Le journaliste-écrivain et communicateur André Silver Konan se distingue particulièrement par la justesse de certaines de ses prévisions politiques. Du transfèrement de Laurent Gbagbo à la CPI au retrait de Charles Konan Banny et d’Essy Amara, de la course à la présidentielle d’octobre 2015 en Côte d’Ivoire, en passant par la chute de Blaise Compaoré au Burkina Faso, et la réélection dès le premier tour d’Alpha Condé, en Guinée, il avait tout « prophétisé », souvent longtemps avant. Dans cette interview, il livre ses secrets.
Quelques jours avant le lancement de la campagne électorale en Côte d’Ivoire, vous aviez annoncé, à la surprise générale, que Charles Konan Banny et Essy Amara jetteraient l’éponge, alors qu’eux-mêmes soutenaient le contraire. Vous avez reçu des quolibets à son temps, surtout que, pour ne rien arranger, ces deux personnalités avaient commencé à animer des meetings. Comment avez-vous pu deviner cela ?
Ce n’est pas de la devinette, c’est juste que j’ai froidement observé l’attitude des deux hommes, depuis qu’ils ont annoncé leur intention de briguer la magistrature suprême et je suis arrivé à la conclusion que celle-ci relevait davantage de l’effet d’annonce que de leur ferme volonté à aller au front. Après leurs premiers meetings qui se sont soldés par des fiascos respectifs, il était clair qu’ils cherchaient la meilleure occasion, pour sortir du jeu, tout en gardant la tête haute. C’est exactement ce qui s’est passé. A mon avis, Charles Konan Banny s’est mépris sur sa popularité et Essy Amara a été pris à son propre jeu, puisqu’il aurait été plus simple de dire fermement au groupe des planteurs à l’origine de sa candidature, qu’il n’était pas prêt pour le job.
En avril dernier, en direct sur un plateau de télévision, vous avez dit à Mamadou Koulibaly qu’il n’irait pas à cette élection et vous avez eu raison six mois plus tard. Comment faites-vous pour prophétiser sur ces choses-là ?
Ce n’est pas de la prophétie. Vous savez, j’ai fait une formation au CFPJ de Paris, sur la maîtrise de la dimension politique des écrits et des paroles. J’ai appris à lire entre lignes des trois sortes de discours politiques : le parler franc, la langue de bois et le langage diplomatique. Mamadou Koulibaly usait de la langue de bois, tout en donnant l’impression de parler franc. J’ai très vite compris son jeu. Et il est clair que quand un politique liste des conditions insurmontables avant de se lancer dans une course, c’est qu’il prépare l’esprit des siens, à son projet de ne pas aller jusqu’au bout, tout en rassemblant les prétextes dont les autres seraient responsables. C’est un trait de caractère chez de nombreux politiques, dont Mamadou Koulibaly. Ce dernier avait une forte pression de sa base, qui l’avait enjoint d’être candidat, mais lui, savait pertinemment que Ouattara ferait de lui une bouchée, surtout après son camouflet à Koumassi, où il a à peine obtenu 2% des suffrages, aux législatives. Pour la présidentielle, il misait sur une stratégie qui, pour lui, serait infaillible : prendre la tête d’une coalition qui disposerait de plus de moyens financiers et d’une bonne base populaire et en être le candidat unique. Effectivement, la Coalition nationale pour le changement (CNC) a été mise en place, un mois après notre « confrontation » médiatique, mais Koulibaly a manqué de prendre sa tête. Je savais qu’il ferait tout pour la fragiliser et c’est ce qu’il a fait.
Quand on a compris le langage d’un homme politique, qu’il use de la langue de bois ou du discours diplomatique, on arrive facilement à anticiper sur la décision qu’il prendra. C’est un peu comme au karaté, un art que j’ai pratiqué dans ma tendre jeunesse, où on arrive à anticiper sur les coups de l’adversaire, si on cerne mieux sa psychologie et sa technique.
Mais dire avec précision le taux de participation, le score du Président sortant, celui d’Affi N’guessan et de KKB, avant même que la compétition ne se déroule, relève tout de même de la curiosité. Quel est votre secret ?
