Cela fait bien longtemps que l’unité du clan n’est plus ce qu’elle était. Depuis vingt-cinq ans, les descendants du « Vieux » se disputent son héritage politique et sa fortune fabuleuse. Élevés sous les lambris de la République, aux côtés des puissants, ses enfants ont pourtant rarement été au premier plan.
Là-bas, il n’y a rien à voir, il n’y a plus personne. Le président avait fait construire vingt-quatre tombes. Aujourd’hui, vingt et une sont pleines. Tout le monde est mort. » Augustin Thiam, le petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny, est l’un des gardiens du temple. Devenu chef du canton Akoué, comme son grand-oncle, et gouverneur de Yamoussoukro, c’est lui qui peut décider d’ouvrir à un étranger les portes du palais présidentiel de la ville. Un lieu à la mesure des ambitions d’un chef d’État qui a fait de son village natal une capitale, aux avenues trop larges, aux hôtels trop grands, aux bâtiments trop clinquants et à la basilique gigantesque.
Un palais abandonné par la famille
Retranchée derrière trois lacs artificiels, où s’ébrouent des dizaines de caïmans sacrés, que Félix Houphouët-Boigny aimait aller nourrir, et protégée par 22 km de clôture, la maison familiale se devine encore. Les quatre pièces originelles sont là, bien qu’au fil du temps le toit de tôle et les murs de banco infestés de termites aient été remplacés. Gardé par deux béliers de bronze (Boigny signifie « bélier », en baoulé), un immense bâtiment de près de 3 000 m2 a aussi été ajouté, et sous la chapelle repose désormais le « Vieux ». Mais tout autour de la bâtisse principale, les villas sont un peu délabrées.
Autrefois, on entendait beaucoup de rires dans ce palais. Maintenant, seuls les enterrements nous réunissent.
« Plus aucun membre de la famille ne vit ici. Ces maisons sont occupées par les enfants des employés, leurs amis ou on ne sait qui », poursuit Augustin Thiam. Seule Monique, la nièce de Félix, y séjourne encore de temps à autre. « Autrefois, on entendait beaucoup de rires dans ce palais. Maintenant, nous ne nous retrouvons plus que pour pleurer. Seuls les enterrements nous réunissent », regrette Yamousso Thiam, la sœur d’Augustin. Elle se souvient bien des équipées en voiture. C’était le vendredi, depuis Abidjan, direction plein nord. Le convoi quittait les lumières de la ville pour s’enfoncer dans la brousse. Sur la nationale 1, le voyage vers Yamoussoukro prenait plusieurs heures, s’éternisait parfois : le président ne manquait jamais de s’arrêter dans les villages qu’il traversait pour saluer les habitants. Autour de lui, il y avait alors une joyeuse troupe. « Houphouët était l’aîné des garçons de sa fratrie. Dès son plus jeune âge, il a dû agir en père de famille, et il n’a jamais cessé de le faire », explique Frédéric Grah Mel, auteur d’une biographie consacrée au premier président ivoirien.
La famille au sens large
Sur les routes du pays, il emmenait sa famille au sens large. Ses plus proches : Georges Ouégnin, son fidèle directeur de protocole, les ministres Camille Alliali et Jean Konan Banny, les Yacé, les Ekra, et parfois même des chefs d’État étrangers. Il y avait aussi tous ceux qu’il protégeait. « Houphouët a accueilli dans sa cour beaucoup d’enfants d’autres dirigeants africains, surtout lorsque ceux-ci n’étaient plus au pouvoir », précise Augustin Thiam. Ceux du Nigérien Hamani Diori ont été pris en charge à Abidjan. On pouvait aussi croiser les familles du Guinéen Ahmed Sékou Touré, du Malien Modibo Keïta ou du Burkinabè Maurice Yaméogo. Et puis il y avait bien sûr les propres enfants d’Houphouët. Ceux qu’il avait eus avec sa première femme, Khadija Sow : Augustin, François, Guillaume et Marie- Félix, l’aîné, est mort enfant. Il y avait aussi Florence, la fille qu’il avait eue avec Henriette Duvignac. Et puis la fille qu’il a adoptée avec Marie-Thérèse, sa seconde épouse : Hélène, qui est de sang royal. Petite-fille du roi des Baoulés : « Elle porte mon nom, mais elle est ma suzeraine et je suis son vassal », disait son père d’adoption.
