Président de l’association Orphelins secours et spécialiste de la protection sociale, Donatien Robé et son organisation sont très impliqués dans le débat sur la sécurité sociale en Côte d’Ivoire. Auteur d’un livre sur le financement de la santé en Afrique, M Donatien Robé est très attentif au processus de mise en œuvre de la Couverture Maladie Universelle (CMU). Dans cette interview, il nous donne ses impressions.
La mise en œuvre de la Couverture Maladie Universelle que vous réclamiez tant a été annoncée pour bientôt. Etes-vous à présent satisfait ?
Nous sommes évidemment satisfaits qu’on s’engage dans ce processus dont nous soutenons le principe, comme nous l’avons fait avec l’Assurance Maladie Universelle (AMU) et la gratuité des soins. Je voudrais saluer ici la volonté politique du président de la République. Mais nous restons inquiets.
Pourquoi ?
Et bien parce que nous constatons qu’il y a un flou sur de nombreuses questions. D’abord le financement. Il est annoncé que dans le cadre du régime contributif, celui qui justifiera d’un revenu cotisera 12 000 Fcfa par an. Cela voudrait dire que celui qui gagne 500.000 fcfa paiera la même contribution que celui qui gagne par exemple 50.000 fcfa. Cela est injuste et est en contradiction avec le principe de l’assurance-maladie sociale qui veut que chacun contribue en fonction de ses revenus et reçoive en fonction de ses besoins. Il y a aussi la question du régime non contributif c’est-à-dire que les pauvres bénéficieront de la CMU mais ne contribueront pas. Comment le financera-t-on ? Quels seront les critères d’éligibilité à ce régime dans un pays où 80% des revenus ne sont pas identifiés ? Quels seront les balises de sécurité pour éviter les déficits dans un contexte de hausse généralisée des dépenses de santé partout dans le monde. La CMU va créer des droits pour ceux qui cotisent. Il faudra respecter ces droits en offrant aux assurés des soins à la mesure de leurs contributions. En tout cas, si la CMU n’est pas efficace sur son utilité sociale et sur sa pérennité pour éviter les déficits, elle sera un échec.
Pourtant le gouvernement ivoirien est confiant. Tout aurait été déjà bouclé….
C’est normal qu’il le soit ! C’est lui qui porte le projet politique. Mais techniquement, il y a des interrogations et même des failles pour nous qui nous intéressons à la protection sociale. Avant la mise en œuvre, a-t-on fait une bonne communication basée sur la pédagogie ? Car, n’oublions pas que de nombreux ivoiriens ne savent pas de quoi il s’agit. A-t-on impliqué tout le monde ? Généralement quand on parle de l’offre de soins, on ignore le personnel soignant qui pourtant en fait partie. Il doit être suffisant et motivé. Il doit recevoir des primes et les heures supplémentaires doivent être correctement rémunérées. Sans cela, on aura les mêmes comportements constatés avec la gratuité des soins. Les sanctions, comme c’est le cas en ce moment, n’y feront rien.
Quelle est la différence entre la CMU et l’AMU ?
L’AMU n’était pas sans reproches, mais elle devait couvrir l’ensemble de la population. Elle avait un caractère obligatoire et les contributions étaient proportionnelles aux revenus, contrairement à la CMU. Il y a plusieurs risques possibles en couvrant 1 million de personnes sur 22 millions comme veut le faire la CMU. Soit ça marche au début et le reste de la population cherchera à frauder pour en bénéficier, creusant les déficits, soit ça ne marche pas et personne n’en voudra. Dans les deux cas, ça sera l’échec. Il y aura aussi un sentiment d’injustice de savoir que les premiers bénéficiaires sont ceux qui ont déjà la chance d’avoir un emploi stable, quand on sait que dans la réalité, la généralisation de la CMU sera d’autant plus difficile que la condition est que les acteurs du secteur informel, s’organisent en mutuelle. Or, la mutualité a échoué en Afrique pour la simple raison que les fondements de l’économie sociale sont méconnus. On a vu les dérives dans la gestion de la Mugef-ci. Le tout n’est pas de faire un toilettage des textes. Il faut aussi former les dirigeants sur les notions de la gouvernance démocratique, la démocratie participative, l’utilité sociale, la double-qualité etc. On risque de se retrouver avec plus de 90% des ivoiriens qui resteront en marge du système, surtout que le secteur informel, le plus important dans la structure de notre économie, aura droit à une assurance-maladie volontaire. Et cette couverture maladie n’aura plus rien d’universelle !
