Le racket sur l'axe Abidjan-Ouagadougou est un sujet qui a donné lieu, durant plusieurs années, à un procès sans fin de «l'ancien système». Deux ans après la crise postélectorale et ce, en dépit de la volonté affichée par les autorités ivoiriennes et burkinabé de garantir la libre circulation des personnes de part et d'autres des corridors qui séparent les deux pays, le fléau reste présent. Notre reportage.
Embarquer d'Abidjan pour Ouagadougou, et vice-versa, dans une compagnie de transport terrestre est une entreprise à la fois périlleuse et fastidieuse. Au cours de laquelle transporteurs et passagers sont systématiquement rançonnés à la frontière par les forces de l'ordre, quand ils n'y perdent pas la vie en chemin dans une embuscade tendue par des coupeurs de route qui règnent en maîtres sur l'axe Bouaké -Niakaramadougou -Tafiré. Nous avons effectué courant les mois d'avril et de juin derniers, deux voyages par la route, pour toucher du doigt le calvaire de ceux qui entreprennent de rentrer au Burkina Faso ou de venir en Côte d'Ivoire.
De la crainte des
coupeurs de route….
Dans un passé récent, tout le parcours était jalonné de postes de contrôle. Chaque entrée et sortie d'une grande ville donnaient lieu à des contrôles intempestifs. Mais, aujourd'hui, le racket se concentre désormais dans les corridors de Ferkessédougou et de Ouangolodougou en territoire ivoirien et au premier poste de police après la Léraba, du côté du Burkina Faso. Toutefois, avant d'atteindre ces trois check-points redoutés par les transporteurs et les passagers, nous avons dû, de Bouaké à Ferkessédougou, endurer le stress des coupeurs de route qui opèrent désormais en plein jour avec des armes de guerre. C'est qu'à partir de Bouaké, aucune compagnie de transport ne s'aventure sur l'axe Katiola-Niakaramadougou- Tafiré sans recourir à une escorte militaire.
Lorsque le car, qui nous transporte, s'immobilise au corridor de sortie de Bouaké et que deux militaires armés de kalachnikov prennent place à bord, les visages des passagers traduisent à la fois un sentiment de peur et d'assurance. Le convoyeur, comme les hôtesses de l'air qui donnent les consignes de sécurité avant l'envol d'un avion, s'adresse aux passagers en leur demandant d'éteindre les portables. «Celui qui utilisera son portable pendant le trajet se le verra confisquer. C'est pour votre sécurité. Celui qui a un appel urgent à faire doit demander la permission et communiquer en présence d'un militaire», prévient-il d'une voix ferme. La raison de l'interdiction de communiquer dans le car ? Les habitués de cette compagnie expliqueront à ceux, qui entreprenaient pour la première fois le voyage, que les coupeurs de route ont parfois des complices à bord des cars qui leur donnent la position du véhicule et éventuellement des personnes qu'ils soupçonnent d'avoir de fortes sommes d'argent sur eux. Par mesure de précaution, on demande donc aux passagers d'éteindre leurs portables. Et ils n'ont pas tort. Une semaine avant notre passage entre Katiola et Niakaramadougou, un chauffeur de la compagnie Rakiéta avait été tué dans une attaque des coupeurs de route. « Les bandits ont ouvert le feu sans sommation sur le car. Le chauffeur est mort sur le champ. Mais, ils n'ont pu dépouiller les passagers parce que les militaires à bord ont répliqué à l'assaut», rapporte Alidou, notre chauffeur, quand nous arrivons à la hauteur du lieu où l'attaque est survenue. Un témoignage qui fait monter le mercure de la peur d'un cran parmi les passagers, devenus subitement silencieux. Comme si cette information était un mauvais présage pour eux. C'est que chacun réalisait que la présence des deux militaires à bord ne pouvait pas empêcher une éventuelle attaque. « C'est à cause des tirs aveugles des coupeurs de route que je ne m'asseois jamais sur les premiers sièges du car », lance de manière indiscrète un passager à l'arrière. Du coup, ceux qui sont assis à l'avant, juste derrière le chauffeur, comprennent qu'ils sont les plus exposés en cas d'attaque. Et chacun se met à prier du fond du cœur, afin que Dieu nous épargne d'un malheur. Qui plus est, la route sur l'axe que nous avons entamée, est fortement dégradée. Et, les véhicules ne pouvant rouler à plus de 50 km/heure, les fourrées qui bordent de surcroît la route constituent un véritable repère des coupeurs de route. Sur ce tronçon où la mort violente rôde tous les jours, les soucis sont permanents. Surtout pour les transporteurs qui n'ont pas les moyens de s'assurer les services de l'escorte militaire. Pour eux, la solidarité s'impose. Aussi s'organisent-ils en convoi de plusieurs véhicules. Un moyen de dissuasion contre les bandits de grands chemins qui n'osent pas s'attaquer à une colonne de véhicules. Mais cette stratégie a ses limites.