Happé par le pouvoir, Houphouët-Boigny n’était pas très présent pour ses enfants. Il a compensé en leur offrant de quoi vivre aisément
Des descendants qui ont toujours fui la lumière et la curiosité des journalistes. Pour apercevoir leurs visages, il faut se repasser les images de l’enterrement de leur père. Tenter de les distinguer au milieu des 7 000 invités, de la quarantaine de chefs d’État et des politiques ivoiriens. Ce 7 février 1994, derrière Marie-Thérèse, la veuve, et Henri Konan Bédié, le nouveau président du pays, ils sont tous là. Ou presque : fâché depuis plusieurs années avec son père, Augustin, le deuxième fils, n’est pas venu. Une absence symptomatique des querelles qui traversent cette famille recomposée. Dès le lendemain de la mise en terre, tous ont laissé éclater leurs rancœurs, se disputant l’immense fortune du patriarche. Ces héritiers ont toujours évolué dans un univers ouaté et privilégié. Après avoir fréquenté les bancs de sélects établissements privés français, trois des quatre premiers ont choisi de vivre loin de leur pays, jouissant de confortables sommes d’argent et des appartements offerts par leur père. Seul Guillaume s’est installé en Côte d’Ivoire et il est aussi le seul à avoir travaillé. Banquier, opérateur notamment dans le cacao, il a été le secrétaire général de la Société ivoirienne de banque. « Happé par le pouvoir et les obligations, Houphouët-Boigny n’était pas très présent pour ses enfants. Il a compensé en leur offrant de quoi vivre aisément », poursuit Frédéric Grah Mel.
Ecartés de la politique
Fortune, patronyme totémique : les Houphouët-Boigny avaient des arguments de poids pour percer dans le monde politique, mais aucun n’en a fait usage. « La politique ? Il la leur a interdite ! » assènent ses proches en chœur. « Félix Houphouët-Boigny a toujours dit qu’il en faisait pour plusieurs générations. Le message était clair. Il a tout mis en œuvre pour éloigner ses enfants de ce monde-là », confirme Frédéric Grah Mel. « À table, on n’en parlait jamais », se souvient l’un d’eux. À leurs côtés, pour le dîner, il y a pourtant toujours eu de puissants hommes d’État, de fins stratèges et de nombreux courtisans. Les liens avec les grandes familles ivoiriennes, les réseaux ouest-africains et français ont ainsi mené à des mariages – Marie a d’abord épousé Elpidio Olympio, le fils du premier président togolais, avant de s’unir à Simplice Zinsou, ancien journaliste et homme d’affaires ivoirien ; Hélène avait pour mari Marcel Amon Tanoh, l’actuel ministre des Affaires étrangères, et, plus récemment, Cécile, l’arrière-petite-fille d’Houphouët, avait pour compagnon Samuel Maréchal, l’ancien gendre de Jean-Marie Le Pen. Mais rien de plus.
