Le regard humble, la voix douce légèrement fatiguée, Mory Touré est un retraité ivoirien presque comme tous les autres. À la seule différence qu’il est le père de deux des plus grands joueurs de son pays, Kolo et Yaya Touré. Dans sa modeste résidence du quartier populaire de Yopougon, à Abidjan, il témoigne sur l’enfance et l’actualité de sa famille.
Vous venez de passer les fêtes alors que Kolo et Yaya sont en Angleterre pour la Premier League. Ce n'est pas trop difficile d'être éloigné de vos enfants pendant une telle période ?
Non, ils sont allés se chercher. S'ils viennent ici, qu'est-ce que je pourrais faire pour eux ? Ils se battent pour réussir leur vie donc mon souhait le plus absolu c'est qu'ils réussissent.
Ils reviennent souvent à la maison, mais ils commencent à avoir un peu peur de revenir puisque les gens envahissent souvent la cour pour aller les voir, les toucher. La dernière fois ils se sont fait chahuter dans la voiture, j'ai eu peur qu'ils s'étouffent ! Du coup, ils viennent plus discrètement.
La famille aussi doit subir cette effervescence ?
Oui, les journalistes viennent me voir, surtout les Anglais, on se débrouille avec la traduction. La célébrité est très difficile à vivre. Je suis la cible de tout le monde, on croit qu'on vit à l'aise donc on a toujours des gens devant la porte qui nous demandent de l'aide, et je suis souvent en difficulté financière. L’Afrique, ce n’est pas la France, ce que tu gagnes, c’est pour la famille et les proches, c’est pas pour toi. Ici, celui qui gagne doit aider les autres. Je comprends cette situation puisque j’ai été dans ce cas là. Mais c’est souvent exagéré, beaucoup de gens viennent pour me présenter leurs problèmes. Dans ces cas-là, je ne peux pas refuser.
J'ai aussi eu des problèmes quand les Éléphants (l’équipe nationale ivoirienne, ndlr) perdaient ! Les gens venaient jusqu'à la maison pour critiquer le match des enfants. Une fois il a même fallu appeler la police pour protéger la maison !
Qu’est-ce que la carrière de vos enfants a changé dans votre vie ? Vous menez une belle vie maintenant ?
Oui, ça m’a sorti des ténèbres, ça m’a permis de bien vivre, c’est grâce à eux que je ne paie pas de maison ici à Abidjan. Je suis véhiculé aussi, c’est extraordinaire pour moi. Mes enfants ne m’oublient pas, je suis content, je remercie Dieu de m’avoir mis dans cette situation après ma carrière militaire, je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse m’arriver cela.
Les prestations de Kolo et Yaya créent-elles aussi parfois des tensions au sein même de la famille ?
Non. Je les conseille parfois, mais principalement pour leur dire de prendre des distances vis à vis des critiques et d'avancer. Mais ils choisissent le club qu’ils veulent, ce sont de grands garçons, je les laisse libre de mener leur carrière comme ils l’entendent, et je serais triste de les voir malheureux à cause de mes conseils de clubs.
Pourquoi avez-vous décidé de rester à Yopougon ?
C'est une maison de souvenirs. Quand Kolo est allé à Arsenal, la première chose qu'il a faite a été de construire cette maison pour son père. Pour moi, c’est la maison d’Arsenal, de cette époque. Si je partais à la retraite en tant que militaire je n'aurais pas eu de maison. Mais j'ai aussi une maison aux Deux Plateaux (quartier huppé du nord est abidjanais) où ma deuxième femme vit, donc j'alterne une semaine dans chaque.
On parle beaucoup des deux internationaux, mais que font les autres enfants ?
Au total j'ai dix enfants, trois filles et sept garçons. La première fille est mariée, la deuxième est ici et on lui souhaite un mariage, la troisième est petite encore. Un petit frère de Yaya et Kolo aimait le football aussi, mais il est malheureusement décédé. Les enfants sont vraiment ensemble et solidaires. La fille aînée et leur grand frère vivent en Angleterre, comme eux. On les sent heureux là-bas, les Anglais sont accueillants.
Vous leur rendez souvent visite ?
Depuis quelques temps on me demande de partir pour les voir mais je n'aime pas trop voyager. Le pays que j'aimerais vraiment visiter serait la France, mais à part pour deux stages militaires je n'y suis pas allé. Yaya n’est pas resté assez longtemps à Monaco pour que je vienne. Mais ça va venir !
