Vedette incontestée du reggae en Côte d’Ivoire, en Afrique et dans le monde, Tiken Jah Fakoly s’apprête à lancer début juin dans les bacs son nouvel album intitulé « Dernier appel». En attendant cette échéance importante de sa désormais riche carrière, le chanteur savoure son 4ème disque d’or qu’il vient d’obtenir avec «African Revolution», sa dernière œuvre discographique, après ceux glanés par «Françafrique» en 2002, «Coup de gueule» en 2004 et «L’Africain» en 2007. Et depuis Bamako où il réside, Tiken Jah Fakoly garde avec un œil attentif sur tout ce qui se passe en Côte d’Ivoire. Dans cet entretien, il évoque naturellement son futur opus, et croque, avec le franc-parler qu’on lui connaît, tous les sujets brûlants de l’actualité sociopolitique ivoirienne. Tiken Jah Fakoly à bâtons rompus.
Le Patriote : Votre prochain album qui sortira début juin s’intitule «Dernier appel ». Pourquoi ?
Tiken Jah Fakoly : C’est le dernier appel pour le vol Africa. C’est encore un appel au peuple africain, au réveil de l’Afrique, parce que personne ne viendra changer notre continent à notre place. C’est encore un appel à la responsabilité du peuple africain par rapport à ce qu’il subit. Il ne faut pas arrêter de parler aux Africains, parce que Dieu nous aidera à aider ce continent que lorsque nous-mêmes, on mettra la main à la pâte. Ça ne veut pas dire que c’est le dernier album. Je pense que quand il y a la prière à la mosquée, il y a un premier appel, un deuxième appel et un dernier appel avant que la prière ne commence. Même à l’église, on fait plusieurs prières avant la prière principale. Il y a une dernière fois que la cloche sonne avant que la prière ne commence. C’est juste un appel au peuple africain.
LP : Combien de titres comportera l’album ?
TJF : Pour l’album africain, il y aura 16 titres et pour l’album européen ou occidental, il y aura 12 titres.
LP : Pourquoi justement cette différence ?
TJF : Cette différence, parce qu’aujourd’hui, il est démontré par les maisons de disques en France qu’il ne sert à rien de mettre plusieurs titres sur un album. Puisque dans un album, très souvent, il y a les gens qui choisissent deux ou trois titres qu’ils aiment. On met beaucoup de titres pour l’album destiné à l’Afrique parce qu’on a beaucoup de choses à dire sur l’Afrique. Il y a des choses que j’ai envie de dire entre nous les Africains. Ce sont les choses que je n’ai pas forcément besoin de mettre sur l’album qui sort en Occident. C’est aussi le choix d’Universal Music. Ensemble, on a décidé de mettre 12 titres, parce que les gens n’écoutent pas toutes les chansons d’un album.
LP : Hormis le « Dernier appel », quels sont les autres thèmes que vous développez dans vos chansons ?
TJF : Il y a un message que j’adresse à la diaspora. Quand nos dirigeants ont commencé à réclamer l’indépendance, les idées sont venues après le voyage de Kwame N’Krumah aux Etats-Unis, où il a rencontré la diaspora. Dans les années 60, Martin Luther King et Marcus Garvey ont rencontré des dirigeants africains de l’époque dont Sékou Touré, Kwame N’Krumah, Hailé Sélassié. J’appelle aujourd’hui la diaspora africaine dans le monde à ne pas se focaliser seulement sur l’argent ou l’économie, mais aussi à se concentrer sur le devenir de l’Afrique. Dans ce titre intitulé à juste titre « Diaspora», je fais un featuring avec Alpha Blondy. Il y a aussi d’autres titres qui donnent l’espoir aux Africains dans lesquels je parle de mon optimisme pour l’Afrique. Parce que je pense que l’Afrique est le continent de l’avenir. Dans le morceau « Quand l’Afrique va réveiller », je dis aux Africains de croire en ce continent, comme moi j’y crois. Je pense que si on se met au travail, si on met les enfants à l’école, on peut changer beaucoup de choses d’ici un siècle. Si nous ne sommes plus de ce monde, nos enfants ou nos petits-enfants découvriront une Afrique pleine d’espoir.
LP : Pensez-vous qu’il faut croire encore en cette Afrique où on assiste encore en 2014 à des guerres fratricides comme en Centrafrique où les gens se découpent à la machette ?
TJF: Il ne faut pas voir cela comme quelque chose de négatif. L’Afrique est dans un processus normal. Tous les grands pays aujourd’hui dits démocratiques, que ce soit la France, les Etats-Unis, sont des pays qui sont passés par les situations comme celles que vous évoquez. Ce qui se passe aujourd’hui en Centrafrique avec son lot de réfugiés sur les routes, nous rappelle ce qui s’est passé dans les pays que nous citons en exemple, il y a un siècle. Tout ce qu’il faut faire, c’est que chacun apporte sa contribution pour que de telles situations n’arrivent plus. Il ne faut pas être désespéré en voyant ces choses.
LP : Toujours à propos de l’album, y a-t-il un titre sur la Côte d’Ivoire ?
TJF : Moi, je fonctionne maintenant en Africain. Je ne fonctionne pas en Ivoirien seulement. Evidemment, il y aura des titres qui vont concerner la Côte d’Ivoire.
LP : Lesquels ?
TJF : Je ne peux pas les dévoiler maintenant. Parce que nous sommes à trois ou quatre mois de la sortie de l’album. Je pense qu’on ne doit pas dévoiler tous les titres aujourd’hui. Ce qui est sûr, c’est qu’il est important qu’un artiste engagé reste constant. Je ne veux pas me dérober à cette règle. Je veux continuer à être constant dans mon combat. Tout ce qu’on dira, ce sont des choses qui sont constatées. Des messages que nous faisons passer de sorte qu’ensemble, nous puissions nous donner la main pour que ce pays puisse continuer à avancer.
