L’accès à l’énergie est pré-requis pour un développement socioéconomique. Sans électricité, l’éducation, la santé, l’économie sont en panne : cela se traduit, chaque année, par 2 à 5% de croissance en moins. Malgré les milliards $ d’investissements actuels, il faudra au moins 25 ou 30 ans pour espérer prononcer à l’unisson le mot « fiat lux » !
Le rapport de la Banque Mondiale de 2013, sur l’énergie, indique que 1,2 milliard d’individus n’ont pas accès à l’électricité. Ils sont localisés principalement en Asie, en Inde et en Afrique subsaharienne. Les anecdotes foisonnent à propos de ces coupures régulières et intempestives d’électricité. Au début, elles ne duraient que quelques minutes, ensuite plusieurs heures et de plus en plus maintenant des journées entières. En 2008, l’ile de Zanzibar était en liesse pour fêter le retour de la fée électricité après un mois de black-out. Les encombrantes et bruyantes machines de secours - jouxtant une maison, une échoppe ou un commerce - font désormais partie intégrante du paysage urbain. On ne compte plus les agences locales de compagnie nationale d’électricité qui ont été saccagées par une foule en colère. Et les drames des urgences d’hôpital, privées d’électricité et sans générateur d’appoint au cours d’une intervention chirurgicale ! Sans omettre la rupture de la chaîne du froid pour les sites touristiques ou les établissements hôteliers. A Accra, la compagnie nationale d’électricité publie un planning hebdomadaire ou mensuel de rotation par secteur pour son approvisionnement.
Conséquences déplorables pour une économie, certaines industries ne tournent en moyenne que 300 jours par an. Faute de pouvoir se doter de groupes électrogènes, certaines activités du secteur informel subissent les mêmes désagréments avec un manque à gagner de 15 à 20%. Selon toujours les estimations de la Banque Mondiale, cette pénurie chronique de moyen de production obère la croissance économique continentale de 2 à 5% par an.
Le taux d’électrification reflète-il exactement la réalité ?
Pour le continent, le taux d’accès à l’électricité est d’environ 40%. En excluant le Maghreb, l’Egypte et l’Afrique du Sud, ce chiffre diminue de moitié. Pour l’Afrique subsaharienne, la disparité entre les agglomérations et les zones rurales est encore plus flagrante : de 16% pour la première et moins de 5% pour la seconde. Ces données statistiques sont indispensables pour établir, quantifier les solutions futures. Il faut toutefois les nuancer quant la description de la réalité. Dans les quartiers populaires, le phénomène de « toile d’araignée » tendrait à démentir les données statistiques : un seul foyer raccordé est capable de « brancher » plusieurs maisons environnantes ! En tout et pour tout, la capacité additionnelle existante pour une trentaine de pays subsahariens (850 millions d’habitants) peine à atteindre les 75 GigaWatts ; ce qui équivaut à l’équipement d’un pays comme l’Espagne.
Quelles en sont les causes ? Il s’agit de la conjonction de plusieurs facteurs : politique, économique, sociale et environnementale. L’obsolescence des infrastructures n’est que la conséquence en bout de chaîne de la juxtaposition de ces problèmes précités. D’autres causes peuvent aussi être à l’origine de ce problème structurel. En effet, une nature moins clémente peut également entraîner des sécheresses qui provoquent l’étiage des sources hydrauliques. Et que dire de la capacité de destruction des infrastructures provoquée par les conflits armés ? En 2003, à la fin de la guerre civile, le Libéria – avec le concours des américains et des bailleurs de fonds - avait mis trois ans pour remettre à flots le réseau minimum indispensable pour le fonctionnement de l’administration et les services de base de Monrovia.
Aujourd’hui, seuls l’Afrique du Sud, l’Egypte et les pays du Maghreb sont dotés d’infrastructures qui leur permettent, tant bien que mal, d’amortir le choc du déficit énergétique. Mais ils restent tout de même confrontés à des problèmes de maintenance très onéreux ou de coupures régulières.
Le cercle vicieux de l’électricité
Au lendemain de nos indépendances, les deux premières décennies furent des périodes où les infrastructures existantes ou nouvellement construites pourvoyaient aux besoins de la population urbaine et des petites et moyennes industries de transformation.
