Il s’appelle Zakry Noël. Le tambour, pour l’appeler, dirait « Guéménédoukèdè, na bagnonZakry » (Fils du grand Guéménedou,Toi le bagnon pour qui on lutte (toi le bagnon tant désiré). Il ajouterait « Zakry Bédi a ko » (Zakry Bédi, Toi qu’on attend). On l’a désiré, on l’a attendu, il mérite qu’à notre tour, nous nous battions pour lui. Déjà par un hommage.
Dans toute société, il est important de reconnaître ceux qui émergent et honorent leur communauté, régionale ou nationale. Il le faut pour l’estime de soi, pour construire et conforter une bonne image de soi afin de mieux cheminer avec les autres. C’est une exigence de ce que Memel-Foté appelle « Wabhlinié », le cheminer ensemble. Il y a de la place dans notre mémoire collective pour tous ceux qui le méritent.
Il en a été ainsi, dans le domaine musical, avec Harris Memel-Foté pour Jeanne Agnimel, Yacouba Konaté pour Alpha Blondy, René Babi pour Nahounou Amédée Pierre. Il est juste de rendre hommage à Zakry Noël. Pour plusieurs raisons.
D’abord pour sa voix. Zakry Noël est un rossignol dans la ville, une voix prodigieuse et reconnaissable parmi mille. C’est une voix solidaire des quartiers populaires, ces lieux auxquels il s’identifie, où il se produit et où il habite. C’est en raison de cette voix que le tambour peut, à juste titre, dire à propos de cet homme de taille modeste : « Wèli ko bhoa » (Celui que la voix grandit, celui dont la voix allonge la taille).
Pour sa place dans la culture ivoirienne. On ne doit pas l’assimiler et le limiter à sa seule voix. Il est aussi un guitariste émérite mais méconnu du grand public. Les spécialistes le reconnaissent comme un guitariste doué d’une grande capacité à jouer tout en chantant. Sous ce rapport, disent-ils, il n’a rien à envier, loin s’en faut, à Germain Bi Gokon, Blé Dibaga et Gooré Rico. Zakry Noël est également un compositeur très créatif auteur de plus d’une trentaine d’œuvres. Un recensement systématique permettra d’arriver à un chiffre qui donne une idée plus exacte de son talent.
Il s’agit de célébrer près de 50 ans de carrière, de contribution à la vie de notre société pour son essor culturel, son dynamisme et sa cohésion. Sa carrière a débuté à Gagnoa. Dès ces années-là, en quittant Guéménédou, son village, et Gagnoa, sa capitale régionale, commençait son destin de « goulizignon » (l’aventurier qui parcourt le monde).
L’artiste est conscient de sa singularité et de son statut. Dans la chanson « waryagné » il dit : « On vous regarde et vous me regardez». Cette chanson l’établit comme référence ou recours ultime. Voilà une voix dont l’écho persistant résiste à l’oubli.
Plusieurs types de qualités lui ont permis de réussir. D’abord psychologiques : le calme, la confiance en l’homme sans être un naïf, la détermination. Puis intellectuelles : n’ayant pas été à l’école, il a une grande mémoire, celle des chiffres notamment ; il a pu apprendre à jouer de la guitare et y exceller ; il a acquis une connaissance adéquate du monde : ses écueils, ses institutions, ses règles et ses réseaux. Enfin morales : n’étant pas asservi à l’argent, il a su éviter la fièvre de l’accumulation ; son optimisme s’inscrivait aussi dans le premier nom de son orchestre « L’aurore ivoirienne ». Ce nom trahissait une secrète ambition de participer au lever du nouveau soleil culturel et sociopolitique. L’expérience a montré que l’aurore peut être menacée par des éclipses inattendues ou un crépuscule mal maîtrisé.
Ses œuvres, par la langue au moins, participent d’une revendication d’identité nationale face à l’anonymat urbain et à tous les encouragements à l’aliénation culturelle. On peut le classer dans le genre du tradi-moderne. Mais il n’est pas un praticien exclusif du gbégbé ou de l’aloucou. Je me risque à dire qu’il est une sorte de « crooner tradi-moderne ». Même quand il joue le « digba » ou le « gbégbé », sa version n’est pas frénétique mais reste celle d’un chanteur de charme. Il chante pour séduire, émouvoir et apaiser. Son style est une longue complainte qui se prolonge dans ses différentes chansons. C’est pourquoi, ses chansons peuvent plaire à un public plus large que son groupe ethnoculturel. Le mélomane doit être modeste car il n’est pas un musicologue. Ce qui frappe cependant chez tout « crooner », c’est la tristesse et l’émotion. J’affirme que « Loterie nationale » et « Super Yohou » ont amplement leur place dans l’anthologie de la musique ivoirienne.