LP : Récemment en Côte d’Ivoire, il y a eu de fortes rumeurs sur l’état de santé du président de la République. Une certaine opinion ivoirienne a même souhaité sa mort. Qu’en pensez-vous en tant que porte-voix du peuple ?
TJF : C’est avec beaucoup de déception que je perçois ces rumeurs. On ne comprend pas ces rumeurs venant de certains Ivoiriens. Parce que je pense que dans toutes les cultures en Côte d’Ivoire ou en Afrique en général, lorsqu’il s’agit de la santé ou de la mort, il y a une certaine solidarité. On se met ensemble, on se retrouve pour souhaiter que la personne malade se rétablisse. Je pense que c’est très nul. Ça, ce n’est pas de la politique. C’est avec beaucoup de désespoir que j’ai vu ces informations sur les réseaux sociaux. C’est choquant. Moi, je fais partie de ceux qui ont la certitude que le président de la République va revenir en bonne santé. Puisque j’ai eu l’honneur d’avoir la Première Dame au téléphone, qui m’a contacté pour son gala. Ce jour-là, elle était avec le Chef de l’Etat et j’ai eu l’honneur de lui parler. Je sais que le président va revenir. Il va revenir pour continuer la révolution économique qu’il a commencée. Vous savez depuis Houphouët-Boigny, les Ivoiriens ont eu rarement l’espoir au niveau du développement. Il faut souhaiter ensemble qu’il puisse revenir, qu’il puisse continuer tout ce qu’il est en train de faire. On ne dit pas que tout est rose. Nous artistes, nous devons continuer à critiquer si nous constatons des choses. Mais je pense qu’aujourd’hui, il faut reconnaître que la Côte d’Ivoire est dans une position qui donne de l’espoir. Je pense que tous les Ivoiriens pourront se retrouver pour que la Côte d’Ivoire puisse avancer.
LP : Il y a aussi la question de la libération des pro-Gbagbo. Ce qui fâche un peu les victimes de la crise postélectorale. Est-ce que vous comprenez un peu cette démarche politique des autorités?
TJF : Je comprends la position des victimes. Je la respecte. Je serai à leur place, je ferais la même chose. Mais, je comprends aussi la position du gouvernement, qui aujourd’hui est en train d’écouter la communauté internationale, les leaders d’opinion. Nous, après la caravane de la réconciliation, avons écrit un livre blanc dans lequel nous avons passé un message important. Nous pensons que le président de la République et le gouvernement, nous ont écoutés. On a vu qu’il y a eu plusieurs vagues de libération (des pro-Gbagbo). Maintenant, on ne comprend pas qu’il n’y ait pas de l’apaisement. Que ceux qui sont libérés ne continuent pas à apaiser les cœurs. Parce que c’est en le faisant qu’ils peuvent encourager et qu’ils peuvent avoir d’autres libérations pour qu’au bout, nous puissions nous retrouver. Je pense que les victimes ont raison de prendre position, de faire savoir qu’elles ne sont pas contentes. C’est leur droit. Même ceux qui sont morts dans cette crise, qu’ils soient de tous les côtés, de toutes les régions de la Côte d’Ivoire, la meilleure manière d’honorer leurs mémoires, c’est d’apaiser les cœurs, d’aller vers l’apaisement, de développer ce pays. Sinon, on va dire qu’ils sont tous morts pour rien. Tout en comprenant et en respectant la position des victimes, j’encourage le gouvernement à aller plus loin, parce que la paix n’a pas de prix, la stabilité n’a pas de prix. S’il n’y a pas de stabilité, il n’y aura pas de développement, s’il n’y a pas de développement, il n’y aura pas de création d’emplois. S’il n’y a pas de créations d’emplois pour les jeunes Ivoiriens, ça va être difficile pour nous d’être tranquilles chacun dans sa maison.
LP : Les victimes attendent au moins que leurs bourreaux demandent pardon…
TJF : C’est la raison pour laquelle j’ai dit que je comprenais les victimes. Ce que je ne comprends pas, c’est effectivement ceux qui sont libérés, le langage qu’ils ont. C’est dommage. Parce que je pense que ça ne coûte rien de demander pardon dans ce pays. Tout le monde a demandé pardon. Nous avons vu le président de l’Assemblée nationale, courageusement demander pardon. Le président de la République a demandé pardon. Tout le monde l’a fait. Ça ne coûte rien. Parce que nous avons un héritage à nous tous qui est la Côte d’Ivoire. Nous devons tout faire pour que la situation s’apaise en Côte d’Ivoire. Je pense que les victimes ont raison de se révolter. Je souhaite que les bourreaux demandent pardon. Que le pardon vienne de partout. Que tout le monde demande pardon pour que nous puissions soulager les victimes, pour qu’on pense tous à la Côte d’Ivoire.
LP : Mais, malgré ces efforts de libération, on constate qu’il y a encore des attaques comme récemment à Grabo. Est-ce à dire que la Côte d’Ivoire est condamnée à rester dans la violence ?
TJF : Non, je pense que ceux qui font ces attaques, ceux qui souhaitent aujourd’hui que les troubles reviennent en Côte d’Ivoire, sont en train de montrer leur manière d’aimer la Côte d’Ivoire, qui n’est pas la bonne manière d’aimer le pays. C’est dommage qu’aujourd’hui où les investisseurs commencent à arriver, que les gens commencent à faire confiance à la Côte d’Ivoire, qu’il y ait encore des situations comme ça. Je pense que ce sont des gens qui sont en train de montrer leur vrai visage. J’espère que le gouvernement et ceux qui gèrent la sécurité en Côte d’Ivoire prendront toutes les dispositions pour éviter qu’on trouble la quiétude des Ivoiriens, pour éviter que la Côte d’Ivoire ne retombe dans cette situation dans laquelle elle était en 2011.