Au début des années 1980, les barrages hydroélectriques et les centrales thermiques d’une durée de vie de 30 ans donnaient déjà quelques signes de d’essoufflement. Le surcoût d’importation de combustibles et l’insuffisance d’entretiens de maintenance ont annoncé les premiers délestages. Ensuite, le système n’a fait que s’autoalimenter : les abonnés refusaient de payer leur facture sans grand espoir de recouvrement. La régie nationale était alors obligée de louer ou d’acheter des générateurs de secours de plus en plus voraces en combustibles. Et ainsi de suite !
Le taux d’accroissement de la population (3% annuel) a surtout amplifié le phénomène. Cette démographie galopante provoque un exode rural. Contrairement au schéma de développement économique dans les pays industrialisés, cet afflux est essentiellement dû à une précarité économique dans les campagnes. Jusqu’en 2000 entre 25 à 30% de la population se concentre en zone urbaine ; elle sera de 50% en 2030. Les Etats ont été débordés ; aucun plan d’aménagement de territoire n’a été respecté face à la poussée des constructions anarchiques sans cadastre. Aujourd’hui, cette population exige de la part de l’administration des équipements collectifs : adduction d’eau, raccordement d’électricité et réseau de VRD pour les eaux usées.
L’électricité : un écosystème très complexe
La filière « électricité » est d’une complexité telle qu’elle a été confiée à une régie nationale sous tutelle de l’Etat. Elle se décompose de la manière suivante : d’abord côté « offre », une production de Très Haute Tension (THT) ; un transport de HT et Moyenne Tension (MT). Tandis que côté « demande », elle concerne la distribution de Moyenne ou Basse Tension vers l’industrie et la population. La construction d’infrastructures requiert des investissements très lourds, continus et amortissables que sur une période de plus de 25 ans. De surcroît, la maintenance des équipements et la partie « distribution » engloutissent, encore, sinon l’équivalent de 50% voire 100% de l’investissement initial. En aval de la filière, même si la population augmente, elle est de moins en moins solvable. Aujourd’hui, raccorder un foyer coûte entre 100 à 300 €uros c’est-à-dire au moins le double ou le triple de la facture de consommation annuelle d’un ménage.
Face à la faillite du système, les pays africains essayent de « surnager » depuis maintenant le début des années 1990. L’effort actuel permet d’obtenir un taux d’électrification annuel de l’ordre de 3%. En d’autres termes, il est quasiment neutralisé par le taux de croissance démographique. Pour pouvoir s’extirper de cette spirale infernale c’est-à-dire une remise à flots, l’accroissement de l’accès à l’électricité doit être de 10% (environ 7.000 MégaWatts) par an pendant au moins 10 ans. Total de la facture pour l’Afrique : 50 milliards $ ! Aujourd’hui, mis bout à bout, les financements dédiés sont de l’ordre de 15 milliards $ annuels, soient un écart de 35 milliards $.
L’urgence de la situation commande à nos dirigeants de trouver des solutions de très court terme et souvent onéreuses. En effet, le coût du KWh est estimé en moyenne à 0,20$ en Afrique ; soit le double de celui produit dans les pays émergents. Pour la population qui n’a pas accès à l’électricité - contrainte d’utiliser une batterie, des piles rechargeables, des bougies ou du pétrole lampant – les solutions de rechange leur coûtent entre 3 et 10 $ par mois. Alors qu’en milieu rural, le recours au bois de chauffe, au charbon accélère la destruction de la biodiversité.
Quelles solutions ?
L’aveu d’impuissance de certains de nos responsables étatiques se traduit dans les propos de cette ex-ministre nigériane du secteur : « nous devons, ensemble, exorciser l’esprit malin responsable de ces ténèbres ». Et pourtant, le potentiel énergétique est bel et bien là : 10% des gisements de pétrole mondiale, 8% pour le gaz, des chutes d’eau en abondance, de l’ensoleillement permanent et même de la géothermie ou vapeur de gaz de volcans.
