Niamey (Niger)- Chérifa, 14 ans, semble bien heureuse ce jour qui marque son retour à l’école qu’elle a abandonnée il y a quelques années : elle intègre dès la rentrée prochaine une « classe passerelle », un projet permettant aux enfants en dehors du système scolaire au Niger de retourner à l’école, de sorte à désamorcer la « poudrière » d’une déscolarisation aussi galopante qu’inquiétante dans ce pays pauvre sahélien d’Afrique de l’Ouest en proie au terrorisme.
Il est 9 heures à l’école primaire de Danzama Kouara, une banlieue distante de 8 km de Niamey, la capitale du Niger. Une Trentaine d’enfants assis sur des nattes dans une classe, suivent attentivement le récit de leur ainé, Amidou, 23 ans, passé, il y a quelques années, par une classe passerelle avant d’être admis dans un cycle élémentaire formel.
« Ecoles de la seconde chance »
Amidou qui est maintenant en année de licence à l’université, exhorte ses cadets à saisir cette seconde chance qui leur est offerte de retourner à l’école pourréussir leur vie dans ce pays de 20 millions d’habitants dont 80% de musulmans, et où plus de 2,2 millions d’enfants sont déscolarisés ou non-scolarisés en raison de certaines considérations culturelles et religieuses.
En présence des responsables des différentes structures impliquées dans la gestion de l’école primaire locale, ainsi que du chef du village de Danzama Kouara, Chérifa, la tête couverte d’un voile de type « hidjab » comme les autres filles de la classe, n’hésite pas à poser des questions à Amidou.
« J’ai arrêté l’école au CM1 pour apprendre la couture. Mais maintenant je veux reprendre les cours. C’est pourquoi quand j’ai entendu parler de ce projet chez le chef du village, j’ai dit à ma mère de m’inscrire aussi », raconte-elle.
L’adolescente au corps frêle enveloppé dans une robe grise zébrée, et les autres élèves (46 au total dont 13 filles et 30 garçons), vont apprendre à lire et à écrire d’abord en Zerma, la langue locale dans ce village, avant de poursuivre en français au bout de 3 mois de préapprentissage, s’ils sont retenus au terme d’un test d’aptitude.
Des élèves des classes passerelles au Niger
Des élèves d’une classe passerelle au Niger
Après une formation basée sur les méthodes pédagogiques d’une stratégie de scolarisation accélérée (SSA/P), ils seront reversés après un an en classe de CE2 pour ceux du niveau 1, âgés de 9 à 12 ans, et après deux ans en 6èmepour ceux du niveau 2, âgés quant à eux de 13 à 14 ans.
Ceux qui ne seront pas aptes à réintégrer l’enseignement général seront orientés vers des centres de formation professionnelle.
Ce projet des classes passerelles en est encore à une phase pilote, sur financement de l’Agence française de développement dans le cadre de l’Alliance Sahel, un vaste programme de réalisations de projets de développement au profit de cinq pays du Sahel : Niger, Mauritanie, Burkina Faso, Mali et Tchad, fragilisés ces dernières années par le terrorisme.
Initié il y a un an par la France et l’Allemagne, rejoints par d’autres pays européens et des institutions financières, l’Alliance Sahel entend mobiliser 11 milliards d’euros, soit 7221 milliards FCFA, pour mettre en œuvre quelque 570 actions fortes de développement, conformément aux priorités des gouvernements des Etats concernés.
Pour ce qui est du volet éducation du programme, cette phase pilote des classes passerelles concerne 40 centres devant recevoir 1620 enfants à travers le pays.
L’ONG internationale « Aide et action » (AEA), en charge de la mise en œuvre de ces classes, a déjà mis au point des curricula de formation, avec l’appui de l’Organisation nigérienne des éducateurs novateurs (ONEN), une ONG locale spécialisée dans l’éducation non formelle. « Parce qu’il faut aller vite ! », justifie le directeur pays d’AEA au Niger, Berei Tcha.
Car dans un pays classé 187ème sur 188 pays selon l’Indice de développement humain 2016 du Pnud en 2016, où le plus récent recensement de la population (en 2012) établit une moyenne de 7 enfants par femme, où 70% de la population a moins de 35 ans, où les enfants de zéro à 14 ans sont estimés à près de 9 millions, soit la moitié de la population, on ne saurait s’accommoder de ce nombre élevé d’enfants déscolarisés et non-scolarisés.
Mais aussi, malgré les efforts des autorités qui multiplient les réformes et les mesures, les partenaires au développement jugent le tableau de l’éducation au Niger très préoccupant, en particulier en termes de qualité.
Face à cette pression démographique, « il faut faire quelque chose parce que cette situation représente une poudrière pour le pays », plaide Berei Tcha. Ce dernier craint que ces enfants soient des proies faciles à l’endoctrinement et à la propagation de la violence terroriste qui sévit dans les régions Sud-est et Sud-ouest du pays, avec son lot de trafics de tous genres : drogues, armes, personnes, etc.