Il n’y a pas de secret. Je joins à mon instinct personnel et à ma connaissance du dossier politique ivoirien, de l’analyse prospective. L’analyse prospective est encore méconnue en Côte d’Ivoire et l’on pense que prévoir certaines actions et décisions surtout politiques, relève du génie. Je ne suis ni prophète, ni devin, encore moins génie ou sorcier. Je fais des analyses froides, en laissant de côté mes intérêts et ma volonté. Bien de « prophètes » prétendant parler au nom de Dieu se fourvoient lamentablement parce qu’ils interprètent les visions qu’ils ont et les signes qu’ils perçoivent, selon leur volonté personnelle et leurs propres intérêts. Le pasteur Malachie en est un exemple, il « mangeait » avec des hommes du pouvoir Gbagbo et ses intérêts l’empêchaient de discerner les signes. Sinon, quand vous observez attentivement ses prophéties, nombreuses ont été accomplies, sauf qu’au lieu que ce soit en faveur de Laurent Gbagbo, elles étaient en faveur d’Alassane Ouattara. S’il n’avait pas mis en avant ses propres intérêts, il aurait su que la vision d’une armée qui descendrait du ciel, pour combattre, c’était les avions de l’armée française, qui ont bombardé le bunker où s’était enfermé son mentor. Un autre « homme de Dieu », qui avait proclamé que l’élection n’aurait pas lieu en 2010, mais en 2013, le disait par rapport à sa propre volonté. En réalité, il voulait lui-même se présenter à la présidentielle et il n’était pas prêt en 2010. A preuve, il s’est présenté cette année et sa candidature a été rejetée, pour dossier incomplet.
Pour ma part, je dois admettre que j’ai une façon personnelle de faire de l’analyse prospective, car au lieu de me limiter à définir plusieurs scénarii possibles, je procède par élimination des différents scénarii, en rapport avec ma connaissance dépassionnée du terrain, pour ne retenir qu’un seul, tout au plus deux. En général, ça marche. Des fois, cela ne fonctionne pas.
A quel moment vous êtes-vous trompé ?
Sur le dossier du transfèrement de Blé Goudé, je me suis trompé. J’avais déclaré que ni lui, ni Simone Gbagbo, ne seraient transférés à la CPI. Si la prévision s’est révélée juste pour Simone Gbagbo, elle ne l’a pas été pour Blé Goudé. Il est vrai qu’au vu de l’évolution du dossier de Blé Goudé, suite aux photos antidatées éventées dans la presse par l’un de ses proches, qui s’était soit totalement mépris sur la portée de ces fuites, soit pensait régler un compte politique au pouvoir ; j’ai dû revoir cette prévision mais c’était trop tard, les gens voulaient seulement retenir ma première prévision. Je me suis aussi trompé sur la défaite de Goodluck Jonatan.
Pendant qu’on y ait, que prévoyez-vous, pour les prochaines semaines, voire prochaines années, sur le plan politique en Côte d’Ivoire ?
Votre question est vaste et ce serait prétentieux d’y répondre. Je me contenterai de livrer des prévisions sur des sujets précis. Par exemple, le futur gouvernement. A mon avis (et je peux me tromper), contrairement à ce que je lis dans la presse, il n’y aura pas de nouveau gouvernement dans les jours à venir. Je pense que le Président Ouattara formera son gouvernement à l’issue des législatives anticipées qui devraient, selon moi, avoir lieu entre mars et juin de l’année prochaine. Je pense que le Premier ministre devrait conserver son poste, ce qui ne devrait pas être le cas pour de nombreux ministres, dont certains considérés comme importants. De mon humble avis, le futur gouvernement verra l’entrée de nombreux jeunes et femmes et l’on devrait noter un réel équilibre géopolitique. A mon avis, si aucune crise majeure ne vient perturber la lancée de la Côte d’Ivoire vers l’émergence promise par Alassane Ouattara, celui-ci pourrait organiser une élection présidentielle anticipée, en 2019 et entrerait ainsi dans l’histoire, un peu comme Nelson Mandela, qui a renoncé à un second mandat, après le premier.
Comment voyez-vous l’alternance en 2020, au profit du PDCI ?