Les Thiam comme relève
Dans la famille, pour trouver la relève, il faut aller chercher les Thiam. En 1990, devant les caméras de télévision, Houphouët lui-même les avait désignés, rappelant la coutume de son village. Chez les Baoulés, le pouvoir se transmet par les femmes. « Dans notre famille, nous sommes quatre, mes deux sœurs n’ont pas d’enfants, tout comme l’une de mes cousines. Seule la plus jeune, Amoin, la fille de ma tante Yamousso, a pu en avoir. Grâce à Thiam, de par la coutume, ce sont eux mes héritiers directs. » « Thiam », c’est Amadou Thiam. Journaliste ivoiro-sénégalais devenu ministre de l’Information puis ambassadeur au Maroc, il a eu sept enfants avec Marietou Sow, la fille d’Amoin, tous chéris par le patriarche. « Ils ont fait de grandes études, Houphouët les trouvait très intelligents, il les adorait », se rappelle un ancien compagnon du dirigeant. Quatre d’entre eux, Daouda, Augustin, Aziz et Tidjane, ont été ministres. « De quoi se faire beaucoup d’ennemis, sourit Augustin. Pour nous aussi, la politique était un tabou absolu. C’est pour cela que nous ne nous sommes lancés qu’après sa mort. »
En Côte d’Ivoire, être un Boigny est autant un atout extraordinaire qu’un terrible fardeau, conclut la sœur de Thiam
Engagé derrière Alassane Ouattara, Augustin Thiam est un fervent militant du Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir), tout comme son frère Daouda, conseiller spécial à la présidence. Contrairement à leurs frères, Aziz et Tidjane, ils n’ont donc pas choisi la formation de leur grand-oncle, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Leur sœur, Yamousso, a même un temps travaillé avec l’opposant historique : sous Laurent Gbagbo, elle était conseillère spéciale chargée des musées présidentiels. « J’ai connu Laurent Gbagbo dans les années 1990, on s’entendait bien, et je déjeunais de temps en temps chez lui. Houphouët était encore au pouvoir. Il le savait, parfois il me demandait même de transmettre des messages », raconte-t-elle. Aujourd’hui à la tête d’une marque de luxe, elle assure que la politique n’a jamais été source de tensions dans la famille. Au contraire, celle-ci pourrait même raffermir leurs liens. Ils sont désormais plusieurs à imaginer Tidjane, puissant directeur du Crédit suisse, dans les pas de son grand-oncle. « Nous travaillons d’ores et déjà pour lui. On prépare le terrain, dans les milieux d’affaires et diplomatiques. Ce serait un candidat idéal », assure un membre de son entourage, espérant une candidature à la présidentielle de 2020 ou à celle de 2025. À 55 ans, le petit dernier pourrait-il être l’héritier d’Houphouët ? Devant ses proches, Tidjane Thiam assure pour l’instant ne pas être intéressé. « Plus que toute autre, notre famille est scrutée, nous savons que nous n’avons droit à aucun faux pas, conclut sa sœur, Yamousso. En Côte d’Ivoire, être un Boigny est autant un atout extraordinaire qu’un terrible fardeau. »
Les femmes de sa vie
Khadija Sow, sa première épouse, est la mère de cinq de ses enfants. Elle est morte après lui, en 2006. Félix Houphouët-Boigny se sépare d’elle en 1951, après que, à l’occasion d’un voyage en France, il a rencontré Marie-Thérèse Brou, que l’on surnommera ensuite la « Jackie Kennedy ivoirienne ». Leur mariage civil est célébré en 1952, mais ce n’est que le 9 mai 1980, la veille de la visite du pape Jean-Paul II en Côte d’Ivoire, que les époux s’uniront religieusement. Au début des années 1980, Félix Houphouët-Boigny se lie avec Binetou Hampâté Bâ, la fille de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ, mais celle-ci s’éteint peu de temps après. En 1984, il rencontre Isabelle Grunitzky. Surnommée La Paix, la fille de Nicolas Grunitzky, le deuxième président du Togo, restera omniprésente jusqu’à la mort d’Houphouët-Boigny, en 1993.
Ses enfants
Félix Houphouët-Boigny a eu cinq enfants avec sa première épouse. L’aîné, Félix, est mort à Bouaké alors qu’il avait une dizaine d’années. Venaient ensuite Augustin et François, décédés respectivement en 2015 et en 2011. Guillaume – le seul à avoir travaillé – vit toujours en Côte d’Ivoire. Marie, la plus jeune, est rentière et réside à Paris. Le président ivoirien a également eu une fille hors mariage, Florence, décédée en 2007, et il avait adopté Hélène, qui, après avoir vécu à Paris, s’est installée à Bruxelles.
Le Pdci-Rda
C’est le parti créé par le père fondateur de la nation Feu Félix Houphouët-Boigny en 1946, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci-Rda). C’est un parti politique ivoirien fondé à la suite du Syndicat agricole africain. Il avait pour objectif essentiel « l’émancipation du peuple noir ». Il est le parti unique depuis l’indépendance en 1960 jusqu’en 1990, dirigé par le président Houphouët-Boigny. Il reste au pouvoir après les premières élections multipartites, organisées en 1990. Après sa mort, Félix Houphouët-Boigny, est remplacé par Henri Konan Bédié en 1993. Ce parti, le tout premier et le plus grand en Côte d’Ivoire compte beaucoup parmi l’héritage du père fondateur de la nation ivoirienne, feu Félix Houphouët-Boigny.
