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Afrique Publié le lundi 30 juillet 2018 | L’intelligent d’Abidjan

L’Afrique évolue, se transforme, au milieu du grand basculement du monde et du partenariat Sud-Sud

Le grand basculement du monde commence à se produire au lendemain de la chute du Mur de Berlin. A cette date, l’âme du monde va devenir peu à peu capitaliste. On voit la Chine se convertir au pragmatisme économique. On voit les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), devenir les chefs de file des pays émergents avec le projet de construire un nouvel ordre mondial. Lors du Vè Sommet des BRICS, qui s’est tenu les 26 et 27 mars 2013, à Durban, en Afrique du Sud, la décision est prise de créer, en 2014, une banque d’investissement des BRICS, afin de permettre aux grands pays émergents de s’affranchir de la tutelle de la Banque mondiale, jugée trop pro-occidentale. L’idée est de faire basculer le leadership mondial, économique et politique, de Washington à Pékin, Moscou, New Delhi, Brasilia ou Durban, car la croissance du monde se situe désormais ailleurs qu’en Occident. L’Afrique, qui a longtemps été un continent marginalisé, comprend tout l’intérêt que représente pour elle ce grand basculement du monde. Elle profite déjà de la croissance des BRICS qui sont avides de matières premières, minerais et produits agricoles. En 2006, se tient le premier Sommet Chine-Afrique. De continent oublié, l’Afrique devient un continent courtisé.
Un livre marque l’arrivée de l’Afrique dans le grand basculement du monde, Le Temps de l’Afrique, publié en 2011 par Jean-Michel Sévérino, l’ancien dirigeant de l’AFD (Agence Française de Développement), et Olivier Ray. Pour les deux auteurs, l’Afrique va connaître une deuxième indépendance : l’indépendance économique, au moment même où elle entre dans le XXIè siècle. Certes, la pauvreté et la violence y sévissent encore, les principes de bonne gouvernance ne s’appliquent pas partout et, à l’échelle du continent, l’intégration politique, économique et sociale reste embryonnaire malgré les efforts de l’Union Africaine.
Sur 54 Etats africains, nombreux sont ceux qui répondent aux critères d’évaluation de l’OCDE en matière de développement. Pour tous les observateurs, l’Afrique se situe désormais au centre des grands enjeux mondiaux. De façon évidente, l’Afrique subsaharienne participe aujourd’hui pleinement à la mondialisation, devenue pour elle un instrument de transformation qui permet de réduire l’inégalité des niveaux de vie avec les pays développés. Mais, contrairement à la Chine, l’Afrique n’exporte pas vers les pays développés des produits manufacturés. Cette industrie de transformation, qui crée de la valeur ajoutée et permet d’exporter autre chose que des matières premières brutes, manque encore à l’Afrique.
La Chine, qui est devenue le principal partenaire économique de l’Afrique, semble mettre en place une « stratégie africaine » nouvelle, qui va au-delà de la sécurisation de ses approvisionnements en énergies, matières premières et produits agricoles. Le partenariat Sud-Sud, que la Chine cherche à consolider, en particulier à travers les « nouvelles routes de la soie », permettra-t-il à l’Afrique ne pas être à nouveau pillée ? Les dirigeants chinois se sont engagés à rééquilibrer la balance commerciale entre l’Afrique et la Chine en augmentant « l'accessibilité des exportations africaines au marché chinois », notamment par la suppression des droits de douane sur certains produits. Mais pour exporter des produits transformés (la fève de cacao, les noix de cajou, etc.) ou manufacturés (des planches de bois, des meubles, etc), il faut les produire en Afrique. En tournée africaine du 20 au 27 juillet 2018, au Sénégal, au Rwanda et en Afrique du Sud, le Président chinois, Xi Jinping, a voulu rassurer les Chefs d’Etat africains en indiquant que les choses évoluent et que l’Afrique pourrait compter sur la consommation chinoise en hausse, afin de diversifier certains flux de revenus.