LP : Vos détracteurs disent que depuis que le président Ouattara est au pouvoir, Tiken Jah a perdu la voix…
TJF : Je pense que depuis que le président est au pouvoir, je n’ai pas encore sorti d’album. Donc, ils ne peuvent pas me juger pour le moment. Je l’ai dit tout à l’heure, nous avons le devoir devant l’histoire de garder notre crédibilité. Mais, cela ne veut pas dire que quand on est content, quand on pense que le pays est sur la bonne voie, qu’on ne doit pas le dire. Vous savez, même Dieu qui nous a créés, il y en a qui vont continuer à le détester. Il y en a qui disent qu’ils ne le reconnaissent pas. Même Jésus qui a été mis sur la croix n’est pas apprécié par tout le monde. Moi, je ne pense pas comme eux. Ce que les autres demandent, c’est que je me transforme en griot. Je n’ai pas à être ce griot. Ils n’ont qu’à me regarder. Dans mes interviews, à chaque fois, j’ai pris position quand il fallait prendre position. Vous savez, on ne peut pas empêcher les gens de penser ce qu’ils pensent, de dire ce qu’ils veulent dire, ce qu’ils ont envie de dire. Moi, je continue mon chemin. Je continue à écrire mon histoire. Ma crédibilité n’a pas de prix.
LP : Le FPI demande la libération de Gbagbo comme préalable pour aller à la paix et à la réconciliation. Comprenez-vous cette exigence-là?
TJF : D’abord, Gbagbo n’est pas entre les mains de la justice ivoirienne. Il est à la disposition de la justice internationale. C’est cette justice internationale qui avait prévenu Gbagbo lorsqu’il a confisqué le pouvoir. Tout le monde se souvient qu’à l’époque, la justice internationale lui avait demandé de laisser tomber le pouvoir. Ce n’est pas une affaire ivoiro-ivoirienne. C’est une affaire internationale. Ils ont le droit de réclamer la libération de Gbagbo. C’est leur plein droit. On ne peut pas les empêcher de le faire. Ce que je peux leur donner comme conseils, c’est que plus la Côte d’Ivoire sera apaisée, plus les Ivoiriens seront tranquillisés, plus la Côte d’Ivoire ira dans une situation positive, plus cela aura des retombées sur la situation de Gbagbo. Si Hamed Bakayoko, Guillaume Soro et autres avaient refusé d’entrer au gouvernement, prétextant que Ouattara n’est pas candidat, ils ne se seraient pas rapprochés de Gbagbo à l’époque. Ils n’auraient pas discuté avec lui. La stratégie du FPI n’est pas la bonne. Ils pensent peut-être qu’ils sont dans le vrai, nous sommes en démocratie, nous sommes dans un pays libre, chacun a sa manière de mener son combat. Moi, je ne crois pas forcément à leur stratégie. Je la respecte, c’est une manière de mener un combat. Gandhi a mené son combat d’une manière, Nelson Mandela a mené le sien d’une autre façon. Chacun a sa manière de mener son combat. S’ils pensent que c’est la meilleure manière pour eux, je ne peux que respecter leur démarche. Même si je ne crois pas en cela. En politique, il faut être stratège. A l’époque, j’avais souhaité qu’ils aillent aux élections législatives. Ils ne l’ont pas fait, ils ne sont pas non plus allés aux Municipales.
LP : Vous leur conseillez donc de rentrer au gouvernement ?
TJF : Si ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir ont accepté de rentrer dans le gouvernement de Gbagbo, de discuter avec lui, je ne vois pas aujourd’hui pourquoi le FPI ne ferait pas la même démarche. Peut-être que cette stratégie sera payante. Je trouve dommage de rester dans son coin, de faire la politique de la chaise vide. Cela n’a jamais payé. Il n’y a qu’eux qui peuvent analyser leur situation et mener leur combat à leur manière. Moi, je ne crois pas à la politique de la chaise vide. S’éloigner de ceux qui prennent les décisions n’est pas payant. On a eu des exemples en Côte d’Ivoire. Il faut aller ensemble, montrer son amour pour la Côte d’Ivoire, discuter avec les décideurs, jouer la carte de l’apaisement. Je pense que c’est comme cela qu’on peut avoir gain de cause.
LP : Que répondez-vous à ceux qui disent que sans Gbagbo, il n’y a pas de réconciliation ?
TJF : Il y a un pays qui s’appelle la Côte d’Ivoire qui va exister sans Gbagbo, Ouattara ou Bédié. Nous sommes dans la dernière phase. En 2030, on ne parlera plus de Gbagbo ni de Bédié encore moins de Ouattara. La Côte d’Ivoire continuera ans eux. Dire que sans telle ou telle personne, il n’y a pas de réconciliation ou pas de Côte d’Ivoire, moi, je n’y crois pas. D’autres personnes peuvent y croire. Je respecterai leur position. Dire que sans une personne, le pays n’avancera pas, c’est une erreur. Je pense que certains hommes politiques en ont fait l’expérience en Côte d’Ivoire, donc cela devrait servir d’exemples à d’autres personnes. C’est comme ça qu’on avance. Tout ce que je souhaite, c’est la paix pour mon pays, la stabilité pour mon pays. Le pays ne peut pas être aujourd’hui bloqué pour Ouattara ou pour Bédié ou encore pour Gbagbo ou pour Soro. La Côte d’Ivoire est au-dessus de tous ceux-là. Maintenant, s’il y a des gens qui pensent que la Côte d’Ivoire doit être accrochée à une personne, c’est une stratégie à laquelle je ne crois pas.
