Lors des débats en prélude à la constitution de la liste électorale en 2010, Meleu Mathieu alors Directeur général de l’Institut national de la statistique (INS) avait estimé que la liste électorale de 2000 actualisée et mise à jour, devait comporter environ 8 millions d’électeurs.
Vers la fin, et après plusieurs mois d’inscription sur la liste électorale, tout le monde s’est accommodé et s’est satisfait du chiffre de 5, 600 millions, qui a produit le taux de participation «trompeur» et historique 86%, au sujet duquel on a même parlé d’un record de participation, non pas soviétique mais mondial.
Personne alors n’avait voulu répondre à cette question déjà soulevée par l’IA : qu’est-ce qui pouvait expliquer cette incapacité d’atteindre 8 millions d’électeurs en 2010 déjà ?
Près de 5 ans plus tard, la même situation est à l’ordre du jour avec 340 mille nouveaux électeurs qui se sont inscrits, contre une estimation de 3 millions d’électeurs.
Sur ce taux le vice-président de la Cei, Gervais Coulibaly a tiré le satisfecit suivant : « En ce qui concerne le groupe-cible de la catégorie 2, les résultats obtenus sont relativement satisfaisants, lorsque nous nous référons au potentiel de nationaux, non encore inscrits sur la liste électorale, qui disposent des pièces requises. Ce potentiel se situerait en effet dans la fourchette de 450 - 550 000 (titulaires effectifs d’une CNI ou d’un Certificat de Nationalité) ; plusieurs milliers de ces pièces n’ayant pas encore été retirées par leurs ayants-droit ». En clair, tout semble aller pour de bon, selon lui.
Ce qui signifie qu’aucune étude sérieuse n’a été faite par les experts, les statisticiens et autres acteurs politiques sur cette réalité, sur le comportement des populations-cibles.
Le dernier recensement de la population ivoirienne a plus ou moins confirmé les estimations et projections faites sur la base, du recensement de la population effectué en 1998.
Les chiffres de ce dernier recensement indiquent bien une population de 23 millions d’habitants, dont une part de 17 millions d’Ivoiriens, desquels il est possible de pouvoir extraire une liste minimale de 8 millions d’électeurs, âgés de 18 ans et plus.
[La preuve par la Guinée, le Burkina et le Ghana]
Pour étayer les éléments de cette estimation, des observateurs prennent à témoin les listes électorales de la Guinée et du Burkina Faso et du Ghana.
En Guinée, la liste électorale actualisée en 2015 fait état de 5.206.118 électeurs, soit un million de nouveaux inscrits en 5 ans, contre moins de 400 mille en Côte d’Ivoire. À titre de comparaison la liste électorale définitive ivoirienne pour 2015, est estimée selon le vice-président de la Cei Gervais Coulibaly à 6 millions 200 mille électeurs pour une population de 23 millions contre une population d’environ 11 millions d’habitants en Guinée, selon le dernier recensement général de la population dans ce pays. Le ratio population/liste électorale en Guinée est de 50 pour contre environ 27 pour cent en Côte d’Ivoire.
Au Burkina Faso, la population totale était en juillet 2014 estimée à 18 365 123 habitants (dix-huit millions trois cent soixante-cinq mille cent vingt-trois) pour moins de 5 millions d’électeurs sur une estimation là-bas également de 8 millions d’électeurs potentiels sur la base de la répartition à partir de l’âge légal de vote. Si le Burkina Faso semble avoir à peu près les mêmes problèmes que la Côte d’Ivoire pour des raisons et explications différentes, la situation est tout autre du côté du Ghana.
Le président du parti Lider, Mamadou Koulibaly, aime bien donner l’exemple du Ghana qui affiche une liste électorale de 14 millions pour une population estimée à 28 millions d’habitants, soit un ratio de 50% comme en Guinée.
