Karim Ouattara, conseiller spécial du président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr), chargé de la jeunesse fait l’état des démarches visant à réconcilier cette frange de la population ivoirienne. Il avertit des risques d’un désarmement complaisant.
Que reste-t-il à faire au niveau de la jeunesse ivoirienne pour la réconcilier véritablement ?
La Commission dialogue, vérité et réconciliation, dont je suis membre et conseiller du président, est chargée de faire la lumière sur les événements passés et récents, de situer les responsabilités, d’amener les supposés bourreaux à reconnaître la faute commise pour que le pardon de la victime puisse s’ensuivre. Mais aussi de pouvoir faire des propositions visant à faire les réparations des torts commis et à rapprocher les différentes propositions. C’est un ensemble de processus qui a commencé d’abord par la phase de sensibilisation que nous avons eu à faire, ensuite celle de la consultation nationale. Une phase qualitative qui nous a permis de recueillir l’avis de plus d’une cinquantaine de milliers d’Ivoiriens qui est un échantillon assez représentatif. L’objectif principal de cette consultation était d’avoir l’avis des Ivoiriens sur le processus, savoir jusqu’où les investigations pouvaient être menées parce qu’il faut que nous puissions situer nos investigations dans le temps. La majorité des Ivoiriens se sont exprimés sur la borne de 1990, qui marque le début du multipartisme en Côte d’Ivoire jusqu’à maintenant. C’est dans ce canevas que nous avons situé nos études.
Vous ne dites toujours pas ce qui reste à faire comme démarche ou sensibilisation au niveau des jeunes pour les réconcilier.
J’ai fait exprès de faire cette présentation générale pour que l’opinion puisse être éclairée. Pour le reste, je pense qu’il y a beaucoup à faire. Deux ans, ce n’est pas suffisant à une Commission pour réconcilier les Ivoiriens. Mais j’avoue qu’en deux ans, la Côte d’Ivoire a fait un bond qualitatif concernant la cohésion sociale et le rapprochement des différents peuples. Comparativement à d’autres pays qui se sont essayés à la tâche, la Côte d’Ivoire est déjà en chantier, les populations ont appris à se parler. Je ne dirai pas que c’est le seul fait de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, mais c’est avant tout la volonté même des Ivoiriens à aller à la réconciliation qui fait qu’aujourd’hui le climat est plus favorable au dialogue interpartis politiques et intercommunautaire.
De façon générale, deux blocs politiques se sont affrontés auxquels étaient respectivement adossés deux groupes de jeunesses, lors de la crise postélectorale. Avez-vous pu identifier d’autres catégories de jeunesses impliquées dans la crise ivoirienne ?
La scène politique et sociale est assez complexe et multiforme. En ce qui concerne les jeunes en particulier, vous avez les jeunes politiques, les jeunes attachés aux partis politiques. Vous avez les jeunesses du Rdr, du Pdci, du Fpi, du Mfa… Et vous avez d’autres jeunes qui se sont adonnés aux actions de la société civile de façon libérale. Ils ont créé des structures qui ne sont pas rattachées à des partis politiques mais qui sont beaucoup plus flexibles. Outre la jeunesse politique, on a des étudiants. On ne peut pas les mettre en marge, en ce qui concerne le processus de la réconciliation, quand on sait ce qui s’est passé au sein des universités. A côté de cela, nous avons une jeunesse qui a été utilisée de part et d’autre, et qui a pris les armes. Pour la plupart, ils avaient moins de 40 ans. Cette jeunesse militarisée, il faut quand même l’écouter.
C’est donc essentiellement une jeunesse active, actrice de la crise?
Malheureusement des jeunes figurent parmi ces victimes.
Comment avez-vous pu les approcher?