LP : Tiken Jah Fakoly revient de l’Afrique du Sud, le pays de Nelson Mandela. Que retient-il de l’homme ?
TJF : Je retiens que l’Afrique du Sud est un grand pays. C’est un grand pays, parce que les gens se sont pardonnés. J’ai vu des Blancs à qui j’ai dit que j’étais Africain d’origine ivoirienne. Ils m’ont répondu qu’eux aussi étaient Africains. J’ai vu un grand pays qui avance avec de grandes routes. J’ai vu un pays qui m’a donné l’espoir pour l’Afrique. Je souhaite que l’on se pardonne en Côte d’Ivoire, que l’on se donne la main en Côte d’Ivoire, qu’on avance pour faire de notre pays un grand pays. J’ai vu aussi comment l’Afrique a reconnu le combat mené par Nelson Mandela. J’ai visité la toute première maison achetée par Nelson Mandela. Une petite et modeste maison à Soweto. J’ai été au Musée de l’Apartheid qui est visité par des Noirs, des Blancs, des Chinois, des Indiens, etc. Tout le monde fait le voyage pour visiter ce musée. J’ai vu un pays qui est en train d’avancer avec beaucoup de forces. Les Noirs et les Blancs ne se sont pas mélangés, mais ils se parlent, ils travaillent ensemble. Ils avancent ensemble, tout en espérant que d’ici à 50 ans ou dans un siècle ils se mélangeront pour continuer la construction de leur pays. C’est un voyage qui m’a beaucoup appris.
LP : Il semble que vous y avez été invité par un artiste célèbre…
TJF : Effectivement. J’ai été invité par l’artiste Bono du groupe U2 qui a rassemblé certains artistes africains pour faire un titre sur l’agriculture. Parce qu’aujourd’hui, ils veulent pousser les chefs d’Etat africains à investir plus dans l’agriculture. J’ai été invité parce que moi-même je suis agriculteur. J’ai fait 15 hectares de riz. Je viens de finir la récolte à Gbéléban. J’étais avec des artistes zimbabwéens, nigérians, kenyans, malawites et d’Afrique du Sud. Nous avons enregistré ce morceau et tourné le clip. Bientôt, les Ivoiriens le verront à la télévision. J’y représentais l’Afrique de l’Ouest. Je suis revenu au Mali avec beaucoup d’espoir. Parce que je me dis avec tout ce que l’Afrique du Sud a connu, si les populations se sont pardonnées, il n’y a pas de raison que nous n’ayons pas d’espoir pour notre pays et pour toute l’Afrique.
LP : Vous aviez dit que vous ne quitteriez pas le Mali tant que ce pays sera en guerre. La paix y est revenue aujourd’hui. A quand alors votre retour en Côte d’Ivoire?
TJF : Je l’ai dit tantôt. Je fonctionne maintenant en Africain d’origine ivoirienne. Je travaille pour l’Afrique. Je suis au service de toute l’Afrique. Le Mali est un pays africain où j’ai été reçu dans les meilleures conditions, où on m’apprécie toujours. Tout se passe très bien. Mon retour en Côte d’Ivoire ne fait pas partie de mes premiers soucis aujourd’hui. J’ai eu l’honneur d’être invité par la Première Dame au gala de Children of Africa le 14 mars prochain. Je serai là. Je vais souvent au pays mais je reste toujours au champ. Je ne médiatise pas mes allers et retours en Côte d’Ivoire. Mais j’y suis très souvent. Etre installé en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina ou au Nigéria, pour moi, c’est la même chose.
LP : Revenons à la musique. En plus d’Alpha Blondy, quels sont les autres artistes invités sur ton nouvel album?
TJ : J’ai également fait un featuring avec Patrice, un métis sierra-léonais/allemand qui est très connu en Europe, puis un un titre avec une jeune fille qui monte très fort en ce moment en Allemagne. C’est une métisse nigériane/allemande. Elle se nomme Nneka. Ce sont ces trois personnes qui sont en featuring sur l’album.
L.P : Où avez-vous enregistré l’œuvre ?
TJ : Nous avons commencé l’enregistrement à Paris dans un studio qui s’appelle Studio Cerbère et nous avons terminé dans mon nouveau studio à Bamako qui s’appelle le Studio Patrice Lumumba. Le mixage a été fait à Londres. Nous venons de finir le mixage. L’album est prêt. Nous attendons le 02 juin pour la sortie.
L.P : En attendant, des jeunes vendeurs de CD piratés écoulent en ce moment à Abidjan un nouveau produit de Tiken Jah intitulé « Etats-Unis d’Afrique ». Le savez-vous ?
TJ : Je voudrais dire à tous mes fans que je ne suis pas au courant de la sortie de cet album. Les pirates ont envie de se faire un peu d’argent sur mon dos. Vous savez, quand vous êtes connus, vous faîtes manger des millions de personnes dans le monde. C’est vrai que les Etats-Unis d’Afrique, c’est mon rêve, mais ce n’est pas un CD que j’ai sorti. A mes fans, je dis que mon album sortira le 2 juin et la version africaine comportera 16 titres.
L.P : Un vœu pour finir, surtout que nous sommes dans une nouvelle année ?