À ce propos voici ce que Mamadou Koulibaly avait écrit en Novembre 2014 : « En Côte d’Ivoire, comme au Ghana, 75% de la population a moins de 35 ans. En Côte d’Ivoire, la liste électorale utilisée pour les élections de 2010 comptait 5,7 millions d’électeurs. Au Ghana voisin, qui a sensiblement la même structure démographique que notre pays, la liste électorale de la présidentielle de 2012 comptait 14 millions d’électeurs.
En Côte d’Ivoire, ce sont 4,6 millions de personnes qui ont effectivement voté en 2010. Au Ghana, ce sont un peu plus de 11 millions de personnes qui se sont rendues aux urnes. Le perdant de l’élection ghanéenne a eu plus de voix que Gbagbo et Ouattara réunis.
On estime qu’il y a au minimum 6 millions de jeunes (majeurs depuis 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et en 2015) qui sont à ce jour, à 11 mois des élections présidentielles de 2015, toujours exclus des listes électorales. Ce scandale est l’œuvre de la commission électorale, qui depuis 2009 jusqu’à aujourd’hui, viole allègrement la loi et les droits fondamentaux des populations ivoiriennes ?»
[Mode d’emploi du recensement en 2010 et en 2015]
Au regard de toutes ces données, question directe : mais alors qu’est-ce qui n’a pas marché en Côte d’Ivoire aussi bien en 2010 qu’en 2015 ?
En 2010, l’opération de recensement a été faite en apparence de façon unanime et consensuelle avec des appels lancés par tous les partis à l’endroit des populations. Par ailleurs, le choix de l’extrait de naissance pour se faire enrôler visait à faciliter les choses. Pourtant, dans la réalité l’environnement n’était pas favorable à une catégorie d’électeurs.
Le débat sur la liste grise d’une part et d’autre part la crise du départ de la Commission électorale indépendante, indiquent bien les enjeux de cette bataille de la liste qui avait fait dire au chef de l’État, Laurent Gbagbo qu’il fallait désinfecter la liste électorale.
L’ambiance était alors électrique. Le délit de faciès, la traque aux fraudeurs, la traque à l’étranger, aux faux Ivoiriens avaient été ouvertes.
Pour éviter des problèmes, pour éviter de devenir tout d’un coup des apatrides parce qu’ils ont simplement voulu exercer leur droit de citoyen, plusieurs électeurs potentiels ont préféré se tenir loin de la liste électorale.
Dans les bilans qui avaient été établis et effectués à l’époque, il avait été fait état de ce que près de 50% des inscrits de la liste de 2000 (environ 2,5 millions électeurs) ne s’étaient pas présentés pour se faire recenser sur la liste de 2010. Où étaient-ils passés ? Pourquoi étaient-ils absents ? Ceux-ci n’ont pas été exclus de façon arbitraire et abusive après les recoupements tout simplement parce qu’ils ne se sont présentés dans aucun des centres d’enrôlement.
On ne pouvait faire mieux pour tenter de discréditer la liste électorale de 2000 pourtant à la base de l’adoption de la constitution ivoirienne à plus de....80% pour un taux de participation de 56%. Le contexte en 2010, malgré les apparences n’a pas été favorable à une plus grande adhésion des populations à la liste électorale.
Pourquoi les choses n’ont pas beaucoup plus évolué en 2015 alors qu’aussi bien le pouvoir exécutif que l’environnement social ont changé?
[Quand l’ivoirité nous tient toujours d’hier à aujourd’hui]
L’ivoirité et cette traque aux faussaires qui a été subie en 2010 a laissé des traces et un traumatisme qui persistent encore. Sous le Président Ouattara, le délit de patronyme a certes disparu, il est certes plus aisé de se faire établir des documents d’identité, les tracasseries ont certes disparu, les discriminations et les frustrations ont certes été réduites, mais une grande catégorie d’Ivoiriens préfère toujours se tenir loin , et vraiment loin, du débat politique, et des échéances électorales.