Que recherchez-vous en critiquant ainsi le projet de la CMU ?
Écoutez, nous militons pour l’instauration d’une assurance maladie obligatoire dans notre pays. Nous soutenons donc la CMU. Mais voyez-vous, si la CMU échoue, les ivoiriens ne voudront plus qu’on leur parle de l’assurance-maladie. Et comme notre souhait est que ça marche, nous préférons dès maintenant attirer l’attention des autorités sur les failles du système qui se prépare. Au début de la CMU, environ 5% de la population seront couvertes. C’est pratiquement le même taux de couverture sans la CMU. C’est très peu. C’est même inquiétant d’autant plus que la généralisation progressive n’est pas programmée. Il n’existe aucun chronogramme. Il y a aussi le fait que le financement ne nous semble pas solide pour garantir une longue vie à la CMU. Partout dans le monde, les cotisations sociales ne suffisent plus à équilibrer les comptes d’une assurance maladie sociale. Cela sera d’autant plus vrai qu’en Afrique, les familles sont grandes. Avec les ayants-droit, il y aura un déséquilibre important entre les cotisants et les bénéficiaires.
Que proposez-vous alors ?
Nous avons évidemment des propositions que nous ferons connaître bientôt. Nous souhaitons par exemple un financement diversifié afin qu’on ne compte pas que sur les cotisations sociales. Nous proposons une commission de contrôle de gestion et de veille budgétaire, la suppression ou la réduction des cotisations patronales pour réduire le travail informel et le chômage, le caractère obligatoire de la CMU, la prise en compte de l’offre privée de soins, les maisons de santé, etc. Toutes ces propositions seront détaillées et justifiées dans un document.
Franck SOUHONE
La mise en œuvre de la Couverture Maladie Universelle que vous réclamiez tant a été annoncée pour bientôt. Etes-vous à présent satisfait ?
Nous sommes évidemment satisfaits qu’on s’engage dans ce processus dont nous soutenons le principe, comme nous l’avons fait avec l’Assurance Maladie Universelle (AMU) et la gratuité des soins. Je voudrais saluer ici la volonté politique du président de la République. Mais nous restons inquiets.
Pourquoi ?
Et bien parce que nous constatons qu’il y a un flou sur de nombreuses questions. D’abord le financement. Il est annoncé que dans le cadre du régime contributif, celui qui justifiera d’un revenu cotisera 12 000 Fcfa par an. Cela voudrait dire que celui qui gagne 500.000 fcfa paiera la même contribution que celui qui gagne par exemple 50.000 fcfa. Cela est injuste et est en contradiction avec le principe de l’assurance-maladie sociale qui veut que chacun contribue en fonction de ses revenus et reçoive en fonction de ses besoins. Il y a aussi la question du régime non contributif c’est-à-dire que les pauvres bénéficieront de la CMU mais ne contribueront pas. Comment le financera-t-on ? Quels seront les critères d’éligibilité à ce régime dans un pays où 80% des revenus ne sont pas identifiés ? Quels seront les balises de sécurité pour éviter les déficits dans un contexte de hausse généralisée des dépenses de santé partout dans le monde. La CMU va créer des droits pour ceux qui cotisent. Il faudra respecter ces droits en offrant aux assurés des soins à la mesure de leurs contributions. En tout cas, si la CMU n’est pas efficace sur son utilité sociale et sur sa pérennité pour éviter les déficits, elle sera un échec.
Pourtant le gouvernement ivoirien est confiant. Tout aurait été déjà bouclé….
