Binda Ngazolo joue dans ‘’Soleils’’, une fiction documentaire, son premier rôle au cinéma. En mars dernier, au Fespaco à Ouagagougou, l’acteur s’est entretenu avec nous.
Après plus de trente ans de carrière, c’est Sotigui Kouyaté qui vous permet avec ‘’Soleils’’ votre premier rôle au cinéma. Comment ce rôle vous tombe-t-il entre les mains?
C’est une histoire incroyable parce qu’un jour, je reçois à la poste, un scénario dont le titre était ‘’Soleils’’ avec la photo de Tiken Jah. Quand je l’ai lu, j’ai reconnu des pans entiers de ma réflexion, notamment sur le conte et sur la transmission. J’ai été saisi d’une peur-panique parce que je ne comprends pas pourquoi c’est à moi qu’on envoie le scénario. Bien que d’origine d’Afrique centrale, j’ai vécu trente années en Afrique de l’Ouest donc je comprends un peu la culture mandé. Mais, je ne comprends pas pourquoi c’est moi qu’on vient chercher pour incarner un personnage qui est Sotigui Kouyaté.
Pourquoi vous posiez-vous tant de questions?
Sotigui Kouyaté est de la caste des griots, descendants de Balla Fasseké qui était le djéli (Griot) de Soundjata Kéita. Ce n’est pas un griot quelconque, mais un Diabaté, Kanté, Cissoko… Je me voyais mal devant une caméra et dire que je suis un Kouyaté. Le réalisateur que je ne connaissais pas me répond que, ce n’est que du cinéma. Honnêtement, je lui ai dit que je ne me sentais pas légitime pour jouer ce rôle. Quand il m’a fait savoir que Dani Kouyaté que je connais est le coréalisateur du film, je me suis dis que s’il pense (Dani) que je peux incarner le rôle de son père dans un film, il faut qu’il m’explique comment il est arrivé à cette conclusion. Pourquoi le personnage principal ne porte pas un nom neutre ? Comment ferais-je pour porter le souffle, la parole d’un immense acteur comme Sotigui Kouyaté que le monde entier connaissait ? Je n’arrive pas à sa cheville et tout cela a fondé ma peur. Avec Dani, on a négocié pour couper la poire en deux en enlevant Kouyaté pour garder Sotigui. Parce que ce film rendait hommage à Sotigui qui est l’inspirateur de ce projet. En un mois, dans des conditions miraculeuses, nous avons tourné le film. C’est incroyable !
Avez-vous adapté le scénario à votre personnalité pour pouvoir conter aisément Sotigui ?
Je suis plus en forme quand Sotigui Kouyaté était filiforme. Ça ne pouvait pas se faire. Dani Kouyaté m’a demandé de le ramener dans ma manière de respirer. Il n’était pas question de singer Sotigui Kouyaté ou d’essayer de faire semblant d’être Sotigui Kouyaté. Il me fallait proposer une autre manière de porter ce récit. Une chose qui m’a aidée, c’est que Sotigui et moi-même avions en commun la pratique traditionnelle du conte. Je viens de ce formatage et c’est le conte qui m’a emmené au théâtre et au cinéma. Tout ce qu’il avait à dire, tout ce qu’il nous a laissé comme message, retrouve les préoccupations de toute ma vie et de toute ma carrière d’artiste dramatique, spécialisé dans le conte qui est le socle. Le conte c’est ma racine, c’est mon école. J’ai appris traditionnellement les arts de la parole. Je ne l’ai pas appris à l’école française.
L’on vous connaît plus conteur qu’acteur, est-ce un début avec Soleils pour vous voir dans d’autres rôles au cinéma ?
Je suis acteur. Je suis comédien. Je suis metteur en scène de théâtre. Je suis un médiateur culturel. J’ai toujours travaillé dans la transversalité. Je ne respecte pas les cloisonnements, les définitions des autres. Je considère que c’est celui qui produit une œuvre artistique qui la définit et qui détermine l’esprit dans lequel il fait sa proposition. Si ce rôle m’a été proposé, c’est dire que j’ai peut-être quelques talents d’acteurs. Si on vous demande d’incarner un personnage, c’est que vous êtes capables de le faire.
Depuis la sortie de Soleils, beaucoup de commentaires se font sur le registre dans lequel il faut classer Soleils. Ce film est-il un documentaire ?