TJ : Je souhaite qu’il y ait une solidarité autour du président de la République, il faudrait qu’il nous revienne en forme, pour continuer la révolution économique qu’il a commencée. La Côte d’Ivoire a besoin de lui, et tout le monde le sait. Même si on n’aime pas le lièvre, il faut reconnaître qu’il court vite. La Côte d’Ivoire est en train de bouger. Il faut que nous accompagnions cette dynamique. En 2015, ceux qui veulent être candidats, le seront. Et les Ivoiriens choisiront.
Réalisée au téléphone par Y. Sangaré
Le Patriote : Votre prochain album qui sortira début juin s’intitule «Dernier appel ». Pourquoi ?
Tiken Jah Fakoly : C’est le dernier appel pour le vol Africa. C’est encore un appel au peuple africain, au réveil de l’Afrique, parce que personne ne viendra changer notre continent à notre place. C’est encore un appel à la responsabilité du peuple africain par rapport à ce qu’il subit. Il ne faut pas arrêter de parler aux Africains, parce que Dieu nous aidera à aider ce continent que lorsque nous-mêmes, on mettra la main à la pâte. Ça ne veut pas dire que c’est le dernier album. Je pense que quand il y a la prière à la mosquée, il y a un premier appel, un deuxième appel et un dernier appel avant que la prière ne commence. Même à l’église, on fait plusieurs prières avant la prière principale. Il y a une dernière fois que la cloche sonne avant que la prière ne commence. C’est juste un appel au peuple africain.
LP : Combien de titres comportera l’album ?
TJF : Pour l’album africain, il y aura 16 titres et pour l’album européen ou occidental, il y aura 12 titres.
LP : Pourquoi justement cette différence ?
TJF : Cette différence, parce qu’aujourd’hui, il est démontré par les maisons de disques en France qu’il ne sert à rien de mettre plusieurs titres sur un album. Puisque dans un album, très souvent, il y a les gens qui choisissent deux ou trois titres qu’ils aiment. On met beaucoup de titres pour l’album destiné à l’Afrique parce qu’on a beaucoup de choses à dire sur l’Afrique. Il y a des choses que j’ai envie de dire entre nous les Africains. Ce sont les choses que je n’ai pas forcément besoin de mettre sur l’album qui sort en Occident. C’est aussi le choix d’Universal Music. Ensemble, on a décidé de mettre 12 titres, parce que les gens n’écoutent pas toutes les chansons d’un album.
LP : Hormis le « Dernier appel », quels sont les autres thèmes que vous développez dans vos chansons ?
TJF : Il y a un message que j’adresse à la diaspora. Quand nos dirigeants ont commencé à réclamer l’indépendance, les idées sont venues après le voyage de Kwame N’Krumah aux Etats-Unis, où il a rencontré la diaspora. Dans les années 60, Martin Luther King et Marcus Garvey ont rencontré des dirigeants africains de l’époque dont Sékou Touré, Kwame N’Krumah, Hailé Sélassié. J’appelle aujourd’hui la diaspora africaine dans le monde à ne pas se focaliser seulement sur l’argent ou l’économie, mais aussi à se concentrer sur le devenir de l’Afrique. Dans ce titre intitulé à juste titre « Diaspora», je fais un featuring avec Alpha Blondy. Il y a aussi d’autres titres qui donnent l’espoir aux Africains dans lesquels je parle de mon optimisme pour l’Afrique. Parce que je pense que l’Afrique est le continent de l’avenir. Dans le morceau « Quand l’Afrique va réveiller », je dis aux Africains de croire en ce continent, comme moi j’y crois. Je pense que si on se met au travail, si on met les enfants à l’école, on peut changer beaucoup de choses d’ici un siècle. Si nous ne sommes plus de ce monde, nos enfants ou nos petits-enfants découvriront une Afrique pleine d’espoir.
LP : Pensez-vous qu’il faut croire encore en cette Afrique où on assiste encore en 2014 à des guerres fratricides comme en Centrafrique où les gens se découpent à la machette ?
TJF: Il ne faut pas voir cela comme quelque chose de négatif. L’Afrique est dans un processus normal. Tous les grands pays aujourd’hui dits démocratiques, que ce soit la France, les Etats-Unis, sont des pays qui sont passés par les situations comme celles que vous évoquez. Ce qui se passe aujourd’hui en Centrafrique avec son lot de réfugiés sur les routes, nous rappelle ce qui s’est passé dans les pays que nous citons en exemple, il y a un siècle. Tout ce qu’il faut faire, c’est que chacun apporte sa contribution pour que de telles situations n’arrivent plus. Il ne faut pas être désespéré en voyant ces choses.
LP : Toujours à propos de l’album, y a-t-il un titre sur la Côte d’Ivoire ?
TJF : Moi, je fonctionne maintenant en Africain. Je ne fonctionne pas en Ivoirien seulement. Evidemment, il y aura des titres qui vont concerner la Côte d’Ivoire.
LP : Lesquels ?
TJF : Je ne peux pas les dévoiler maintenant. Parce que nous sommes à trois ou quatre mois de la sortie de l’album. Je pense qu’on ne doit pas dévoiler tous les titres aujourd’hui. Ce qui est sûr, c’est qu’il est important qu’un artiste engagé reste constant. Je ne veux pas me dérober à cette règle. Je veux continuer à être constant dans mon combat. Tout ce qu’on dira, ce sont des choses qui sont constatées. Des messages que nous faisons passer de sorte qu’ensemble, nous puissions nous donner la main pour que ce pays puisse continuer à avancer.
LP : Récemment en Côte d’Ivoire, il y a eu de fortes rumeurs sur l’état de santé du président de la République. Une certaine opinion ivoirienne a même souhaité sa mort. Qu’en pensez-vous en tant que porte-voix du peuple ?