Nos Etats ont quand même pris la mesure du problème de l’énergie. Il faisait déjà partie des priorités du Plan d’Action de Lagos ou PAL 1980 ; sorte de livre blanc contenant les solutions pour endiguer le sous-développement. Mais au tournant des années 1980, l’Afrique était à genoux. Deux chocs pétroliers successifs et la chute des cours des matières premières – base de nos recettes d’exportation - ont fini par asphyxier nos économies. La Banque Mondiale et le FMI sont venus à la rescousse avec les plans d’ajustements structurels. Ces institutions financières internationales étaient irriguées par un mode de pensée économique libérale (l’école de Chicago), socle également du Consensus de Washington. Le discours de l’époque pouvait se résumer de la manière suivante : « on veut bien vous aider mais avec nos conditionnalités… et l’Etat n’a pas à intervenir dans le fonctionnement d’un marché ». Dégraisser l’effectif pléthorique de vos administrations publiques et privatiser vos sociétés nationales pour que nous injections les financements et que nos industriels puissent vous accompagner ; tels étaient l’état d’esprit de nos créanciers. Force est de constater qu’avec deux décennies de recul, leur méthode s’est soldée par un échec. Les pays (Tunisie, Ghana) qui ont résisté à cette injonction de privatisation de leur régie nationale s’en sortent mieux que les autres Etats. Ceci ne nous dédouane pas de la mauvaise gestion de sociétés nationales ni de la faillite des agences de régulation et encore moins de la solvabilité des consommateurs.
De nouvelles initiatives prennent forme un peu partout sur le continent. Le système tend vers une coopération régionale et une mutualisation de la production et du transport d’électricité. Des pays à fort potentiel énergétique comme la RDC, l’Ethiopie ou l’Angola ont lancé de gigantesques travaux de construction de barrages hydroélectriques : respectivement grand INGA (40.000 Mégawatts), Renaissance (6.000 Mégawatts), Medio Kwanza (6.000 Mégawatts). Ce modèle d’intégration transfrontalière permet d’obtenir le soutien de certaines institutions bancaires. En effet, La BAD et la Banque Européenne d'Investissement (BEI) octroient des lignes de crédit à plusieurs Etats voisins - Power Pool ou pôle énergétique – et ce faisant parviennent à mieux répartir le coût des projets. De même que le Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) initiée par l’Union africaine, soutient un projet de 22 milliards $. Il vise à développer un réseau électrique panafricain d’ici à 2020. Il pourra peut-être accompagner les consortiums interétatiques – très prometteurs sur le papier – et qui sont en passe de se transformer en usine à gaz : le WAPP (West Africain Power Pool), le CAPP (Central African Power Pool) ou encore le EAPP (East African Power Pool).
De petites et moyennes unités de production de 50 à 500 Mégawatts – pour 50 à 150 millions $ - offre des solutions alternatives face à ces mastodontes. Elles ont l’avantage de se rapprocher des consommateurs finaux ; ce qui réduit le coût de raccordement. Le secteur énergétique est un marché porteur mais requiert de lourds investissements que les Etats et les institutions financières, seuls, sont incapables de supporter. Mais les capitaux privés sont frileux. Leur réticences s’expliquent par le facteur de risque sur du très long terme. La stabilité politique et surtout l’absence de visibilité au niveau de la réglementation ou de la fiscalité les incitent à la prudence. Est-ce-que les Etats respectent vraiment leur engagement de rachat par la société nationale de chaque kWh produit ? En ce qui concerne l’électrification rurale qui n’obéit à aucune logique de marché ou avec de faible rentabilité, on constate l’apparition de nouveaux acteurs. Des ONG essaient de nouer des partenariats avec des associations ou des communautés villageoises. Elles sont des relais essentiels pour compléter les actions des Agences d’Electrification Rurale (AER) dont la survie dépend des subventions versées par des organisations internationales ou un prélèvement sur les recettes des régies nationales.
En conclusion, faisons fi des injonctions et des conseils d’experts occidentaux – exterminateurs de baleines et de cachalots au XIXème siècle pour leur éclairage - qui exigent aujourd’hui de sources d’énergie « propres » et renouvelables pour l’Afrique. Nos gisements de charbon ou nos torchères du golfe de Guinée peuvent être transformés en méthane pour nos centrales thermiques. Cela limitera la déforestation de nos forêts même si nous émettons un peu plus de CO². L’essentiel est pouvoir combler notre retard en matière de production d’électricité. Il existe une dualité entre croissance économique et lutte contre le changement climatique. La protection de l’environnement, la réduction des Gaz à Effet de Serre (GES) limitent la portée des investissements générateurs d’emplois et de revenus. Pourquoi ne pas instaurer un moratoire de quelques décennies pour que le continent africain puisse se constituer un système de production énergétique ?