La place de l’Afrique dans la mondialisation

L’Afrique n’est plus aujourd’hui le continent oublié de la mondialisation. Continent de plus en plus ouvert aux échanges internationaux, l’Afrique voit affluer, à côté des anciennes puissances coloniales, de nouveaux investisseurs comme les Chinois, les Indiens, les Brésiliens, les pays du Golfe Persique, attirés par les ressources agricoles, minières ou énergétiques, mais aussi par l’acquisition de terres agricoles. Le « boum » démographique laisse prévoir la naissance d’un grand marché stimulé par une classe moyenne qui s’accroît sans cesse et qui vit dans les grandes villes. L’intégration de l’Afrique dans les flux de la mondialisation se confirme, portée par les dynamiques nouvelles que sont internet et la téléphonie mobile. Longtemps marginalisée, l’Afrique ne vit plus aujourd’hui repliée sur elle-même, elle s’ouvre au monde, à l’économie, à la démocratie, aux échanges internationaux. Ni afro-pessimisme, ni afro-optimisme, mais le regard que nous devons porter sur l’Afrique est un regard neuf, car plus personne ne peut se permettre de sous-estimer le continent noir au moment où les économies des anciens pays riches entrent en récession et où celles de la Chine et de l’Inde s’essoufflent. En même temps, si l’Afrique veut bénéficier pleinement de la mondialisation, elle doit opérer des réformes structurelles importantes, pays par pays et dans chaque ensemble sous régional. L’Asie représente un modèle de développement avec l’importance qu’elle a su accorder à l’éducation, aux nouvelles technologies, à la stabilité macro-économique, à la création d’un environnement favorable à l’investissement, etc. Mais, le moteur du développement de la Chine et des « dragons » asiatiques, à partir des années 1960-1970, a été l’exportation de produits manufacturés, ce qui n’est pas encore le cas de l’Afrique aujourd’hui. Le poids de l’Afrique dans les échanges internationaux est encore trop faible, voire insignifiant, car la différence de productivité entre économies développées et l’économie africaine reste trop importante. L’Afrique ne représente que 2 % du commerce mondial, un peu moins de 2 % pour la production et 1 % des investissements mondiaux. Cette situation risque de s’aggraver avec l’augmentation de la dette extérieure, les réductions de l’aide au développement, l’instabilité politique, le faible développement social notamment en matière d’éducation et de santé, la faiblesse du secteur bancaire, etc. Le chemin le plus sûr pour prendre place définitivement dans la mondialisation, en dehors de la réussite de quelques individus ou entreprises, est l’élargissement en Afrique des zones de libre-échange, un élargissement fondé sur une meilleure cohérence régionale et des projets de développement conjoints au-delà de l’égoïsme à court terme des Etats et des rivalités ethniques régionales. Les mécanismes d’intégration et de coopération économique, vecteurs d’une croissance saine et durable, supposent, beaucoup plus que des aides extérieures, qui sont des leurres, voire des pièges, si les Etats africains ne conduisent pas des politiques publiques orientées vers la diversification de leurs économies.
La mondialisation se réduit aujourd’hui à une stratégie commerciale dominée par les pays riches et les puissances émergentes comme la Chine. L’Afrique, pour éviter tous les pièges d’une économie mondialisée et sortir de la « mondialisation de la pauvreté », doit faire entendre sa « voix », se donner un « visage ». Or, rien n’est plus compliqué que de parler d’une même voix pour les 54 Etats d’une Afrique plongée dans le grand basculement du monde. Ce qui manque le plus à l’Afrique aujourd’hui, ce sont aussi des grandes voix, des leaders charismatiques capables de porter la parole des Africains sur la scène internationale, mais aussi un message d’intégration à l’intérieur même de l’Union Africaine.

Christian Gambotti
Agrégé de l’Université
Président du think tank
Afrique & Partage
Directeur de la Collection
L’Afrique en Marche
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