BOUAKE (Côte d'Ivoire) - "On nous dit que c'est fini mais combien de temps avant que ça ne recommence?": Sita Soro, commerçante au marché de Bouaké, résume les craintes de beaucoup d'Ivoiriens après une nouvelle mutinerie de militaires, qui pèse sur l'avenir d'un pays redevenu une locomotive régionale.
Samedi matin, le marché de la deuxième vile du pays grouillait de monde et la vie à Abidjan avait repris son cours au lendemain d'un accord mettant fin à la mutinerie, qui n'a pas fait de victimes.
De source militaire ivoirienne, les mutins, qui n'ont pas hésité à prendre le contrôle de Bouaké ou de tirer en l'air dans la principale caserne d'Abidjan, ont obtenu satisfaction de leur revendication: une prime de 12 millions de francs CFA (18.000 euros), dont 5 millions (7.500 euros) versés avant le 5 février et le restant ventilé sur 7 mois avant la fin de l'année.
Le doute plane sur qui la recevra, mutins comme officiels restant évasifs.
De source proche du dossier, 8.500 militaires, parmi les 12.000 anciens rebelles intégrés dans l'armée après la crise post-électorale de 2011, sont concernés. Une autre source parle de 5.000 bénéficiaires.
"En tout état de cause, c'est une somme astronomique dans un pays comme la Côte d'Ivoire", où les revenus de la majorité ne dépassent souvent pas 100.000 CFA mensuels (150 euros), souligne un observateur. A titre d'exemple, le sprinteur ivoirien Ben Youssef Meité, qualifié pour la finale du très médiatique 100m aux côtés d'Usain Bolt aux JO de Rio, a obtenu 10 millions pour son exploit, deux de moins que les mutins.
- 'parasites' -
Et comment financer cette prime, alors que les fonctionnaires sont en grève, réclamant des augmentations et refusant une réforme des retraites?
La loi de programmation militaire de 2.000 milliards CFA (3,8 milliards d'euros) jusqu'en 2020 comprend "une ligne budgétaire de 200 milliards de F CFA en 2017 pour la réforme de l'armée", souligne sous couvert d'anonymat une source connaissant les rouages de l'armée ivoirienne.
"Donc, on pourrait s'en servir pour cela au détriment de la réforme, mais les conséquences sont diaboliques", poursuit cette source. L'armée ivoirienne forte de 22.000 hommes compte beaucoup trop de gradés -- justement pour la plupart d'anciens rebelles-- et un des objectifs de la réforme était justement de les faire partir.
"Là, on les encourage à rester. Ce sont des parasites! Ils se disaient rebelles pour défendre la démocratie mais en fait ce sont des mercenaires", accuse cette source. Et de prédire que "ça recommencera", car "à chaque fois l'État cède".
A Bouaké, un des mutins répond qu'ils n'ont fait qu'obtenir ce qu'on leur avait promis. "La population est habituée aux rébellions. Si on a tiré en l'air, c'est pour éviter que des innocents prennent des balles perdues en cas d'affrontement. Il n'y a eu aucune victime".
Mais la population est exaspérée. "J'espère qu'ils ont vraiment trouvé un accord parce que nous sommes fatigués des coups de fusil", dit Armel Kra, 23 ans, étudiant.
Politiquement, cette mutinerie intervient dans le contexte de la succession en 2020 du président Alassane Ouattara, que ces ex-rebelles ont contribué à porter au pouvoir en 2011.
Le président, réélu en 2015, a mené en 2016 une réforme constitutionnelle censée assurer la stabilité du pays, avec notamment la création d'un poste de vice-président.
Cette réforme a fait reculer dans l'ordre protocolaire le président de l'Assemblée nationale Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion aux ambitions présidentielles présumées. Du coup, certains voient sa patte dans la mutinerie, survenue juste après la nomination du vice-président.
M. Soro s'est gardé d'intervenir dans la crise, mais la présence d'anciens "ComZone" aux négociations a rappelé que la page de 10 années de rébellion n'est pas définitivement tournée et que ces ex-chefs rebelles sont encore puissants.
Si la mutinerie n'a pas eu de conséquences économiques immédiates, elle brouille l'image du redressement ivoirien, a aussi averti le président Ouattara.