À côté de simples naturalisés d’origine française, libanaise ou africaine qui ne sont d’ailleurs pas nombreux (qui ont passé largement la période de stage), et que la politique n’intéresse pas, à côté également des personnes devenues des Ivoiriens par mariage, il y’a de nombreux citoyens ivoiriens qui préfèrent ne pas s’immiscer dans la politique, et s’en tenir à mener une vie tranquille.
Les effets de cette peur et de ce traumatisme créés par les dérives et ravages de l’ivoirité, sont à la base aussi bien du peu d’engouement annoncé en son temps sur la liste électorale , que des demandes à compte d’acquisition de la nationalité par déclaration; une procédure qui arrive bientôt à son terme sans que les chiffres records d’un million à trois millions de personnes estimées à partir de Marcoussis aient été atteints.
Pendant ce temps que n’a-t-on entendu de cette période à nos jours? Que n’a-t-il pas été écrit sur cette «invasion» d’étrangers qui voulaient devenir Ivoiriens, de façon massive sans suivre la voie régulière de la naturalisation, et qui veulent arracher le pays aux Ivoiriens ? Quels soupçons et suspicions illégitimes n’ont-ils pas été émis au sujet du Président Alassane Ouattara
[Tout compte fait 340 mille nouveaux électeurs est effectivement une bonne chose]
Sous cet angle , même si le chef de l’État avait lui aussi évoqué le chiffre d’une liste électorale de 8 millions d’électeurs [ au grand dam de ses adversaires partagés entre le boycott de la Cei sans le boycott du recensement pour les uns ( Koulibaly, Banny de la Cnc modérée), et pour les autres par le boycott aussi bien de la Cei que du recensement ( Fpi pro-Gbagbo de la Cnc radicale ) ], le fait que le corps électoral ne soit pas modifié de plus de 10% électeurs pouvant appartenir plus ou moins à tous les partis politiques, devrait relativement rassurer sur le fait qu’il n’y a pas eu de grand tripatouillage, ni manipulation si entretemps tous les déjà inscrits de 2010 parviennent à confirmer leur présence, et à obtenir leur carte d’électeurs à l’issue de la phase de contentieux, et de l’affichage de la liste électorale définitive pour l’année 2015.
[Quand les faux débats occultent les vrais]
La seule chose à déplorer est l’absence d’un débat sans passion au sujet de la question de la nationalité et de la citoyenneté.
Autre argument à donner à ceux qui ne comprendraient pas pourquoi la catégorie d’Ivoiriens concernés par les estimations a boudé la révision de la liste électorale aussi bien en 2010 qu’en 2015 , on peut poser cette question : quand dans un pays, des acteurs politiques et d’anciens responsables gouvernementaux jouent avec la question de la nationalité, agitent la flamme identitaire et prétendent que même le président en exercice n’est pas éligible au motif qu’il se serait prévalu d’une autre nationalité , au motif qu’il aurait déclaré de nationalité douteuse par un arrêt du juge constitutionnel arbitraire datant de l’an 2000 et au motif d’une autre décision « abusive et anti constitutionnelle» prise pour masquer la vérité et empêcher une lecture sereine et non partisane de la Constitution ivoirienne pour autoriser une candidature , oui quand le chef de l’État en exercice est lui-même la cible de ce genre de débat sur sa nationalité , sa qualité de citoyen à part entité, comment s’attendre à une inscription massive de certaines Ivoiriens qui n’ont pas les mêmes moyens que le Président de la République pour se protéger et se prémunir contre la haine des ivoiritaires et des exclusionistes endurcis , déterminés à ne rien lâcher et à ne rien céder?
[ 2015 plus ou moins bel et bien comme 2010 ]
La présidentielle de 2015 même sans Bédié ni Gbagbo contre Ouattara est bien un remake de celle de 2010 si on prend en compte l’angle expliqué ci-dessus.