Alex ZAKA
Le rapport de la Banque Mondiale de 2013, sur l’énergie, indique que 1,2 milliard d’individus n’ont pas accès à l’électricité. Ils sont localisés principalement en Asie, en Inde et en Afrique subsaharienne. Les anecdotes foisonnent à propos de ces coupures régulières et intempestives d’électricité. Au début, elles ne duraient que quelques minutes, ensuite plusieurs heures et de plus en plus maintenant des journées entières. En 2008, l’ile de Zanzibar était en liesse pour fêter le retour de la fée électricité après un mois de black-out. Les encombrantes et bruyantes machines de secours - jouxtant une maison, une échoppe ou un commerce - font désormais partie intégrante du paysage urbain. On ne compte plus les agences locales de compagnie nationale d’électricité qui ont été saccagées par une foule en colère. Et les drames des urgences d’hôpital, privées d’électricité et sans générateur d’appoint au cours d’une intervention chirurgicale ! Sans omettre la rupture de la chaîne du froid pour les sites touristiques ou les établissements hôteliers. A Accra, la compagnie nationale d’électricité publie un planning hebdomadaire ou mensuel de rotation par secteur pour son approvisionnement.
Conséquences déplorables pour une économie, certaines industries ne tournent en moyenne que 300 jours par an. Faute de pouvoir se doter de groupes électrogènes, certaines activités du secteur informel subissent les mêmes désagréments avec un manque à gagner de 15 à 20%. Selon toujours les estimations de la Banque Mondiale, cette pénurie chronique de moyen de production obère la croissance économique continentale de 2 à 5% par an.
Le taux d’électrification reflète-il exactement la réalité ?
Pour le continent, le taux d’accès à l’électricité est d’environ 40%. En excluant le Maghreb, l’Egypte et l’Afrique du Sud, ce chiffre diminue de moitié. Pour l’Afrique subsaharienne, la disparité entre les agglomérations et les zones rurales est encore plus flagrante : de 16% pour la première et moins de 5% pour la seconde. Ces données statistiques sont indispensables pour établir, quantifier les solutions futures. Il faut toutefois les nuancer quant la description de la réalité. Dans les quartiers populaires, le phénomène de « toile d’araignée » tendrait à démentir les données statistiques : un seul foyer raccordé est capable de « brancher » plusieurs maisons environnantes ! En tout et pour tout, la capacité additionnelle existante pour une trentaine de pays subsahariens (850 millions d’habitants) peine à atteindre les 75 GigaWatts ; ce qui équivaut à l’équipement d’un pays comme l’Espagne.
Quelles en sont les causes ? Il s’agit de la conjonction de plusieurs facteurs : politique, économique, sociale et environnementale. L’obsolescence des infrastructures n’est que la conséquence en bout de chaîne de la juxtaposition de ces problèmes précités. D’autres causes peuvent aussi être à l’origine de ce problème structurel. En effet, une nature moins clémente peut également entraîner des sécheresses qui provoquent l’étiage des sources hydrauliques. Et que dire de la capacité de destruction des infrastructures provoquée par les conflits armés ? En 2003, à la fin de la guerre civile, le Libéria – avec le concours des américains et des bailleurs de fonds - avait mis trois ans pour remettre à flots le réseau minimum indispensable pour le fonctionnement de l’administration et les services de base de Monrovia.
Aujourd’hui, seuls l’Afrique du Sud, l’Egypte et les pays du Maghreb sont dotés d’infrastructures qui leur permettent, tant bien que mal, d’amortir le choc du déficit énergétique. Mais ils restent tout de même confrontés à des problèmes de maintenance très onéreux ou de coupures régulières.
Le cercle vicieux de l’électricité
Au lendemain de nos indépendances, les deux premières décennies furent des périodes où les infrastructures existantes ou nouvellement construites pourvoyaient aux besoins de la population urbaine et des petites et moyennes industries de transformation.