Malheur, dit-on, au véhicule qui subit une crevaison ou une panne quelconque et qui se voit obligé de s'immobiliser en pleine brousse. « Ils peuvent juste vous tuer pour le plaisir de le faire pour étancher leur colère. Les risques sont permanents sur cet axe mais on n'a pas le choix, on est obligé de faire avec», explique un agent du consulat général du Burkina à Bouaké en partance pour son pays. Mais, l'escorte, si elle sécurise les transporteurs et les passagers, n'est pas un service gratuit. Selon le chef de gare de la compagnie que nous avons empruntée, l'escorte d'un car revient à 70.000 FCFA. « Toutes les compagnies payent cette escorte de Bouaké à Ouangolodougou pour garantir la sécurité de leurs passagers», précise t-il. C'est que la zone d'insécurité où opèrent les coupeurs de route est bien circonscrite entre Bouaké et Ferkessédougou. Mais, il n'y a pas que cet effort financier qui est consenti par la multitude de compagnies de transport qui desservent Ouagadougou à partir d'Abidjan ou de Bouaké. Les frais de route pour les quatre différentes compagnies que nous avons empruntées pour nos deux voyages, à l'aller et au retour, oscillent entre 70 et 80 mille FCFA. Ces sommes sont distraites entre les corridors de Bouaké, de Ferkéssedougou et de Ouangolodougou, par chaque car de transport. Il s'agit des principales compagnies que sont Transport Confort Voyage (TCV), Rakieta, Sito, et Transport Sama Rasmane (TSR). Des compagnies pourtant à jour de tous les documents afférents au transport.
L'enfer aux frontières
Passée la psychose des coupeurs de route et les désagréments causés par les secousses liées au mauvais état de la route entre Bouaké- Katiola-Niakaramadougou-Tafiré, transporteurs et passagers devront faire face, à partir de Ferkessédougou, aux premiers contrôles musclés. A peine les cars s'immobilisent que les agents de contrôle prennent position, obstruant les deux portières. Deux autres montent à bord, se « partagent » des rangers de passagers et procèdent aux vérifications des papiers. Toutes les personnes n'ayant pas de pièces ou celles dont les pièces ne sont pas à jour sont priées de descendre. Conduits vers le poste de police, ils doivent débourser la somme de 2.000 FCFA chacun. Sous nos yeux, l'argent sera réceptionné et les pièces restituées au fur et à mesure, en fonction de la promptitude ou de la lenteur du contrevenant.
