Abidjan - La Côte d'Ivoire est entrée lundi au "musée des horreurs": de premières audiences publiques de bourreaux et de victimes de la crise politico-militaire ayant déchiré le pays entre 2000 à 2011 se sont ouvertes lundi à Abidjan.
Après maints retards, ce rendez-vous jugé crucial a enfin commencé, même si la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR), qui organise les auditions en s'inspirant du modèle mis en place en Afrique du Sud après l'apartheid, est très critiquée pour sa politisation et sa désorganisation patentes.
"Au musée des horreurs, nous voulons montrer aux Ivoiriens que nous sommes allés très loin", a déclaré le président de la CDVR, Charles Konan Banny, devant la presse.
Le cadre des débats, un luxueux hôtel surplombant le très select golf de la capitale économique ivoirienne, n'aurait pu paraître plus décalé eu égard à la nature des récits, tel celui de cette "mère à qui on a obligé de boire le sang de sa fille", comme l'a raconté M. Banny.
"Ici on écoute. Ici on compatit. (...) On encourage à la vérité. Car il ne s'agit pas de cautériser, il s'agit de soigner la plaie en profondeur. On ne juge pas, on ne condamne pas", a-t-il lancé, solennel, en ouverture de la séance, dans une salle exiguë.
Les journalistes ont ensuite été évacués des lieux par souci de "protection" des victimes, à qui la commission a également demandé de ne pas parler à la presse, a affirmé l'une d'entre elles.
La justice "transitionnelle", instaurée en 1995 par Nelson Mandela, est considérée comme l'un des principaux facteurs ayant évité l'implosion de l'Afrique du sud par la catharsis qu'elle engendra.
Les victimes de l'apartheid purent pardonner à leurs bourreaux, quand ceux-ci reconnaissaient leurs crimes. Des poursuites judiciaires étaient engagées lorsque les crimes reprochés étaient trop lourds ou que les accusés se montraient malhonnêtes.
En Côte d'Ivoire, "c'est la première fois qu'un tel mécanisme existe. On ne dit pas qu'on a tout bon. Mais il faut nous laisser notre chance", a lancé Marie-Paule Kodjo, une cadre de la CDVR.
La tâche est immense: le pays sort d'une décennie de crise, durant laquelle des milliers de personnes périrent - depuis l'élection de l'ex-président Laurent Gbagbo en 2000, marquée par des dizaines de morts et la découverte d'un premier charnier, à celle de son adversaire Alassane Ouattara fin 2010, investi en mai 2011 après des violences ayant fait plus de 3.000 victimes.
- 'Justice des vainqueurs' -
La Côte d'Ivoire se retrouva physiquement coupée en deux après un coup d'Etat manqué en 2002, seul le Sud restant sous domination des forces loyales à M. Gbagbo, quand le Nord passa sous le contrôle de milices favorables à M. Ouattara.
Mais la désignation par l'actuel chef de l'Etat de Charles Konan Banny à la tête de la CDVR interpelle: ancien Premier ministre issu de l'opposition sous Laurent Gbagbo, il est "un acteur de la crise, à la fois juge et partie", estime une source onusienne.
La commission doit en outre composer avec une justice ivoirienne inféodée au politique, selon les ONG de défense des droits de l'Homme, qui dénoncent régulièrement une "justice des vainqueurs".
Seul le camp pro-Gbagbo est inquiété, tandis que les pro-Ouattara, à qui au moins 700 morts sont imputés dans les dernières violences postélectorales, semblent intouchables.
Devant la CDVR, "ceux qui ont des choses à reprocher aux pro-Gbagbo vont pouvoir s'exprimer sans problème", selon l'expert de l'ONU.
Mais par crainte de représailles, "personne ne va se mouiller pour désigner les +Com'zones+", ces anciens chefs rebelles ayant aidé l'actuel président à conquérir le pouvoir, et placés à la tête des forces de sécurité, a-t-il commenté.
"Les victimes issues de tous les partis politiques sont venues. C'est bien équilibré", a rétorqué Marie-Paule Kodjo, reconnaissant que peu de "perpétrateurs" s'étaient à l'inverse déclarés à la commission.
La CDVR est louée pour avoir auditionné 63.000 témoins. Mais le fait qu'elle en sélectionne quelques dizaines, une centaine tout au plus, pour les faire parler dans des sessions peu médiatisées fait douter de sa capacité à provoquer la mobilisation et le pardon national recherchés.
