Une tablette d’argile de l’époque sumérienne (IVe-IIIe millénaires avant notre ère), confiée par un collectionneur au British Museum, décrit le procédé de fabrication de l’Arche de Noé. Les animaux embarqués y sont également décrits avec précision.
Lorsque, ce jour de 1985, un collectionneur dépose au British Museum de Londres une tablette d’argile, le musée compte déjà plus de cent trente mille pièces liées à la civilisation et à la culture des mondes sumérien, assyrien et babylonien – qui se sont développés dans ce qui correspond à l’Irak actuel entre le IVe millénaire avec notre ère et le VIe siècle avant notre ère. Il n’y a jusque-là rien d’anormal dans cette démarche. Et l’objet, dans un premier temps, rejoint le reste de la collection des tablettes de l’écriture cunéiforme (en forme de clou) sumérienne.
Le Dr Irving Finkel, archéologue et assyriologue au British Museum, grand spécialiste de l’antique civilisation mésopotamienne, décide finalement d’entreprendre l’étude de cette tablette, qui se présente sous une forme modeste et semble n’offrir, au départ, qu’un intérêt moyen. D’autres tablettes cunéiformes évoquent, en effet, ce sujet mythique. Mais, cette fois, Finkel est emporté par le Déluge !
Une découverte
Irving Finkel a commencé à étudier l’assyriologie en 1972, à l’université de Birmingham, alors qu’il avait tout juste 18 ans. À 10 ans, il rêvait déjà de travailler un jour au British Museum. À l’université, il eut comme professeur W.G. Lambert. Cet homme remarquable, brillant mais intransigeant, lui enseigna le cunéiforme, depuis son entrée jusqu’à son doctorat que Finkel obtint en 1976. Il commence par étudier l’écriture cunéiforme babylonienne, puis l’écriture sumérienne. Plus tard, il passa encore trois ans à l’Institut oriental de Chicago, avant d’être nommé comme assyriologue au British Museum. Son rêve se réalisait !
Parmi les nombreuses fonctions d’un conservateur, l’une consiste à examiner les objets qui lui sont confiés pour identification ou authentification. C’est dans ce contexte que Finkel reçut au Museum, en 1985, un certain Douglas Simmonds. Il était l’heureux propriétaire d’une collection d’objets que son père Leonard lui avait offerte, parmi lesquels cette tablette babylonienne, que personne ne connaissait. En l’examinant, le chercheur comprit qu’elle révélait une partie du mythe du déluge babylonien. Ce n’est qu’en 1996, lorsque Douglas Simmonds la lui rapporta, que Finkel put travailler plus sérieusement sur le contenu de cette tablette.
Les Sumériens inventèrent la première écriture connue de l’humanité et des scribes se chargaient de la retranscription des informations. Les scribes mésopotamiens sont donc des lettrés appartenant à l’élite de la société. Ils écrivaient, sur ces tablettes d’argile, la vie quotidienne des Sumériens, des Assyriens, des Babyloniens et des autres civilisations de l’Asie occidentale qui ont fait leur ce mode d’expression ; ce sont eux encore qui y expliquent l’astronomie, les sciences des mathématiques ; ce sont eux, toujours, qui parlent du commerce et de son évolution ; ce sont eux, aussi, qui content les légendes et les mythes sous la forme d’épopées, dont la plus fameuse et la plus connue reste celle de Gilgamesh.
Après un minutieux travail de traduction, il s’avère que la tablette en question conte la technique de fabrication de l’arche du Déluge sumérien : son diamètre serait de 220 pieds, soit 67 de nos mètres ou encore « six bus londoniens ». Elle est compartimentée afin de séparer chacune des espèces animales embarquées. Ces séparations mesureraient 20 pieds, soit une hauteur de 2,20 mètres. L’ensemble est coiffé d’un toit !
La construction de l’Arche
Selon la tablette, l’Arche babylonienne se présente comme un énorme panier souple construit en tiges de bois entremêlées de tresses de bois de palmier. Les planches sont à peu près jointives, mais non étanches. Sa construction relève davantage des techniques de menuiserie que de charpente navale. Toute la surface est ensuite recouverte de bitume, que l’on recueille alors dans les puits irakiens, et qui permet de rendre cette énorme barque étanche. Du fait de la fonction très particulière réservée à l’Arche, on a construit un deuxième étage et elle est recouverte d’un toit pour abriter de la pluie ses futurs habitants.