Car bien de passagers non à jour se refusent à payer une somme pour laquelle on ne leur délivre aucun reçu. On y perd facilement une heure, voire plus. Mais les choses se corsent au poste-frontière de Ouangolodougou, juste avant le fleuve qui sépare les deux pays. Car là-bas, « tout le monde descend ». La gendarmerie et la police collectent systématiquement toutes les pièces d'identité. Un hangar érigé à proximité du poste, fait office de salle d'attente pour les passagers. Un tri est opéré parmi les pièces récupérées. Les personnes présentant «un profil d'intellectuel» au regard de la fonction mentionnée sur la pièce sont écartées du lot. Elles reçoivent aussitôt leurs pièces et sont priées de rejoindre le car qui, entre-temps, a traversé la barrière. La stratégie de la police et de la gendarmerie vise ainsi à éloigner ces « témoins gênants » de leurs vieilles pratiques. Car, tous les autres passagers étrangers, même à jour de leurs pièces, payeront 1000 FCFA, à l'appel de leurs noms, pour récupérer leurs papiers. Les Ivoiriens sont épargnés. Vous aurez beau vous plaindre, les policiers vont diront qu'ils ont «tout leur temps». Que le car reste immobilisé des heures, cela les importe peu. A cela s'ajoute la pression exercée par ceux qui se sont résignés à payer et qui souhaitent quitter rapidement les lieux. Le comble au poste frontière avant la Léraba, c'est qu'il ne s'agit pas du racket à la sauvette des agents de police ou de gendarmerie indélicats qui craignent d'être surpris ou réprimander. Les passagers doivent faire la queue et essuyer un discours autoritaire avant de passer à la caisse. Des scènes frustrantes et révoltantes, vécues chaque jour par les victimes de ce harcèlement. Pour autant, les malheurs des passagers ne s'arrêtent pas aux «corps habillés». Dès que vous finissez d'être «plumés» par la police et la gendarmerie, c'est le service sanitaire aux aguets qui vous accoste pour vérifier si votre carnet de voyage est à jour. Une procédure de routine tout à fait légale. Car, il ne s'agit pas seulement d'être en possession de ce carnet. Il faut être à jour des vaccins exigés. Mais le comble ici, c'est quand ces agents ferment les yeux sur un lot de passagers dont ils monnaient l'absence de carnet contre 2.000 FCFA par personne. « Ici, si tu n'as pas le carnet tu t'arranges avec eux et tu paies 2000 FCFA. Si tu refuses l'arrangement, tu dois alors payer le carnet à 8.000 FCFA au lieu de 5.500 FCFA en temps normal », explique un passage. «L'arrangement», faut-il le préciser, est laissé aux soins des convoyeurs des cars.
“L'arrangement”, pour le carnet de vaccination
Ainsi au contrôle, ces derniers sont ignorés. A Ouangolodougou, où les cars restent immobilisés des heures durant, des commerçants, témoins des faits quotidiens dans ces corridors, nous ont expliqué que policiers et agents de l'Institut national de l'hygiène publique amassent des fortunes. « L'argent que ces derniers collectent par jour ici dépasse les recettes mensuelles de l'ensemble des commerçants de ce corridor», révèle un vendeur ambulant. Ce qui n'est pas faux. Quand on sait que tant que le dernier passager d'un car ne s'est pas acquitté de son «droit de passage», le voyage ne peut se poursuivre. « Il arrive souvent que des convoyeurs abandonnent un ou deux passagers ici au corridor quand ceux-ci n'ont pas d'argent et que les policiers refusent le pardon», rapporte un autre commerçant. Ainsi, pour 1.000 FCFA ou 2.000 FCFA, le voyage s'arrête souvent en chemin. Ces cas surviennent généralement pour des voyageurs en situation de détresse qui ne demandent qu'à retourner au pays après l'échec de l'aventure ivoirienne. Des « indigents » dont les frais de transport ont même souvent été payés par une bonne volonté. Après les arrangements pour les carnets de vaccination, le voyage reprend en direction du Burkina Faso. De l'autre côté de la frontière en territoire burkinabé, le racket est tout aussi manifeste au niveau du premier poste de contrôle de police. Là, comme à Ouangolodougou, tous les passagers descendent. Mais ici, les pièces ne sont pas prises aux passagers. Chacun fait le rang pour présenter à la fois son carnet de vaccination et sa pièce d'identité à l'agent de service. Ceux qui ont leurs documents à jour sont autorisés à remonter dans le car.
Les «sans papiers» ou pas à jour sont regroupés à un endroit où ils doivent s'acquitter de 2.000 FCFA pour la pièce d'identité et 2.000 FCFA pour le carnet de voyage. Mais passé le corridor de la gendarmerie et de la police à la frontière burkinabé, plus aucun passager ne payera un centime jusqu'à destination. Le stresse retombe et le voyage devient plus relaxe. Au bout du compte, la traversée Bouaké-Ouagadougou nous aura pris 16 heures. Pour le voyageur qui observe les manquements au principe de la libre circulation des personnes et des biens, aucun changement dans les pratiques décriées depuis des dizaines d'années sur nos routes. Embarquer à Abidjan pour Ouagadougou par la voie terrestre reste une aventure douloureuse. Pour deux Etats qui souhaitent renforcer leurs coopérations, autant dire que de véritables freins à l'intégration parsèment les routes.
