la marque des grands artistes. «Le génie, c’est 80% de travail et 20% de hasard », disait Oscar Wilde. Cela, Ernesto Djédjé l’avait bien compris…
Y. Sangaré
C’est en 1947, à Tahiraguhé, dans la région de Daloa, que naît Ernest Djédjé Blé Loué. Son père, un certain Touré, est un homme d’affaires originaire du Sénégal. Sa mère, Dapia Blé, fonctionnaire de l’église baptiste «œuvre et missions» est Bété. Très tôt, Touré abandonne son fils pour émigrer en République Centrafricaine, pour devenir, aux côtés, de l’Empereur Bokassa, Imam de Bangui. Le jeune Ernest grandit donc avec sa mère et son oncle Blé Loué, dont il portera finalement le nom à l’état-civil. Très vite, il développe de bonnes prédispositions pour le chant et la danse et s’attire la sympathie des chansonniers de Tahiraguhé. A 10 ans, Ernest Djédjé est initié au «Tohourou», un rythme du terroir bété, qui lui permet de s’aguerrir au chant. A 16 ans, il monte, avec son «pote» Mamadou Konté, «Les Antilopes», un orchestre de fortune. Au sein de cette formation, il s’outille au maniement de la guitare. Et le groupe se produit à Daloa et ses localités environnantes. En 1965, Amédée Pierre le remarque à Vavoua, et l’enrôle aussitôt dans son orchestre «Ivoiro-Star». Il en devient rapidement le chef, et y apprend à jouer de la guitare métallique. Mais, le jeune homme nourrit de grandes ambitions. En 1968, son BEPC en poche, Ernest Djédjé choisit de partir pour la France. A Paris, il étudie l’informatique, puis rentre en Côte d’Ivoire où il est recruté comme responsable culturel à l’ARSO (Autorité pour l’aménagement de la région du sud-ouest) à San Pedro. Avec l’aide d’Emmmanuel Dioulo, son pataron, il monte le « San-Pedro Orchestra », avant de regagner la France.
Un artiste complet et
un gros travailleur
Et en 1970, il enregistre son premier album intitulé «Anowa», un 45 tours, mélange de soul, rythm & blues, et de jerk dance. Les arrangements sont assurés par Manu Dibango. C’est le début de sa marche vers la gloire. Entre 1970 et 1973, Ernesto Djédjé enchaîne les œuvres musicales «N'wawuile/ N'koiyeme», «Mamadou Coulibaly», «Zokou Gbeuly»… au total, six disques qui connaissent tous un franc succès en Côte d’Ivoire. Et en 1973, précédé d’une belle réputation, il rentre au pays. Dans sa tête, il sait ce qu’il veut : révolutionner la musique ivoirienne. Ernesto Djédjé mêle donc habilement disco danse, rumba, makossa et musique du terroir bété. Il accentue ses recherches dans la tradition et signe, en 1975, «Aguissè», l’album dont le titre-éponyme devient une chanson culte. Avec le producteur Raïmi Gbadamassi dit Badmos, il part à Lagos, au Nigéria, et y découvre l’afrobeat de Fela Anikulapo Kuti, savant dosage de sonorités yoruba, funk, jazz et highlife. Séduit, Ernesto Djédjé décide de le mêler aux chants lyriques du «tohourou», ainsi qu’au disco et à la percussion traditionnelle de Côte d’Ivoire. Cette rythmique nouvelle, qu’il vient de créer, est baptisée Ziglibithy. Sous la houlette de Badmos, Ernesto Djédjé sort en 1977 son premier 33 tours, une œuvre enregistrée à Lagos qui s‘intitule « Ziboté ». Le succès est phénoménal aussi bien en Côte d’Ivoire que dans la sous-région. Ernesto Djédjé devient dans la foulée avec son ziglibithy, le « Gnoantré (épervier en bété) national». Peu après, celui qui vient d’être élu meilleur musicien de l’année par ID crée «Les Ziglibithiens». Diabo Steck est à la batterie, Bamba Yang au clavier et à la guitare. Dans ses rangs, l’orchestre compte aussi des noms comme Léon Sina, Eugène Gba, Yodé, Tagus, Assalé Best, Abou et Youbla. Sans oublier John Mayal, qui deviendra Yalley, qui fait office de danseur auprès d'Ernesto Djédjé. Avec ce groupe composé de musiciens talentueux, il sort l'album Les “Ziglibithiens” en 1978. L’année suivante, il met sur le marché « Golozo » et, en 1980, «Azonadé ». En 1981, c’est l'album «Zouzou Palegu» qu’il jette dans les bacs. Douze plus tard, il sort «Tizeré », avec le titre « Konan Bédié» en hommage à cet illustre homme politique et une autre, dédiée au président Félix Houphouët-Boigny, intitulé «Houphouët-Boigny Zeguehi». Ce sera son dernier album… De l’avis de plusieurs musicologues, Ernesto Djédjé était complet : génial auteur-compositeur-interprète, talentueux instrumentiste, danseur hors pair. Il savait tout faire et en plus, il le faisait bien. Très bien même. Sur scène, il était tout simplement époustouflant. Avec son pantalon «patte d’éléphant», ses souliers en cuirs brillants et surtout ses déhanchés qui déchaînaient les passions lors de ses prestations. Enfin, Ernesto Djédjé, avec son 1,98m pour 95kg, était un forçat du travail, qui ne s’arrêtait que quand il pensait avoir atteint la perfection. C’est cela aussi la marque des grands artistes. «Le génie, c’est 80% de travail et 20% de hasard », disait Oscar Wilde. Cela, Ernesto Djédjé l’avait bien compris…
Y. Sangaré