Laurent Gbagbo aurait dit qu’il s’agit d’une bataille entre le candidat de la Côte d’Ivoire qu’il est, le candidat ivoirien et national qu’il est d’une part, et d’autre part les candidats de l’étranger, les candidats étranges, ou même étrangers.
En 2015 comme en 2010 il s’agit encore et toujours d’une bataille entre une vision fermée, exclusionniste, une vision ivoirienne, ivoiro-ivoirienne, renfermée, introvertie face à une vision moderne , une vision de la Côte d’Ivoire ouverte au monde, assumant son identité et son histoire, ainsi que la contribution des peuples divers à la construction de cette identité nationale, cette vision de la Côte d’Ivoire houphoutienne, ce bâtisseur nationaliste, mais en même temps ouvert sur la solidarité et l’intégration sous régionale et africaine précurseur de l’Uemoa et de la Cedao modèle d’intégration réussie (mais à parfaire dans toute l’Afrique), ainsi que l’attachement à la France et au monde occidental.
[ L’houphouetisme, une philosophie politique humaniste toujours d’actualité ]
Houphouët-Boigny était profondément ivoirien et attaché à la terre de Côte d’Ivoire, mais il ne était pas moins français, francophile, francafricain et africain.
Quand des Houphouetistes deviennent des ivoiritaires portés par le rejet des autres et par l’exclusion, c’est qu’ils n’ont pas compris la philosophie du Vieux. Au-delà des projets de développement, des programmes des candidats, la bataille présidentielle de 2015 se jouera ouvertement, ou sournoisement sur ces deux visions de la Côte d’Ivoire ( d’aucune auraient dit entre la vision souveraine et nationale pour la défense des intérêts de la Côte d’Ivoire, et la vision justement soupçonnée par la première de vouloir brader la Nation, et la faire envahir par des étrangers, lui faire perdre son âme) , deux visions contre lesquelles les appels de Mamadou Koulibaly vers une 3ème République marquée par le régime parlementaire , n’ont pas encore réussi à s’imposer et à être plus audibles.
Charles Kouassi
Vers la fin, et après plusieurs mois d’inscription sur la liste électorale, tout le monde s’est accommodé et s’est satisfait du chiffre de 5, 600 millions, qui a produit le taux de participation «trompeur» et historique 86%, au sujet duquel on a même parlé d’un record de participation, non pas soviétique mais mondial.
Personne alors n’avait voulu répondre à cette question déjà soulevée par l’IA : qu’est-ce qui pouvait expliquer cette incapacité d’atteindre 8 millions d’électeurs en 2010 déjà ?
Près de 5 ans plus tard, la même situation est à l’ordre du jour avec 340 mille nouveaux électeurs qui se sont inscrits, contre une estimation de 3 millions d’électeurs.
Sur ce taux le vice-président de la Cei, Gervais Coulibaly a tiré le satisfecit suivant : « En ce qui concerne le groupe-cible de la catégorie 2, les résultats obtenus sont relativement satisfaisants, lorsque nous nous référons au potentiel de nationaux, non encore inscrits sur la liste électorale, qui disposent des pièces requises. Ce potentiel se situerait en effet dans la fourchette de 450 - 550 000 (titulaires effectifs d’une CNI ou d’un Certificat de Nationalité) ; plusieurs milliers de ces pièces n’ayant pas encore été retirées par leurs ayants-droit ». En clair, tout semble aller pour de bon, selon lui.
Ce qui signifie qu’aucune étude sérieuse n’a été faite par les experts, les statisticiens et autres acteurs politiques sur cette réalité, sur le comportement des populations-cibles.
Le dernier recensement de la population ivoirienne a plus ou moins confirmé les estimations et projections faites sur la base, du recensement de la population effectué en 1998.
Les chiffres de ce dernier recensement indiquent bien une population de 23 millions d’habitants, dont une part de 17 millions d’Ivoiriens, desquels il est possible de pouvoir extraire une liste minimale de 8 millions d’électeurs, âgés de 18 ans et plus.