Etienne Atta
Source Jeune Afrique
Là-bas, il n’y a rien à voir, il n’y a plus personne. Le président avait fait construire vingt-quatre tombes. Aujourd’hui, vingt et une sont pleines. Tout le monde est mort. » Augustin Thiam, le petit-neveu de Félix Houphouët-Boigny, est l’un des gardiens du temple. Devenu chef du canton Akoué, comme son grand-oncle, et gouverneur de Yamoussoukro, c’est lui qui peut décider d’ouvrir à un étranger les portes du palais présidentiel de la ville. Un lieu à la mesure des ambitions d’un chef d’État qui a fait de son village natal une capitale, aux avenues trop larges, aux hôtels trop grands, aux bâtiments trop clinquants et à la basilique gigantesque.
Un palais abandonné par la famille
Retranchée derrière trois lacs artificiels, où s’ébrouent des dizaines de caïmans sacrés, que Félix Houphouët-Boigny aimait aller nourrir, et protégée par 22 km de clôture, la maison familiale se devine encore. Les quatre pièces originelles sont là, bien qu’au fil du temps le toit de tôle et les murs de banco infestés de termites aient été remplacés. Gardé par deux béliers de bronze (Boigny signifie « bélier », en baoulé), un immense bâtiment de près de 3 000 m2 a aussi été ajouté, et sous la chapelle repose désormais le « Vieux ». Mais tout autour de la bâtisse principale, les villas sont un peu délabrées.
Autrefois, on entendait beaucoup de rires dans ce palais. Maintenant, seuls les enterrements nous réunissent.
« Plus aucun membre de la famille ne vit ici. Ces maisons sont occupées par les enfants des employés, leurs amis ou on ne sait qui », poursuit Augustin Thiam. Seule Monique, la nièce de Félix, y séjourne encore de temps à autre. « Autrefois, on entendait beaucoup de rires dans ce palais. Maintenant, nous ne nous retrouvons plus que pour pleurer. Seuls les enterrements nous réunissent », regrette Yamousso Thiam, la sœur d’Augustin. Elle se souvient bien des équipées en voiture. C’était le vendredi, depuis Abidjan, direction plein nord. Le convoi quittait les lumières de la ville pour s’enfoncer dans la brousse. Sur la nationale 1, le voyage vers Yamoussoukro prenait plusieurs heures, s’éternisait parfois : le président ne manquait jamais de s’arrêter dans les villages qu’il traversait pour saluer les habitants. Autour de lui, il y avait alors une joyeuse troupe. « Houphouët était l’aîné des garçons de sa fratrie. Dès son plus jeune âge, il a dû agir en père de famille, et il n’a jamais cessé de le faire », explique Frédéric Grah Mel, auteur d’une biographie consacrée au premier président ivoirien.
La famille au sens large
Sur les routes du pays, il emmenait sa famille au sens large. Ses plus proches : Georges Ouégnin, son fidèle directeur de protocole, les ministres Camille Alliali et Jean Konan Banny, les Yacé, les Ekra, et parfois même des chefs d’État étrangers. Il y avait aussi tous ceux qu’il protégeait. « Houphouët a accueilli dans sa cour beaucoup d’enfants d’autres dirigeants africains, surtout lorsque ceux-ci n’étaient plus au pouvoir », précise Augustin Thiam. Ceux du Nigérien Hamani Diori ont été pris en charge à Abidjan. On pouvait aussi croiser les familles du Guinéen Ahmed Sékou Touré, du Malien Modibo Keïta ou du Burkinabè Maurice Yaméogo. Et puis il y avait bien sûr les propres enfants d’Houphouët. Ceux qu’il avait eus avec sa première femme, Khadija Sow : Augustin, François, Guillaume et Marie- Félix, l’aîné, est mort enfant. Il y avait aussi Florence, la fille qu’il avait eue avec Henriette Duvignac. Et puis la fille qu’il a adoptée avec Marie-Thérèse, sa seconde épouse : Hélène, qui est de sang royal. Petite-fille du roi des Baoulés : « Elle porte mon nom, mais elle est ma suzeraine et je suis son vassal », disait son père d’adoption.