Je pense qu’il y a une erreur qu’on commet souvent quand on parle d’alternance au profit du PDCI. Le jeu de l’alternance ne concerne pas la présidence de la République, qui relève d’une compétition ouverte à tous les partis politiques. Cette alternance est interne au microcosme des Houphouëtistes et devrait permettre de désigner un candidat, pour la présidentielle et rien n’indique que celui-ci sera systématiquement élu. Quoique si le RHDP réussit sa mue comme cela se dessine, je vois mal un autre parti politique le déboulonner en 2020. Donc je pense que le futur candidat du futur parti unifié sera un cadre issu du PDCI et son binôme sera une personnalité issue du RDR. Je pense qu’il y aura bel et bien une troisième République en Côte d’Ivoire, après le référendum constitutionnel qui se soldera par une victoire écrasante du « Oui ». La Côte d’Ivoire connaîtra un nouveau régime présidentiel fort, qui se présentera sous la forme d’un ticket présidentiel, avec un Président et un vice-Président qui seront élus au suffrage universel. Le vice-président sera le dauphin constitutionnel à la place du président de l’Assemblée nationale. Je pense que si le destin ne décide pas autre chose, Ouattara et Bédié feront valider le choix de ce binôme par les militants du futur parti unifié (qui sera présidé par Bédié et qui pourrait s’appeler PDCI-RDR) et il ne restera plus qu’aux mécontents du nouveau parti unifié, d’être des irréductibles, comme l’ont été Banny et Essy. Evidemment, sans le soutien du parti unifié, ces futurs irréductibles feront long feu et il est clair que le candidat de cette coalition remportera la présidentielle. Parce qu’en face de lui, on aura Banny et Essy forclos (même s’ils ne l’étaient pas, ils n’iraient pas) et un Affi N’Guessan qui ne lâchera rien, qui aura réussi à former un groupe parlementaire après les législatives et qui sera toujours combattu par les frondeurs. Evidemment, Laurent Gbagbo sera toujours en prison et le groupe des « Gbagbo ou rien » ne décolèrera pas. Mamadou Koulibaly continuera de prendre des décisions contradictoires et je pense qu’il y aura une saignée au sein de son parti, et KKB devra soit rentrer dans les rangs, soit rejoindre le FPI, soit créer son parti. Dans les trois cas, il ne peut pas inquiéter le pouvoir, autrement que par ses déclarations médiatiques, dont le seul mérite est d’animer la vie politique, rien de plus.
Vous avez été très critique envers l’opposition avant et pendant la campagne électorale dans des médias internationaux et vos prises de position sur les réseaux sociaux où vous êtes très suivis, les ont souvent fragilisés, si elles n’ont pas contribué à leur débâcle en tout cas sur le plan médiatique. Que deviendrez-vous après cette élection pour laquelle vous étiez très engagé ?
Vous savez, j’ai confié à la BBC que très souvent, les intellectuels et leaders d’opinion africains, ont souvent péché par leur volonté de descendre en règle les pouvoirs, tout en ménageant l’opposition. C’est une erreur. Si nous voulons que la démocratie dans nos Etats africains soit consolidée et évolue positivement, nous ne devons pas fermer ostensiblement les yeux sur les agissements des opposants, tandis que nous tirons à boulet rouge, sans discontinuer, sur les pouvoirs. Parce que les opposants sont appelés à devenir les futurs dirigeants et la façon dont ils s’opposent aux dirigeants donne des indices sur la méthode et le style qu’ils adopteront quand ils dirigeront eux-mêmes. Si vous avez des opposants adeptes du faux et de la manipulation des masses par les rumeurs, comme c’est le cas chez une catégorie bien précise d’opposants ivoiriens et guinéens, il est sûr que le silence de l’intellectuel que je suis, relèverait de la trahison envers les gens qui me suivent et m’écoutent. De fait, je ne suis pas dupe. Je suis souvent « descendu » par certains opposants, tout simplement parce qu’ils ne supportent pas que je dévoile leurs besognes anti-démocratiques en tant qu’opposants et aussi et surtout parce que cela les énerve que je ne les suive pas dans leurs stratégie de reconquête du pouvoir, par tous les moyens, y compris en usant de propagande haineuse. Je leur réponds très simplement : donnez une raison, mais une seule raison, qui m’indiquerait que vous feriez mieux que Ouattara. Ils n’arrivent pas à me convaincre. En clair, ils veulent le pouvoir pour le pouvoir, sans pouvoir être capable de dire avec précision, ce qu’ils en feraient et comment ils en useraient. C’est pourquoi vous avez trouvé plein de candidats, qui n’avaient pas de projet de société. Ce sera donc mon combat : attirer l’attention des décideurs, mais aussi dévoiler les manœuvres anti-démocratiques des opposants, le tout dans un seul but : faire avancer nos démocraties africaines.
