ABIDJAN - "L’homme-animal", c’est le fil conducteur de
l’oeuvre de l’artiste togolais Sadikou Oukpedjo, dont plusieurs
sculptures-tableaux réalisés sur de vieux miroirs se sont envolés pour Londres et la célèbre foire d’art contemporain africain "1.54" qui s’ouvre à partir du 5 octobre.
La galerie Fakhoury d’Abidjan, qui a lancé de nombreux artistes et qui est une référence dans l’art contemporain africain, lui consacrera pour sa part une exposition en mars 2018. Au fin fond de la banlieue Bingerville d’Abidjan, Sadikou verse une mixture
d’acide sur un vieux miroir de deux mètres de long, à côté de son atelier qui consiste en deux conteneurs pour bateau.
L’artiste plasticien répartit du bout du bras cette eau-forte de sa
préparation, en se penchant en arrière pour échapper aux fumées toxiques qui se dégagent.
"C’est de la chimie!", dit-il en riant.
"Au magasin de bricolage, ils me connaissent! J’ai mis deux ans pour trouver la bonne solution pour décaper (les zones réfléchissantes du) miroir. J’ai gratté, essayé diverses solutions... Et ça y est, enfin ! Je ne sais pas comment on peut l’appeler... Méthode Sadikou ?", lance-t-il.
- ’Tout perdre en quelques secondes’ -
Avant de décaper, le sculpteur dessine les parties qu’il veut préserver puis les recouvre de vernis qui les protégera de l’acide.
Une fois celui-ci versé, il vide un seau d’eau sur l’ensemble pour évacuer le surplus et empêcher que l’acide attaque les zones destinées à être conservées.
"Il faut faire attention car tu peux perdre tout le travail en quelques
secondes si tu ne fais pas attention", explique Sadikou Oukpedjo en effectuant ces manipulations.
Quelques jours plus tard, le sculpteur se mue en peintre, appliquant de la peinture à huile à l’arrière du miroir pour donner naissance à ces oeuvres: des silhouettes humaines avec des têtes animales, mouton, gorille ou autres.
"L’homme a commencé à manger les autres animaux pour montrer son autorité sur les animaux, les dominer. Et il a fini par oublier qu’il était lui aussi un animal. C’est ça que je veux montrer", dit cet artiste de 42 ans, dont 38 passés à dessiner et façonner les matières les plus diverses.
- Le registre des morts -
Ce thème animalier a été crucial pour sa notoriété.
En 2014, alors qu’il expose des peintures à la biennale de Dakar, il trouve un livre abandonné, explique-t-il. "C’était un vieux registre des morts. Ca m’a inspiré. J’ai commencé à
peindre mes personnages sur les pages de ce registre où étaient inscrits des noms de gens décédés. Pour montrer cette condition mi-homme, mi-animal".
Il présente son travail en cours à l’influente commissaire d’exposition camerounaise Koyo Kouoh, qui est séduite. Elle conseille alors Sadikou à la galerie Fakhoury d’Abidjan, qui le prend sous son aile et l’expose.
"Je poursuis ce travail (homme-animal) sur les miroirs. C’est une matière qui m’a toujours interrogé, le miroir: comme l’eau, il est spécial. Il reflète, on se voit dedans. Et si toi tu ne te vois pas, lui te voit...", estime Sadikou.
"Chaque miroir a reflété beaucoup de gens. Les personnages que je peins racontent la vie de ceux qui se sont réfléchis dans ces miroirs, avec leurs histoires: amour, déception, gaieté, colère, solitude...", assure Sadikou.
"Très jeune, je dessinais beaucoup et je faisais mes propres jouets parce qu’il n’y avait personne pour m’en donner: je fabriquais des voitures avec la tôle et des boites de conserve, des choses en argile avec des bâtons", se souvient-il.
- ’Embauché’ par ses instituteurs -
Dès sa deuxième année d’école primaire, il est "embauché" par ses
instituteurs: "Mes maîtres avaient remarqué que je dessinais bien, alors ils me faisaient dessiner les cartes de géographie ou les organes du corps humain", pour que l’on s’en serve dans des classes. "Je copiais en plus grand et ça m’a permis d’affiner mon sens du portrait", raconte l’artiste.
Au collège, il découvre ensuite la sculpture grâce à son professeur de sports, également artiste, qui l’invite dans son atelier pour l’aider à travailler sur des statues de papier mâché. "Je l’aidais à piller le papier ! C’est la première fois que j’ai mis la main à la pâte", sourit Sadikou.
En 1994, alors qu’il a quitté l’école depuis longtemps, il se met à suivre les cours d’un plasticien togolais de renom, Paul Ahyi (1930-2010), désormais consacré par un musée à Lomé. "J’ai appris le bois et la céramique avec lui", confie Sadikou.
Puis il s’installe au Mali en 2010. "Je voulais partir. Je ne pouvais plus rester au Togo. Si j’étais resté, je serais devenu menuisier", dit l’artiste. Là-bas, il fréquente notamment l’atelier du plasticien béninois Ludovic Fadaïro, qui est alors en résidence dans ce pays.
