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Santé Publié le samedi 20 février 2016 | AIP

Un nouveau test de diagnostic du paludisme développé au Sénégal (interview)

Un nouveau test, illumigene Malaria, développé avec le concours des chercheurs sénégalais et de plusieurs partenaires internationaux, pourrait fixer une nouvelle norme en matière de diagnostic du paludisme.

Mis au point par l'équipe de Daouda Ndiaye, chercheur au département de parasitologie-mytologie de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, avec le soutien du Centre des maladies infectieuses du CDC , à Atlanta et la compagnie Meridian Bioscience, il permet de diagnostiquer le paludisme en moins d'une heure.

Le 9 février dernier, le test a reçu un marquage CE (Conforme aux exigences), ce qui signifie qu'il est maintenant disponible pour une utilisation dans toute l'Europe. Illumigene malaria est jugé très précis, jusqu'à 80.000 fois plus sensible que les tests actuels.Daouda Ndiaye explique à SciDev.Net les principales étapes de la mise au point de ce nouvel outil de diagnostic.

Présentez-nous ce nouveau test de diagnostic, notamment ce qu'il apporte de neuf par rapport aux méthodes existantes de diagnostic...

Nous avons mis au point une nouvelle technique, appelée Illumigene Malaria, qui est une technique de diagnostic moléculaire du paludisme.
Elle a été mise au point grâce à une collaboration entre l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, notamment avec les départements de parasitologie/mycologie, de l'hôpital Aristide Le Dantec, et le Centre des maladies infectieuses du CDC Atlanta, ainsi que la compagnie Meridian Bioscience.

La technique repose sur la détection des plasmodiums à partir d'une méthode reposant sur la biologie moléculaire. Elle se base essentiellement sur des processus moléculaires, en essayant de traiter des gènes cibles de plasmodium, concernant les cinq espèces que nous connaissons: Plasmodium falciparum, Plasmodium vivax, Plasmodium ovale, Plasmodium malariae et Plasmodium knowlesi.

A titre de comparaison avec les anciennes méthodes utilisées au niveau des formations sanitaires, qui reposaient essentiellement sur la microscopie, avec la goutte épaisse et le frottis sanguin et les tests de diagnostic rapide, communément appelés TDR, on peut dire que ces derniers ont montré leurs limites, parce que dans des pays comme le Sénégal, où on est en phase avec les processus et stratégies de pré-élimination, les parasitémies deviennent faibles chez les patients.

Au vu des limites des méthodes anciennes, qui sont les seules aujourd'hui au niveau des structures sanitaires, qui ne permettent pas détecter ces parasitémies faibles, il fallait trouver des techniques permettant de pallier les limites des tests traditionnels basés sur la microscopie.D'ailleurs, en ce qui concerne la microscopie, il convient de noter rapidement une autre faiblesse: il y a une limite de détection qui tourne autour de 10 à 50 parasites par microïde. Et cela demandait aussi une expertise, une formation continue de microscopistes, qui est extrêmement difficile à mettre en œuvre.

Il était donc important, dans un contexte où l'Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande, dans les stratégies de prise en charge, que seuls les cas confirmés positifs puissent être traités par les médicaments antipaludiques, avec des combinaisons thérapeutiques à base de d'artémisinine, de travailler sur des techniques nouvelles susceptibles de traquer ces parasitémies très faibles et de traiter exactement les patients par rapport à leur parasitémie.

Cela signifie que si un patient qui ne pouvait pas être traité parce que la parasitémie est très faible et que sur le plan du diagnostic clinique, les médecins pensent qu'il s'agit du paludisme, il va falloir faire appel à une autre technique beaucoup plus sensible.C'est dans ce sens que nous avons pensé à travailler sur les techniques les plus sensibles que nous connaissions et celles-ci reposent sur la biologie moléculaire.

Malheureusement, ces techniques de biologie moléculaire nécessitent un appareillage très lourd, qui ne pouvait pas être déployé au niveau périphérique. De plus, cela nécessite aussi un personnel qualifié, qui doit être formé en biologie moléculaire, ce qui requiert plusieurs années de suivi - aujourd'hui, seuls les détenteurs de PhD peuvent être considérés comme des biologistes moléculaires.

Il fallait donc travailler pour contourner ces contraintes.C'est ainsi que nous avons pensé à une technique révolutionnaire susceptible d'être déployée au niveau périphérique, en créant une machine en miniature, qui pouvait avoir les mêmes fonctions qu'une machine conventionnelle susceptible d'être utilisée sans besoin d'expertise du personnel.Nous avons donc pensé avec le CDC d'Atlanta et Merdian Bioscience, à développer le nouvel outil, à travailler là-dessus et à l'expérimenter sur le terrain.

La stratégie a été évaluée au Sénégal avec des résultats intéressants, qui prouvent que cette méthode est révolutionnaire, reposant essentiellement sur les techniques de biologie moléculaire et susceptible d'être utilisée sans expertise, parce que c'est la machine qui donne tous les résultats.

Pendant combien de temps avez-vous travaillé sur la recherche de cette nouvelle stratégie?

D'abord, on ne peut pas mettre en place une telle technique si on n'est pas sûr que le site d'accueil a les équipements qu'il faut ou l'expertise idoine, parce qu'il faudra confirmer tous ces résultats par une microscopie.Il fallait donc travailler sur la conception du laboratoire et la formation des personnels.Ceci a duré plusieurs années, cela remonte à une quinzaine d'années, avec l'aide de plusieurs partenaires extérieurs.