Dans un premier temps, nous avons essayé de créer des cellules. Nous avons eu une première planification, c'est-à-dire qu’il a fallu concevoir avant la réalisation des actions sur le terrain. La phase de conception a consisté d’abord à identifier nos potentiels interlocuteurs. Ensuite, à identifier leur degré d’implication dans la crise, évaluer ou estimer les préoccupations qui pourraient venir d’eux. Nous avons établi les urgences et les priorités en fonction desquelles nous sommes allés vers les fronts chauds, avec pour objectif d’essayer de circonscrire le mal. Nous pensons qu’à notre nomination au poste de conseiller auprès du président de la Cdvr, Charles Konan Banny, notre première tâche a été d’aller vers la jeunesse politique qui intègre la jeunesse de l’opposition et celle favorable au pouvoir.
Ce sont eux qui constituent ce que vous appelez le front chaud ?
Oui, parce que c’est d’eux que pouvaient partir des escarmouches qui auraient pu se transformer en une autre crise socio-politique. Il fallait tout de suite aller les mettre en confiance, leur expliquer le bien-fondé de la réconciliation.
On devine aisément que les ex-combattants constituent le second front chaud.
Oui, en fait, il y en avait deux. Dans cette catégorisation, les ex-combattants avaient leurs préoccupations. Puisqu’ils avaient encore les caches d’armes, il fallait aller vers eux. Quand nous les avons approchés, nous avons cerné leur compréhension, leur disponibilité à pouvoir travailler dans le sens de la réconciliation. Nous nous sommes orientés vers la jeunesse militarisée ou ex-combattante, notamment celle du Nord, du Centre, c'est-à-dire de Korhogo et de Bouaké. Nous avons travaillé avec deux associations-mères. Au niveau de l’Ouest qui était un front assez chaud, des jeunes de Guiglo m’ont aidé à entrer en contact avec leur base.
En dépit de toutes ces approches, force est de constater que la question des ex-combattants reste très préoccupante dans le processus de réconciliation. Qu’est-ce qui coince selon vous ?
Les préoccupations sont de deux ordres. Il y a des ex-combattants qui disent avoir combattu pour que l’actuel président arrive au pouvoir. Pour eux, leur combat était légitime. Ils se sont battus pour qu’une certaine légalité soit reconnue. Une autre frange d’ex-combattants dit qu’elle se battait pour une légalité dans le temps, parce qu’ils avaient leur président qui était en fonction. De part et d’autre, ce sont des jeunes qui avaient un mobile fondé. Malheureusement, c’est la Côte d’Ivoire qui en a pâti. Des deux côtés, il y a eu des victimes physiques, psychologiques. Il y en a qui, malheureusement, n’ont plus eu la chance de travailler. Aujourd’hui, ils veulent être indemnisés. C’est donc une préoccupation majeure ; il ne faut pas faire de favoritisme. Il faut qu’on considère que c’étaient des jeunes ‘’embobinés‘’ ou engagés dans un combat. Des efforts sont en train d’être faits. D’autres estiment qu’ils doivent être réinsérés et cela tarde à venir. Même quand il y a des aides qui arrivent, ils estiment qu’elles ne sont pas à la hauteur des efforts qu’ils ont consentis.
Quelles solutions proposez-vous concrètement pour ces jeunes?
Ceux qui ne sont pas diplômés et qui ont appris à manipuler les armes, pour ne pas qu’on les laisse à la merci de la rue, il faut qu’on puisse les transformer en vigiles, par exemple. Ils sont nombreux qui disent : «nos femmes nous quittent parce qu’elles estiment que nous ne pouvons pas subvenir aux besoins de la famille». Je ne dis pas que c’est un cas général, mais la plupart de ceux que nous avons rencontrés posent un problème de dignité. Ceux qui ont eu les membres amputés demandent aussi une prise en charge. Il y a donc deux préoccupations majeures : l’emploi et l’indemnisation. Mais ils dénoncent aussi des traitements de faveur lors de l’identification pour le profilage et la réinsertion des ex-combattants dans l’armée régulière. Des personnes qui ne se sont jamais engagées sur le terrain des combats, accusent-ils, ont été identifiées parce qu’elles sont des proches, des parents ou des connaissances au détriment de ceux même qui ont été au front. Ils ressentent cela comme une frustration. Ils disent qu’ils reconnaissent ceux qui se sont adonnés à cette pratique. Je pense qu’il faut éviter que des gens qui ont appris à utiliser les armes et qui ont donné leur poitrine emmagasinent des frustrations. Si ce qu’ils dénoncent est la vérité, les autorités devraient y trouver une solution.