Interview réalisée par Melaine Russe (Le Mandat)
Quelques jours avant le lancement de la campagne électorale en Côte d’Ivoire, vous aviez annoncé, à la surprise générale, que Charles Konan Banny et Essy Amara jetteraient l’éponge, alors qu’eux-mêmes soutenaient le contraire. Vous avez reçu des quolibets à son temps, surtout que, pour ne rien arranger, ces deux personnalités avaient commencé à animer des meetings. Comment avez-vous pu deviner cela ?
Ce n’est pas de la devinette, c’est juste que j’ai froidement observé l’attitude des deux hommes, depuis qu’ils ont annoncé leur intention de briguer la magistrature suprême et je suis arrivé à la conclusion que celle-ci relevait davantage de l’effet d’annonce que de leur ferme volonté à aller au front. Après leurs premiers meetings qui se sont soldés par des fiascos respectifs, il était clair qu’ils cherchaient la meilleure occasion, pour sortir du jeu, tout en gardant la tête haute. C’est exactement ce qui s’est passé. A mon avis, Charles Konan Banny s’est mépris sur sa popularité et Essy Amara a été pris à son propre jeu, puisqu’il aurait été plus simple de dire fermement au groupe des planteurs à l’origine de sa candidature, qu’il n’était pas prêt pour le job.
En avril dernier, en direct sur un plateau de télévision, vous avez dit à Mamadou Koulibaly qu’il n’irait pas à cette élection et vous avez eu raison six mois plus tard. Comment faites-vous pour prophétiser sur ces choses-là ?
Ce n’est pas de la prophétie. Vous savez, j’ai fait une formation au CFPJ de Paris, sur la maîtrise de la dimension politique des écrits et des paroles. J’ai appris à lire entre lignes des trois sortes de discours politiques : le parler franc, la langue de bois et le langage diplomatique. Mamadou Koulibaly usait de la langue de bois, tout en donnant l’impression de parler franc. J’ai très vite compris son jeu. Et il est clair que quand un politique liste des conditions insurmontables avant de se lancer dans une course, c’est qu’il prépare l’esprit des siens, à son projet de ne pas aller jusqu’au bout, tout en rassemblant les prétextes dont les autres seraient responsables. C’est un trait de caractère chez de nombreux politiques, dont Mamadou Koulibaly. Ce dernier avait une forte pression de sa base, qui l’avait enjoint d’être candidat, mais lui, savait pertinemment que Ouattara ferait de lui une bouchée, surtout après son camouflet à Koumassi, où il a à peine obtenu 2% des suffrages, aux législatives. Pour la présidentielle, il misait sur une stratégie qui, pour lui, serait infaillible : prendre la tête d’une coalition qui disposerait de plus de moyens financiers et d’une bonne base populaire et en être le candidat unique. Effectivement, la Coalition nationale pour le changement (CNC) a été mise en place, un mois après notre « confrontation » médiatique, mais Koulibaly a manqué de prendre sa tête. Je savais qu’il ferait tout pour la fragiliser et c’est ce qu’il a fait.
Quand on a compris le langage d’un homme politique, qu’il use de la langue de bois ou du discours diplomatique, on arrive facilement à anticiper sur la décision qu’il prendra. C’est un peu comme au karaté, un art que j’ai pratiqué dans ma tendre jeunesse, où on arrive à anticiper sur les coups de l’adversaire, si on cerne mieux sa psychologie et sa technique.
Mais dire avec précision le taux de participation, le score du Président sortant, celui d’Affi N’guessan et de KKB, avant même que la compétition ne se déroule, relève tout de même de la curiosité. Quel est votre secret ?