TJF : C’est avec beaucoup de déception que je perçois ces rumeurs. On ne comprend pas ces rumeurs venant de certains Ivoiriens. Parce que je pense que dans toutes les cultures en Côte d’Ivoire ou en Afrique en général, lorsqu’il s’agit de la santé ou de la mort, il y a une certaine solidarité. On se met ensemble, on se retrouve pour souhaiter que la personne malade se rétablisse. Je pense que c’est très nul. Ça, ce n’est pas de la politique. C’est avec beaucoup de désespoir que j’ai vu ces informations sur les réseaux sociaux. C’est choquant. Moi, je fais partie de ceux qui ont la certitude que le président de la République va revenir en bonne santé. Puisque j’ai eu l’honneur d’avoir la Première Dame au téléphone, qui m’a contacté pour son gala. Ce jour-là, elle était avec le Chef de l’Etat et j’ai eu l’honneur de lui parler. Je sais que le président va revenir. Il va revenir pour continuer la révolution économique qu’il a commencée. Vous savez depuis Houphouët-Boigny, les Ivoiriens ont eu rarement l’espoir au niveau du développement. Il faut souhaiter ensemble qu’il puisse revenir, qu’il puisse continuer tout ce qu’il est en train de faire. On ne dit pas que tout est rose. Nous artistes, nous devons continuer à critiquer si nous constatons des choses. Mais je pense qu’aujourd’hui, il faut reconnaître que la Côte d’Ivoire est dans une position qui donne de l’espoir. Je pense que tous les Ivoiriens pourront se retrouver pour que la Côte d’Ivoire puisse avancer.
LP : Il y a aussi la question de la libération des pro-Gbagbo. Ce qui fâche un peu les victimes de la crise postélectorale. Est-ce que vous comprenez un peu cette démarche politique des autorités?
TJF : Je comprends la position des victimes. Je la respecte. Je serai à leur place, je ferais la même chose. Mais, je comprends aussi la position du gouvernement, qui aujourd’hui est en train d’écouter la communauté internationale, les leaders d’opinion. Nous, après la caravane de la réconciliation, avons écrit un livre blanc dans lequel nous avons passé un message important. Nous pensons que le président de la République et le gouvernement, nous ont écoutés. On a vu qu’il y a eu plusieurs vagues de libération (des pro-Gbagbo). Maintenant, on ne comprend pas qu’il n’y ait pas de l’apaisement. Que ceux qui sont libérés ne continuent pas à apaiser les cœurs. Parce que c’est en le faisant qu’ils peuvent encourager et qu’ils peuvent avoir d’autres libérations pour qu’au bout, nous puissions nous retrouver. Je pense que les victimes ont raison de prendre position, de faire savoir qu’elles ne sont pas contentes. C’est leur droit. Même ceux qui sont morts dans cette crise, qu’ils soient de tous les côtés, de toutes les régions de la Côte d’Ivoire, la meilleure manière d’honorer leurs mémoires, c’est d’apaiser les cœurs, d’aller vers l’apaisement, de développer ce pays. Sinon, on va dire qu’ils sont tous morts pour rien. Tout en comprenant et en respectant la position des victimes, j’encourage le gouvernement à aller plus loin, parce que la paix n’a pas de prix, la stabilité n’a pas de prix. S’il n’y a pas de stabilité, il n’y aura pas de développement, s’il n’y a pas de développement, il n’y aura pas de création d’emplois. S’il n’y a pas de créations d’emplois pour les jeunes Ivoiriens, ça va être difficile pour nous d’être tranquilles chacun dans sa maison.
LP : Les victimes attendent au moins que leurs bourreaux demandent pardon…
TJF : C’est la raison pour laquelle j’ai dit que je comprenais les victimes. Ce que je ne comprends pas, c’est effectivement ceux qui sont libérés, le langage qu’ils ont. C’est dommage. Parce que je pense que ça ne coûte rien de demander pardon dans ce pays. Tout le monde a demandé pardon. Nous avons vu le président de l’Assemblée nationale, courageusement demander pardon. Le président de la République a demandé pardon. Tout le monde l’a fait. Ça ne coûte rien. Parce que nous avons un héritage à nous tous qui est la Côte d’Ivoire. Nous devons tout faire pour que la situation s’apaise en Côte d’Ivoire. Je pense que les victimes ont raison de se révolter. Je souhaite que les bourreaux demandent pardon. Que le pardon vienne de partout. Que tout le monde demande pardon pour que nous puissions soulager les victimes, pour qu’on pense tous à la Côte d’Ivoire.
LP : Mais, malgré ces efforts de libération, on constate qu’il y a encore des attaques comme récemment à Grabo. Est-ce à dire que la Côte d’Ivoire est condamnée à rester dans la violence ?
TJF : Non, je pense que ceux qui font ces attaques, ceux qui souhaitent aujourd’hui que les troubles reviennent en Côte d’Ivoire, sont en train de montrer leur manière d’aimer la Côte d’Ivoire, qui n’est pas la bonne manière d’aimer le pays. C’est dommage qu’aujourd’hui où les investisseurs commencent à arriver, que les gens commencent à faire confiance à la Côte d’Ivoire, qu’il y ait encore des situations comme ça. Je pense que ce sont des gens qui sont en train de montrer leur vrai visage. J’espère que le gouvernement et ceux qui gèrent la sécurité en Côte d’Ivoire prendront toutes les dispositions pour éviter qu’on trouble la quiétude des Ivoiriens, pour éviter que la Côte d’Ivoire ne retombe dans cette situation dans laquelle elle était en 2011.