Récemment interrogé par l'AFP, un cadre du régime avouait sans fard son scepticisme: "La CDVR? Mais pour quoi faire? Nous avons déjà la réconciliation."
jf/tmo
Après maints retards, ce rendez-vous jugé crucial a enfin commencé, même si la Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR), qui organise les auditions en s'inspirant du modèle mis en place en Afrique du Sud après l'apartheid, est très critiquée pour sa politisation et sa désorganisation patentes.
"Au musée des horreurs, nous voulons montrer aux Ivoiriens que nous sommes allés très loin", a déclaré le président de la CDVR, Charles Konan Banny, devant la presse.
Le cadre des débats, un luxueux hôtel surplombant le très select golf de la capitale économique ivoirienne, n'aurait pu paraître plus décalé eu égard à la nature des récits, tel celui de cette "mère à qui on a obligé de boire le sang de sa fille", comme l'a raconté M. Banny.
"Ici on écoute. Ici on compatit. (...) On encourage à la vérité. Car il ne s'agit pas de cautériser, il s'agit de soigner la plaie en profondeur. On ne juge pas, on ne condamne pas", a-t-il lancé, solennel, en ouverture de la séance, dans une salle exiguë.
Les journalistes ont ensuite été évacués des lieux par souci de "protection" des victimes, à qui la commission a également demandé de ne pas parler à la presse, a affirmé l'une d'entre elles.
La justice "transitionnelle", instaurée en 1995 par Nelson Mandela, est considérée comme l'un des principaux facteurs ayant évité l'implosion de l'Afrique du sud par la catharsis qu'elle engendra.
Les victimes de l'apartheid purent pardonner à leurs bourreaux, quand ceux-ci reconnaissaient leurs crimes. Des poursuites judiciaires étaient engagées lorsque les crimes reprochés étaient trop lourds ou que les accusés se montraient malhonnêtes.
En Côte d'Ivoire, "c'est la première fois qu'un tel mécanisme existe. On ne dit pas qu'on a tout bon. Mais il faut nous laisser notre chance", a lancé Marie-Paule Kodjo, une cadre de la CDVR.
La tâche est immense: le pays sort d'une décennie de crise, durant laquelle des milliers de personnes périrent - depuis l'élection de l'ex-président Laurent Gbagbo en 2000, marquée par des dizaines de morts et la découverte d'un premier charnier, à celle de son adversaire Alassane Ouattara fin 2010, investi en mai 2011 après des violences ayant fait plus de 3.000 victimes.
- 'Justice des vainqueurs' -
La Côte d'Ivoire se retrouva physiquement coupée en deux après un coup d'Etat manqué en 2002, seul le Sud restant sous domination des forces loyales à M. Gbagbo, quand le Nord passa sous le contrôle de milices favorables à M. Ouattara.
Mais la désignation par l'actuel chef de l'Etat de Charles Konan Banny à la tête de la CDVR interpelle: ancien Premier ministre issu de l'opposition sous Laurent Gbagbo, il est "un acteur de la crise, à la fois juge et partie", estime une source onusienne.
La commission doit en outre composer avec une justice ivoirienne inféodée au politique, selon les ONG de défense des droits de l'Homme, qui dénoncent régulièrement une "justice des vainqueurs".
Seul le camp pro-Gbagbo est inquiété, tandis que les pro-Ouattara, à qui au moins 700 morts sont imputés dans les dernières violences postélectorales, semblent intouchables.
Devant la CDVR, "ceux qui ont des choses à reprocher aux pro-Gbagbo vont pouvoir s'exprimer sans problème", selon l'expert de l'ONU.
Mais par crainte de représailles, "personne ne va se mouiller pour désigner les +Com'zones+", ces anciens chefs rebelles ayant aidé l'actuel président à conquérir le pouvoir, et placés à la tête des forces de sécurité, a-t-il commenté.
"Les victimes issues de tous les partis politiques sont venues. C'est bien équilibré", a rétorqué Marie-Paule Kodjo, reconnaissant que peu de "perpétrateurs" s'étaient à l'inverse déclarés à la commission.
La CDVR est louée pour avoir auditionné 63.000 témoins. Mais le fait qu'elle en sélectionne quelques dizaines, une centaine tout au plus, pour les faire parler dans des sessions peu médiatisées fait douter de sa capacité à provoquer la mobilisation et le pardon national recherchés.
Récemment interrogé par l'AFP, un cadre du régime avouait sans fard son scepticisme: "La CDVR? Mais pour quoi faire? Nous avons déjà la réconciliation."
jf/tmo