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Société Publié le mercredi 12 mars 2014 | L’intelligent d’Abidjan

Entretien / Patriarche Happy Soh Nga Meffeu II, Leader traditionnel camerounais aux Ivoiriens: ‘‘On ne peut pas se permettre de vivre avec la haine et les ressentiments après tout ce qui s’est passé’’

Guide de la spiritualité ancestrale et chef de 3ème degré de Bapouh,à l’Ouest du Cameroun, le Patriarche Happy Soh Nga Meffeu II a séjourné récemment en Côte d’Ivoire où il a accueilli le Président Alassane Ouattara à son retour de France le dimanche 2 mars 2014. Il a également visité le Marché des Arts et du spectacle africain (MASA). Le Patriarche Happy Soh Nga Meffeu II qui garde un bon souvenir de la Côte d’Ivoire, «sa deuxième patrie» s’est ouvert à «L’Intelligent d’Abidjan» et aborde, les questions liées au processus de réconciliation nationale, à au rôle des leaders traditionnels africains.
La Côte d’Ivoire, est un pays que vous connaissez bien. Quels sont vos sentiments chaque fois que vous y revenez ?
Je vous remercie énormément. La Côte d’Ivoire est ma deuxième patrie. Je suis parti, quand on m’a intronisé chef dans le village de Bapouh où je vis actuellement. Je suis très ravi d’être là, d’autant plus que j’étais à l’accueil du Président Alassane Ouattara, le dimanche 2 mars 2014. Lorsque je suis arrivé, j’ai remarqué que dans la presse on disait que le Président Ouattara était décédé, des gens dansaient même. Mais j’ai été agréablement surpris de le voir s’exprimer à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris et lorsqu’il a annoncé son retour je me suis dit qu’il faut que je sois présent pour être témoin. J’ai donc constaté que le Président Ouattara est bel et bien vivant, il nous a montré sa canne baptisée «la canne de l’émergence». Je pense que la Côte d’Ivoire est en train de revivre après toutes ces années de crise. Les grands travaux qui sont en train d’être réalisés actuellement en Côte d’Ivoire me rappellent ceux que feu le président Félix Houphouët-Boigny avait entrepris et cela prouve que le Président Alassane Ouattara est la doublure du président Félix Houphouët-Boigny. Le processus de réconciliation dans un pays qui sort d’une longue crise est difficile, ça prend du temps et c’est le cas en Côte d’Ivoire, mais ce processus de réconciliation prendra forme. En Afrique du Sud, la réconciliation ne s’est pas faite sur un coup de baguette magique mais à partir de la conviction d’un homme qui s’appelle Nelson Mandela. Le Président Alassane Ouattara a aujourd’hui une conviction qui est la réconciliation, je lui fais confiance parce que j’ai vécu en Côte d’Ivoire pendant plusieurs année, j’ai vu ce qu’il a fait lorsqu’il était Premier ministre du président Félix Houphouët-Boigny.

Quelles sont vos propositions sur la réconciliation et comment selon vous, elle devrait se faire ?
La réconciliation ne peut pas se faire uniquement autour des politiciens. Les leaders traditionnels ivoiriens sont là, ils connaissent leurs peuples, et ce sont eux qui doivent prendre leur bâton de pèlerin pour aller voir leurs enfants qui sont en exil, dans les villages et qui se battent aujourd’hui pour avoir quelque chose à manger. La réconciliation ne peut pas se faire en deux jours, parce que c’est une conscience, une éducation, un mode de vie. La réconciliation, c’est de savoir qu’on est d’abord Ivoirien avant d’être Baoulé, Bété ou Dioula, musulman ou chrétien.

Le mandat de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation a été prorogé, pensez-vous que la CDVR puisse réussir sa mission en huit mois ?
Il est impossible pour la CDVR de réussir si elle n’a pas un cahier de charges clair et précis. Le constat que je fais, c’est que la CDVR a échoué parce que la solution aux problèmes des Ivoiriens ne se trouve pas dans les bureaux mais sur le terrain. Je pense donc que ce sont les chefs traditionnels qui peuvent redonner vie à la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation parce qu’ils ont foi en leur pays, en leurs enfants dont certains sont parmi ceux qui sont en exil et qui ne sont pas contents d’être dans cette situation. Est-ce que les chefs traditionnels ne peuvent pas aller chercher ces enfants qui sont dehors et les ramener en Côte d’Ivoire ? Ils ont envie de rentrer dans leur pays pour apporter leur contribution à la reconstruction en intégrant les programmes d’insertion et de réinsertion qui sont mis en œuvre depuis quelque temps. Chez nous au Cameroun, il y a plus de 250 tribus mais nous avons coutume de dire que la paix est notre raison d’être. En Côte d’Ivoire le président Houphouët disait que la paix n’est pas un vain mot, c’est un comportement. Les chefs traditionnels ne peuvent donc pas accepter que leurs enfants détruisent ce qu’ils ont mis du temps à bâtir. Il faut donc que tous les chefs traditionnels soient davantage impliqués dans le processus de réconciliation et je dirai, au risque de me répéter, que ce sont eux qui peuvent redonner vie à la CDVR.