Réalisé par Alexandre Lebel Ilboudo (Photos ALI)
Embarquer d'Abidjan pour Ouagadougou, et vice-versa, dans une compagnie de transport terrestre est une entreprise à la fois périlleuse et fastidieuse. Au cours de laquelle transporteurs et passagers sont systématiquement rançonnés à la frontière par les forces de l'ordre, quand ils n'y perdent pas la vie en chemin dans une embuscade tendue par des coupeurs de route qui règnent en maîtres sur l'axe Bouaké -Niakaramadougou -Tafiré. Nous avons effectué courant les mois d'avril et de juin derniers, deux voyages par la route, pour toucher du doigt le calvaire de ceux qui entreprennent de rentrer au Burkina Faso ou de venir en Côte d'Ivoire.
De la crainte des
coupeurs de route….
Dans un passé récent, tout le parcours était jalonné de postes de contrôle. Chaque entrée et sortie d'une grande ville donnaient lieu à des contrôles intempestifs. Mais, aujourd'hui, le racket se concentre désormais dans les corridors de Ferkessédougou et de Ouangolodougou en territoire ivoirien et au premier poste de police après la Léraba, du côté du Burkina Faso. Toutefois, avant d'atteindre ces trois check-points redoutés par les transporteurs et les passagers, nous avons dû, de Bouaké à Ferkessédougou, endurer le stress des coupeurs de route qui opèrent désormais en plein jour avec des armes de guerre. C'est qu'à partir de Bouaké, aucune compagnie de transport ne s'aventure sur l'axe Katiola-Niakaramadougou- Tafiré sans recourir à une escorte militaire.
Lorsque le car, qui nous transporte, s'immobilise au corridor de sortie de Bouaké et que deux militaires armés de kalachnikov prennent place à bord, les visages des passagers traduisent à la fois un sentiment de peur et d'assurance. Le convoyeur, comme les hôtesses de l'air qui donnent les consignes de sécurité avant l'envol d'un avion, s'adresse aux passagers en leur demandant d'éteindre les portables. «Celui qui utilisera son portable pendant le trajet se le verra confisquer. C'est pour votre sécurité. Celui qui a un appel urgent à faire doit demander la permission et communiquer en présence d'un militaire», prévient-il d'une voix ferme. La raison de l'interdiction de communiquer dans le car ? Les habitués de cette compagnie expliqueront à ceux, qui entreprenaient pour la première fois le voyage, que les coupeurs de route ont parfois des complices à bord des cars qui leur donnent la position du véhicule et éventuellement des personnes qu'ils soupçonnent d'avoir de fortes sommes d'argent sur eux. Par mesure de précaution, on demande donc aux passagers d'éteindre leurs portables. Et ils n'ont pas tort. Une semaine avant notre passage entre Katiola et Niakaramadougou, un chauffeur de la compagnie Rakiéta avait été tué dans une attaque des coupeurs de route. « Les bandits ont ouvert le feu sans sommation sur le car. Le chauffeur est mort sur le champ. Mais, ils n'ont pu dépouiller les passagers parce que les militaires à bord ont répliqué à l'assaut», rapporte Alidou, notre chauffeur, quand nous arrivons à la hauteur du lieu où l'attaque est survenue. Un témoignage qui fait monter le mercure de la peur d'un cran parmi les passagers, devenus subitement silencieux. Comme si cette information était un mauvais présage pour eux. C'est que chacun réalisait que la présence des deux militaires à bord ne pouvait pas empêcher une éventuelle attaque. « C'est à cause des tirs aveugles des coupeurs de route que je ne m'asseois jamais sur les premiers sièges du car », lance de manière indiscrète un passager à l'arrière. Du coup, ceux qui sont assis à l'avant, juste derrière le chauffeur, comprennent qu'ils sont les plus exposés en cas d'attaque. Et chacun se met à prier du fond du cœur, afin que Dieu nous épargne d'un malheur. Qui plus est, la route sur l'axe que nous avons entamée, est fortement dégradée. Et, les véhicules ne pouvant rouler à plus de 50 km/heure, les fourrées qui bordent de surcroît la route constituent un véritable repère des coupeurs de route. Sur ce tronçon où la mort violente rôde tous les jours, les soucis sont permanents. Surtout pour les transporteurs qui n'ont pas les moyens de s'assurer les services de l'escorte militaire. Pour eux, la solidarité s'impose. Aussi s'organisent-ils en convoi de plusieurs véhicules. Un moyen de dissuasion contre les bandits de grands chemins qui n'osent pas s'attaquer à une colonne de véhicules. Mais cette stratégie a ses limites.