À force de recherches, Finkel comprend que la construction de l’Arche babylonienne décrite dans la tablette cunéiforme rappelle la méthode de construction d’un coracle (bateau rudimentaire) moderne, publiée avant la Seconde Guerre mondiale : « La ressemblance, me raconta-t-il, le parallèle entre le procédé babylonien et celui en usage dans la première partie du XXe siècle, était identique : les hommes utilisaient ce même type d’embarcation depuis 1750 avant J.-C. jusque dans les années 1930 de notre ère ! On rencontre les mêmes embarcations en Asie. L’Arche babylonienne ressemblerait donc aux embarcations rondes utilisées en Irak et en Iran pour transporter les bêtes et les hommes d’une rive à l’autre d’une rivière ou d’un lac. »
Ces mêmes coracles, recouverts de peau, sont utilisés au Tibet, aux Indes, aux royaumes de l’Annam et du Tonkin. On les connaît aussi en Norvège et en Irlande ; au pays de Galles, on emploie ce type de coracles pour la pêche sur les rivières Teifi, Towy et Taf. En Occident, ils dateraient de l’époque gallo-romaine.
Pour Finkel, « l’Arche babylonienne était l’embarcation idéale pour sauver l’humanité de ce terrible Déluge. C’était un énorme panier souple, qui ne pouvait donc pas couler. C’était aussi une étrange nursery pour sauver l’humanité. Il flottait au gré des courants, sans danger aucun pour ses habitants – hommes, femmes et animaux de toutes espèces –, en attendant que les pluies cessent, que les eaux s’apaisent et/ou qu’elles se retirent. »
Reconsidérer l’histoire du Déluge
Le plus étonnant, le plus inattendu aussi, c’est que cette tablette en écriture cunéiforme décrit avec précision les animaux qui embarquèrent dans l’Arche : « Ils y montèrent, deux par deux, par couples. » Comme dans la Bible de Jérusalem, comme dans la Genèse !
Ce qui est remarquable encore, c’est que cette découverte nous amène à reconsidérer l’histoire du Déluge et l’histoire de l’Arche de Noé : « Il y eut de toute évidence, un Déluge et une Arche à la très lointaine époque mésopotamienne, explique Finkel… On retrouve le Déluge et l’Arche dans les textes bibliques en hébreu, avant de les retrouver dans d’autres récits moins anciens ou modernes. »
À présent, il existe une réplique grandeur nature de cette Arche, que l’on peut voir en vidéo, et qui fut construite en Inde, selon les critères de la tablette et de la découverte du chercheur britannique.
Gilles Van Grasdorff, journaliste et écrivain
Lorsque, ce jour de 1985, un collectionneur dépose au British Museum de Londres une tablette d’argile, le musée compte déjà plus de cent trente mille pièces liées à la civilisation et à la culture des mondes sumérien, assyrien et babylonien – qui se sont développés dans ce qui correspond à l’Irak actuel entre le IVe millénaire avec notre ère et le VIe siècle avant notre ère. Il n’y a jusque-là rien d’anormal dans cette démarche. Et l’objet, dans un premier temps, rejoint le reste de la collection des tablettes de l’écriture cunéiforme (en forme de clou) sumérienne.
Le Dr Irving Finkel, archéologue et assyriologue au British Museum, grand spécialiste de l’antique civilisation mésopotamienne, décide finalement d’entreprendre l’étude de cette tablette, qui se présente sous une forme modeste et semble n’offrir, au départ, qu’un intérêt moyen. D’autres tablettes cunéiformes évoquent, en effet, ce sujet mythique. Mais, cette fois, Finkel est emporté par le Déluge !
Une découverte
Irving Finkel a commencé à étudier l’assyriologie en 1972, à l’université de Birmingham, alors qu’il avait tout juste 18 ans. À 10 ans, il rêvait déjà de travailler un jour au British Museum. À l’université, il eut comme professeur W.G. Lambert. Cet homme remarquable, brillant mais intransigeant, lui enseigna le cunéiforme, depuis son entrée jusqu’à son doctorat que Finkel obtint en 1976. Il commence par étudier l’écriture cunéiforme babylonienne, puis l’écriture sumérienne. Plus tard, il passa encore trois ans à l’Institut oriental de Chicago, avant d’être nommé comme assyriologue au British Museum. Son rêve se réalisait !
Parmi les nombreuses fonctions d’un conservateur, l’une consiste à examiner les objets qui lui sont confiés pour identification ou authentification. C’est dans ce contexte que Finkel reçut au Museum, en 1985, un certain Douglas Simmonds. Il était l’heureux propriétaire d’une collection d’objets que son père Leonard lui avait offerte, parmi lesquels cette tablette babylonienne, que personne ne connaissait. En l’examinant, le chercheur comprit qu’elle révélait une partie du mythe du déluge babylonien. Ce n’est qu’en 1996, lorsque Douglas Simmonds la lui rapporta, que Finkel put travailler plus sérieusement sur le contenu de cette tablette.
