Un homme debout
Victime de l’attentat qui a touché le car de sa sélection avant la CAN 2010, Kodjovi Obilalé, est resté un homme digne, malgré les séquelles de cet acte lâche qui l’ont laissé dans un fauteuil roulant à vie.
Souvenez-vous. Nous sommes le vendredi 8 Janvier 2010, les Eperviers du Togo, venant de Brazzaville, où ils se sont préparés pour la CAN 2010, rallient Cabinda par bus. Quelques instants après avoir franchi la frontière entre le Congo et l’Angola, des coups de feu fusent de partout touchant de plein fouet le bus togolais. Bilan, deux morts et un blessé grave. Et ce blessé, c’est le gardien Kodjovi Obilalé, marqué et handicapé à vie qui ne retrouvera plus les pelouses, victime de cet attentat revendiqué par le Front de libération de l’enclave du Cabinda, un groupe séparatiste qui se bat depuis 1975 pour l’indépendance de l’enclave de Cabinda. La CAN est endeuillée, l’Angola abasourdi, la CAF embêtée.
Déclaré mort pendant quelques heures, Obilalé réussit à s’en sortir malgré les deux balles qui l’ont touché. Le monde entier est ému par cet incident, et on garde encore en mémoire l’image de la star du Togo, Emmanuel Adebayor, se tenant la tête en pleurant. On se souvient aussi de cette décision inique de la CAF de suspendre les Eperviers, qui, moralement et physiquement touchés par cet acte ignoble, se déclarent inaptes à la poursuite de la CAN. Suspension levée quelques semaines plus tard.
Depuis, le temps a passé. Après les marques de sympathie rapides et hypocrites, le footballeur s’est bien vite retrouvé seul. «Suite à l’attentat, pendant des mois, j’ai éprouvé la sensation d’être un mort-vivant. Un intense sentiment de vide et d’inutilité me parcourait l’esprit. Le temps s’étirait pour bien me mettre sous le nez que ma vie était foutue. On m’avait jeté sur le bord de la route et l’humanité tout entière poursuivait son chemin. À la Fédération togolaise de football notamment, on m’avait un peu trop vite oublié. J’étais devenu un problème insurmontable qu’on ne voulait plus voir », écrit-il dans son livre sorti le 7 octobre dernier.
«Inutile d’assassiner un cadavre»
Se sentant inutile dans le monde qui l’entoure, l’ancien gardien de but passe par tous les états d’âmes. Sauf celui du suicide. Et il a raison. «Je me sentais si peu vivant que je n’aurais pas pu voir l’idée de me suicider. Inutile d’assassiner un cadavre, car c’était bien ce que j’étais devenu à mes yeux.» Et, rempli d’une force insoupçonnée, il se refuse à toute pitié. « Plutôt qu’on me donne du poisson, je voulais qu’on m’apprenne à pêcher. Je ne voulais plus m’apitoyer sur moi-même ; du coup, je refusais que d’autres le fassent ». Il décide donc d’accepter son handicap, de vivre avec, lorsqu’il se retrouve en centre de rééducation avec des personnes aussi touchées que lui, sinon plus.
Avec l’aide de son ancien club de Pontivy, de ses quelques amis restés proches, « les vrais, pas ceux qui voulaient se donner bonne conscience », il change d’orientation professionnelle. Il suivra une formation d’éducateur spécialisé dont il sort diplômé avec de très bonnes appréciations. Même en fauteuil roulant, Obilalé est efficace. Il travaille aujourd’hui au sein d’une association dénommée Remise en Jeu. Elle aide les jeunes en difficulté, en échec scolaire ou déscolarisés, et des jeunes en semi-liberté à Lochrist, près de Lorient, dans l’ouest de la France. Avec un programme simple : football le matin, et remise à niveau scolaire l’après-midi, l’association arrive à inculquer aux jeunes de vraies valeurs à même de les aider à s’insérer dans le tissu socioéconomique, et à vivre de façon indépendante et responsable.