Car, si le pays, premier producteur mondial de cacao, est redevenu un pôle régional pour nombre d'institutions ou grandes entreprises, de tels événements font peser une épée de Damoclès sur la confiance du monde économique et des investisseurs étrangers.
eak-pgf/jpc
Samedi matin, le marché de la deuxième vile du pays grouillait de monde et la vie à Abidjan avait repris son cours au lendemain d'un accord mettant fin à la mutinerie, qui n'a pas fait de victimes.
De source militaire ivoirienne, les mutins, qui n'ont pas hésité à prendre le contrôle de Bouaké ou de tirer en l'air dans la principale caserne d'Abidjan, ont obtenu satisfaction de leur revendication: une prime de 12 millions de francs CFA (18.000 euros), dont 5 millions (7.500 euros) versés avant le 5 février et le restant ventilé sur 7 mois avant la fin de l'année.
Le doute plane sur qui la recevra, mutins comme officiels restant évasifs.
De source proche du dossier, 8.500 militaires, parmi les 12.000 anciens rebelles intégrés dans l'armée après la crise post-électorale de 2011, sont concernés. Une autre source parle de 5.000 bénéficiaires.
"En tout état de cause, c'est une somme astronomique dans un pays comme la Côte d'Ivoire", où les revenus de la majorité ne dépassent souvent pas 100.000 CFA mensuels (150 euros), souligne un observateur. A titre d'exemple, le sprinteur ivoirien Ben Youssef Meité, qualifié pour la finale du très médiatique 100m aux côtés d'Usain Bolt aux JO de Rio, a obtenu 10 millions pour son exploit, deux de moins que les mutins.
- 'parasites' -
Et comment financer cette prime, alors que les fonctionnaires sont en grève, réclamant des augmentations et refusant une réforme des retraites?
La loi de programmation militaire de 2.000 milliards CFA (3,8 milliards d'euros) jusqu'en 2020 comprend "une ligne budgétaire de 200 milliards de F CFA en 2017 pour la réforme de l'armée", souligne sous couvert d'anonymat une source connaissant les rouages de l'armée ivoirienne.
"Donc, on pourrait s'en servir pour cela au détriment de la réforme, mais les conséquences sont diaboliques", poursuit cette source. L'armée ivoirienne forte de 22.000 hommes compte beaucoup trop de gradés -- justement pour la plupart d'anciens rebelles-- et un des objectifs de la réforme était justement de les faire partir.
"Là, on les encourage à rester. Ce sont des parasites! Ils se disaient rebelles pour défendre la démocratie mais en fait ce sont des mercenaires", accuse cette source. Et de prédire que "ça recommencera", car "à chaque fois l'État cède".
A Bouaké, un des mutins répond qu'ils n'ont fait qu'obtenir ce qu'on leur avait promis. "La population est habituée aux rébellions. Si on a tiré en l'air, c'est pour éviter que des innocents prennent des balles perdues en cas d'affrontement. Il n'y a eu aucune victime".
Mais la population est exaspérée. "J'espère qu'ils ont vraiment trouvé un accord parce que nous sommes fatigués des coups de fusil", dit Armel Kra, 23 ans, étudiant.
Politiquement, cette mutinerie intervient dans le contexte de la succession en 2020 du président Alassane Ouattara, que ces ex-rebelles ont contribué à porter au pouvoir en 2011.
Le président, réélu en 2015, a mené en 2016 une réforme constitutionnelle censée assurer la stabilité du pays, avec notamment la création d'un poste de vice-président.
Cette réforme a fait reculer dans l'ordre protocolaire le président de l'Assemblée nationale Guillaume Soro, ancien chef de la rébellion aux ambitions présidentielles présumées. Du coup, certains voient sa patte dans la mutinerie, survenue juste après la nomination du vice-président.
M. Soro s'est gardé d'intervenir dans la crise, mais la présence d'anciens "ComZone" aux négociations a rappelé que la page de 10 années de rébellion n'est pas définitivement tournée et que ces ex-chefs rebelles sont encore puissants.
Si la mutinerie n'a pas eu de conséquences économiques immédiates, elle brouille l'image du redressement ivoirien, a aussi averti le président Ouattara.
Car, si le pays, premier producteur mondial de cacao, est redevenu un pôle régional pour nombre d'institutions ou grandes entreprises, de tels événements font peser une épée de Damoclès sur la confiance du monde économique et des investisseurs étrangers.
eak-pgf/jpc