Pour moi, c’est une sorte d’Ovni Objet visuel non identifié. Les puristes du cinéma peuvent ne pas l’aimer parce qu’il ne correspond pas à ce que certains déterminent comme étant un film. Pour moi, c’est un conte qui raconte la fonction du conte. C’est un conte qui raconte la fonction essentielle du conteur dans la société africaine. C’est un film qui raconte à quel point le conte est la racine mère de toutes les autres manières de raconter et de se raconter. C’est un conte qui raconte que le conteur n’est pas juste un amuseur, quelqu’un qui fait du divertissement. Le conteur raconte des histoires et peut aussi rendre compte de l’histoire. Or, précisément, l’Afrique souffre d’un déficit de récit, d’un déficit d’auto-considération. Nous souffrons d’un syndrome d’auto déconsidération. Ce qui fait qu’on a toujours déconsidéré tout ce qui vient de nous parce que beaucoup d’entre nous sont porteurs du récit des autres qui ont toujours sur nous un regard plein de préjugés.
Quel doit être pour vous la fonction du conte ?
Le conte raconte la nécessité pour nous de nous réapproprier nos imaginaires et nos différents récits ; et de nous reconnecter à notre récit pour pouvoir aller vers les autres en tant que nous-mêmes. Et non en tant qu’avatar ou caricature des autres parce que la plus part d’entre nous ont dans le tréfonds de leur être quelqu’un d’autre qui y habite. On est un peu schizophrène par le fait de l’histoire. Beaucoup d’entre nous sont porteurs du récit des autres. Dans la plus part des cas, beaucoup d’Africains ont à l’intérieur d’eux soit l’imaginaire arabo islamique qui les habite, soit l’imaginaire judéo chrétien. Ce qui fait que quelqu’un d’autre habite en nous. Nous n’avons pas d’autres alternatives que de nous réapproprier notre imaginaire et de cesser de nous regarder avec les yeux des autres. Il faut cesser de penser que le noir est maudit. Nous n’avons pas crucifié Jésus, ni déclenché la shoah ; Nous n’avons pas déclenché les pires catastrophes des siècles derniers. Nous n’avons pas été à la base du génocide ni des amérindiens ni des aborigènes. En quoi serions-nous plus mauvais que les autres sur cette planète ?
La fonction du conte étant de restituer ces récits, pensez-vous que le conte peut chasser ces imaginaires reçus?
Quand je raconte, je ne viens pas sur scène en me posant cette question. Je demande la permission au public de me prêter ses oreilles. Pendant le temps du conte, chaque auditeur va faire un peu abstraction de lui-même pour entrer dans notre récit commun et pour que nous nous lancions ensemble dans un imaginaire commun qui nous permet de faire comme si ce conte était une réalité immédiate. Pour un conteur, la question de savoir si le conte est compris ne se pose pas. Je raconte pour des gens qui ont des oreilles.
Quel est votre vœu pour Soleils qui est votre premier rôle au cinéma ?
Qu’il soit vu par un large public possible. Qu’il soit vu par les Africains de toutes les générations. Qu’il soit vu au fin fond du plus petit hameau du continent africain, dans le plus petit village de la planète terre. Que tous les humains puissent voir ce film. Ce n’est pas film fast food. Ce n’est pas un film commercial. Ce n’est pas un film de divertissement. C’est un objet didactique essentiel puisqu’il pose le problème essentiel de ce que nous sommes et de ce que les autres ont cru que nous étions. Car, c’est le récit qu’on nous a défaits. Et c’est par le récit que nous avons à défaire ce qui a été fait pour refaire ce qui n’aurait jamais dû être défait. Peu importe le temps que cela prendra. Nous sommes confrontés à des dégâts qui remontent à au moins deux millénaires. Nous sommes confrontés à une catastrophe qui remonte à cinq siècles. Nous sommes confrontés à la nécessité de restituer à nos enfants et petits enfants notre point de vue sur notre histoire commune. Le continent africain a été pillé de ses imaginaires et du produit de ces imaginaires. Ce qui fait que beaucoup de jeunes plasticiens africains ont été dépossédés de la possibilité de l’apprentissage de ce que nos ancêtres ont réalisé. Puisque tout cela se retrouve de l’autre côté de la méditerranée. Au point que pour retrouver certains éléments de notre histoire personnelle, nous sommes obligés d’acheter. Je ne verrai surement pas le résultat de tout ceci. Mais peu importe.