Que réclament ces ex-combattants?
Ceux qui ont pris des armes au Nord, au Centre pour la légitimité du pouvoir, ceux qui ont pris des armes à l’Ouest pour défendre la légitimité de l’ex-président, estiment tous qu’ils menaient le combat pour la République. Même s’ils l’ont fait pour un individu, ils estiment tous que la République, pour sa quête de réconciliation, ne doit pas les mettre en marge. Ils demandent à être indemnisés pour ne pas être à la merci de personnes mal intentionnées. Ils sont ouverts au message de la réconciliation mais ils ont d’autres préoccupations. Ils veulent travailler de sorte qu’ils soient valorisés dans leur famille, dans leur quartier, dans leur village.
D’autres jeunes ivoiriens sont en exil dans des pays voisins, au Libéria, au Ghana. Avez-vous conduit des missions vers ceux-là ?
La plupart de ceux qui sont au Libéria vivaient à l’Ouest. Ceux qui étaient à Abidjan sont partis beaucoup plus vers le Ghana. Pour ce qui est du Libéria, je suis en contact avec le président des exilés ivoiriens dans ce pays. J’ai été au Bénin où j’ai rencontré la communauté ivoirienne, les exilés et la jeunesse en question. Ensuite, au Ghana, je suis resté en contact avec pas mal de personnes.
La plupart de ceux qui retournent sont des adultes. Est-ce à dire que les jeunes exilés sont encore réservés ?
Oui, cela permet à la Côte d’Ivoire de comprendre que la racine de la réconciliation se trouve dans la jeunesse. Pour que le retour soit massif, il y a une catégorie d’âge qui gonfle les rangs, ce sont les jeunes. Mais ils se disent que certains de leurs camarades qui sont restés au pays ont été témoins d’atrocités commises par eux ou qu’on leur attribue à tort. Ici, en Côte d’Ivoire, il y a ce que la justice va faire mais il y a ce que la victime ou encore des jeunes qui ont échappé à des lynchages seront capables de faire. A ceux-là, la Cdvr et les autorités ne peuvent pas donner une garantie à 100%. Ils ont besoin d’être rassurés, sinon la volonté de retour est là. Il y en a qui disent que leurs bâtiments sont occupés. Au niveau de la ‘’galaxie patriotique‘’ (tendance pro-Gbagbo, ndlr), il est vrai que quelques uns étaient propriétaires de maisons à Abidjan. Mais, je ne pense pas que ceux qui sont en exil, à 90%, possèdent des maisons à Abidjan. Ils habitaient pour la plupart chez des tuteurs, en famille, chez un oncle. Donc ils ne peuvent pas poser le problème de maison comme la condition sine qua non de leur retour.
Qu’est-ce qui peut bien les retenir alors ?
Le véritable problème de leur retour, c’est la crainte, la méfiance et le manque de confiance en leurs camarades qu’ils ont failli lyncher ou qui leur reprochent à tort ou à raison d’avoir été des indics. Pendant la crise, des individus indiquaient des maisons de chefs de quartiers, par exemple. Les jeunes en exil doivent comprendre que les associations de jeunesses se sont mises ensemble pour dire qu’il faut rentrer définitivement.
Vous êtes optimiste. Cependant, c’est souvent que des jeunes sont pointés du doigt après une attaque. Comment expliquez-vous cela ?
Il y a un espoir mais je reconnais qu’une minorité active et bien organisée sait frapper par moments avec tact. Mais cette minorité doit être démotivée et découragée par des actions de masse, bien organisées et engagées. Nous entrons en 2014, dans la période pré-campagne. Elle est très sensible et je ne pense pas que ce soit le moment pour qu’une institution comme la Cdvr soit dissoute. Je ne dis pas forcément qu’il faut qu’on garde les hommes. Je pense que la Cdvr doit demeurer en l’état ou dans une autre forme, mais il faut qu’une institution puisse veiller à la continuité du travail entamé par la Commission actuelle.