Malheur, dit-on, au véhicule qui subit une crevaison ou une panne quelconque et qui se voit obligé de s'immobiliser en pleine brousse. « Ils peuvent juste vous tuer pour le plaisir de le faire pour étancher leur colère. Les risques sont permanents sur cet axe mais on n'a pas le choix, on est obligé de faire avec», explique un agent du consulat général du Burkina à Bouaké en partance pour son pays. Mais, l'escorte, si elle sécurise les transporteurs et les passagers, n'est pas un service gratuit. Selon le chef de gare de la compagnie que nous avons empruntée, l'escorte d'un car revient à 70.000 FCFA. « Toutes les compagnies payent cette escorte de Bouaké à Ouangolodougou pour garantir la sécurité de leurs passagers», précise t-il. C'est que la zone d'insécurité où opèrent les coupeurs de route est bien circonscrite entre Bouaké et Ferkessédougou. Mais, il n'y a pas que cet effort financier qui est consenti par la multitude de compagnies de transport qui desservent Ouagadougou à partir d'Abidjan ou de Bouaké. Les frais de route pour les quatre différentes compagnies que nous avons empruntées pour nos deux voyages, à l'aller et au retour, oscillent entre 70 et 80 mille FCFA. Ces sommes sont distraites entre les corridors de Bouaké, de Ferkéssedougou et de Ouangolodougou, par chaque car de transport. Il s'agit des principales compagnies que sont Transport Confort Voyage (TCV), Rakieta, Sito, et Transport Sama Rasmane (TSR). Des compagnies pourtant à jour de tous les documents afférents au transport.
L'enfer aux frontières
Passée la psychose des coupeurs de route et les désagréments causés par les secousses liées au mauvais état de la route entre Bouaké- Katiola-Niakaramadougou-Tafiré, transporteurs et passagers devront faire face, à partir de Ferkessédougou, aux premiers contrôles musclés. A peine les cars s'immobilisent que les agents de contrôle prennent position, obstruant les deux portières. Deux autres montent à bord, se « partagent » des rangers de passagers et procèdent aux vérifications des papiers. Toutes les personnes n'ayant pas de pièces ou celles dont les pièces ne sont pas à jour sont priées de descendre. Conduits vers le poste de police, ils doivent débourser la somme de 2.000 FCFA chacun. Sous nos yeux, l'argent sera réceptionné et les pièces restituées au fur et à mesure, en fonction de la promptitude ou de la lenteur du contrevenant.