Happé par le pouvoir, Houphouët-Boigny n’était pas très présent pour ses enfants. Il a compensé en leur offrant de quoi vivre aisément
Des descendants qui ont toujours fui la lumière et la curiosité des journalistes. Pour apercevoir leurs visages, il faut se repasser les images de l’enterrement de leur père. Tenter de les distinguer au milieu des 7 000 invités, de la quarantaine de chefs d’État et des politiques ivoiriens. Ce 7 février 1994, derrière Marie-Thérèse, la veuve, et Henri Konan Bédié, le nouveau président du pays, ils sont tous là. Ou presque : fâché depuis plusieurs années avec son père, Augustin, le deuxième fils, n’est pas venu. Une absence symptomatique des querelles qui traversent cette famille recomposée. Dès le lendemain de la mise en terre, tous ont laissé éclater leurs rancœurs, se disputant l’immense fortune du patriarche. Ces héritiers ont toujours évolué dans un univers ouaté et privilégié. Après avoir fréquenté les bancs de sélects établissements privés français, trois des quatre premiers ont choisi de vivre loin de leur pays, jouissant de confortables sommes d’argent et des appartements offerts par leur père. Seul Guillaume s’est installé en Côte d’Ivoire et il est aussi le seul à avoir travaillé. Banquier, opérateur notamment dans le cacao, il a été le secrétaire général de la Société ivoirienne de banque. « Happé par le pouvoir et les obligations, Houphouët-Boigny n’était pas très présent pour ses enfants. Il a compensé en leur offrant de quoi vivre aisément », poursuit Frédéric Grah Mel.
Ecartés de la politique
Fortune, patronyme totémique : les Houphouët-Boigny avaient des arguments de poids pour percer dans le monde politique, mais aucun n’en a fait usage. « La politique ? Il la leur a interdite ! » assènent ses proches en chœur. « Félix Houphouët-Boigny a toujours dit qu’il en faisait pour plusieurs générations. Le message était clair. Il a tout mis en œuvre pour éloigner ses enfants de ce monde-là », confirme Frédéric Grah Mel. « À table, on n’en parlait jamais », se souvient l’un d’eux. À leurs côtés, pour le dîner, il y a pourtant toujours eu de puissants hommes d’État, de fins stratèges et de nombreux courtisans. Les liens avec les grandes familles ivoiriennes, les réseaux ouest-africains et français ont ainsi mené à des mariages – Marie a d’abord épousé Elpidio Olympio, le fils du premier président togolais, avant de s’unir à Simplice Zinsou, ancien journaliste et homme d’affaires ivoirien ; Hélène avait pour mari Marcel Amon Tanoh, l’actuel ministre des Affaires étrangères, et, plus récemment, Cécile, l’arrière-petite-fille d’Houphouët, avait pour compagnon Samuel Maréchal, l’ancien gendre de Jean-Marie Le Pen. Mais rien de plus.
Les Thiam comme relève
Dans la famille, pour trouver la relève, il faut aller chercher les Thiam. En 1990, devant les caméras de télévision, Houphouët lui-même les avait désignés, rappelant la coutume de son village. Chez les Baoulés, le pouvoir se transmet par les femmes. « Dans notre famille, nous sommes quatre, mes deux sœurs n’ont pas d’enfants, tout comme l’une de mes cousines. Seule la plus jeune, Amoin, la fille de ma tante Yamousso, a pu en avoir. Grâce à Thiam, de par la coutume, ce sont eux mes héritiers directs. » « Thiam », c’est Amadou Thiam. Journaliste ivoiro-sénégalais devenu ministre de l’Information puis ambassadeur au Maroc, il a eu sept enfants avec Marietou Sow, la fille d’Amoin, tous chéris par le patriarche. « Ils ont fait de grandes études, Houphouët les trouvait très intelligents, il les adorait », se rappelle un ancien compagnon du dirigeant. Quatre d’entre eux, Daouda, Augustin, Aziz et Tidjane, ont été ministres. « De quoi se faire beaucoup d’ennemis, sourit Augustin. Pour nous aussi, la politique était un tabou absolu. C’est pour cela que nous ne nous sommes lancés qu’après sa mort. »
En Côte d’Ivoire, être un Boigny est autant un atout extraordinaire qu’un terrible fardeau, conclut la sœur de Thiam