C’est normal qu’il le soit ! C’est lui qui porte le projet politique. Mais techniquement, il y a des interrogations et même des failles pour nous qui nous intéressons à la protection sociale. Avant la mise en œuvre, a-t-on fait une bonne communication basée sur la pédagogie ? Car, n’oublions pas que de nombreux ivoiriens ne savent pas de quoi il s’agit. A-t-on impliqué tout le monde ? Généralement quand on parle de l’offre de soins, on ignore le personnel soignant qui pourtant en fait partie. Il doit être suffisant et motivé. Il doit recevoir des primes et les heures supplémentaires doivent être correctement rémunérées. Sans cela, on aura les mêmes comportements constatés avec la gratuité des soins. Les sanctions, comme c’est le cas en ce moment, n’y feront rien.
Quelle est la différence entre la CMU et l’AMU ?
L’AMU n’était pas sans reproches, mais elle devait couvrir l’ensemble de la population. Elle avait un caractère obligatoire et les contributions étaient proportionnelles aux revenus, contrairement à la CMU. Il y a plusieurs risques possibles en couvrant 1 million de personnes sur 22 millions comme veut le faire la CMU. Soit ça marche au début et le reste de la population cherchera à frauder pour en bénéficier, creusant les déficits, soit ça ne marche pas et personne n’en voudra. Dans les deux cas, ça sera l’échec. Il y aura aussi un sentiment d’injustice de savoir que les premiers bénéficiaires sont ceux qui ont déjà la chance d’avoir un emploi stable, quand on sait que dans la réalité, la généralisation de la CMU sera d’autant plus difficile que la condition est que les acteurs du secteur informel, s’organisent en mutuelle. Or, la mutualité a échoué en Afrique pour la simple raison que les fondements de l’économie sociale sont méconnus. On a vu les dérives dans la gestion de la Mugef-ci. Le tout n’est pas de faire un toilettage des textes. Il faut aussi former les dirigeants sur les notions de la gouvernance démocratique, la démocratie participative, l’utilité sociale, la double-qualité etc. On risque de se retrouver avec plus de 90% des ivoiriens qui resteront en marge du système, surtout que le secteur informel, le plus important dans la structure de notre économie, aura droit à une assurance-maladie volontaire. Et cette couverture maladie n’aura plus rien d’universelle !
Que recherchez-vous en critiquant ainsi le projet de la CMU ?
Écoutez, nous militons pour l’instauration d’une assurance maladie obligatoire dans notre pays. Nous soutenons donc la CMU. Mais voyez-vous, si la CMU échoue, les ivoiriens ne voudront plus qu’on leur parle de l’assurance-maladie. Et comme notre souhait est que ça marche, nous préférons dès maintenant attirer l’attention des autorités sur les failles du système qui se prépare. Au début de la CMU, environ 5% de la population seront couvertes. C’est pratiquement le même taux de couverture sans la CMU. C’est très peu. C’est même inquiétant d’autant plus que la généralisation progressive n’est pas programmée. Il n’existe aucun chronogramme. Il y a aussi le fait que le financement ne nous semble pas solide pour garantir une longue vie à la CMU. Partout dans le monde, les cotisations sociales ne suffisent plus à équilibrer les comptes d’une assurance maladie sociale. Cela sera d’autant plus vrai qu’en Afrique, les familles sont grandes. Avec les ayants-droit, il y aura un déséquilibre important entre les cotisants et les bénéficiaires.
Que proposez-vous alors ?
Nous avons évidemment des propositions que nous ferons connaître bientôt. Nous souhaitons par exemple un financement diversifié afin qu’on ne compte pas que sur les cotisations sociales. Nous proposons une commission de contrôle de gestion et de veille budgétaire, la suppression ou la réduction des cotisations patronales pour réduire le travail informel et le chômage, le caractère obligatoire de la CMU, la prise en compte de l’offre privée de soins, les maisons de santé, etc. Toutes ces propositions seront détaillées et justifiées dans un document.
Franck SOUHONE