Réalisée à Ouaga par Koné Saydoo
Après plus de trente ans de carrière, c’est Sotigui Kouyaté qui vous permet avec ‘’Soleils’’ votre premier rôle au cinéma. Comment ce rôle vous tombe-t-il entre les mains?
C’est une histoire incroyable parce qu’un jour, je reçois à la poste, un scénario dont le titre était ‘’Soleils’’ avec la photo de Tiken Jah. Quand je l’ai lu, j’ai reconnu des pans entiers de ma réflexion, notamment sur le conte et sur la transmission. J’ai été saisi d’une peur-panique parce que je ne comprends pas pourquoi c’est à moi qu’on envoie le scénario. Bien que d’origine d’Afrique centrale, j’ai vécu trente années en Afrique de l’Ouest donc je comprends un peu la culture mandé. Mais, je ne comprends pas pourquoi c’est moi qu’on vient chercher pour incarner un personnage qui est Sotigui Kouyaté.
Pourquoi vous posiez-vous tant de questions?
Sotigui Kouyaté est de la caste des griots, descendants de Balla Fasseké qui était le djéli (Griot) de Soundjata Kéita. Ce n’est pas un griot quelconque, mais un Diabaté, Kanté, Cissoko… Je me voyais mal devant une caméra et dire que je suis un Kouyaté. Le réalisateur que je ne connaissais pas me répond que, ce n’est que du cinéma. Honnêtement, je lui ai dit que je ne me sentais pas légitime pour jouer ce rôle. Quand il m’a fait savoir que Dani Kouyaté que je connais est le coréalisateur du film, je me suis dis que s’il pense (Dani) que je peux incarner le rôle de son père dans un film, il faut qu’il m’explique comment il est arrivé à cette conclusion. Pourquoi le personnage principal ne porte pas un nom neutre ? Comment ferais-je pour porter le souffle, la parole d’un immense acteur comme Sotigui Kouyaté que le monde entier connaissait ? Je n’arrive pas à sa cheville et tout cela a fondé ma peur. Avec Dani, on a négocié pour couper la poire en deux en enlevant Kouyaté pour garder Sotigui. Parce que ce film rendait hommage à Sotigui qui est l’inspirateur de ce projet. En un mois, dans des conditions miraculeuses, nous avons tourné le film. C’est incroyable !
Avez-vous adapté le scénario à votre personnalité pour pouvoir conter aisément Sotigui ?
Je suis plus en forme quand Sotigui Kouyaté était filiforme. Ça ne pouvait pas se faire. Dani Kouyaté m’a demandé de le ramener dans ma manière de respirer. Il n’était pas question de singer Sotigui Kouyaté ou d’essayer de faire semblant d’être Sotigui Kouyaté. Il me fallait proposer une autre manière de porter ce récit. Une chose qui m’a aidée, c’est que Sotigui et moi-même avions en commun la pratique traditionnelle du conte. Je viens de ce formatage et c’est le conte qui m’a emmené au théâtre et au cinéma. Tout ce qu’il avait à dire, tout ce qu’il nous a laissé comme message, retrouve les préoccupations de toute ma vie et de toute ma carrière d’artiste dramatique, spécialisé dans le conte qui est le socle. Le conte c’est ma racine, c’est mon école. J’ai appris traditionnellement les arts de la parole. Je ne l’ai pas appris à l’école française.
L’on vous connaît plus conteur qu’acteur, est-ce un début avec Soleils pour vous voir dans d’autres rôles au cinéma ?
Je suis acteur. Je suis comédien. Je suis metteur en scène de théâtre. Je suis un médiateur culturel. J’ai toujours travaillé dans la transversalité. Je ne respecte pas les cloisonnements, les définitions des autres. Je considère que c’est celui qui produit une œuvre artistique qui la définit et qui détermine l’esprit dans lequel il fait sa proposition. Si ce rôle m’a été proposé, c’est dire que j’ai peut-être quelques talents d’acteurs. Si on vous demande d’incarner un personnage, c’est que vous êtes capables de le faire.
Depuis la sortie de Soleils, beaucoup de commentaires se font sur le registre dans lequel il faut classer Soleils. Ce film est-il un documentaire ?