Pour ce qu’il a fait pour les jeunes qu’il a pu encadrer. Zakry Noël a aussi été un mentor bienveillant pour ses cadets. Selon des témoignages, il était la vedette mais pas le chef d’orchestre. Il était leader mais pas une autorité écrasante pour les jeunes qui, venus d’horizons divers, se mettaient sous sa protection. Il a joué avec des valeurs confirmées comme Suzy Kaseya. Il a vu passer nombre de jeunes qui l’ont accompagné dont les plus connus sont Djabo Steck, Paco Seri (brève collaboration), Kokobo Bernard, Phil Hazoumé, Assalé Best, Georges Ouédraogo, ainsi que d’autres jeunes venus d’Afrique centrale. Il semble que John Yalley et Seri Simplice l’ont fréquenté avant de poursuivre leur chemin à eux.
Il a beaucoup donné mais il a aussi bénéficié de la sympathie de ses admirateurs, sans doute en raison de sa fragilité et de son humilité. La solidarité est assurément le thème principal de son œuvre. Ses chansons peuvent être regroupées en trois catégories. La solidarité comme valeur s’oriente dans deux directions, contre l’injustice et pour le partage, ce qui justifie la présence permanente du thème de la gratitude.
On peut ne pas être égaux en puissance mais on l’est en droit. Le colibri a les mêmes droits que le toucan. Sans se poser comme artiste engagé, par humilité et discrétion, ses chansons sont marquées par une certaine conscience sociale. Dans « sioyrime » (essuie tes larmes), il apporte sa compassion à ceux qui souffrent. Aux gens qui pleurent (« gôlôgnantou »), il apporte non seulement la compassion, mais aussi et surtout le regard de ceux qu’il peut attendrir et qui peuvent agir. C’est à cause de sa réprobation de l’injustice qu’il chante des personnages qu’il nomme « Gboziagnan », « galebha tchetchè » ou « Zitè Bléwan » le bélier qui affronte Yèklèmadi la panthère. Il interpelle ces derniers pour la réparation des torts.
Pour Zakry Noël, il faut s’aimer les uns les autres, entretenir la cohésion, s’éloigner des « cœurs noirs », ceux dont l’extérieur est propre mais dont l’intérieur est sombre. La solidarité est comme un écho à la sensibilité et à l’impuissance de celui s’écrie « Séizo ? » (Que puis-je faire ?) ou « O ke yi ? » (Qui viendra à mon secours ?).
La loterie qu’il a chantée est une modalité de la solidarité. Elle semble aussi relever d’une forme de patriotisme par une mobilisation de l’épargne. La LONACI est une entreprise nationale. Il la célèbre non pas pour l’argent en vitesse mais,par souci de l’autre, il y encourage ses compatriotes comme quête d’un salut individuel et collectif.
L’angoisse du « goulizignon » (l’aventurier) est normale. Il n’a pas la certitude d’arriver à temps ni même de pouvoir satisfaire les attentes des siens. Par ailleurs, on peut voir que les notables sont assis quand l’errance de l’aventurier, sans être enviable, est une figure de la liberté.
Zakry Noël a utilisé une grande partie de son énergie et de sa créativité à chanter sa gratitude envers ses bienfaiteurs. Il faut mériter l’aide mais savoir aussi dire merci. En effet, le talent peut convaincre les femmes et hommes providentiels, ceux qui apportent leur soutien et investissent dans les instruments, mais la générosité n’est pas une obligation.
L’histoire de la musique ivoirienne retiendra le nom de Zakry Noël pour sa voix et pour ses œuvres, en tant que parolier et instrumentiste. Il est un acteur important de notre transition socioculturelle, de la construction de notre propre modernité.
Remercions tous Zakry Noël pour ce qu’il a fait pour nous, surtout en tant que modèle de persévérance et de résilience et artiste qui nous a offert une musique qui conforte notre identité et qui nous apaise.