Réalisée par Bidi Ignace
Que reste-t-il à faire au niveau de la jeunesse ivoirienne pour la réconcilier véritablement ?
La Commission dialogue, vérité et réconciliation, dont je suis membre et conseiller du président, est chargée de faire la lumière sur les événements passés et récents, de situer les responsabilités, d’amener les supposés bourreaux à reconnaître la faute commise pour que le pardon de la victime puisse s’ensuivre. Mais aussi de pouvoir faire des propositions visant à faire les réparations des torts commis et à rapprocher les différentes propositions. C’est un ensemble de processus qui a commencé d’abord par la phase de sensibilisation que nous avons eu à faire, ensuite celle de la consultation nationale. Une phase qualitative qui nous a permis de recueillir l’avis de plus d’une cinquantaine de milliers d’Ivoiriens qui est un échantillon assez représentatif. L’objectif principal de cette consultation était d’avoir l’avis des Ivoiriens sur le processus, savoir jusqu’où les investigations pouvaient être menées parce qu’il faut que nous puissions situer nos investigations dans le temps. La majorité des Ivoiriens se sont exprimés sur la borne de 1990, qui marque le début du multipartisme en Côte d’Ivoire jusqu’à maintenant. C’est dans ce canevas que nous avons situé nos études.
Vous ne dites toujours pas ce qui reste à faire comme démarche ou sensibilisation au niveau des jeunes pour les réconcilier.
J’ai fait exprès de faire cette présentation générale pour que l’opinion puisse être éclairée. Pour le reste, je pense qu’il y a beaucoup à faire. Deux ans, ce n’est pas suffisant à une Commission pour réconcilier les Ivoiriens. Mais j’avoue qu’en deux ans, la Côte d’Ivoire a fait un bond qualitatif concernant la cohésion sociale et le rapprochement des différents peuples. Comparativement à d’autres pays qui se sont essayés à la tâche, la Côte d’Ivoire est déjà en chantier, les populations ont appris à se parler. Je ne dirai pas que c’est le seul fait de la Commission dialogue, vérité et réconciliation, mais c’est avant tout la volonté même des Ivoiriens à aller à la réconciliation qui fait qu’aujourd’hui le climat est plus favorable au dialogue interpartis politiques et intercommunautaire.
De façon générale, deux blocs politiques se sont affrontés auxquels étaient respectivement adossés deux groupes de jeunesses, lors de la crise postélectorale. Avez-vous pu identifier d’autres catégories de jeunesses impliquées dans la crise ivoirienne ?
La scène politique et sociale est assez complexe et multiforme. En ce qui concerne les jeunes en particulier, vous avez les jeunes politiques, les jeunes attachés aux partis politiques. Vous avez les jeunesses du Rdr, du Pdci, du Fpi, du Mfa… Et vous avez d’autres jeunes qui se sont adonnés aux actions de la société civile de façon libérale. Ils ont créé des structures qui ne sont pas rattachées à des partis politiques mais qui sont beaucoup plus flexibles. Outre la jeunesse politique, on a des étudiants. On ne peut pas les mettre en marge, en ce qui concerne le processus de la réconciliation, quand on sait ce qui s’est passé au sein des universités. A côté de cela, nous avons une jeunesse qui a été utilisée de part et d’autre, et qui a pris les armes. Pour la plupart, ils avaient moins de 40 ans. Cette jeunesse militarisée, il faut quand même l’écouter.
C’est donc essentiellement une jeunesse active, actrice de la crise?
Malheureusement des jeunes figurent parmi ces victimes.
Comment avez-vous pu les approcher?
Dans un premier temps, nous avons essayé de créer des cellules. Nous avons eu une première planification, c'est-à-dire qu’il a fallu concevoir avant la réalisation des actions sur le terrain. La phase de conception a consisté d’abord à identifier nos potentiels interlocuteurs. Ensuite, à identifier leur degré d’implication dans la crise, évaluer ou estimer les préoccupations qui pourraient venir d’eux. Nous avons établi les urgences et les priorités en fonction desquelles nous sommes allés vers les fronts chauds, avec pour objectif d’essayer de circonscrire le mal. Nous pensons qu’à notre nomination au poste de conseiller auprès du président de la Cdvr, Charles Konan Banny, notre première tâche a été d’aller vers la jeunesse politique qui intègre la jeunesse de l’opposition et celle favorable au pouvoir.
