En deux ans d’exercice, la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) a sans doute tout fait, sauf l’essentiel.
C’est un aveu qui trahit Charles Konan Banny. Au sortir d’une séance de travail qu’il a eue, lundi, avec une délégation du Front populaire ivoirien (Fpi), le président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) a annoncé qu’il comptait désormais passer à la vitesse supérieure. « Nous devons accélérer le travail, les victimes sont impatientes. Il faut que nous arrivions vite à l’indemnisation », a confié Charles Konan Banny, après avoir annoncé l’ouverture des auditions des victimes de la crise ivoirienne. « C’est par là que M. Banny aurait dû commencer. Je suis désolé de le lui dire, il a échoué et il devait aller se faire voir ailleurs. Nous avons passé plus de deux ans à tergiverser », a déploré Issiaka Koné qui se présente lui-même comme une victime collatérale de la crise postélectorale. « Mon frère a été tué par les soldats de Gbagbo et je suis obligé de prendre en charge sa famille. Pendant tout son mandat, M. Banny n’a rien pu faire pour nous, il n’a pu trouver la moindre solution à nos préoccupations », a-t-il craché. Il n’est pas seul à regretter que ce soit seulement maintenant que l’ancien Premier ministre se décide à appuyer sur l’accélérateur. Yacou Ouattara, parent d’une des sept femmes tuées en mars 2011 à Abobo, lors de la crise postélectorale, partage les récriminations d’Issiaka Koné. « La Cdvr n’a pas de méthode. Banny travaille sans boussole ni repère, en tout cas, nous ne voyons rien, surtout qu’il n’a approché aucune victime. Nous ne savons pas comment cette structure travaille », a critiqué Yacou Ouattara. « Ce que la Cdvr est en train de faire est loin de nous réconcilier. La réconciliation sera difficile avec leur méthode », a insisté M. Ouattara. Tout aussi critique, Issa Diallo dont l’histoire ressemble à celle de nos précédents interlocuteurs, a dénoncé surtout le flou qui entoure la méthode de travail de la Cdvr. « Nous ne comprenons rien à sa méthode de travail. Sur cette base et à la lumière de ce qui se passe sur le terrain, nous pensons qu’elle n’est pas venue pour nous réconcilier. Ses responsables passent leur temps à faire des déclarations et à aller à l’intérieur. La crise a eu lieu à Abidjan et non à l’intérieur où ils s’en vont. Pour nous, la Cdvr fait de la propagande. Jusqu’à ce jour, nous n’avons vu aucune action de cette structure », a relevé Issa Diallo qui a abouti à la conclusion que « La Cdvr ne travaille pas ».
SANS BOUSSOLE
Mais au-delà des victimes, plusieurs observateurs et responsables politiques ont imputé à Charles Konan Banny, le piétinement du processus de réconciliation. « La Cdvr a essayé de toucher à tout, sans toutefois être parvenue à mettre l’accent sur ceux qui sont au cœur du processus de réconciliation, à savoir les victimes. Qui peut se considérer comme victime ? Quel mécanisme de compensation propose-t-on à ceux qui ont pu être identifiées comme victimes et à quelles hauteurs? Ce sont là autant de questions qui sont restées sans réponse durant le premier mandat de la Cdvr. Au lieu de ça, on a purifié les terres, on a accusé les acteurs politiques d’être à la base de ce qui est arrivé, c’est bien beau tout ça, mais on a manqué d’aller à l’essentiel. En lieu et place, on a surtout fait beaucoup de discours inutiles », a déploré un cadre du Rassemblement des républicains (Rdr). « Les victimes d’Abobo ou de Yopougon ont vainement attendu la Cdvr. Aux dernières nouvelles, c’est maintenant qu’elle songe à aller vers elles ; c’est dommage, mais… comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, on espère que M. Banny et ses hommes sauront être à la hauteur cette fois-ci », a-t-il indiqué. Même s’il elle se montre moins accusatrice, Mariétou Koné, la responsable du Programme national de cohésion sociale (Pncs), n’a pas manqué de se poser des questions. « Quelles perspectives pour ces personnes dont les maisons ont été détruites, pillées ou sont habitées par autrui? Que deviennent ceux dont les plantations sont occupées par d’autres ? Que fait-on de ces femmes violées qui ont perdu leur dignité ? Quel sort sera réservé aux entreprises qui ont dû fermer ? Que faire pour ces personnes qui vivent avec des cadavres dans leur maison ou cour, attendant avec impatience une exhumation pour une nouvelle inhumation ? Quels sont les différents types de victimes ? Qui a droit à quel type de réparations ? Beaucoup de questions demeurent en suspens et tout le monde attend les éclairages de la Cdvr », s’est-elle interrogée, dans une interview accordée, en septembre 2013, à Nord-Sud Quotidien. Ceux qui pensent que la Cdvr a navigué à vue, pendant plus de deux ans ont-ils raison d’être aussi critiques à l’égard de Charles Konan Banny ? « La réponse est mal aisée. En effet, la traçabilité méthodologique de la Commission dialogue, vérité et réconciliation est difficilement perceptible », a répondu le juriste et analyste politique, Geoffroy-Julien Kouao. Mais, a-t-il relativisé, « à l’inverse et à sa décharge, les actions de M. Banny et de ses collaborateurs sont contrariées. Elles le sont d’une part par les décisions de la justice institutionnelle nationale et internationale et d’autre part par les véhicules politiques de l’exécutif ivoirien. A l’analyse, la Cdvr est une institution symbolique sans réel pouvoir».
