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Société Publié le lundi 8 avril 2019 |

Reconstitution du couvert forestier / Colonel Mamadou Sangaré (Directeur général de la SODEFOR) : « La REDD+ et le PIF sont des opportunités pour reconstituer et préserver les forêts ivoiriennes »

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Colonel Mamadou SANGARE, ingénieur des Eaux et forêts et Directeur général de la Société de Développement des Forêts (SODEFOR)
La Côte d’Ivoire a besoin de 6 500 000 hectares pour demeurer un pays forestier !

Dans cette interview qu’il a bien voulu nous accorder, le colonel Mamadou SANGARE, ingénieur des Eaux et forêts et Directeur général de la Société de Développement des Forêts (SODEFOR), Société d’Etat créée depuis 1966, fait l’état des lieux de la forêt en Côte d’Ivoire. Il met en exergue l’importance de la reconstitution du couvert forestier et les stratégies mises en place pour l’atteinte de cet objectif. Il appelle également tous les acteurs à une prise de conscience pour une lutte efficace contre le changement climatique.

Monsieur le Directeur général, comment peut-on définir la forêt en Côte d’Ivoire ?
La forêt est une notion qui se définit en fonction des pays et des zones. Chaque zone, en fonction de sa spécificité, adapte la définition de la forêt à son concept. En Côte d’Ivoire, selon le nouveau code forestier, la forêt est un espace naturel dynamique d’au moins 0,1 hectare, à l’exception des formations agricoles. Il faut que le houppier de ces arbres puisse couvrir au moins 30% de cette superficie et à terme, il faut que les arbres puissent atteindre une hauteur de 5 mètres au moins. Ce sont ces trois éléments mis ensemble qui permettent de définir la forêt. J’ai eu la chance de faire des missions dans des zones presque désertiques et j’ai été surpris de ce qui m’a été montré comme forêt. Ces forêts ne ressemblaient pas à des savanes arborées, mais plutôt à de vraies savanes telles que connues en Côte d’Ivoire.

Le Gouvernement est en train d’élaborer une nouvelle politique nationale de préservation, de réhabilitation et d’extension des forêts. Qu’est-ce qui explique ce besoin d’élaborer une nouvelle politique ?
La précédente politique n’est pas allée à son terme car des crises successives ont secouées le pays.
Aussi, faut-il tenir compte des nouvelles réflexions conduites par des experts sur le sujet, dans le but de développer une stratégie consensuelle de gestion durable des forêts prenant en compte principalement la préservation de la biodiversité, l’entretien d’un climat favorable au développement des activités socio-économiques et forestières et le respect des engagements internationaux.

Qu’est-ce qui a véritablement changé ?
Ce qui a véritablement changé, c’est l’association des populations et des opérateurs économiques dans la mise en œuvre de la politique forestière. C’est une nouvelle politique qui fait une place importante aux populations, aux opérateurs économiques comme les chocolatiers pour qu’ils puissent contribuer à la reconstitution du couvert forestier. Dans cette nouvelle stratégie, l’on parle des agroforêts, des concepts qui n’existaient pas. Cette nouvelle politique met aussi un accent sur la répression parce que la première politique n’était pas assez répressive. Au moment où nous avons pratiquement perdu une bonne partie de notre couvert forestier, il faut décourager les personnes qui prennent un malin plaisir à le détruire.


Une sorte de dédommagement demandé aux différents acteurs ?
Oui, cela peut être considéré ainsi car la Côte d’Ivoire a enregistré des performances dans divers domaines, notamment celui de l’agriculture ; notre pays est 1er producteur mondial de cacao et 1er producteur d’anacarde... Mais cela s’est fait au détriment de la forêt. Il faut donc faire appel à tous ces acteurs pour qu’ils puissent contribuer à la reconstitution du couvert forestier.


Les forêts permettent de protéger les sols contre l’érosion.

Quel est le rôle de la forêt dans la lutte contre le changement climatique ?
Les forêts est au cœur de la lutte contre le changement climatique et son premier rôle est la purification de l’air que nous respirons. Les arbres absorbent le CO2 que nous rejetons dans l’air (ndlr : CO2 est la formule chimique du Gaz carbonique) et rejettent de l’oxygène. C’est donc un filtre. Les forêts permettent de protéger les sols contre l’érosion. Cela est plus perceptible aujourd’hui dans les zones côtières. Il y a des conséquences du changement climatique sur le développement agricole. Aujourd’hui, au moment où nous nous attendons à la pluie, on n’en reçoit pas et au moment où nous n’en voulons pas, on en reçoit. Ce qui perturbe énormément le calendrier cultural. Il y a également les pluies violentes et les différentes catastrophes. Par le passé, malgré l’abondance des pluies, l’on n’avait jamais connu les inondations que nous connaissons aujourd’hui. D’une façon générale, la couverture forestière constitue un écran pour pouvoir gérer ces différents aspects notamment le climat dont notre vie dépend entièrement.