Maintenant, quel destin désirons-nous pour nous en tant que communauté nationale ? Il a fait son travail d’artiste.
Il a chanté. A nous de décider. De « Na za akri » (Toi pour qui on lutte) passons à « A kri a za (luttons pour nous-mêmes) !
Pr SERY Bailly
Dans toute société, il est important de reconnaître ceux qui émergent et honorent leur communauté, régionale ou nationale. Il le faut pour l’estime de soi, pour construire et conforter une bonne image de soi afin de mieux cheminer avec les autres. C’est une exigence de ce que Memel-Foté appelle « Wabhlinié », le cheminer ensemble. Il y a de la place dans notre mémoire collective pour tous ceux qui le méritent.
Il en a été ainsi, dans le domaine musical, avec Harris Memel-Foté pour Jeanne Agnimel, Yacouba Konaté pour Alpha Blondy, René Babi pour Nahounou Amédée Pierre. Il est juste de rendre hommage à Zakry Noël. Pour plusieurs raisons.
D’abord pour sa voix. Zakry Noël est un rossignol dans la ville, une voix prodigieuse et reconnaissable parmi mille. C’est une voix solidaire des quartiers populaires, ces lieux auxquels il s’identifie, où il se produit et où il habite. C’est en raison de cette voix que le tambour peut, à juste titre, dire à propos de cet homme de taille modeste : « Wèli ko bhoa » (Celui que la voix grandit, celui dont la voix allonge la taille).
Pour sa place dans la culture ivoirienne. On ne doit pas l’assimiler et le limiter à sa seule voix. Il est aussi un guitariste émérite mais méconnu du grand public. Les spécialistes le reconnaissent comme un guitariste doué d’une grande capacité à jouer tout en chantant. Sous ce rapport, disent-ils, il n’a rien à envier, loin s’en faut, à Germain Bi Gokon, Blé Dibaga et Gooré Rico. Zakry Noël est également un compositeur très créatif auteur de plus d’une trentaine d’œuvres. Un recensement systématique permettra d’arriver à un chiffre qui donne une idée plus exacte de son talent.
Il s’agit de célébrer près de 50 ans de carrière, de contribution à la vie de notre société pour son essor culturel, son dynamisme et sa cohésion. Sa carrière a débuté à Gagnoa. Dès ces années-là, en quittant Guéménédou, son village, et Gagnoa, sa capitale régionale, commençait son destin de « goulizignon » (l’aventurier qui parcourt le monde).
L’artiste est conscient de sa singularité et de son statut. Dans la chanson « waryagné » il dit : « On vous regarde et vous me regardez». Cette chanson l’établit comme référence ou recours ultime. Voilà une voix dont l’écho persistant résiste à l’oubli.
Plusieurs types de qualités lui ont permis de réussir. D’abord psychologiques : le calme, la confiance en l’homme sans être un naïf, la détermination. Puis intellectuelles : n’ayant pas été à l’école, il a une grande mémoire, celle des chiffres notamment ; il a pu apprendre à jouer de la guitare et y exceller ; il a acquis une connaissance adéquate du monde : ses écueils, ses institutions, ses règles et ses réseaux. Enfin morales : n’étant pas asservi à l’argent, il a su éviter la fièvre de l’accumulation ; son optimisme s’inscrivait aussi dans le premier nom de son orchestre « L’aurore ivoirienne ». Ce nom trahissait une secrète ambition de participer au lever du nouveau soleil culturel et sociopolitique. L’expérience a montré que l’aurore peut être menacée par des éclipses inattendues ou un crépuscule mal maîtrisé.
Ses œuvres, par la langue au moins, participent d’une revendication d’identité nationale face à l’anonymat urbain et à tous les encouragements à l’aliénation culturelle. On peut le classer dans le genre du tradi-moderne. Mais il n’est pas un praticien exclusif du gbégbé ou de l’aloucou. Je me risque à dire qu’il est une sorte de « crooner tradi-moderne ». Même quand il joue le « digba » ou le « gbégbé », sa version n’est pas frénétique mais reste celle d’un chanteur de charme. Il chante pour séduire, émouvoir et apaiser. Son style est une longue complainte qui se prolonge dans ses différentes chansons. C’est pourquoi, ses chansons peuvent plaire à un public plus large que son groupe ethnoculturel. Le mélomane doit être modeste car il n’est pas un musicologue. Ce qui frappe cependant chez tout « crooner », c’est la tristesse et l’émotion. J’affirme que « Loterie nationale » et « Super Yohou » ont amplement leur place dans l’anthologie de la musique ivoirienne.