Au début des années 1980, les barrages hydroélectriques et les centrales thermiques d’une durée de vie de 30 ans donnaient déjà quelques signes de d’essoufflement. Le surcoût d’importation de combustibles et l’insuffisance d’entretiens de maintenance ont annoncé les premiers délestages. Ensuite, le système n’a fait que s’autoalimenter : les abonnés refusaient de payer leur facture sans grand espoir de recouvrement. La régie nationale était alors obligée de louer ou d’acheter des générateurs de secours de plus en plus voraces en combustibles. Et ainsi de suite !
Le taux d’accroissement de la population (3% annuel) a surtout amplifié le phénomène. Cette démographie galopante provoque un exode rural. Contrairement au schéma de développement économique dans les pays industrialisés, cet afflux est essentiellement dû à une précarité économique dans les campagnes. Jusqu’en 2000 entre 25 à 30% de la population se concentre en zone urbaine ; elle sera de 50% en 2030. Les Etats ont été débordés ; aucun plan d’aménagement de territoire n’a été respecté face à la poussée des constructions anarchiques sans cadastre. Aujourd’hui, cette population exige de la part de l’administration des équipements collectifs : adduction d’eau, raccordement d’électricité et réseau de VRD pour les eaux usées.
L’électricité : un écosystème très complexe
La filière « électricité » est d’une complexité telle qu’elle a été confiée à une régie nationale sous tutelle de l’Etat. Elle se décompose de la manière suivante : d’abord côté « offre », une production de Très Haute Tension (THT) ; un transport de HT et Moyenne Tension (MT). Tandis que côté « demande », elle concerne la distribution de Moyenne ou Basse Tension vers l’industrie et la population. La construction d’infrastructures requiert des investissements très lourds, continus et amortissables que sur une période de plus de 25 ans. De surcroît, la maintenance des équipements et la partie « distribution » engloutissent, encore, sinon l’équivalent de 50% voire 100% de l’investissement initial. En aval de la filière, même si la population augmente, elle est de moins en moins solvable. Aujourd’hui, raccorder un foyer coûte entre 100 à 300 €uros c’est-à-dire au moins le double ou le triple de la facture de consommation annuelle d’un ménage.
Face à la faillite du système, les pays africains essayent de « surnager » depuis maintenant le début des années 1990. L’effort actuel permet d’obtenir un taux d’électrification annuel de l’ordre de 3%. En d’autres termes, il est quasiment neutralisé par le taux de croissance démographique. Pour pouvoir s’extirper de cette spirale infernale c’est-à-dire une remise à flots, l’accroissement de l’accès à l’électricité doit être de 10% (environ 7.000 MégaWatts) par an pendant au moins 10 ans. Total de la facture pour l’Afrique : 50 milliards $ ! Aujourd’hui, mis bout à bout, les financements dédiés sont de l’ordre de 15 milliards $ annuels, soient un écart de 35 milliards $.
L’urgence de la situation commande à nos dirigeants de trouver des solutions de très court terme et souvent onéreuses. En effet, le coût du KWh est estimé en moyenne à 0,20$ en Afrique ; soit le double de celui produit dans les pays émergents. Pour la population qui n’a pas accès à l’électricité - contrainte d’utiliser une batterie, des piles rechargeables, des bougies ou du pétrole lampant – les solutions de rechange leur coûtent entre 3 et 10 $ par mois. Alors qu’en milieu rural, le recours au bois de chauffe, au charbon accélère la destruction de la biodiversité.
Quelles solutions ?
L’aveu d’impuissance de certains de nos responsables étatiques se traduit dans les propos de cette ex-ministre nigériane du secteur : « nous devons, ensemble, exorciser l’esprit malin responsable de ces ténèbres ». Et pourtant, le potentiel énergétique est bel et bien là : 10% des gisements de pétrole mondiale, 8% pour le gaz, des chutes d’eau en abondance, de l’ensoleillement permanent et même de la géothermie ou vapeur de gaz de volcans.