Ce sont eux qui constituent ce que vous appelez le front chaud ?
Oui, parce que c’est d’eux que pouvaient partir des escarmouches qui auraient pu se transformer en une autre crise socio-politique. Il fallait tout de suite aller les mettre en confiance, leur expliquer le bien-fondé de la réconciliation.
On devine aisément que les ex-combattants constituent le second front chaud.
Oui, en fait, il y en avait deux. Dans cette catégorisation, les ex-combattants avaient leurs préoccupations. Puisqu’ils avaient encore les caches d’armes, il fallait aller vers eux. Quand nous les avons approchés, nous avons cerné leur compréhension, leur disponibilité à pouvoir travailler dans le sens de la réconciliation. Nous nous sommes orientés vers la jeunesse militarisée ou ex-combattante, notamment celle du Nord, du Centre, c'est-à-dire de Korhogo et de Bouaké. Nous avons travaillé avec deux associations-mères. Au niveau de l’Ouest qui était un front assez chaud, des jeunes de Guiglo m’ont aidé à entrer en contact avec leur base.
En dépit de toutes ces approches, force est de constater que la question des ex-combattants reste très préoccupante dans le processus de réconciliation. Qu’est-ce qui coince selon vous ?
Les préoccupations sont de deux ordres. Il y a des ex-combattants qui disent avoir combattu pour que l’actuel président arrive au pouvoir. Pour eux, leur combat était légitime. Ils se sont battus pour qu’une certaine légalité soit reconnue. Une autre frange d’ex-combattants dit qu’elle se battait pour une légalité dans le temps, parce qu’ils avaient leur président qui était en fonction. De part et d’autre, ce sont des jeunes qui avaient un mobile fondé. Malheureusement, c’est la Côte d’Ivoire qui en a pâti. Des deux côtés, il y a eu des victimes physiques, psychologiques. Il y en a qui, malheureusement, n’ont plus eu la chance de travailler. Aujourd’hui, ils veulent être indemnisés. C’est donc une préoccupation majeure ; il ne faut pas faire de favoritisme. Il faut qu’on considère que c’étaient des jeunes ‘’embobinés‘’ ou engagés dans un combat. Des efforts sont en train d’être faits. D’autres estiment qu’ils doivent être réinsérés et cela tarde à venir. Même quand il y a des aides qui arrivent, ils estiment qu’elles ne sont pas à la hauteur des efforts qu’ils ont consentis.
Quelles solutions proposez-vous concrètement pour ces jeunes?
Ceux qui ne sont pas diplômés et qui ont appris à manipuler les armes, pour ne pas qu’on les laisse à la merci de la rue, il faut qu’on puisse les transformer en vigiles, par exemple. Ils sont nombreux qui disent : «nos femmes nous quittent parce qu’elles estiment que nous ne pouvons pas subvenir aux besoins de la famille». Je ne dis pas que c’est un cas général, mais la plupart de ceux que nous avons rencontrés posent un problème de dignité. Ceux qui ont eu les membres amputés demandent aussi une prise en charge. Il y a donc deux préoccupations majeures : l’emploi et l’indemnisation. Mais ils dénoncent aussi des traitements de faveur lors de l’identification pour le profilage et la réinsertion des ex-combattants dans l’armée régulière. Des personnes qui ne se sont jamais engagées sur le terrain des combats, accusent-ils, ont été identifiées parce qu’elles sont des proches, des parents ou des connaissances au détriment de ceux même qui ont été au front. Ils ressentent cela comme une frustration. Ils disent qu’ils reconnaissent ceux qui se sont adonnés à cette pratique. Je pense qu’il faut éviter que des gens qui ont appris à utiliser les armes et qui ont donné leur poitrine emmagasinent des frustrations. Si ce qu’ils dénoncent est la vérité, les autorités devraient y trouver une solution.