Qu’est-ce qui vous a poussé à adhérer au Forum des Souverains et Leaders traditionnels du continent africain?
Les rois et chefs traditionnels sont des auxiliaires de l’Etat, donc ils sont au service de la Nation et non des individus, parce que les individus passent mais l’Etat demeure. En tant qu’auxiliaire de l’Etat, ils doivent avoir une autonomie et cela ne peut se faire que s’ils sont bien organisés et qu’ils ont des revenus qui peuvent leur permettre de vivre sans dépendre de qui que ce soit. Quand on se regroupe, on partage des idées et c’est en fonction de ces idées qu’on peut diriger un peuple, un Etat. Le roi ou le chef traditionnel est un gouvernant en miniature, mais en tant qu’auxiliaire de l’Etat, il a le devoir de rendre compte au préfet ou au sous-préfet et sa responsabilité c’est de faire la prévention. Il n’y a que le roi ou le chef traditionnel qui peut savoir qu’une menace est en train d’être planifiée et avant que le danger ne survienne, il aura pu sauver plusieurs vies humaines puisqu’il a l’obligation d’informer la hiérarchie. J’ai adhéré au Forum des Souverains et Leaders traditionnels du continent africain parce qu’en Afrique, nous avons l’obligation de développer la paix mais on ne peut le faire tout seul. On ne peut développer la paix qu’en étant unis, ensemble. Je ne peux pas appeler un Ivoirien, un Camerounais, un Sénégalais, un Sud-africain «mon frère» et dire que son problème n’est pas mon problème. C’est ensemble que nous devons résoudre les problèmes des uns et des autres et c’est pourquoi, dans une synergie à partir de notre forum, nous conjuguons nos efforts pour faire ce qu’on appelle la prévention.

Votre avis sur le fonds qui a été mis en place au sein du Forum des Souverains et leaders traditionnels africains?
Ce fonds permettra aux chefs traditionnels d’avoir des unités de transformation pour promouvoir les produits du terroir africain. Il est vrai que dans certains pays le gouvernement prend en charge les rois et chefs traditionnels, mais les chefs d’Etat africain se rendent progressivement compte qu’en déléguant une partie de leur pouvoir à leurs auxiliaires que sont les rois et chefs traditionnels, ils ont l’obligation de les rendre autonomes. Cela ne veut pas dire que le leader traditionnel est au service de l’individu, mais plutôt au service de l’Etat. Le Forum des Souverains et Leaders traditionnels africains est la seule organisation qui a mis en place un fonds, mais nous sommes en train de réfléchir encore sur la possibilité de créer une banque pour le développement de nos pays, de nos villages… Quand quelqu’un développe un village, c’est le pays tout entier qui en profite et ce gain se transmettra d’un chef d’Etat à un autre, en harmonie avec les populations pour une paix éternelle.

Votre présence a coïncidé avec la tenue à Abidjan de la 8ème édition du Marché des arts et du spectacle africain (MASA). Vous y a été fait un tour, quels souvenirs gardez-vous de ce marché ?
Effectivement j’étais au MASA en compagnie de sa majesté Tchiffi Zié Jean-Gervais mais je souhaite que certaines choses soient corrigées à l’avenir, notamment en ce qui concerne l’orientation des visiteurs. Le MASA a drainé du monde, mais tous n’ont pas pu y participer parce qu’ils n’ont pas pu être dirigés vers ce qu’ils voulaient voir. Il faut que désormais le MASA se déroule sur un seul site afin que que celui qui veut voir les masques africains sache où aller, celui qui veut consommer les mets africains qui font partie de nos cultures, se dirige au bon endroit. Mais si vous venez au palais de la Culture de Treichville et qu’on vous dit que les mets africains sont exposés à la Riviéra, mais vous retournez chez vous sans avoir été satisfait. Il faut donc corriger cette petite difficulté à l’avenir.

Que pouvez-vous conseiller pour terminer l’entretien ?
J’encourage le peuple ivoirien qui, après avoir passé plus de dix (10) ans dans la souffrance et la peine et une période de crise postélectorale, à panser ses plaies pour vivre ensemble. On ne peut pas se permettre de vivre avec la haine et les ressentiments après tout ce qui s’est passé. Il faut préparer un avenir meilleur et cela est la condition pour que les enfants de la Côte d’Ivoire soient heureux. Je demande à tous les Ivoiriens de panser leurs plaies et de penser à l’amour, à l’unité nationale, à la paix et à la cohésion sociale en voyant leurs frères. L’unité nationale est le symbole de la réussite et il ne peut y avoir de réussite sans la paix. Le Président Alassane Ouattara est en train de diriger la Côte d’Ivoire conformément au rêve du président Félix Houphouët-Boigny et pour le moment, c’est lui le Président de la République de Côte d’Ivoire. Mais s’il n’est plus là demain, il faut faire en sorte de préserver les acquis, l’hospitalité légendaire des Ivoiriens et je rentre au Cameroun avec un très bon souvenir de la Côte d’Ivoire.

Réalisé par Olivier Dion
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