Avant que vos enfants jouent, vous aimiez le foot ?
Depuis l'école je jouais au football, mais je n'aurais jamais pensé que mes enfants deviennent footballeurs. Au départ, je ne voulais pas qu'ils quittent l'école pour le foot. Kolo devait aller au collège et Yaya aussi, mais ils ont abandonné vers la sixième. J'avais peur qu'ils se blessent, quand je pensais à ça, j'étais inquiet. Mais je me suis dit que je ne pourrais pas les retenir donc je les ai accompagnés dans leur projet.
À l’époque on sentait qu’ils avaient un niveau exceptionnel ?
Oui. Ils jouaient aux Hirondelles d’Adjamé. L’entraîneur, en observant les touches de balle de Yaya, a affirmé à l’époque qu’il serait un Ballon d’or d’Afrique, il voyait dans son jeu une classe exceptionnelle. Et maintenant c’est la cinquième fois qu’il peut avoir le trophée, il a donc été encadré par un connaisseur !
Quelles étaient les idoles des enfants ?
Ils n’avaient pas d’idole. Yaya s’était juste promis de jouer à Barcelone quand il était enfant, c’est un exemple souvent cité par le président de l’ASEC (ancien club abidjanais de Yaya et Kolo Touré ndlr). Il répète souvent que c’est un joueur très audacieux, et on l’a bien vu, il a fini par jouer à Barcelone.
Quel est votre avis concernant tous les jeunes Ivoiriens qui voudraient suivre la carrière de vos enfants et arrêter leurs études ?
Je leur dirais de continuer leurs études en poursuivant le sport. Nous, on a pris des risques, et je ne souhaite pas que des enfants prennent ce risque. Même si le football marche bien, ils doivent continuer leurs études.
Kolo et Yaya étaient-ils de bons élèves ?
Oui, c’étaient de très bons élèves, surtout Yaya, qui était tout le temps le premier de sa classe. Il travaillait bien, c’est quelqu’un qui aime beaucoup la concurrence. Pour l’anecdote, quand j’ai été muté de Bouaké pour aller à Abidjan, le directeur de l’école de Yaya ne voulait pas que je parte avec lui, tant il le trouvait intelligent. Il disait que les enfants à Abidjan sortaient tout le temps et qu’il risquait de gâcher sa scolarité. Il a finalement accepté qu’il me suive à Abidjan, et ça s’est bien passé.
Ils ne sont pas trop frustrés d’avoir quitté l’école si tôt ? Ils ne prévoient pas de reprendre des études après leur carrière ?
Non, je ne pense pas, ce n’est pas prévu. Ils ne sont pas frustrés, c’est eux-mêmes qui ont choisi cette voie. Comme j’ai donné une éducation religieuse à mes enfants, Yaya avait dit un jour qu’il voulait être Imam pour enseigner l’Islam, je ne sais pas s’il continuera dans cette voie.
Quelle place a joué la religion dans leur carrière ?
Ca les a aidés. Je me rappelle que Kolo faisait ses prières avant certains matches, il a bien fait. C’est pareil pour les autres enfants.
Vous trouvez que Kolo et Yaya ont changé avec leurs titres et leurs victoires ?
Ils n’ont pas changé de comportement. Ils restent humbles. Quand une personne âgée est devant eux, ils s’abaissent, ils restent modestes, c’est l’éducation que je leur ai donnée.
Vous êtes dans quel état quand l’un de vos enfants joue à la télé ?
Quand je regarde mon fils, je veux qu’il ait toujours le ballon, qu’il soit le maître de la situation ! Et là, quand il marque, c’est la joie dans toute la famille. Quand il perd, on est triste, c’est normal. En tous cas, je vis très intensément leurs matches, des fois j’ai très peur lorsqu’ils perdent, même si je me suis habitué à la défaite comme la victoire. Mais en général, je note l’heure à laquelle l’un d’entre eux doit jouer, et je programme ma journée selon leur match pour pouvoir les regarder.
Et vous faites comment quand vos deux fils s’affrontent ? Ce n’est pas trop difficile ?
Je me dis juste que le meilleur doit gagner, je ne choisis pas.
Que peut-on vous souhaiter pour 2016 ?
Que mon fils Yaya remporte un nouveau Ballon d’Or africain ! Il sera alors le joueur ivoirien le plus titré, ce serait très émouvant.