Pour ce qu’il a fait pour les jeunes qu’il a pu encadrer. Zakry Noël a aussi été un mentor bienveillant pour ses cadets. Selon des témoignages, il était la vedette mais pas le chef d’orchestre. Il était leader mais pas une autorité écrasante pour les jeunes qui, venus d’horizons divers, se mettaient sous sa protection. Il a joué avec des valeurs confirmées comme Suzy Kaseya. Il a vu passer nombre de jeunes qui l’ont accompagné dont les plus connus sont Djabo Steck, Paco Seri (brève collaboration), Kokobo Bernard, Phil Hazoumé, Assalé Best, Georges Ouédraogo, ainsi que d’autres jeunes venus d’Afrique centrale. Il semble que John Yalley et Seri Simplice l’ont fréquenté avant de poursuivre leur chemin à eux.
Il a beaucoup donné mais il a aussi bénéficié de la sympathie de ses admirateurs, sans doute en raison de sa fragilité et de son humilité. La solidarité est assurément le thème principal de son œuvre. Ses chansons peuvent être regroupées en trois catégories. La solidarité comme valeur s’oriente dans deux directions, contre l’injustice et pour le partage, ce qui justifie la présence permanente du thème de la gratitude.
On peut ne pas être égaux en puissance mais on l’est en droit. Le colibri a les mêmes droits que le toucan. Sans se poser comme artiste engagé, par humilité et discrétion, ses chansons sont marquées par une certaine conscience sociale. Dans « sioyrime » (essuie tes larmes), il apporte sa compassion à ceux qui souffrent. Aux gens qui pleurent (« gôlôgnantou »), il apporte non seulement la compassion, mais aussi et surtout le regard de ceux qu’il peut attendrir et qui peuvent agir. C’est à cause de sa réprobation de l’injustice qu’il chante des personnages qu’il nomme « Gboziagnan », « galebha tchetchè » ou « Zitè Bléwan » le bélier qui affronte Yèklèmadi la panthère. Il interpelle ces derniers pour la réparation des torts.
Pour Zakry Noël, il faut s’aimer les uns les autres, entretenir la cohésion, s’éloigner des « cœurs noirs », ceux dont l’extérieur est propre mais dont l’intérieur est sombre. La solidarité est comme un écho à la sensibilité et à l’impuissance de celui s’écrie « Séizo ? » (Que puis-je faire ?) ou « O ke yi ? » (Qui viendra à mon secours ?).
La loterie qu’il a chantée est une modalité de la solidarité. Elle semble aussi relever d’une forme de patriotisme par une mobilisation de l’épargne. La LONACI est une entreprise nationale. Il la célèbre non pas pour l’argent en vitesse mais,par souci de l’autre, il y encourage ses compatriotes comme quête d’un salut individuel et collectif.
L’angoisse du « goulizignon » (l’aventurier) est normale. Il n’a pas la certitude d’arriver à temps ni même de pouvoir satisfaire les attentes des siens. Par ailleurs, on peut voir que les notables sont assis quand l’errance de l’aventurier, sans être enviable, est une figure de la liberté.
Zakry Noël a utilisé une grande partie de son énergie et de sa créativité à chanter sa gratitude envers ses bienfaiteurs. Il faut mériter l’aide mais savoir aussi dire merci. En effet, le talent peut convaincre les femmes et hommes providentiels, ceux qui apportent leur soutien et investissent dans les instruments, mais la générosité n’est pas une obligation.
L’histoire de la musique ivoirienne retiendra le nom de Zakry Noël pour sa voix et pour ses œuvres, en tant que parolier et instrumentiste. Il est un acteur important de notre transition socioculturelle, de la construction de notre propre modernité.
Remercions tous Zakry Noël pour ce qu’il a fait pour nous, surtout en tant que modèle de persévérance et de résilience et artiste qui nous a offert une musique qui conforte notre identité et qui nous apaise.
Maintenant, quel destin désirons-nous pour nous en tant que communauté nationale ? Il a fait son travail d’artiste.
Il a chanté. A nous de décider. De « Na za akri » (Toi pour qui on lutte) passons à « A kri a za (luttons pour nous-mêmes) !
Pr SERY Bailly