[La preuve par la Guinée, le Burkina et le Ghana]
Pour étayer les éléments de cette estimation, des observateurs prennent à témoin les listes électorales de la Guinée et du Burkina Faso et du Ghana.
En Guinée, la liste électorale actualisée en 2015 fait état de 5.206.118 électeurs, soit un million de nouveaux inscrits en 5 ans, contre moins de 400 mille en Côte d’Ivoire. À titre de comparaison la liste électorale définitive ivoirienne pour 2015, est estimée selon le vice-président de la Cei Gervais Coulibaly à 6 millions 200 mille électeurs pour une population de 23 millions contre une population d’environ 11 millions d’habitants en Guinée, selon le dernier recensement général de la population dans ce pays. Le ratio population/liste électorale en Guinée est de 50 pour contre environ 27 pour cent en Côte d’Ivoire.
Au Burkina Faso, la population totale était en juillet 2014 estimée à 18 365 123 habitants (dix-huit millions trois cent soixante-cinq mille cent vingt-trois) pour moins de 5 millions d’électeurs sur une estimation là-bas également de 8 millions d’électeurs potentiels sur la base de la répartition à partir de l’âge légal de vote. Si le Burkina Faso semble avoir à peu près les mêmes problèmes que la Côte d’Ivoire pour des raisons et explications différentes, la situation est tout autre du côté du Ghana.
Le président du parti Lider, Mamadou Koulibaly, aime bien donner l’exemple du Ghana qui affiche une liste électorale de 14 millions pour une population estimée à 28 millions d’habitants, soit un ratio de 50% comme en Guinée.
À ce propos voici ce que Mamadou Koulibaly avait écrit en Novembre 2014 : « En Côte d’Ivoire, comme au Ghana, 75% de la population a moins de 35 ans. En Côte d’Ivoire, la liste électorale utilisée pour les élections de 2010 comptait 5,7 millions d’électeurs. Au Ghana voisin, qui a sensiblement la même structure démographique que notre pays, la liste électorale de la présidentielle de 2012 comptait 14 millions d’électeurs.
En Côte d’Ivoire, ce sont 4,6 millions de personnes qui ont effectivement voté en 2010. Au Ghana, ce sont un peu plus de 11 millions de personnes qui se sont rendues aux urnes. Le perdant de l’élection ghanéenne a eu plus de voix que Gbagbo et Ouattara réunis.
On estime qu’il y a au minimum 6 millions de jeunes (majeurs depuis 2009, 2010, 2011, 2012, 2013, 2014 et en 2015) qui sont à ce jour, à 11 mois des élections présidentielles de 2015, toujours exclus des listes électorales. Ce scandale est l’œuvre de la commission électorale, qui depuis 2009 jusqu’à aujourd’hui, viole allègrement la loi et les droits fondamentaux des populations ivoiriennes ?»
[Mode d’emploi du recensement en 2010 et en 2015]
Au regard de toutes ces données, question directe : mais alors qu’est-ce qui n’a pas marché en Côte d’Ivoire aussi bien en 2010 qu’en 2015 ?
En 2010, l’opération de recensement a été faite en apparence de façon unanime et consensuelle avec des appels lancés par tous les partis à l’endroit des populations. Par ailleurs, le choix de l’extrait de naissance pour se faire enrôler visait à faciliter les choses. Pourtant, dans la réalité l’environnement n’était pas favorable à une catégorie d’électeurs.
Le débat sur la liste grise d’une part et d’autre part la crise du départ de la Commission électorale indépendante, indiquent bien les enjeux de cette bataille de la liste qui avait fait dire au chef de l’État, Laurent Gbagbo qu’il fallait désinfecter la liste électorale.
L’ambiance était alors électrique. Le délit de faciès, la traque aux fraudeurs, la traque à l’étranger, aux faux Ivoiriens avaient été ouvertes.