Il n’y a pas de secret. Je joins à mon instinct personnel et à ma connaissance du dossier politique ivoirien, de l’analyse prospective. L’analyse prospective est encore méconnue en Côte d’Ivoire et l’on pense que prévoir certaines actions et décisions surtout politiques, relève du génie. Je ne suis ni prophète, ni devin, encore moins génie ou sorcier. Je fais des analyses froides, en laissant de côté mes intérêts et ma volonté. Bien de « prophètes » prétendant parler au nom de Dieu se fourvoient lamentablement parce qu’ils interprètent les visions qu’ils ont et les signes qu’ils perçoivent, selon leur volonté personnelle et leurs propres intérêts. Le pasteur Malachie en est un exemple, il « mangeait » avec des hommes du pouvoir Gbagbo et ses intérêts l’empêchaient de discerner les signes. Sinon, quand vous observez attentivement ses prophéties, nombreuses ont été accomplies, sauf qu’au lieu que ce soit en faveur de Laurent Gbagbo, elles étaient en faveur d’Alassane Ouattara. S’il n’avait pas mis en avant ses propres intérêts, il aurait su que la vision d’une armée qui descendrait du ciel, pour combattre, c’était les avions de l’armée française, qui ont bombardé le bunker où s’était enfermé son mentor. Un autre « homme de Dieu », qui avait proclamé que l’élection n’aurait pas lieu en 2010, mais en 2013, le disait par rapport à sa propre volonté. En réalité, il voulait lui-même se présenter à la présidentielle et il n’était pas prêt en 2010. A preuve, il s’est présenté cette année et sa candidature a été rejetée, pour dossier incomplet.
Pour ma part, je dois admettre que j’ai une façon personnelle de faire de l’analyse prospective, car au lieu de me limiter à définir plusieurs scénarii possibles, je procède par élimination des différents scénarii, en rapport avec ma connaissance dépassionnée du terrain, pour ne retenir qu’un seul, tout au plus deux. En général, ça marche. Des fois, cela ne fonctionne pas.
A quel moment vous êtes-vous trompé ?
Sur le dossier du transfèrement de Blé Goudé, je me suis trompé. J’avais déclaré que ni lui, ni Simone Gbagbo, ne seraient transférés à la CPI. Si la prévision s’est révélée juste pour Simone Gbagbo, elle ne l’a pas été pour Blé Goudé. Il est vrai qu’au vu de l’évolution du dossier de Blé Goudé, suite aux photos antidatées éventées dans la presse par l’un de ses proches, qui s’était soit totalement mépris sur la portée de ces fuites, soit pensait régler un compte politique au pouvoir ; j’ai dû revoir cette prévision mais c’était trop tard, les gens voulaient seulement retenir ma première prévision. Je me suis aussi trompé sur la défaite de Goodluck Jonatan.
Pendant qu’on y ait, que prévoyez-vous, pour les prochaines semaines, voire prochaines années, sur le plan politique en Côte d’Ivoire ?
Votre question est vaste et ce serait prétentieux d’y répondre. Je me contenterai de livrer des prévisions sur des sujets précis. Par exemple, le futur gouvernement. A mon avis (et je peux me tromper), contrairement à ce que je lis dans la presse, il n’y aura pas de nouveau gouvernement dans les jours à venir. Je pense que le Président Ouattara formera son gouvernement à l’issue des législatives anticipées qui devraient, selon moi, avoir lieu entre mars et juin de l’année prochaine. Je pense que le Premier ministre devrait conserver son poste, ce qui ne devrait pas être le cas pour de nombreux ministres, dont certains considérés comme importants. De mon humble avis, le futur gouvernement verra l’entrée de nombreux jeunes et femmes et l’on devrait noter un réel équilibre géopolitique. A mon avis, si aucune crise majeure ne vient perturber la lancée de la Côte d’Ivoire vers l’émergence promise par Alassane Ouattara, celui-ci pourrait organiser une élection présidentielle anticipée, en 2019 et entrerait ainsi dans l’histoire, un peu comme Nelson Mandela, qui a renoncé à un second mandat, après le premier.
Comment voyez-vous l’alternance en 2020, au profit du PDCI ?