Cette âme de grand frère, il la partage aussi dans son livre. « Oui, je ne voulais pas que parler de l’attentat, je voulais aussi faire comprendre à mes jeunes frères africains que, même s’ils ont du talent pour le football, il serait bien qu’ils aient un petit bagage, intellectuel, une petite formation. Dans ce milieu, ça va très vite dans un sens comme dans l’autre. On ne sait jamais. »
L’éducateur spécialisé, raconte aussi dans son livre Un destin foudroyé les méandres tortueux du football togolais. L’enrichissement illicite des dirigeants, l’égoïsme, l’improvisation, autant de tares qu’il aimerait voir disparaitre du football africain en général. « Ce fut une véritable thérapie pour moi d’écrire ce livre. J’avais du mal à extérioriser mes sentiments, même à me confier aux psychologues qui venaient me voir. Le bouquin m’a permis de me vider l’esprit et d’avancer. »
En contact avec Adébayor
Kodjovi Obilalé revient de loin. Il en est conscient. Raison pour laquelle il vit aujourd’hui en être libre et heureux. C’est un homme debout malgré son handicap, malgré son fauteuil roulant. Il sillonne la France pour la promotion de son livre et se dit ouvert à toute conférence ou débat. Il sera en décembre au Togo pour y dédicacer son livre. Il est resté en contact avec quelques vrais amis du milieu du football. « Je suis en contact avec Emmanuel Adebayor. Il a été mon capitaine et j’ai encore beaucoup de respect pour lui; on s’est parlé très récemment. Et je le remercie d’avoir parlé de mon livre sur les réseaux sociaux. » Mais, très pudique, ‟Kodjo” a horreur de déranger les gens.
Marqué à vie par la tragédie de 2010, Obilalé espère tout simplement avoir des réponses sur ce qui a changé le cours de son destin. Cinq ans après, l’enquête est au point mort. Qui a commandité l’attaque, pourquoi le car des Togolais, pour quel motif ? Un flou duquel il aimerait sortir. Certes, il a déposé plainte au barreau de Paris mais il attend impatiemment de comprendre ce qui s’est passé ce jour de 2010. Un jour triste pour lui, pour le Togo, le football africain et pour toute l’Afrique.
Malick Daho
Victime de l’attentat qui a touché le car de sa sélection avant la CAN 2010, Kodjovi Obilalé, est resté un homme digne, malgré les séquelles de cet acte lâche qui l’ont laissé dans un fauteuil roulant à vie.
Souvenez-vous. Nous sommes le vendredi 8 Janvier 2010, les Eperviers du Togo, venant de Brazzaville, où ils se sont préparés pour la CAN 2010, rallient Cabinda par bus. Quelques instants après avoir franchi la frontière entre le Congo et l’Angola, des coups de feu fusent de partout touchant de plein fouet le bus togolais. Bilan, deux morts et un blessé grave. Et ce blessé, c’est le gardien Kodjovi Obilalé, marqué et handicapé à vie qui ne retrouvera plus les pelouses, victime de cet attentat revendiqué par le Front de libération de l’enclave du Cabinda, un groupe séparatiste qui se bat depuis 1975 pour l’indépendance de l’enclave de Cabinda. La CAN est endeuillée, l’Angola abasourdi, la CAF embêtée.
Déclaré mort pendant quelques heures, Obilalé réussit à s’en sortir malgré les deux balles qui l’ont touché. Le monde entier est ému par cet incident, et on garde encore en mémoire l’image de la star du Togo, Emmanuel Adebayor, se tenant la tête en pleurant. On se souvient aussi de cette décision inique de la CAF de suspendre les Eperviers, qui, moralement et physiquement touchés par cet acte ignoble, se déclarent inaptes à la poursuite de la CAN. Suspension levée quelques semaines plus tard.
Depuis, le temps a passé. Après les marques de sympathie rapides et hypocrites, le footballeur s’est bien vite retrouvé seul. «Suite à l’attentat, pendant des mois, j’ai éprouvé la sensation d’être un mort-vivant. Un intense sentiment de vide et d’inutilité me parcourait l’esprit. Le temps s’étirait pour bien me mettre sous le nez que ma vie était foutue. On m’avait jeté sur le bord de la route et l’humanité tout entière poursuivait son chemin. À la Fédération togolaise de football notamment, on m’avait un peu trop vite oublié. J’étais devenu un problème insurmontable qu’on ne voulait plus voir », écrit-il dans son livre sorti le 7 octobre dernier.