La carrière des enfants se rapproche de la fin. D’autres petits frères ou sœurs sont-ils au programme ?
(Il rit) Non, je ne fais plus d’enfants ! Cela me suffit.
Noé MICHALON
Vous venez de passer les fêtes alors que Kolo et Yaya sont en Angleterre pour la Premier League. Ce n'est pas trop difficile d'être éloigné de vos enfants pendant une telle période ?
Non, ils sont allés se chercher. S'ils viennent ici, qu'est-ce que je pourrais faire pour eux ? Ils se battent pour réussir leur vie donc mon souhait le plus absolu c'est qu'ils réussissent.
Ils reviennent souvent à la maison, mais ils commencent à avoir un peu peur de revenir puisque les gens envahissent souvent la cour pour aller les voir, les toucher. La dernière fois ils se sont fait chahuter dans la voiture, j'ai eu peur qu'ils s'étouffent ! Du coup, ils viennent plus discrètement.
La famille aussi doit subir cette effervescence ?
Oui, les journalistes viennent me voir, surtout les Anglais, on se débrouille avec la traduction. La célébrité est très difficile à vivre. Je suis la cible de tout le monde, on croit qu'on vit à l'aise donc on a toujours des gens devant la porte qui nous demandent de l'aide, et je suis souvent en difficulté financière. L’Afrique, ce n’est pas la France, ce que tu gagnes, c’est pour la famille et les proches, c’est pas pour toi. Ici, celui qui gagne doit aider les autres. Je comprends cette situation puisque j’ai été dans ce cas là. Mais c’est souvent exagéré, beaucoup de gens viennent pour me présenter leurs problèmes. Dans ces cas-là, je ne peux pas refuser.
J'ai aussi eu des problèmes quand les Éléphants (l’équipe nationale ivoirienne, ndlr) perdaient ! Les gens venaient jusqu'à la maison pour critiquer le match des enfants. Une fois il a même fallu appeler la police pour protéger la maison !
Qu’est-ce que la carrière de vos enfants a changé dans votre vie ? Vous menez une belle vie maintenant ?
Oui, ça m’a sorti des ténèbres, ça m’a permis de bien vivre, c’est grâce à eux que je ne paie pas de maison ici à Abidjan. Je suis véhiculé aussi, c’est extraordinaire pour moi. Mes enfants ne m’oublient pas, je suis content, je remercie Dieu de m’avoir mis dans cette situation après ma carrière militaire, je n’aurais jamais imaginé qu’il puisse m’arriver cela.
Les prestations de Kolo et Yaya créent-elles aussi parfois des tensions au sein même de la famille ?
Non. Je les conseille parfois, mais principalement pour leur dire de prendre des distances vis à vis des critiques et d'avancer. Mais ils choisissent le club qu’ils veulent, ce sont de grands garçons, je les laisse libre de mener leur carrière comme ils l’entendent, et je serais triste de les voir malheureux à cause de mes conseils de clubs.
Pourquoi avez-vous décidé de rester à Yopougon ?
C'est une maison de souvenirs. Quand Kolo est allé à Arsenal, la première chose qu'il a faite a été de construire cette maison pour son père. Pour moi, c’est la maison d’Arsenal, de cette époque. Si je partais à la retraite en tant que militaire je n'aurais pas eu de maison. Mais j'ai aussi une maison aux Deux Plateaux (quartier huppé du nord est abidjanais) où ma deuxième femme vit, donc j'alterne une semaine dans chaque.
On parle beaucoup des deux internationaux, mais que font les autres enfants ?
Au total j'ai dix enfants, trois filles et sept garçons. La première fille est mariée, la deuxième est ici et on lui souhaite un mariage, la troisième est petite encore. Un petit frère de Yaya et Kolo aimait le football aussi, mais il est malheureusement décédé. Les enfants sont vraiment ensemble et solidaires. La fille aînée et leur grand frère vivent en Angleterre, comme eux. On les sent heureux là-bas, les Anglais sont accueillants.
Vous leur rendez souvent visite ?
Depuis quelques temps on me demande de partir pour les voir mais je n'aime pas trop voyager. Le pays que j'aimerais vraiment visiter serait la France, mais à part pour deux stages militaires je n'y suis pas allé. Yaya n’est pas resté assez longtemps à Monaco pour que je vienne. Mais ça va venir !
Avant que vos enfants jouent, vous aimiez le foot ?