La guerre au Mali l’oblige à s’en aller en 2013, pour s’établir en Côte d’Ivoire. Un an, plus tard, il tombe sur ce registre des morts à Dakar.
pgf/ak/ol
l’oeuvre de l’artiste togolais Sadikou Oukpedjo, dont plusieurs
sculptures-tableaux réalisés sur de vieux miroirs se sont envolés pour Londres et la célèbre foire d’art contemporain africain "1.54" qui s’ouvre à partir du 5 octobre.
La galerie Fakhoury d’Abidjan, qui a lancé de nombreux artistes et qui est une référence dans l’art contemporain africain, lui consacrera pour sa part une exposition en mars 2018. Au fin fond de la banlieue Bingerville d’Abidjan, Sadikou verse une mixture
d’acide sur un vieux miroir de deux mètres de long, à côté de son atelier qui consiste en deux conteneurs pour bateau.
L’artiste plasticien répartit du bout du bras cette eau-forte de sa
préparation, en se penchant en arrière pour échapper aux fumées toxiques qui se dégagent.
"C’est de la chimie!", dit-il en riant.
"Au magasin de bricolage, ils me connaissent! J’ai mis deux ans pour trouver la bonne solution pour décaper (les zones réfléchissantes du) miroir. J’ai gratté, essayé diverses solutions... Et ça y est, enfin ! Je ne sais pas comment on peut l’appeler... Méthode Sadikou ?", lance-t-il.
- ’Tout perdre en quelques secondes’ -
Avant de décaper, le sculpteur dessine les parties qu’il veut préserver puis les recouvre de vernis qui les protégera de l’acide.
Une fois celui-ci versé, il vide un seau d’eau sur l’ensemble pour évacuer le surplus et empêcher que l’acide attaque les zones destinées à être conservées.
"Il faut faire attention car tu peux perdre tout le travail en quelques
secondes si tu ne fais pas attention", explique Sadikou Oukpedjo en effectuant ces manipulations.
Quelques jours plus tard, le sculpteur se mue en peintre, appliquant de la peinture à huile à l’arrière du miroir pour donner naissance à ces oeuvres: des silhouettes humaines avec des têtes animales, mouton, gorille ou autres.
"L’homme a commencé à manger les autres animaux pour montrer son autorité sur les animaux, les dominer. Et il a fini par oublier qu’il était lui aussi un animal. C’est ça que je veux montrer", dit cet artiste de 42 ans, dont 38 passés à dessiner et façonner les matières les plus diverses.
- Le registre des morts -
Ce thème animalier a été crucial pour sa notoriété.
En 2014, alors qu’il expose des peintures à la biennale de Dakar, il trouve un livre abandonné, explique-t-il. "C’était un vieux registre des morts. Ca m’a inspiré. J’ai commencé à
peindre mes personnages sur les pages de ce registre où étaient inscrits des noms de gens décédés. Pour montrer cette condition mi-homme, mi-animal".
Il présente son travail en cours à l’influente commissaire d’exposition camerounaise Koyo Kouoh, qui est séduite. Elle conseille alors Sadikou à la galerie Fakhoury d’Abidjan, qui le prend sous son aile et l’expose.
"Je poursuis ce travail (homme-animal) sur les miroirs. C’est une matière qui m’a toujours interrogé, le miroir: comme l’eau, il est spécial. Il reflète, on se voit dedans. Et si toi tu ne te vois pas, lui te voit...", estime Sadikou.
"Chaque miroir a reflété beaucoup de gens. Les personnages que je peins racontent la vie de ceux qui se sont réfléchis dans ces miroirs, avec leurs histoires: amour, déception, gaieté, colère, solitude...", assure Sadikou.
"Très jeune, je dessinais beaucoup et je faisais mes propres jouets parce qu’il n’y avait personne pour m’en donner: je fabriquais des voitures avec la tôle et des boites de conserve, des choses en argile avec des bâtons", se souvient-il.
- ’Embauché’ par ses instituteurs -
Dès sa deuxième année d’école primaire, il est "embauché" par ses
instituteurs: "Mes maîtres avaient remarqué que je dessinais bien, alors ils me faisaient dessiner les cartes de géographie ou les organes du corps humain", pour que l’on s’en serve dans des classes. "Je copiais en plus grand et ça m’a permis d’affiner mon sens du portrait", raconte l’artiste.
Au collège, il découvre ensuite la sculpture grâce à son professeur de sports, également artiste, qui l’invite dans son atelier pour l’aider à travailler sur des statues de papier mâché. "Je l’aidais à piller le papier ! C’est la première fois que j’ai mis la main à la pâte", sourit Sadikou.
En 1994, alors qu’il a quitté l’école depuis longtemps, il se met à suivre les cours d’un plasticien togolais de renom, Paul Ahyi (1930-2010), désormais consacré par un musée à Lomé. "J’ai appris le bois et la céramique avec lui", confie Sadikou.
Puis il s’installe au Mali en 2010. "Je voulais partir. Je ne pouvais plus rester au Togo. Si j’étais resté, je serais devenu menuisier", dit l’artiste. Là-bas, il fréquente notamment l’atelier du plasticien béninois Ludovic Fadaïro, qui est alors en résidence dans ce pays.
La guerre au Mali l’oblige à s’en aller en 2013, pour s’établir en Côte d’Ivoire. Un an, plus tard, il tombe sur ce registre des morts à Dakar.
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