Nos Etats ont quand même pris la mesure du problème de l’énergie. Il faisait déjà partie des priorités du Plan d’Action de Lagos ou PAL 1980 ; sorte de livre blanc contenant les solutions pour endiguer le sous-développement. Mais au tournant des années 1980, l’Afrique était à genoux. Deux chocs pétroliers successifs et la chute des cours des matières premières – base de nos recettes d’exportation - ont fini par asphyxier nos économies. La Banque Mondiale et le FMI sont venus à la rescousse avec les plans d’ajustements structurels. Ces institutions financières internationales étaient irriguées par un mode de pensée économique libérale (l’école de Chicago), socle également du Consensus de Washington. Le discours de l’époque pouvait se résumer de la manière suivante : « on veut bien vous aider mais avec nos conditionnalités… et l’Etat n’a pas à intervenir dans le fonctionnement d’un marché ». Dégraisser l’effectif pléthorique de vos administrations publiques et privatiser vos sociétés nationales pour que nous injections les financements et que nos industriels puissent vous accompagner ; tels étaient l’état d’esprit de nos créanciers. Force est de constater qu’avec deux décennies de recul, leur méthode s’est soldée par un échec. Les pays (Tunisie, Ghana) qui ont résisté à cette injonction de privatisation de leur régie nationale s’en sortent mieux que les autres Etats. Ceci ne nous dédouane pas de la mauvaise gestion de sociétés nationales ni de la faillite des agences de régulation et encore moins de la solvabilité des consommateurs.
De nouvelles initiatives prennent forme un peu partout sur le continent. Le système tend vers une coopération régionale et une mutualisation de la production et du transport d’électricité. Des pays à fort potentiel énergétique comme la RDC, l’Ethiopie ou l’Angola ont lancé de gigantesques travaux de construction de barrages hydroélectriques : respectivement grand INGA (40.000 Mégawatts), Renaissance (6.000 Mégawatts), Medio Kwanza (6.000 Mégawatts). Ce modèle d’intégration transfrontalière permet d’obtenir le soutien de certaines institutions bancaires. En effet, La BAD et la Banque Européenne d'Investissement (BEI) octroient des lignes de crédit à plusieurs Etats voisins - Power Pool ou pôle énergétique – et ce faisant parviennent à mieux répartir le coût des projets. De même que le Programme de Développement des Infrastructures en Afrique (PIDA) initiée par l’Union africaine, soutient un projet de 22 milliards $. Il vise à développer un réseau électrique panafricain d’ici à 2020. Il pourra peut-être accompagner les consortiums interétatiques – très prometteurs sur le papier – et qui sont en passe de se transformer en usine à gaz : le WAPP (West Africain Power Pool), le CAPP (Central African Power Pool) ou encore le EAPP (East African Power Pool).
De petites et moyennes unités de production de 50 à 500 Mégawatts – pour 50 à 150 millions $ - offre des solutions alternatives face à ces mastodontes. Elles ont l’avantage de se rapprocher des consommateurs finaux ; ce qui réduit le coût de raccordement. Le secteur énergétique est un marché porteur mais requiert de lourds investissements que les Etats et les institutions financières, seuls, sont incapables de supporter. Mais les capitaux privés sont frileux. Leur réticences s’expliquent par le facteur de risque sur du très long terme. La stabilité politique et surtout l’absence de visibilité au niveau de la réglementation ou de la fiscalité les incitent à la prudence. Est-ce-que les Etats respectent vraiment leur engagement de rachat par la société nationale de chaque kWh produit ? En ce qui concerne l’électrification rurale qui n’obéit à aucune logique de marché ou avec de faible rentabilité, on constate l’apparition de nouveaux acteurs. Des ONG essaient de nouer des partenariats avec des associations ou des communautés villageoises. Elles sont des relais essentiels pour compléter les actions des Agences d’Electrification Rurale (AER) dont la survie dépend des subventions versées par des organisations internationales ou un prélèvement sur les recettes des régies nationales.
En conclusion, faisons fi des injonctions et des conseils d’experts occidentaux – exterminateurs de baleines et de cachalots au XIXème siècle pour leur éclairage - qui exigent aujourd’hui de sources d’énergie « propres » et renouvelables pour l’Afrique. Nos gisements de charbon ou nos torchères du golfe de Guinée peuvent être transformés en méthane pour nos centrales thermiques. Cela limitera la déforestation de nos forêts même si nous émettons un peu plus de CO². L’essentiel est pouvoir combler notre retard en matière de production d’électricité. Il existe une dualité entre croissance économique et lutte contre le changement climatique. La protection de l’environnement, la réduction des Gaz à Effet de Serre (GES) limitent la portée des investissements générateurs d’emplois et de revenus. Pourquoi ne pas instaurer un moratoire de quelques décennies pour que le continent africain puisse se constituer un système de production énergétique ?
Alex ZAKA