Pour moi, c’est une sorte d’Ovni Objet visuel non identifié. Les puristes du cinéma peuvent ne pas l’aimer parce qu’il ne correspond pas à ce que certains déterminent comme étant un film. Pour moi, c’est un conte qui raconte la fonction du conte. C’est un conte qui raconte la fonction essentielle du conteur dans la société africaine. C’est un film qui raconte à quel point le conte est la racine mère de toutes les autres manières de raconter et de se raconter. C’est un conte qui raconte que le conteur n’est pas juste un amuseur, quelqu’un qui fait du divertissement. Le conteur raconte des histoires et peut aussi rendre compte de l’histoire. Or, précisément, l’Afrique souffre d’un déficit de récit, d’un déficit d’auto-considération. Nous souffrons d’un syndrome d’auto déconsidération. Ce qui fait qu’on a toujours déconsidéré tout ce qui vient de nous parce que beaucoup d’entre nous sont porteurs du récit des autres qui ont toujours sur nous un regard plein de préjugés.
Quel doit être pour vous la fonction du conte ?
Le conte raconte la nécessité pour nous de nous réapproprier nos imaginaires et nos différents récits ; et de nous reconnecter à notre récit pour pouvoir aller vers les autres en tant que nous-mêmes. Et non en tant qu’avatar ou caricature des autres parce que la plus part d’entre nous ont dans le tréfonds de leur être quelqu’un d’autre qui y habite. On est un peu schizophrène par le fait de l’histoire. Beaucoup d’entre nous sont porteurs du récit des autres. Dans la plus part des cas, beaucoup d’Africains ont à l’intérieur d’eux soit l’imaginaire arabo islamique qui les habite, soit l’imaginaire judéo chrétien. Ce qui fait que quelqu’un d’autre habite en nous. Nous n’avons pas d’autres alternatives que de nous réapproprier notre imaginaire et de cesser de nous regarder avec les yeux des autres. Il faut cesser de penser que le noir est maudit. Nous n’avons pas crucifié Jésus, ni déclenché la shoah ; Nous n’avons pas déclenché les pires catastrophes des siècles derniers. Nous n’avons pas été à la base du génocide ni des amérindiens ni des aborigènes. En quoi serions-nous plus mauvais que les autres sur cette planète ?
La fonction du conte étant de restituer ces récits, pensez-vous que le conte peut chasser ces imaginaires reçus?
Quand je raconte, je ne viens pas sur scène en me posant cette question. Je demande la permission au public de me prêter ses oreilles. Pendant le temps du conte, chaque auditeur va faire un peu abstraction de lui-même pour entrer dans notre récit commun et pour que nous nous lancions ensemble dans un imaginaire commun qui nous permet de faire comme si ce conte était une réalité immédiate. Pour un conteur, la question de savoir si le conte est compris ne se pose pas. Je raconte pour des gens qui ont des oreilles.
Quel est votre vœu pour Soleils qui est votre premier rôle au cinéma ?
Qu’il soit vu par un large public possible. Qu’il soit vu par les Africains de toutes les générations. Qu’il soit vu au fin fond du plus petit hameau du continent africain, dans le plus petit village de la planète terre. Que tous les humains puissent voir ce film. Ce n’est pas film fast food. Ce n’est pas un film commercial. Ce n’est pas un film de divertissement. C’est un objet didactique essentiel puisqu’il pose le problème essentiel de ce que nous sommes et de ce que les autres ont cru que nous étions. Car, c’est le récit qu’on nous a défaits. Et c’est par le récit que nous avons à défaire ce qui a été fait pour refaire ce qui n’aurait jamais dû être défait. Peu importe le temps que cela prendra. Nous sommes confrontés à des dégâts qui remontent à au moins deux millénaires. Nous sommes confrontés à une catastrophe qui remonte à cinq siècles. Nous sommes confrontés à la nécessité de restituer à nos enfants et petits enfants notre point de vue sur notre histoire commune. Le continent africain a été pillé de ses imaginaires et du produit de ces imaginaires. Ce qui fait que beaucoup de jeunes plasticiens africains ont été dépossédés de la possibilité de l’apprentissage de ce que nos ancêtres ont réalisé. Puisque tout cela se retrouve de l’autre côté de la méditerranée. Au point que pour retrouver certains éléments de notre histoire personnelle, nous sommes obligés d’acheter. Je ne verrai surement pas le résultat de tout ceci. Mais peu importe.
Réalisée à Ouaga par Koné Saydoo