LP : Vos détracteurs disent que depuis que le président Ouattara est au pouvoir, Tiken Jah a perdu la voix…
TJF : Je pense que depuis que le président est au pouvoir, je n’ai pas encore sorti d’album. Donc, ils ne peuvent pas me juger pour le moment. Je l’ai dit tout à l’heure, nous avons le devoir devant l’histoire de garder notre crédibilité. Mais, cela ne veut pas dire que quand on est content, quand on pense que le pays est sur la bonne voie, qu’on ne doit pas le dire. Vous savez, même Dieu qui nous a créés, il y en a qui vont continuer à le détester. Il y en a qui disent qu’ils ne le reconnaissent pas. Même Jésus qui a été mis sur la croix n’est pas apprécié par tout le monde. Moi, je ne pense pas comme eux. Ce que les autres demandent, c’est que je me transforme en griot. Je n’ai pas à être ce griot. Ils n’ont qu’à me regarder. Dans mes interviews, à chaque fois, j’ai pris position quand il fallait prendre position. Vous savez, on ne peut pas empêcher les gens de penser ce qu’ils pensent, de dire ce qu’ils veulent dire, ce qu’ils ont envie de dire. Moi, je continue mon chemin. Je continue à écrire mon histoire. Ma crédibilité n’a pas de prix.
LP : Le FPI demande la libération de Gbagbo comme préalable pour aller à la paix et à la réconciliation. Comprenez-vous cette exigence-là?
TJF : D’abord, Gbagbo n’est pas entre les mains de la justice ivoirienne. Il est à la disposition de la justice internationale. C’est cette justice internationale qui avait prévenu Gbagbo lorsqu’il a confisqué le pouvoir. Tout le monde se souvient qu’à l’époque, la justice internationale lui avait demandé de laisser tomber le pouvoir. Ce n’est pas une affaire ivoiro-ivoirienne. C’est une affaire internationale. Ils ont le droit de réclamer la libération de Gbagbo. C’est leur plein droit. On ne peut pas les empêcher de le faire. Ce que je peux leur donner comme conseils, c’est que plus la Côte d’Ivoire sera apaisée, plus les Ivoiriens seront tranquillisés, plus la Côte d’Ivoire ira dans une situation positive, plus cela aura des retombées sur la situation de Gbagbo. Si Hamed Bakayoko, Guillaume Soro et autres avaient refusé d’entrer au gouvernement, prétextant que Ouattara n’est pas candidat, ils ne se seraient pas rapprochés de Gbagbo à l’époque. Ils n’auraient pas discuté avec lui. La stratégie du FPI n’est pas la bonne. Ils pensent peut-être qu’ils sont dans le vrai, nous sommes en démocratie, nous sommes dans un pays libre, chacun a sa manière de mener son combat. Moi, je ne crois pas forcément à leur stratégie. Je la respecte, c’est une manière de mener un combat. Gandhi a mené son combat d’une manière, Nelson Mandela a mené le sien d’une autre façon. Chacun a sa manière de mener son combat. S’ils pensent que c’est la meilleure manière pour eux, je ne peux que respecter leur démarche. Même si je ne crois pas en cela. En politique, il faut être stratège. A l’époque, j’avais souhaité qu’ils aillent aux élections législatives. Ils ne l’ont pas fait, ils ne sont pas non plus allés aux Municipales.
LP : Vous leur conseillez donc de rentrer au gouvernement ?
TJF : Si ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir ont accepté de rentrer dans le gouvernement de Gbagbo, de discuter avec lui, je ne vois pas aujourd’hui pourquoi le FPI ne ferait pas la même démarche. Peut-être que cette stratégie sera payante. Je trouve dommage de rester dans son coin, de faire la politique de la chaise vide. Cela n’a jamais payé. Il n’y a qu’eux qui peuvent analyser leur situation et mener leur combat à leur manière. Moi, je ne crois pas à la politique de la chaise vide. S’éloigner de ceux qui prennent les décisions n’est pas payant. On a eu des exemples en Côte d’Ivoire. Il faut aller ensemble, montrer son amour pour la Côte d’Ivoire, discuter avec les décideurs, jouer la carte de l’apaisement. Je pense que c’est comme cela qu’on peut avoir gain de cause.
LP : Que répondez-vous à ceux qui disent que sans Gbagbo, il n’y a pas de réconciliation ?
TJF : Il y a un pays qui s’appelle la Côte d’Ivoire qui va exister sans Gbagbo, Ouattara ou Bédié. Nous sommes dans la dernière phase. En 2030, on ne parlera plus de Gbagbo ni de Bédié encore moins de Ouattara. La Côte d’Ivoire continuera ans eux. Dire que sans telle ou telle personne, il n’y a pas de réconciliation ou pas de Côte d’Ivoire, moi, je n’y crois pas. D’autres personnes peuvent y croire. Je respecterai leur position. Dire que sans une personne, le pays n’avancera pas, c’est une erreur. Je pense que certains hommes politiques en ont fait l’expérience en Côte d’Ivoire, donc cela devrait servir d’exemples à d’autres personnes. C’est comme ça qu’on avance. Tout ce que je souhaite, c’est la paix pour mon pays, la stabilité pour mon pays. Le pays ne peut pas être aujourd’hui bloqué pour Ouattara ou pour Bédié ou encore pour Gbagbo ou pour Soro. La Côte d’Ivoire est au-dessus de tous ceux-là. Maintenant, s’il y a des gens qui pensent que la Côte d’Ivoire doit être accrochée à une personne, c’est une stratégie à laquelle je ne crois pas.
LP : Tiken Jah Fakoly revient de l’Afrique du Sud, le pays de Nelson Mandela. Que retient-il de l’homme ?
