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Société Publié le samedi 6 juin 2015 | L’intelligent d’Abidjan

Les Samedis de Biton : Les cadres dans tous les propos

La naïveté d’un enfant est touchante. Il pense et croit que son père peut tout. Il suffit qu’il demande un avion pour que son père le fasse descendre du ciel pour le lui donner. Il n’envisage pas un instant l’impuissance de son père à décrocher la lune pour lui. Et cette croyance, dans la religion, est appelé la foi. Croire que Dieu peut tout pour vous. Combien de fois le Peuple lui-même n’a pas été comparé à un enfant. Si l’enfant a des excuses, le Peuple, du moins une grande partie, est dans l’ignorance. Il croit que le patron ou le gouvernement refuse d’augmenter son salaire. En aucun moment, il n’imagine que ces deux entités puissent avoir des problèmes financiers. Un Président de la république, un directeur général a devant lui un puits d’argent dans lequel il n’a qu’à plonger sa main pour sortir de l’argent et le distribuer à satiété. C’est navrant de constater que des intellectuels sont dans cet état d’esprit. Mais, on peut comprendre que des intellectuels demeurent dans cet état d’esprit sachant qu’ils ne font aucun effort pour se cultiver dans d’autres domaines sauf leur matière. Une discussion avec certains d’entre eux poussent au découragement. Avec eux, on retrouve les deux thèmes que j’ai traités dans mon roman : « Sur le chemin de la gloire »

A savoir le goût immodéré du matériel et le tribalisme. Cette naïveté du Peuple est aussi étendue à l’échelle locale ou régionale. Il suffit d’un stade de football dégradé dans une ville pour qu’on indexe les cadres de la région qui refusent de jouer leur rôle. Chaque jour, on n’entend ici et là du refus des cadres de prendre en mains le destin de leur ville. Une route dégradée devient l’affaire des cadres. Partout un chargement est mis sur la tête des cadres pour le soulever toute l’année quel que soit le poids. Rien ne doit pouvoir résister au cadre. Il peut tout faire. Pour toute festivité sociale, culturelle, politique ou sportive dans la région les organisateurs n’hésitent pas à faire appel aux cadres de la région. Si ces cadres ne répondent pas à leur demande ils ne peuvent qu’être des méchants qui ne pensent pas au développement. Ils se comportent ainsi comme des enfants en bas-âge vis-à-vis de leurs parents. A force d’entendre les cadres dans tous les propos, on se demande ce que signifie un cadre. Pour les uns et les autres, le cadre est tout simplement l’enfant du village qui travaille en ville. Le fonctionnaire, le travailleur du privé. Tous ceux qui s’habillent comme des occidentaux, notamment ceux qui sont, en permanence, dans les costumes. Comme les enfants, ceux qui ne se considèrent pas comme des cadres, les villageois, les jeunes pensent que ceux qu’ils appellent les cadres peuvent tout et surtout doivent tout faire. Il ne vient à l’idée de personne de chercher savoir ce que chacun de ces cadres peut avoir comme revenu mensuel. Ceux qui sont appelés souvent comme des cadres sont des pauvres modernisés. Ils ont l’apparence de riches mais ce n’est qu’une apparence. Avoir une voiture, une maison confortable, de beaux habits, une belle femme ne signifie pas qu’on peut prendre en mains le destin d’une région. Souvent, ce sont des personnes qui sont, au rouge, tous les mois. L’apparence trompe, or, l’apparence séduit l’Africain. Beaucoup se trompent ou trompent à partir de l’apparence.

Avant d’indexer les « cadres » et les exhorter à se ruiner il serait bon de savoir quel est le montant mensuel dudit cadre. Un député ne peut pas, avec ce qu’il gagne, s’occuper des dépenses de sa région. Et même s’il a des affaires. Quand il fait son point financier, il constate rapidement que ses bénéfices ne sont pas aussi élevés et qu’il lui faut de nombreuses années dans son activité pour qu’il puisse se considérer comme un commerçant prospère qui puisse venir en aide aux autres. Des personnes, qui auraient pu devenir riche, ont sombré dans la pauvreté à cause de la pression sociale dont les Africains sont si friands. Tous ceux qui ont un peu de moyens sont si sollicités, au quotidien, qu’ils n’arrivent pas à se faire une épargne consistante pour se créer une richesse. Evidemment, ceux qui visent les postes politiques dans la région jouent le jeu politique. Tout le monde sait ce qu’il faut faire pour obtenir un poste électif : donner l’illusion aux électeurs qu’on dispose des moyens. Donc, le Peuple restera toujours dans sa logique du cadre qui peut tout et qui doit tout. Pour venir en complément à l’Etat, il sera nécessaire que dans chaque région il se crée une « banque » dans laquelle chaque « cadre » verse une certaine somme supportable et qui pourrait servir au développement si ces fonds sont bien utilisés. Mais cela est un autre thème. La gestion financière est une de nos plaies. Ainsi, va l’Afrique. A la semaine prochaine.

Par Isaïe Biton Koulibaly
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