Depuis l'école je jouais au football, mais je n'aurais jamais pensé que mes enfants deviennent footballeurs. Au départ, je ne voulais pas qu'ils quittent l'école pour le foot. Kolo devait aller au collège et Yaya aussi, mais ils ont abandonné vers la sixième. J'avais peur qu'ils se blessent, quand je pensais à ça, j'étais inquiet. Mais je me suis dit que je ne pourrais pas les retenir donc je les ai accompagnés dans leur projet.
À l’époque on sentait qu’ils avaient un niveau exceptionnel ?
Oui. Ils jouaient aux Hirondelles d’Adjamé. L’entraîneur, en observant les touches de balle de Yaya, a affirmé à l’époque qu’il serait un Ballon d’or d’Afrique, il voyait dans son jeu une classe exceptionnelle. Et maintenant c’est la cinquième fois qu’il peut avoir le trophée, il a donc été encadré par un connaisseur !
Quelles étaient les idoles des enfants ?
Ils n’avaient pas d’idole. Yaya s’était juste promis de jouer à Barcelone quand il était enfant, c’est un exemple souvent cité par le président de l’ASEC (ancien club abidjanais de Yaya et Kolo Touré ndlr). Il répète souvent que c’est un joueur très audacieux, et on l’a bien vu, il a fini par jouer à Barcelone.
Quel est votre avis concernant tous les jeunes Ivoiriens qui voudraient suivre la carrière de vos enfants et arrêter leurs études ?
Je leur dirais de continuer leurs études en poursuivant le sport. Nous, on a pris des risques, et je ne souhaite pas que des enfants prennent ce risque. Même si le football marche bien, ils doivent continuer leurs études.
Kolo et Yaya étaient-ils de bons élèves ?
Oui, c’étaient de très bons élèves, surtout Yaya, qui était tout le temps le premier de sa classe. Il travaillait bien, c’est quelqu’un qui aime beaucoup la concurrence. Pour l’anecdote, quand j’ai été muté de Bouaké pour aller à Abidjan, le directeur de l’école de Yaya ne voulait pas que je parte avec lui, tant il le trouvait intelligent. Il disait que les enfants à Abidjan sortaient tout le temps et qu’il risquait de gâcher sa scolarité. Il a finalement accepté qu’il me suive à Abidjan, et ça s’est bien passé.
Ils ne sont pas trop frustrés d’avoir quitté l’école si tôt ? Ils ne prévoient pas de reprendre des études après leur carrière ?
Non, je ne pense pas, ce n’est pas prévu. Ils ne sont pas frustrés, c’est eux-mêmes qui ont choisi cette voie. Comme j’ai donné une éducation religieuse à mes enfants, Yaya avait dit un jour qu’il voulait être Imam pour enseigner l’Islam, je ne sais pas s’il continuera dans cette voie.
Quelle place a joué la religion dans leur carrière ?
Ca les a aidés. Je me rappelle que Kolo faisait ses prières avant certains matches, il a bien fait. C’est pareil pour les autres enfants.
Vous trouvez que Kolo et Yaya ont changé avec leurs titres et leurs victoires ?
Ils n’ont pas changé de comportement. Ils restent humbles. Quand une personne âgée est devant eux, ils s’abaissent, ils restent modestes, c’est l’éducation que je leur ai donnée.
Vous êtes dans quel état quand l’un de vos enfants joue à la télé ?
Quand je regarde mon fils, je veux qu’il ait toujours le ballon, qu’il soit le maître de la situation ! Et là, quand il marque, c’est la joie dans toute la famille. Quand il perd, on est triste, c’est normal. En tous cas, je vis très intensément leurs matches, des fois j’ai très peur lorsqu’ils perdent, même si je me suis habitué à la défaite comme la victoire. Mais en général, je note l’heure à laquelle l’un d’entre eux doit jouer, et je programme ma journée selon leur match pour pouvoir les regarder.
Et vous faites comment quand vos deux fils s’affrontent ? Ce n’est pas trop difficile ?
Je me dis juste que le meilleur doit gagner, je ne choisis pas.
Que peut-on vous souhaiter pour 2016 ?
Que mon fils Yaya remporte un nouveau Ballon d’Or africain ! Il sera alors le joueur ivoirien le plus titré, ce serait très émouvant.
La carrière des enfants se rapproche de la fin. D’autres petits frères ou sœurs sont-ils au programme ?
(Il rit) Non, je ne fais plus d’enfants ! Cela me suffit.
Noé MICHALON