Car bien de passagers non à jour se refusent à payer une somme pour laquelle on ne leur délivre aucun reçu. On y perd facilement une heure, voire plus. Mais les choses se corsent au poste-frontière de Ouangolodougou, juste avant le fleuve qui sépare les deux pays. Car là-bas, « tout le monde descend ». La gendarmerie et la police collectent systématiquement toutes les pièces d'identité. Un hangar érigé à proximité du poste, fait office de salle d'attente pour les passagers. Un tri est opéré parmi les pièces récupérées. Les personnes présentant «un profil d'intellectuel» au regard de la fonction mentionnée sur la pièce sont écartées du lot. Elles reçoivent aussitôt leurs pièces et sont priées de rejoindre le car qui, entre-temps, a traversé la barrière. La stratégie de la police et de la gendarmerie vise ainsi à éloigner ces « témoins gênants » de leurs vieilles pratiques. Car, tous les autres passagers étrangers, même à jour de leurs pièces, payeront 1000 FCFA, à l'appel de leurs noms, pour récupérer leurs papiers. Les Ivoiriens sont épargnés. Vous aurez beau vous plaindre, les policiers vont diront qu'ils ont «tout leur temps». Que le car reste immobilisé des heures, cela les importe peu. A cela s'ajoute la pression exercée par ceux qui se sont résignés à payer et qui souhaitent quitter rapidement les lieux. Le comble au poste frontière avant la Léraba, c'est qu'il ne s'agit pas du racket à la sauvette des agents de police ou de gendarmerie indélicats qui craignent d'être surpris ou réprimander. Les passagers doivent faire la queue et essuyer un discours autoritaire avant de passer à la caisse. Des scènes frustrantes et révoltantes, vécues chaque jour par les victimes de ce harcèlement. Pour autant, les malheurs des passagers ne s'arrêtent pas aux «corps habillés». Dès que vous finissez d'être «plumés» par la police et la gendarmerie, c'est le service sanitaire aux aguets qui vous accoste pour vérifier si votre carnet de voyage est à jour. Une procédure de routine tout à fait légale. Car, il ne s'agit pas seulement d'être en possession de ce carnet. Il faut être à jour des vaccins exigés. Mais le comble ici, c'est quand ces agents ferment les yeux sur un lot de passagers dont ils monnaient l'absence de carnet contre 2.000 FCFA par personne. « Ici, si tu n'as pas le carnet tu t'arranges avec eux et tu paies 2000 FCFA. Si tu refuses l'arrangement, tu dois alors payer le carnet à 8.000 FCFA au lieu de 5.500 FCFA en temps normal », explique un passage. «L'arrangement», faut-il le préciser, est laissé aux soins des convoyeurs des cars.
“L'arrangement”, pour le carnet de vaccination
Ainsi au contrôle, ces derniers sont ignorés. A Ouangolodougou, où les cars restent immobilisés des heures durant, des commerçants, témoins des faits quotidiens dans ces corridors, nous ont expliqué que policiers et agents de l'Institut national de l'hygiène publique amassent des fortunes. « L'argent que ces derniers collectent par jour ici dépasse les recettes mensuelles de l'ensemble des commerçants de ce corridor», révèle un vendeur ambulant. Ce qui n'est pas faux. Quand on sait que tant que le dernier passager d'un car ne s'est pas acquitté de son «droit de passage», le voyage ne peut se poursuivre. « Il arrive souvent que des convoyeurs abandonnent un ou deux passagers ici au corridor quand ceux-ci n'ont pas d'argent et que les policiers refusent le pardon», rapporte un autre commerçant. Ainsi, pour 1.000 FCFA ou 2.000 FCFA, le voyage s'arrête souvent en chemin. Ces cas surviennent généralement pour des voyageurs en situation de détresse qui ne demandent qu'à retourner au pays après l'échec de l'aventure ivoirienne. Des « indigents » dont les frais de transport ont même souvent été payés par une bonne volonté. Après les arrangements pour les carnets de vaccination, le voyage reprend en direction du Burkina Faso. De l'autre côté de la frontière en territoire burkinabé, le racket est tout aussi manifeste au niveau du premier poste de contrôle de police. Là, comme à Ouangolodougou, tous les passagers descendent. Mais ici, les pièces ne sont pas prises aux passagers. Chacun fait le rang pour présenter à la fois son carnet de vaccination et sa pièce d'identité à l'agent de service. Ceux qui ont leurs documents à jour sont autorisés à remonter dans le car.
Les «sans papiers» ou pas à jour sont regroupés à un endroit où ils doivent s'acquitter de 2.000 FCFA pour la pièce d'identité et 2.000 FCFA pour le carnet de voyage. Mais passé le corridor de la gendarmerie et de la police à la frontière burkinabé, plus aucun passager ne payera un centime jusqu'à destination. Le stresse retombe et le voyage devient plus relaxe. Au bout du compte, la traversée Bouaké-Ouagadougou nous aura pris 16 heures. Pour le voyageur qui observe les manquements au principe de la libre circulation des personnes et des biens, aucun changement dans les pratiques décriées depuis des dizaines d'années sur nos routes. Embarquer à Abidjan pour Ouagadougou par la voie terrestre reste une aventure douloureuse. Pour deux Etats qui souhaitent renforcer leurs coopérations, autant dire que de véritables freins à l'intégration parsèment les routes.
Réalisé par Alexandre Lebel Ilboudo (Photos ALI)