Que réclament ces ex-combattants?
Ceux qui ont pris des armes au Nord, au Centre pour la légitimité du pouvoir, ceux qui ont pris des armes à l’Ouest pour défendre la légitimité de l’ex-président, estiment tous qu’ils menaient le combat pour la République. Même s’ils l’ont fait pour un individu, ils estiment tous que la République, pour sa quête de réconciliation, ne doit pas les mettre en marge. Ils demandent à être indemnisés pour ne pas être à la merci de personnes mal intentionnées. Ils sont ouverts au message de la réconciliation mais ils ont d’autres préoccupations. Ils veulent travailler de sorte qu’ils soient valorisés dans leur famille, dans leur quartier, dans leur village.
D’autres jeunes ivoiriens sont en exil dans des pays voisins, au Libéria, au Ghana. Avez-vous conduit des missions vers ceux-là ?
La plupart de ceux qui sont au Libéria vivaient à l’Ouest. Ceux qui étaient à Abidjan sont partis beaucoup plus vers le Ghana. Pour ce qui est du Libéria, je suis en contact avec le président des exilés ivoiriens dans ce pays. J’ai été au Bénin où j’ai rencontré la communauté ivoirienne, les exilés et la jeunesse en question. Ensuite, au Ghana, je suis resté en contact avec pas mal de personnes.
La plupart de ceux qui retournent sont des adultes. Est-ce à dire que les jeunes exilés sont encore réservés ?
Oui, cela permet à la Côte d’Ivoire de comprendre que la racine de la réconciliation se trouve dans la jeunesse. Pour que le retour soit massif, il y a une catégorie d’âge qui gonfle les rangs, ce sont les jeunes. Mais ils se disent que certains de leurs camarades qui sont restés au pays ont été témoins d’atrocités commises par eux ou qu’on leur attribue à tort. Ici, en Côte d’Ivoire, il y a ce que la justice va faire mais il y a ce que la victime ou encore des jeunes qui ont échappé à des lynchages seront capables de faire. A ceux-là, la Cdvr et les autorités ne peuvent pas donner une garantie à 100%. Ils ont besoin d’être rassurés, sinon la volonté de retour est là. Il y en a qui disent que leurs bâtiments sont occupés. Au niveau de la ‘’galaxie patriotique‘’ (tendance pro-Gbagbo, ndlr), il est vrai que quelques uns étaient propriétaires de maisons à Abidjan. Mais, je ne pense pas que ceux qui sont en exil, à 90%, possèdent des maisons à Abidjan. Ils habitaient pour la plupart chez des tuteurs, en famille, chez un oncle. Donc ils ne peuvent pas poser le problème de maison comme la condition sine qua non de leur retour.
Qu’est-ce qui peut bien les retenir alors ?
Le véritable problème de leur retour, c’est la crainte, la méfiance et le manque de confiance en leurs camarades qu’ils ont failli lyncher ou qui leur reprochent à tort ou à raison d’avoir été des indics. Pendant la crise, des individus indiquaient des maisons de chefs de quartiers, par exemple. Les jeunes en exil doivent comprendre que les associations de jeunesses se sont mises ensemble pour dire qu’il faut rentrer définitivement.
Vous êtes optimiste. Cependant, c’est souvent que des jeunes sont pointés du doigt après une attaque. Comment expliquez-vous cela ?
Il y a un espoir mais je reconnais qu’une minorité active et bien organisée sait frapper par moments avec tact. Mais cette minorité doit être démotivée et découragée par des actions de masse, bien organisées et engagées. Nous entrons en 2014, dans la période pré-campagne. Elle est très sensible et je ne pense pas que ce soit le moment pour qu’une institution comme la Cdvr soit dissoute. Je ne dis pas forcément qu’il faut qu’on garde les hommes. Je pense que la Cdvr doit demeurer en l’état ou dans une autre forme, mais il faut qu’une institution puisse veiller à la continuité du travail entamé par la Commission actuelle.
Réalisée par Bidi Ignace