Un soir, durant ma marche, je vois un attroupement devant un écran géant. Cette foule regardait un match de la ligue des champions. Donc un match concernant des équipes européennes. Je me suis approché de ces téléspectateurs. Ils discutaient des joueurs des deux camps. Presque tous connaissaient la biographie des vedettes du football sur le terrain. En plus, leur discussion concernait aussi d’autres équipes européennes et leurs joueurs. Cette culture me semblait impressionnante. Voilà des gens qui pouvaient rester des heures parler d’autre chose que de la politique. Ce genre de public est nombreux en Afrique. Notamment le milieu des jeunes filles et celui des femmes. Elles peuvent rester des heures et des jours sans parler un seul instant de politique. Dans ces milieux on connait à peine les noms de nombreux ministres du gouvernement. Dans ces milieux, le journal télévisé ne rentre pas dans leur programme quotidien. Leur immunité est renforcée par les films et les matchs de football hebdomadaires. On retrouve ce même public dédaigneux des affaires politiques dans les marchés. A voir les vendeuses et les acheteuses papoter on se dit que nous avons de la chance. La politique est une vraie source de conflit avec pour point de base les discussions et les disputes. Personne n’accepte la vérité de son interlocuteur qui devient un ennemi. Hampaté Ba disait que la vérité est comme le croissant de lune. Chacun est un croissant et ce sont les deux croissants qui font la lune, la vérité. Pour être plus explicite aucun adversaire ne peut se taper la poitrine pour dire qu’il détient la vérité. C’est la vérité de l’autre associée à la sienne qui est la réelle vérité. Heureux dans ce pays et beaucoup d’autres des gens sont engagés dans d’autres domaines autres que tout ce qui crée les dissensions. Et cela nous fait penser au Japon à travers l’excellent ouvrage de Ferdinand Bléka intitulé : « Quand le Japon appelle l’Afrique au développement. » On y découvre un peuple résolument tourné vers l’économie et non le politique. La plupart des habitants de ce pays puissant et travailleur ne connait même pas le nom de leur Premier ministre. Pour les Japonais la réussite est individuelle et ne provient pas de la politique qui joue qu’un rôle administratif. Pendant longtemps et encore même aujourd’hui de nombreux africains, ici et d’ailleurs, une écrasante majorité, attend tout d’un pouvoir, de ministres et surtout du président de la République. Un nouvel élu est vu en Père Noel qui doit distribuer des biens tous les mois. Et comme cela est impossible on comprend aisément la déception des uns et des autres pour les politiques. Et je me réjouis particulièrement de voir que, depuis quelques années, de nombreux Ivoiriens se sont pris en charge et n’attendent plus rien du pouvoir et ne regardent plus vers ce haut lieu. Particulièrement les jeunes. Les trentenaires. Ils ne s’asseyent plus dans les salons, les maquis, les bureaux pour parler des heures et des heures, comme leurs ainés, de parler de la politique sans être des acteurs. Ces jeunes ivoiriens se transforment en japonais. Les affaires. Rien que des affaires. Le business. Que de jeunes riches dans le pays. Toute leur discussion consiste à monter des projets, à lier des partenariats, à se donner des idées. Ils refusent d’entrer dans les discussions paralysantes, inefficaces, sans aboutissement que la politique pourrait les conduire. . Ces jeunes ivoiriens ont compris que dans ce monde de la technologie, de la rapidité et de la concurrence et de la communication seul le travail paie. Le travail c’est se mettre à la tâche des heures supplémentaires. Bientôt dans ce pays seront appelés les has been tous ces bavards de la politique qui ne fondent rien et qui ne créent rien. Je suis fier de ce pays et de sa jeunesse à la nouvelle vision. Des jeunes décidés de commencer, s’il le faut, par le bas, pour monter plus haut. On trouve également ce public dans le monde rural. Aller chaque jour dans les plantations et les champs donne un tempérament de vainqueur incompatible avec des discussions sur la politique. Le cultivateur, le paysan veut un prix garanti, des engrais et de la pluie. Il ne connait pas le débordement des fonctionnaires, des politiciens sans aucun poste électif. Du matin au soir, la ville d’Abidjan grouille. Les meetings ne font plus recette. Le travail redevient la devise du pays. Un peuple est débout pour sa propre émergence. Ce qu’elle attend du pouvoir c’est moins de pression fiscale et de justice. La politique est nécessaire et utile quand ses acteurs le font par sacerdoce et non par gloriole pour de l’argent. Faire comme au Japon, se donner la mort si possible, quand vos résultats sont mauvais ou si vous êtes accusé de corruption. Je croyais que le développement était impossible et cette nouvelle jeunesse ivoirienne me démontre que je dois croire et espérer en elle. Ainsi va l’Afrique. A la semaine prochaine.
Isaïe Biton Koulibaly
Isaïe Biton Koulibaly