Donc depuis quinze ans, nous avons travaillé à relever les plateaux techniques, à former des jeunes.Il y a eu ensuite un travail de plusieurs années, pour mieux comprendre le plasmodium et poser sur la table les connaissances acquises sur ce génome et évaluer ce que nous pouvions faire à partir des informations à notre disposition.Et pendant deux ans, avec le CDC et Meridian Bioscience, nous avons commencé à réfléchir à mettre en œuvre la nouvelle stratégie.En un mot, même si le déroulement aura duré un ou deux ans, la compréhension du plasmodium aura mis quinze ans.

Si je comprends bien, l'originalité de la nouvelle méthode réside dans sa maniabilité, notamment en termes de déploiement et d'expertise. Qu'en est-il de la rapidité des tests?

Comme je l'ai dit, les techniques de biologie moléculaire sont les plus sensibles, parce qu'elles permettent de détecter un parasite par microïde et c'est cela, l'objectif, dans la prise en charge. N'importe quel type de parasitémie est important devant une infestation, surtout quand il y a des problèmes sur le plan clinique.L'objectif pour nous, c'est d'avoir un outil qui nous permet de traquer un parasite par microïde, voire moins que cela et on a compris que c'est la biologie moléculaire qui le permet.

En ce qui concerne de manière spécifique les résultats, on peut dire qu'il fallait au minimum quarante-huit heures avec l'ensemble des tests moléculaires que nous avions jusqu'ici.Or, un patient admis dans un centre de santé ne peut pas attendre ce temps pour que le résultat soit confirmé.
C'est pourquoi la microscopie et les tests de diagnostic rapides (TDR) ont joué un rôle extrêmement important dans la prise en charge.

Cela permettait au moins de faire un screening; certains passaient malheureusement entre les mailles, lorsque la parasitémie est très faible et notre objectif est de faire en sorte de repérer ces personnes qu'on ne peut pas détecter.Donc, cette nouvelle technique règle aussi bien le problème du déploiement périphérique - c'est-à-dire, dans les villages, les centres périurbains, etc., que celui de la rapidité du résultat.Les résultats sont généralement disponibles au bout d'une cinquantaine de minutes.

En ce qui concerne le coût des machines en question, est-ce qu'il est abordable?

En développant cet essai clinique, notre objectif était de le mettre à la disposition de la communauté internationale.
Et quand nous parlons de communauté internationale, nous parlons essentiellement des pays endémiques du paludisme, qui sont aussi parmi les moins avancés.Donc si une telle machine devait être développée, ce serait essentiellement pour les pays en voie de développement.
Parce que dans les pays développés, les techniques moléculaires sont disponibles dans la plupart des structures.Mais c'est en Afrique, en Amérique latine et dans d'autres pays du Moyen-Orient confrontés aux problèmes de développement qu'on avait pensé à déployer ces machines.

Donc pour répondre à votre question, à mon avis, ces machines devraient être accessibles aux pays africains.La compagnie Meridian Bioscience a travaillé là-dessus et a pensé à mettre la machine à la disposition de la communauté internationale. La seule chose qu'elle demandera, c'est l'achat des réactifs.

A terme, cette nouvelle technique va-t-elle remplacer les méthodes actuelles de diagnostic?

Pas du tout. Il s'agit seulement d'appuyer les techniques de diagnostic existantes. Le but n'est pas de les remplacer, mais de les appuyer.
Par exemple, s'il y a des patients dans une zone où le médecin pense qu'un malade est atteint de paludisme et que les premières techniques donnent un résultat positif, à ce moment, il n'y a pas de problème: le traitement peut être préconisé.

Si le médecin est convaincu qu'il y a paludisme et que les tests actuels ne permettent pas un diagnostic sûr, la technique Immunogene viendra pour confirmer ou infirmer.Par contre, dans les zones de pré-élimination, où il est question de traquer le réservoir, c'est-à-dire les zones à parasitémie très faible, on sait pertinemment que ni la microscopie, ni les TDR ne peuvent détecter ces faibles parasitémies.
Il faut alors impérativement recourir à cette technique, parce que dans les zones de pré-élimination, l'objectif est de traquer et d'intervenir immédiatement.

La force de la machine réside donc dans sa précision. Elle est très précise, en effet, avec une sensibilité de 100%. Elle est plus sensible que toutes les méthodes actuelles en matière de diagnostic.

Dans le cadre de cette recherche, pourquoi avoir opté pour une collaboration avec des institutions occidentales, plutôt qu'avec vos confrères d'autres pays d'Afrique subsaharienne où le paludisme sévit?

La recherche demande des moyens et l'essentiel des appuis dont nous bénéficions provient de l'extérieur. Certes, nos Etats appuient la recherche, mais dans les limites des moyens dont ils disposent.La recherche demande beaucoup d'argent et les équipements sont très coûteux.Pour des problèmes de moyens, les pays occidentaux comprennent ces défis et, en général, consacrent beaucoup de moyens pour la mise en œuvre d'essais cliniques.

La question n'est pas de savoir si nous avons voulu travailler ou pas avec les Africains, mais nos moyens sont malheureusement limités. A titre d'exemple, pour faire valider les résultats de certaines recherches, la communauté scientifique a recouru au CDC Atlanta, réputée pour la solidité et la rigueur des recherches qui s'y mènent. De la même manière, pour faire valider les résultats de notre recherche, il n'y avait rien de mieux que d'avoir le CDC comme partenaire.

Et quelle a été la réaction de l'OMS face à cette nouvelle méthode?

L'OMS n'a fait qu'encadrer les stratégies. Pour le moment, il s'agit d'un appui technique. Lorsqu'il sera question de mettre en œuvre une stratégie sur le terrain, l'OMS aura encore son avis. Mais n'oubliez pas que l'OMS est entourée par nous autres experts. L'essentiel, pour l'OMS, c'est que la stratégie mise en œuvre soit en phase avec les recommandations internationales.


amak/tm
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