Marc Dossa
C’est un aveu qui trahit Charles Konan Banny. Au sortir d’une séance de travail qu’il a eue, lundi, avec une délégation du Front populaire ivoirien (Fpi), le président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) a annoncé qu’il comptait désormais passer à la vitesse supérieure. « Nous devons accélérer le travail, les victimes sont impatientes. Il faut que nous arrivions vite à l’indemnisation », a confié Charles Konan Banny, après avoir annoncé l’ouverture des auditions des victimes de la crise ivoirienne. « C’est par là que M. Banny aurait dû commencer. Je suis désolé de le lui dire, il a échoué et il devait aller se faire voir ailleurs. Nous avons passé plus de deux ans à tergiverser », a déploré Issiaka Koné qui se présente lui-même comme une victime collatérale de la crise postélectorale. « Mon frère a été tué par les soldats de Gbagbo et je suis obligé de prendre en charge sa famille. Pendant tout son mandat, M. Banny n’a rien pu faire pour nous, il n’a pu trouver la moindre solution à nos préoccupations », a-t-il craché. Il n’est pas seul à regretter que ce soit seulement maintenant que l’ancien Premier ministre se décide à appuyer sur l’accélérateur. Yacou Ouattara, parent d’une des sept femmes tuées en mars 2011 à Abobo, lors de la crise postélectorale, partage les récriminations d’Issiaka Koné. « La Cdvr n’a pas de méthode. Banny travaille sans boussole ni repère, en tout cas, nous ne voyons rien, surtout qu’il n’a approché aucune victime. Nous ne savons pas comment cette structure travaille », a critiqué Yacou Ouattara. « Ce que la Cdvr est en train de faire est loin de nous réconcilier. La réconciliation sera difficile avec leur méthode », a insisté M. Ouattara. Tout aussi critique, Issa Diallo dont l’histoire ressemble à celle de nos précédents interlocuteurs, a dénoncé surtout le flou qui entoure la méthode de travail de la Cdvr. « Nous ne comprenons rien à sa méthode de travail. Sur cette base et à la lumière de ce qui se passe sur le terrain, nous pensons qu’elle n’est pas venue pour nous réconcilier. Ses responsables passent leur temps à faire des déclarations et à aller à l’intérieur. La crise a eu lieu à Abidjan et non à l’intérieur où ils s’en vont. Pour nous, la Cdvr fait de la propagande. Jusqu’à ce jour, nous n’avons vu aucune action de cette structure », a relevé Issa Diallo qui a abouti à la conclusion que « La Cdvr ne travaille pas ».
SANS BOUSSOLE
Mais au-delà des victimes, plusieurs observateurs et responsables politiques ont imputé à Charles Konan Banny, le piétinement du processus de réconciliation. « La Cdvr a essayé de toucher à tout, sans toutefois être parvenue à mettre l’accent sur ceux qui sont au cœur du processus de réconciliation, à savoir les victimes. Qui peut se considérer comme victime ? Quel mécanisme de compensation propose-t-on à ceux qui ont pu être identifiées comme victimes et à quelles hauteurs? Ce sont là autant de questions qui sont restées sans réponse durant le premier mandat de la Cdvr. Au lieu de ça, on a purifié les terres, on a accusé les acteurs politiques d’être à la base de ce qui est arrivé, c’est bien beau tout ça, mais on a manqué d’aller à l’essentiel. En lieu et place, on a surtout fait beaucoup de discours inutiles », a déploré un cadre du Rassemblement des républicains (Rdr). « Les victimes d’Abobo ou de Yopougon ont vainement attendu la Cdvr. Aux dernières nouvelles, c’est maintenant qu’elle songe à aller vers elles ; c’est dommage, mais… comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, on espère que M. Banny et ses hommes sauront être à la hauteur cette fois-ci », a-t-il indiqué. Même s’il elle se montre moins accusatrice, Mariétou Koné, la responsable du Programme national de cohésion sociale (Pncs), n’a pas manqué de se poser des questions. « Quelles perspectives pour ces personnes dont les maisons ont été détruites, pillées ou sont habitées par autrui? Que deviennent ceux dont les plantations sont occupées par d’autres ? Que fait-on de ces femmes violées qui ont perdu leur dignité ? Quel sort sera réservé aux entreprises qui ont dû fermer ? Que faire pour ces personnes qui vivent avec des cadavres dans leur maison ou cour, attendant avec impatience une exhumation pour une nouvelle inhumation ? Quels sont les différents types de victimes ? Qui a droit à quel type de réparations ? Beaucoup de questions demeurent en suspens et tout le monde attend les éclairages de la Cdvr », s’est-elle interrogée, dans une interview accordée, en septembre 2013, à Nord-Sud Quotidien. Ceux qui pensent que la Cdvr a navigué à vue, pendant plus de deux ans ont-ils raison d’être aussi critiques à l’égard de Charles Konan Banny ? « La réponse est mal aisée. En effet, la traçabilité méthodologique de la Commission dialogue, vérité et réconciliation est difficilement perceptible », a répondu le juriste et analyste politique, Geoffroy-Julien Kouao. Mais, a-t-il relativisé, « à l’inverse et à sa décharge, les actions de M. Banny et de ses collaborateurs sont contrariées. Elles le sont d’une part par les décisions de la justice institutionnelle nationale et internationale et d’autre part par les véhicules politiques de l’exécutif ivoirien. A l’analyse, la Cdvr est une institution symbolique sans réel pouvoir».
Marc Dossa