Les Sumériens inventèrent la première écriture connue de l’humanité et des scribes se chargaient de la retranscription des informations. Les scribes mésopotamiens sont donc des lettrés appartenant à l’élite de la société. Ils écrivaient, sur ces tablettes d’argile, la vie quotidienne des Sumériens, des Assyriens, des Babyloniens et des autres civilisations de l’Asie occidentale qui ont fait leur ce mode d’expression ; ce sont eux encore qui y expliquent l’astronomie, les sciences des mathématiques ; ce sont eux, toujours, qui parlent du commerce et de son évolution ; ce sont eux, aussi, qui content les légendes et les mythes sous la forme d’épopées, dont la plus fameuse et la plus connue reste celle de Gilgamesh.
Après un minutieux travail de traduction, il s’avère que la tablette en question conte la technique de fabrication de l’arche du Déluge sumérien : son diamètre serait de 220 pieds, soit 67 de nos mètres ou encore « six bus londoniens ». Elle est compartimentée afin de séparer chacune des espèces animales embarquées. Ces séparations mesureraient 20 pieds, soit une hauteur de 2,20 mètres. L’ensemble est coiffé d’un toit !
La construction de l’Arche
Selon la tablette, l’Arche babylonienne se présente comme un énorme panier souple construit en tiges de bois entremêlées de tresses de bois de palmier. Les planches sont à peu près jointives, mais non étanches. Sa construction relève davantage des techniques de menuiserie que de charpente navale. Toute la surface est ensuite recouverte de bitume, que l’on recueille alors dans les puits irakiens, et qui permet de rendre cette énorme barque étanche. Du fait de la fonction très particulière réservée à l’Arche, on a construit un deuxième étage et elle est recouverte d’un toit pour abriter de la pluie ses futurs habitants.
À force de recherches, Finkel comprend que la construction de l’Arche babylonienne décrite dans la tablette cunéiforme rappelle la méthode de construction d’un coracle (bateau rudimentaire) moderne, publiée avant la Seconde Guerre mondiale : « La ressemblance, me raconta-t-il, le parallèle entre le procédé babylonien et celui en usage dans la première partie du XXe siècle, était identique : les hommes utilisaient ce même type d’embarcation depuis 1750 avant J.-C. jusque dans les années 1930 de notre ère ! On rencontre les mêmes embarcations en Asie. L’Arche babylonienne ressemblerait donc aux embarcations rondes utilisées en Irak et en Iran pour transporter les bêtes et les hommes d’une rive à l’autre d’une rivière ou d’un lac. »
Ces mêmes coracles, recouverts de peau, sont utilisés au Tibet, aux Indes, aux royaumes de l’Annam et du Tonkin. On les connaît aussi en Norvège et en Irlande ; au pays de Galles, on emploie ce type de coracles pour la pêche sur les rivières Teifi, Towy et Taf. En Occident, ils dateraient de l’époque gallo-romaine.
Pour Finkel, « l’Arche babylonienne était l’embarcation idéale pour sauver l’humanité de ce terrible Déluge. C’était un énorme panier souple, qui ne pouvait donc pas couler. C’était aussi une étrange nursery pour sauver l’humanité. Il flottait au gré des courants, sans danger aucun pour ses habitants – hommes, femmes et animaux de toutes espèces –, en attendant que les pluies cessent, que les eaux s’apaisent et/ou qu’elles se retirent. »
Reconsidérer l’histoire du Déluge
Le plus étonnant, le plus inattendu aussi, c’est que cette tablette en écriture cunéiforme décrit avec précision les animaux qui embarquèrent dans l’Arche : « Ils y montèrent, deux par deux, par couples. » Comme dans la Bible de Jérusalem, comme dans la Genèse !
Ce qui est remarquable encore, c’est que cette découverte nous amène à reconsidérer l’histoire du Déluge et l’histoire de l’Arche de Noé : « Il y eut de toute évidence, un Déluge et une Arche à la très lointaine époque mésopotamienne, explique Finkel… On retrouve le Déluge et l’Arche dans les textes bibliques en hébreu, avant de les retrouver dans d’autres récits moins anciens ou modernes. »
À présent, il existe une réplique grandeur nature de cette Arche, que l’on peut voir en vidéo, et qui fut construite en Inde, selon les critères de la tablette et de la découverte du chercheur britannique.
Gilles Van Grasdorff, journaliste et écrivain