Pour éviter des problèmes, pour éviter de devenir tout d’un coup des apatrides parce qu’ils ont simplement voulu exercer leur droit de citoyen, plusieurs électeurs potentiels ont préféré se tenir loin de la liste électorale.
Dans les bilans qui avaient été établis et effectués à l’époque, il avait été fait état de ce que près de 50% des inscrits de la liste de 2000 (environ 2,5 millions électeurs) ne s’étaient pas présentés pour se faire recenser sur la liste de 2010. Où étaient-ils passés ? Pourquoi étaient-ils absents ? Ceux-ci n’ont pas été exclus de façon arbitraire et abusive après les recoupements tout simplement parce qu’ils ne se sont présentés dans aucun des centres d’enrôlement.
On ne pouvait faire mieux pour tenter de discréditer la liste électorale de 2000 pourtant à la base de l’adoption de la constitution ivoirienne à plus de....80% pour un taux de participation de 56%. Le contexte en 2010, malgré les apparences n’a pas été favorable à une plus grande adhésion des populations à la liste électorale.
Pourquoi les choses n’ont pas beaucoup plus évolué en 2015 alors qu’aussi bien le pouvoir exécutif que l’environnement social ont changé?
[Quand l’ivoirité nous tient toujours d’hier à aujourd’hui]
L’ivoirité et cette traque aux faussaires qui a été subie en 2010 a laissé des traces et un traumatisme qui persistent encore. Sous le Président Ouattara, le délit de patronyme a certes disparu, il est certes plus aisé de se faire établir des documents d’identité, les tracasseries ont certes disparu, les discriminations et les frustrations ont certes été réduites, mais une grande catégorie d’Ivoiriens préfère toujours se tenir loin , et vraiment loin, du débat politique, et des échéances électorales.
À côté de simples naturalisés d’origine française, libanaise ou africaine qui ne sont d’ailleurs pas nombreux (qui ont passé largement la période de stage), et que la politique n’intéresse pas, à côté également des personnes devenues des Ivoiriens par mariage, il y’a de nombreux citoyens ivoiriens qui préfèrent ne pas s’immiscer dans la politique, et s’en tenir à mener une vie tranquille.
Les effets de cette peur et de ce traumatisme créés par les dérives et ravages de l’ivoirité, sont à la base aussi bien du peu d’engouement annoncé en son temps sur la liste électorale , que des demandes à compte d’acquisition de la nationalité par déclaration; une procédure qui arrive bientôt à son terme sans que les chiffres records d’un million à trois millions de personnes estimées à partir de Marcoussis aient été atteints.
Pendant ce temps que n’a-t-on entendu de cette période à nos jours? Que n’a-t-il pas été écrit sur cette «invasion» d’étrangers qui voulaient devenir Ivoiriens, de façon massive sans suivre la voie régulière de la naturalisation, et qui veulent arracher le pays aux Ivoiriens ? Quels soupçons et suspicions illégitimes n’ont-ils pas été émis au sujet du Président Alassane Ouattara
[Tout compte fait 340 mille nouveaux électeurs est effectivement une bonne chose]
Sous cet angle , même si le chef de l’État avait lui aussi évoqué le chiffre d’une liste électorale de 8 millions d’électeurs [ au grand dam de ses adversaires partagés entre le boycott de la Cei sans le boycott du recensement pour les uns ( Koulibaly, Banny de la Cnc modérée), et pour les autres par le boycott aussi bien de la Cei que du recensement ( Fpi pro-Gbagbo de la Cnc radicale ) ], le fait que le corps électoral ne soit pas modifié de plus de 10% électeurs pouvant appartenir plus ou moins à tous les partis politiques, devrait relativement rassurer sur le fait qu’il n’y a pas eu de grand tripatouillage, ni manipulation si entretemps tous les déjà inscrits de 2010 parviennent à confirmer leur présence, et à obtenir leur carte d’électeurs à l’issue de la phase de contentieux, et de l’affichage de la liste électorale définitive pour l’année 2015.