TJF : Je retiens que l’Afrique du Sud est un grand pays. C’est un grand pays, parce que les gens se sont pardonnés. J’ai vu des Blancs à qui j’ai dit que j’étais Africain d’origine ivoirienne. Ils m’ont répondu qu’eux aussi étaient Africains. J’ai vu un grand pays qui avance avec de grandes routes. J’ai vu un pays qui m’a donné l’espoir pour l’Afrique. Je souhaite que l’on se pardonne en Côte d’Ivoire, que l’on se donne la main en Côte d’Ivoire, qu’on avance pour faire de notre pays un grand pays. J’ai vu aussi comment l’Afrique a reconnu le combat mené par Nelson Mandela. J’ai visité la toute première maison achetée par Nelson Mandela. Une petite et modeste maison à Soweto. J’ai été au Musée de l’Apartheid qui est visité par des Noirs, des Blancs, des Chinois, des Indiens, etc. Tout le monde fait le voyage pour visiter ce musée. J’ai vu un pays qui est en train d’avancer avec beaucoup de forces. Les Noirs et les Blancs ne se sont pas mélangés, mais ils se parlent, ils travaillent ensemble. Ils avancent ensemble, tout en espérant que d’ici à 50 ans ou dans un siècle ils se mélangeront pour continuer la construction de leur pays. C’est un voyage qui m’a beaucoup appris.
LP : Il semble que vous y avez été invité par un artiste célèbre…
TJF : Effectivement. J’ai été invité par l’artiste Bono du groupe U2 qui a rassemblé certains artistes africains pour faire un titre sur l’agriculture. Parce qu’aujourd’hui, ils veulent pousser les chefs d’Etat africains à investir plus dans l’agriculture. J’ai été invité parce que moi-même je suis agriculteur. J’ai fait 15 hectares de riz. Je viens de finir la récolte à Gbéléban. J’étais avec des artistes zimbabwéens, nigérians, kenyans, malawites et d’Afrique du Sud. Nous avons enregistré ce morceau et tourné le clip. Bientôt, les Ivoiriens le verront à la télévision. J’y représentais l’Afrique de l’Ouest. Je suis revenu au Mali avec beaucoup d’espoir. Parce que je me dis avec tout ce que l’Afrique du Sud a connu, si les populations se sont pardonnées, il n’y a pas de raison que nous n’ayons pas d’espoir pour notre pays et pour toute l’Afrique.
LP : Vous aviez dit que vous ne quitteriez pas le Mali tant que ce pays sera en guerre. La paix y est revenue aujourd’hui. A quand alors votre retour en Côte d’Ivoire?
TJF : Je l’ai dit tantôt. Je fonctionne maintenant en Africain d’origine ivoirienne. Je travaille pour l’Afrique. Je suis au service de toute l’Afrique. Le Mali est un pays africain où j’ai été reçu dans les meilleures conditions, où on m’apprécie toujours. Tout se passe très bien. Mon retour en Côte d’Ivoire ne fait pas partie de mes premiers soucis aujourd’hui. J’ai eu l’honneur d’être invité par la Première Dame au gala de Children of Africa le 14 mars prochain. Je serai là. Je vais souvent au pays mais je reste toujours au champ. Je ne médiatise pas mes allers et retours en Côte d’Ivoire. Mais j’y suis très souvent. Etre installé en Côte d’Ivoire, au Mali, au Burkina ou au Nigéria, pour moi, c’est la même chose.
LP : Revenons à la musique. En plus d’Alpha Blondy, quels sont les autres artistes invités sur ton nouvel album?
TJ : J’ai également fait un featuring avec Patrice, un métis sierra-léonais/allemand qui est très connu en Europe, puis un un titre avec une jeune fille qui monte très fort en ce moment en Allemagne. C’est une métisse nigériane/allemande. Elle se nomme Nneka. Ce sont ces trois personnes qui sont en featuring sur l’album.
L.P : Où avez-vous enregistré l’œuvre ?
TJ : Nous avons commencé l’enregistrement à Paris dans un studio qui s’appelle Studio Cerbère et nous avons terminé dans mon nouveau studio à Bamako qui s’appelle le Studio Patrice Lumumba. Le mixage a été fait à Londres. Nous venons de finir le mixage. L’album est prêt. Nous attendons le 02 juin pour la sortie.
L.P : En attendant, des jeunes vendeurs de CD piratés écoulent en ce moment à Abidjan un nouveau produit de Tiken Jah intitulé « Etats-Unis d’Afrique ». Le savez-vous ?
TJ : Je voudrais dire à tous mes fans que je ne suis pas au courant de la sortie de cet album. Les pirates ont envie de se faire un peu d’argent sur mon dos. Vous savez, quand vous êtes connus, vous faîtes manger des millions de personnes dans le monde. C’est vrai que les Etats-Unis d’Afrique, c’est mon rêve, mais ce n’est pas un CD que j’ai sorti. A mes fans, je dis que mon album sortira le 2 juin et la version africaine comportera 16 titres.
L.P : Un vœu pour finir, surtout que nous sommes dans une nouvelle année ?
TJ : Je souhaite qu’il y ait une solidarité autour du président de la République, il faudrait qu’il nous revienne en forme, pour continuer la révolution économique qu’il a commencée. La Côte d’Ivoire a besoin de lui, et tout le monde le sait. Même si on n’aime pas le lièvre, il faut reconnaître qu’il court vite. La Côte d’Ivoire est en train de bouger. Il faut que nous accompagnions cette dynamique. En 2015, ceux qui veulent être candidats, le seront. Et les Ivoiriens choisiront.
Réalisée au téléphone par Y. Sangaré