Je pense qu’il y a une erreur qu’on commet souvent quand on parle d’alternance au profit du PDCI. Le jeu de l’alternance ne concerne pas la présidence de la République, qui relève d’une compétition ouverte à tous les partis politiques. Cette alternance est interne au microcosme des Houphouëtistes et devrait permettre de désigner un candidat, pour la présidentielle et rien n’indique que celui-ci sera systématiquement élu. Quoique si le RHDP réussit sa mue comme cela se dessine, je vois mal un autre parti politique le déboulonner en 2020. Donc je pense que le futur candidat du futur parti unifié sera un cadre issu du PDCI et son binôme sera une personnalité issue du RDR. Je pense qu’il y aura bel et bien une troisième République en Côte d’Ivoire, après le référendum constitutionnel qui se soldera par une victoire écrasante du « Oui ». La Côte d’Ivoire connaîtra un nouveau régime présidentiel fort, qui se présentera sous la forme d’un ticket présidentiel, avec un Président et un vice-Président qui seront élus au suffrage universel. Le vice-président sera le dauphin constitutionnel à la place du président de l’Assemblée nationale. Je pense que si le destin ne décide pas autre chose, Ouattara et Bédié feront valider le choix de ce binôme par les militants du futur parti unifié (qui sera présidé par Bédié et qui pourrait s’appeler PDCI-RDR) et il ne restera plus qu’aux mécontents du nouveau parti unifié, d’être des irréductibles, comme l’ont été Banny et Essy. Evidemment, sans le soutien du parti unifié, ces futurs irréductibles feront long feu et il est clair que le candidat de cette coalition remportera la présidentielle. Parce qu’en face de lui, on aura Banny et Essy forclos (même s’ils ne l’étaient pas, ils n’iraient pas) et un Affi N’Guessan qui ne lâchera rien, qui aura réussi à former un groupe parlementaire après les législatives et qui sera toujours combattu par les frondeurs. Evidemment, Laurent Gbagbo sera toujours en prison et le groupe des « Gbagbo ou rien » ne décolèrera pas. Mamadou Koulibaly continuera de prendre des décisions contradictoires et je pense qu’il y aura une saignée au sein de son parti, et KKB devra soit rentrer dans les rangs, soit rejoindre le FPI, soit créer son parti. Dans les trois cas, il ne peut pas inquiéter le pouvoir, autrement que par ses déclarations médiatiques, dont le seul mérite est d’animer la vie politique, rien de plus.
Vous avez été très critique envers l’opposition avant et pendant la campagne électorale dans des médias internationaux et vos prises de position sur les réseaux sociaux où vous êtes très suivis, les ont souvent fragilisés, si elles n’ont pas contribué à leur débâcle en tout cas sur le plan médiatique. Que deviendrez-vous après cette élection pour laquelle vous étiez très engagé ?
Vous savez, j’ai confié à la BBC que très souvent, les intellectuels et leaders d’opinion africains, ont souvent péché par leur volonté de descendre en règle les pouvoirs, tout en ménageant l’opposition. C’est une erreur. Si nous voulons que la démocratie dans nos Etats africains soit consolidée et évolue positivement, nous ne devons pas fermer ostensiblement les yeux sur les agissements des opposants, tandis que nous tirons à boulet rouge, sans discontinuer, sur les pouvoirs. Parce que les opposants sont appelés à devenir les futurs dirigeants et la façon dont ils s’opposent aux dirigeants donne des indices sur la méthode et le style qu’ils adopteront quand ils dirigeront eux-mêmes. Si vous avez des opposants adeptes du faux et de la manipulation des masses par les rumeurs, comme c’est le cas chez une catégorie bien précise d’opposants ivoiriens et guinéens, il est sûr que le silence de l’intellectuel que je suis, relèverait de la trahison envers les gens qui me suivent et m’écoutent. De fait, je ne suis pas dupe. Je suis souvent « descendu » par certains opposants, tout simplement parce qu’ils ne supportent pas que je dévoile leurs besognes anti-démocratiques en tant qu’opposants et aussi et surtout parce que cela les énerve que je ne les suive pas dans leurs stratégie de reconquête du pouvoir, par tous les moyens, y compris en usant de propagande haineuse. Je leur réponds très simplement : donnez une raison, mais une seule raison, qui m’indiquerait que vous feriez mieux que Ouattara. Ils n’arrivent pas à me convaincre. En clair, ils veulent le pouvoir pour le pouvoir, sans pouvoir être capable de dire avec précision, ce qu’ils en feraient et comment ils en useraient. C’est pourquoi vous avez trouvé plein de candidats, qui n’avaient pas de projet de société. Ce sera donc mon combat : attirer l’attention des décideurs, mais aussi dévoiler les manœuvres anti-démocratiques des opposants, le tout dans un seul but : faire avancer nos démocraties africaines.
Interview réalisée par Melaine Russe (Le Mandat)