Autant de raisons qui expliquent l’engouement des acteurs de l’école de Danzama Kouara autour de ce projet. Du chef du village au directeur de l’école primaire, en passant les responsables du comité de gestion (COGDES), l’Association des parents d’élèves (APE), l’Association des mères d’élèves (AME), tous sont impliqués.
Le directeur de l’école, Augustin Ramanou, est désormais à la fois directeur des élèves des écoles formelles et de ceux des « classes de la seconde chance ». Le chef du village, un octogénaire, se charge de veiller à ce que tout se passe bien. Quant aux femmes, elles surveilleront les enfants afin qu’ils soient effectivement en classe.
Engouement
« Nous allons trouver des moyens pour que le hangar soit construit », assure le chef. « Moi je vais héberger l’enseignant qui sera retenu pour la classe passerelle », promet pour sa part le président des parents d’élèves, Mamane Sanni Aboudou. « Nous, nous viendrons régulièrement nous enquérir des difficultés des enfants », complète la présidente de l’Association des mères d’élèves, Adamou Mariama, également mère de la jeune Chérifa.
Deux jeunes filles d'une classe passerelle
Deux jeunes filles d’une classe passerelle à Danzama Kouara dans la banlieue de Niamey (Niger)
Pour le directeur Augustin Ramanou, cela « va profiter à l’école et au village, et augmenter le nombre de filles à l’école », là où 3 filles sur 4 sont mariées avant l’âge de 18 ans.
Le chef du village, visiblement ému, pense que trouver une solution à l’éducation de ces enfants va contribuer à réduire les actes de banditisme qui se font de plus en plus sentir dans la zone.
« Des enfants volent, et quand on les attrape pour les rendre à la police, on les retrouve encore parmi nous. Tous ces enfants sont comme des abandonnés ; il faut leur donner une chance de devenir des personnes importantes dans le futur. C’est pourquoi je salue l’initiative de ce projet », insiste le vieillard qui, sourire en coin, signale avoir « 80 ans et un peu ».
Espoir partagé par le petit Abdoul Latif Garba. Lui qui, à 9 ans, passe la journée à vendre des feuilles de moringa pour sa mère. Ce gamin à la petite culote noire, dit ne plus supporter de voir ses amis aller à l’école sans lui.
Il veut réaliser son rêve, devenir gendarme quand il sera grand. « Moi, je veux devenir médecin pour aider les enfants et les femmes », professe pour sa part Cherifa. Quant au chef du village, débout sous un soleil brûlant à la mi-journée, les pieds plantés sur une terre sableuse ocre rouge à l’image des habitations environnantes, il rêve encore plus grand que les enfants : « je souhaite qu’un jour, un président de la République du Niger vienne de mon village ».
(AIP)
tm
Il est 9 heures à l’école primaire de Danzama Kouara, une banlieue distante de 8 km de Niamey, la capitale du Niger. Une Trentaine d’enfants assis sur des nattes dans une classe, suivent attentivement le récit de leur ainé, Amidou, 23 ans, passé, il y a quelques années, par une classe passerelle avant d’être admis dans un cycle élémentaire formel.
« Ecoles de la seconde chance »
Amidou qui est maintenant en année de licence à l’université, exhorte ses cadets à saisir cette seconde chance qui leur est offerte de retourner à l’école pourréussir leur vie dans ce pays de 20 millions d’habitants dont 80% de musulmans, et où plus de 2,2 millions d’enfants sont déscolarisés ou non-scolarisés en raison de certaines considérations culturelles et religieuses.
En présence des responsables des différentes structures impliquées dans la gestion de l’école primaire locale, ainsi que du chef du village de Danzama Kouara, Chérifa, la tête couverte d’un voile de type « hidjab » comme les autres filles de la classe, n’hésite pas à poser des questions à Amidou.
« J’ai arrêté l’école au CM1 pour apprendre la couture. Mais maintenant je veux reprendre les cours. C’est pourquoi quand j’ai entendu parler de ce projet chez le chef du village, j’ai dit à ma mère de m’inscrire aussi », raconte-elle.
L’adolescente au corps frêle enveloppé dans une robe grise zébrée, et les autres élèves (46 au total dont 13 filles et 30 garçons), vont apprendre à lire et à écrire d’abord en Zerma, la langue locale dans ce village, avant de poursuivre en français au bout de 3 mois de préapprentissage, s’ils sont retenus au terme d’un test d’aptitude.
Des élèves des classes passerelles au Niger
Des élèves d’une classe passerelle au Niger
Après une formation basée sur les méthodes pédagogiques d’une stratégie de scolarisation accélérée (SSA/P), ils seront reversés après un an en classe de CE2 pour ceux du niveau 1, âgés de 9 à 12 ans, et après deux ans en 6èmepour ceux du niveau 2, âgés quant à eux de 13 à 14 ans.
Ceux qui ne seront pas aptes à réintégrer l’enseignement général seront orientés vers des centres de formation professionnelle.