[Quand les faux débats occultent les vrais]
La seule chose à déplorer est l’absence d’un débat sans passion au sujet de la question de la nationalité et de la citoyenneté.
Autre argument à donner à ceux qui ne comprendraient pas pourquoi la catégorie d’Ivoiriens concernés par les estimations a boudé la révision de la liste électorale aussi bien en 2010 qu’en 2015 , on peut poser cette question : quand dans un pays, des acteurs politiques et d’anciens responsables gouvernementaux jouent avec la question de la nationalité, agitent la flamme identitaire et prétendent que même le président en exercice n’est pas éligible au motif qu’il se serait prévalu d’une autre nationalité , au motif qu’il aurait déclaré de nationalité douteuse par un arrêt du juge constitutionnel arbitraire datant de l’an 2000 et au motif d’une autre décision « abusive et anti constitutionnelle» prise pour masquer la vérité et empêcher une lecture sereine et non partisane de la Constitution ivoirienne pour autoriser une candidature , oui quand le chef de l’État en exercice est lui-même la cible de ce genre de débat sur sa nationalité , sa qualité de citoyen à part entité, comment s’attendre à une inscription massive de certaines Ivoiriens qui n’ont pas les mêmes moyens que le Président de la République pour se protéger et se prémunir contre la haine des ivoiritaires et des exclusionistes endurcis , déterminés à ne rien lâcher et à ne rien céder?
[ 2015 plus ou moins bel et bien comme 2010 ]
La présidentielle de 2015 même sans Bédié ni Gbagbo contre Ouattara est bien un remake de celle de 2010 si on prend en compte l’angle expliqué ci-dessus.
Laurent Gbagbo aurait dit qu’il s’agit d’une bataille entre le candidat de la Côte d’Ivoire qu’il est, le candidat ivoirien et national qu’il est d’une part, et d’autre part les candidats de l’étranger, les candidats étranges, ou même étrangers.
En 2015 comme en 2010 il s’agit encore et toujours d’une bataille entre une vision fermée, exclusionniste, une vision ivoirienne, ivoiro-ivoirienne, renfermée, introvertie face à une vision moderne , une vision de la Côte d’Ivoire ouverte au monde, assumant son identité et son histoire, ainsi que la contribution des peuples divers à la construction de cette identité nationale, cette vision de la Côte d’Ivoire houphoutienne, ce bâtisseur nationaliste, mais en même temps ouvert sur la solidarité et l’intégration sous régionale et africaine précurseur de l’Uemoa et de la Cedao modèle d’intégration réussie (mais à parfaire dans toute l’Afrique), ainsi que l’attachement à la France et au monde occidental.
[ L’houphouetisme, une philosophie politique humaniste toujours d’actualité ]
Houphouët-Boigny était profondément ivoirien et attaché à la terre de Côte d’Ivoire, mais il ne était pas moins français, francophile, francafricain et africain.
Quand des Houphouetistes deviennent des ivoiritaires portés par le rejet des autres et par l’exclusion, c’est qu’ils n’ont pas compris la philosophie du Vieux. Au-delà des projets de développement, des programmes des candidats, la bataille présidentielle de 2015 se jouera ouvertement, ou sournoisement sur ces deux visions de la Côte d’Ivoire ( d’aucune auraient dit entre la vision souveraine et nationale pour la défense des intérêts de la Côte d’Ivoire, et la vision justement soupçonnée par la première de vouloir brader la Nation, et la faire envahir par des étrangers, lui faire perdre son âme) , deux visions contre lesquelles les appels de Mamadou Koulibaly vers une 3ème République marquée par le régime parlementaire , n’ont pas encore réussi à s’imposer et à être plus audibles.
Charles Kouassi