Engagé derrière Alassane Ouattara, Augustin Thiam est un fervent militant du Rassemblement des républicains (RDR, au pouvoir), tout comme son frère Daouda, conseiller spécial à la présidence. Contrairement à leurs frères, Aziz et Tidjane, ils n’ont donc pas choisi la formation de leur grand-oncle, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Leur sœur, Yamousso, a même un temps travaillé avec l’opposant historique : sous Laurent Gbagbo, elle était conseillère spéciale chargée des musées présidentiels. « J’ai connu Laurent Gbagbo dans les années 1990, on s’entendait bien, et je déjeunais de temps en temps chez lui. Houphouët était encore au pouvoir. Il le savait, parfois il me demandait même de transmettre des messages », raconte-t-elle. Aujourd’hui à la tête d’une marque de luxe, elle assure que la politique n’a jamais été source de tensions dans la famille. Au contraire, celle-ci pourrait même raffermir leurs liens. Ils sont désormais plusieurs à imaginer Tidjane, puissant directeur du Crédit suisse, dans les pas de son grand-oncle. « Nous travaillons d’ores et déjà pour lui. On prépare le terrain, dans les milieux d’affaires et diplomatiques. Ce serait un candidat idéal », assure un membre de son entourage, espérant une candidature à la présidentielle de 2020 ou à celle de 2025. À 55 ans, le petit dernier pourrait-il être l’héritier d’Houphouët ? Devant ses proches, Tidjane Thiam assure pour l’instant ne pas être intéressé. « Plus que toute autre, notre famille est scrutée, nous savons que nous n’avons droit à aucun faux pas, conclut sa sœur, Yamousso. En Côte d’Ivoire, être un Boigny est autant un atout extraordinaire qu’un terrible fardeau. »
Les femmes de sa vie
Khadija Sow, sa première épouse, est la mère de cinq de ses enfants. Elle est morte après lui, en 2006. Félix Houphouët-Boigny se sépare d’elle en 1951, après que, à l’occasion d’un voyage en France, il a rencontré Marie-Thérèse Brou, que l’on surnommera ensuite la « Jackie Kennedy ivoirienne ». Leur mariage civil est célébré en 1952, mais ce n’est que le 9 mai 1980, la veille de la visite du pape Jean-Paul II en Côte d’Ivoire, que les époux s’uniront religieusement. Au début des années 1980, Félix Houphouët-Boigny se lie avec Binetou Hampâté Bâ, la fille de l’écrivain malien Amadou Hampâté Bâ, mais celle-ci s’éteint peu de temps après. En 1984, il rencontre Isabelle Grunitzky. Surnommée La Paix, la fille de Nicolas Grunitzky, le deuxième président du Togo, restera omniprésente jusqu’à la mort d’Houphouët-Boigny, en 1993.
Ses enfants
Félix Houphouët-Boigny a eu cinq enfants avec sa première épouse. L’aîné, Félix, est mort à Bouaké alors qu’il avait une dizaine d’années. Venaient ensuite Augustin et François, décédés respectivement en 2015 et en 2011. Guillaume – le seul à avoir travaillé – vit toujours en Côte d’Ivoire. Marie, la plus jeune, est rentière et réside à Paris. Le président ivoirien a également eu une fille hors mariage, Florence, décédée en 2007, et il avait adopté Hélène, qui, après avoir vécu à Paris, s’est installée à Bruxelles.
Le Pdci-Rda
C’est le parti créé par le père fondateur de la nation Feu Félix Houphouët-Boigny en 1946, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci-Rda). C’est un parti politique ivoirien fondé à la suite du Syndicat agricole africain. Il avait pour objectif essentiel « l’émancipation du peuple noir ». Il est le parti unique depuis l’indépendance en 1960 jusqu’en 1990, dirigé par le président Houphouët-Boigny. Il reste au pouvoir après les premières élections multipartites, organisées en 1990. Après sa mort, Félix Houphouët-Boigny, est remplacé par Henri Konan Bédié en 1993. Ce parti, le tout premier et le plus grand en Côte d’Ivoire compte beaucoup parmi l’héritage du père fondateur de la nation ivoirienne, feu Félix Houphouët-Boigny.
Etienne Atta
Source Jeune Afrique