«Inutile d’assassiner un cadavre»
Se sentant inutile dans le monde qui l’entoure, l’ancien gardien de but passe par tous les états d’âmes. Sauf celui du suicide. Et il a raison. «Je me sentais si peu vivant que je n’aurais pas pu voir l’idée de me suicider. Inutile d’assassiner un cadavre, car c’était bien ce que j’étais devenu à mes yeux.» Et, rempli d’une force insoupçonnée, il se refuse à toute pitié. « Plutôt qu’on me donne du poisson, je voulais qu’on m’apprenne à pêcher. Je ne voulais plus m’apitoyer sur moi-même ; du coup, je refusais que d’autres le fassent ». Il décide donc d’accepter son handicap, de vivre avec, lorsqu’il se retrouve en centre de rééducation avec des personnes aussi touchées que lui, sinon plus.
Avec l’aide de son ancien club de Pontivy, de ses quelques amis restés proches, « les vrais, pas ceux qui voulaient se donner bonne conscience », il change d’orientation professionnelle. Il suivra une formation d’éducateur spécialisé dont il sort diplômé avec de très bonnes appréciations. Même en fauteuil roulant, Obilalé est efficace. Il travaille aujourd’hui au sein d’une association dénommée Remise en Jeu. Elle aide les jeunes en difficulté, en échec scolaire ou déscolarisés, et des jeunes en semi-liberté à Lochrist, près de Lorient, dans l’ouest de la France. Avec un programme simple : football le matin, et remise à niveau scolaire l’après-midi, l’association arrive à inculquer aux jeunes de vraies valeurs à même de les aider à s’insérer dans le tissu socioéconomique, et à vivre de façon indépendante et responsable.
Cette âme de grand frère, il la partage aussi dans son livre. « Oui, je ne voulais pas que parler de l’attentat, je voulais aussi faire comprendre à mes jeunes frères africains que, même s’ils ont du talent pour le football, il serait bien qu’ils aient un petit bagage, intellectuel, une petite formation. Dans ce milieu, ça va très vite dans un sens comme dans l’autre. On ne sait jamais. »
L’éducateur spécialisé, raconte aussi dans son livre Un destin foudroyé les méandres tortueux du football togolais. L’enrichissement illicite des dirigeants, l’égoïsme, l’improvisation, autant de tares qu’il aimerait voir disparaitre du football africain en général. « Ce fut une véritable thérapie pour moi d’écrire ce livre. J’avais du mal à extérioriser mes sentiments, même à me confier aux psychologues qui venaient me voir. Le bouquin m’a permis de me vider l’esprit et d’avancer. »
En contact avec Adébayor
Kodjovi Obilalé revient de loin. Il en est conscient. Raison pour laquelle il vit aujourd’hui en être libre et heureux. C’est un homme debout malgré son handicap, malgré son fauteuil roulant. Il sillonne la France pour la promotion de son livre et se dit ouvert à toute conférence ou débat. Il sera en décembre au Togo pour y dédicacer son livre. Il est resté en contact avec quelques vrais amis du milieu du football. « Je suis en contact avec Emmanuel Adebayor. Il a été mon capitaine et j’ai encore beaucoup de respect pour lui; on s’est parlé très récemment. Et je le remercie d’avoir parlé de mon livre sur les réseaux sociaux. » Mais, très pudique, ‟Kodjo” a horreur de déranger les gens.
Marqué à vie par la tragédie de 2010, Obilalé espère tout simplement avoir des réponses sur ce qui a changé le cours de son destin. Cinq ans après, l’enquête est au point mort. Qui a commandité l’attaque, pourquoi le car des Togolais, pour quel motif ? Un flou duquel il aimerait sortir. Certes, il a déposé plainte au barreau de Paris mais il attend impatiemment de comprendre ce qui s’est passé ce jour de 2010. Un jour triste pour lui, pour le Togo, le football africain et pour toute l’Afrique.
Malick Daho