Ce projet des classes passerelles en est encore à une phase pilote, sur financement de l’Agence française de développement dans le cadre de l’Alliance Sahel, un vaste programme de réalisations de projets de développement au profit de cinq pays du Sahel : Niger, Mauritanie, Burkina Faso, Mali et Tchad, fragilisés ces dernières années par le terrorisme.
Initié il y a un an par la France et l’Allemagne, rejoints par d’autres pays européens et des institutions financières, l’Alliance Sahel entend mobiliser 11 milliards d’euros, soit 7221 milliards FCFA, pour mettre en œuvre quelque 570 actions fortes de développement, conformément aux priorités des gouvernements des Etats concernés.
Pour ce qui est du volet éducation du programme, cette phase pilote des classes passerelles concerne 40 centres devant recevoir 1620 enfants à travers le pays.
L’ONG internationale « Aide et action » (AEA), en charge de la mise en œuvre de ces classes, a déjà mis au point des curricula de formation, avec l’appui de l’Organisation nigérienne des éducateurs novateurs (ONEN), une ONG locale spécialisée dans l’éducation non formelle. « Parce qu’il faut aller vite ! », justifie le directeur pays d’AEA au Niger, Berei Tcha.
Car dans un pays classé 187ème sur 188 pays selon l’Indice de développement humain 2016 du Pnud en 2016, où le plus récent recensement de la population (en 2012) établit une moyenne de 7 enfants par femme, où 70% de la population a moins de 35 ans, où les enfants de zéro à 14 ans sont estimés à près de 9 millions, soit la moitié de la population, on ne saurait s’accommoder de ce nombre élevé d’enfants déscolarisés et non-scolarisés.
Mais aussi, malgré les efforts des autorités qui multiplient les réformes et les mesures, les partenaires au développement jugent le tableau de l’éducation au Niger très préoccupant, en particulier en termes de qualité.
Face à cette pression démographique, « il faut faire quelque chose parce que cette situation représente une poudrière pour le pays », plaide Berei Tcha. Ce dernier craint que ces enfants soient des proies faciles à l’endoctrinement et à la propagation de la violence terroriste qui sévit dans les régions Sud-est et Sud-ouest du pays, avec son lot de trafics de tous genres : drogues, armes, personnes, etc.
Autant de raisons qui expliquent l’engouement des acteurs de l’école de Danzama Kouara autour de ce projet. Du chef du village au directeur de l’école primaire, en passant les responsables du comité de gestion (COGDES), l’Association des parents d’élèves (APE), l’Association des mères d’élèves (AME), tous sont impliqués.
Le directeur de l’école, Augustin Ramanou, est désormais à la fois directeur des élèves des écoles formelles et de ceux des « classes de la seconde chance ». Le chef du village, un octogénaire, se charge de veiller à ce que tout se passe bien. Quant aux femmes, elles surveilleront les enfants afin qu’ils soient effectivement en classe.
Engouement
« Nous allons trouver des moyens pour que le hangar soit construit », assure le chef. « Moi je vais héberger l’enseignant qui sera retenu pour la classe passerelle », promet pour sa part le président des parents d’élèves, Mamane Sanni Aboudou. « Nous, nous viendrons régulièrement nous enquérir des difficultés des enfants », complète la présidente de l’Association des mères d’élèves, Adamou Mariama, également mère de la jeune Chérifa.
Deux jeunes filles d'une classe passerelle
Deux jeunes filles d’une classe passerelle à Danzama Kouara dans la banlieue de Niamey (Niger)
Pour le directeur Augustin Ramanou, cela « va profiter à l’école et au village, et augmenter le nombre de filles à l’école », là où 3 filles sur 4 sont mariées avant l’âge de 18 ans.
Le chef du village, visiblement ému, pense que trouver une solution à l’éducation de ces enfants va contribuer à réduire les actes de banditisme qui se font de plus en plus sentir dans la zone.
« Des enfants volent, et quand on les attrape pour les rendre à la police, on les retrouve encore parmi nous. Tous ces enfants sont comme des abandonnés ; il faut leur donner une chance de devenir des personnes importantes dans le futur. C’est pourquoi je salue l’initiative de ce projet », insiste le vieillard qui, sourire en coin, signale avoir « 80 ans et un peu ».
Espoir partagé par le petit Abdoul Latif Garba. Lui qui, à 9 ans, passe la journée à vendre des feuilles de moringa pour sa mère. Ce gamin à la petite culote noire, dit ne plus supporter de voir ses amis aller à l’école sans lui.
Il veut réaliser son rêve, devenir gendarme quand il sera grand. « Moi, je veux devenir médecin pour aider les enfants et les femmes », professe pour sa part Cherifa. Quant au chef du village, débout sous un soleil brûlant à la mi-journée, les pieds plantés sur une terre sableuse ocre rouge à l’image des habitations environnantes, il rêve encore plus grand que les enfants : « je souhaite qu’un jour, un président de la République du Niger vienne de mon village ».
(AIP)
tm