Quelles sont les différentes structures impliquées dans la gestion et leur rôle ?
Plusieurs acteurs interviennent dans la gestion du patrimoine forestier. D’abord au niveau de la définition de la politique. Cette tâche revient aux ministères de tutelle à savoir le Ministère en charge de l’environnement et le Ministère des Eaux et forêts. Le deuxième acteur qui intervient, c’est la SODEFOR qui gère les forêts classées estimés à 4 200 000 hectares pour 234 forêts. Nous, en tant que structure de mise en œuvre de cette politique, nous contribuons à la définition de ces politiques. Les réseaux des parcs et réserves sont gérés plutôt par l’Office ivoirien des Parcs et Réserves pour une superficie de l’ordre de 2 100 000 hectares. Ces deux superficies représentent 6 300 000 hectares. Si vous faites un calcul par rapport à la superficie globale de la Côte d’Ivoire, vous êtes autour de 20 pour cent. C’est tout cela qui constitue le patrimoine de l’Etat. Donc le colonisateur, avant même l’indépendance, avait prévu le développement de la Côte d’Ivoire. Sur plus de 32 000 000 ha que représente la superficie de la Côte d’Ivoire, les 6 300 000 hectares (superficie des forêts classées, parcs et réserves), s’ils étaient bien protégés, le pays en principe n’aurait pas besoin de faire des efforts supplémentaires parce que ces 20% lui aurait permis de demeurer un pays forestier.

La Côte d’Ivoire a utilisé une partie de la forêt pour se développer…

Quel est l’état actuel de la forêt ivoirienne ?
Vous me donnez l’occasion de corriger une information majeure parce que souvent l’on utilise à tort certains chiffres qui, en principe, ne doivent pas alarmer. Quand l’on parle de 16 millions d’hectares, c’était la moitié de la Côte d’Ivoire. Sinon la Côte d’ivoire, c’est environs 32 millions d’hectares. Entre temps, le pays doit se développer. C’est pourquoi, la Côte d’Ivoire a utilisé une partie de la forêt pour le faire, à savoir assurer son développement agricole, son développement social, économique et culturel. Mais aujourd’hui, la population ivoirienne est estimée à plus 25 millions de personnes, contre moins de 5 millions à l’indépendance. Ce qui accroit d’autant les besoins. Si je m’en tiens à l’estimation selon laquelle la forêt est passée de 16 millions d’hectares en 1900 à 3,5 millions d’hectares aujourd’hui, nous avons donc un gap de 3 millions d’hectares. En réalité, c’est cela le problème et c’est ce déficit que la nouvelle politique doit s’atteler rapidement à combler. Si nous arrivons à stabiliser la superficie de la forêt en Côte d’Ivoire autour de 6 500 000 hectares, nous avons déjà atteint les 20 pour cent du territoire et à cela s’ajouteront les initiatives privées.

Les Ivoiriens n’ont donc pas d’inquiétudes à se faire ?
Non, Les Ivoiriens n’ont pas à trop s’alarmer. C’est plutôt le gap que nous devons chercher à combler.

Quelles sont les causes de cette situation ?
La Côte d’Ivoire, pour asseoir son développement, a porté son choix sur l’agriculture. Je crois que l’agriculture se porte bien à travers les cultures de rente. C’est ce qui est aussi malheureusement et principalement à la base de cette situation.

Qu’elles sont les facteurs de la déforestation ?
Selon l’étude réalisée par le BNETD en 2015 avec l’appui de la REDD+, l’agriculture vient en tête des facteurs de déforestation. 60 à 80 pour cent de cette déforestation serait le fait de la cacaoculture. C’est ce qui explique l’engagement des chocolatiers, à travers l’initiative cacao-forêt à venir au secours de la forêt, en vue de sa reconstitution.

Que recouvre le concept de la gestion durable des forêts en Côte d’Ivoire ?
Pour mieux appréhender la question de la gestion durable, il faut cerner les différentes fonctions de la forêt qui sont environnementale, économique, sociale et culturelle. La gestion durable doit tenir compte de tous ces différentes fonctions citées. C’est pourquoi, par exemple, une exploitation forestière bien menée n’est pas source de déforestation.

Quelles actions mène la SODEFOR pour la protection du patrimoine forestier ?
La première des actions, c’est la surveillance. Les limites des forêts n’étaient pas toujours bien connues. Aujourd’hui, l’une des fonctions de la SODEFOR est de montrer les limites des forêts et les zones interdites. Dans cette optique, les agents doivent être continuellement sur le terrain pour éviter que les forêts ne continuent d’être envahies par les populations. Les agents des Eaux et forêts ne pourront réussir leurs missions que si les populations sont bien sensibilisées sur l’importance de la forêt et la nécessité de la préserver. Il faut donc amener les populations à en prendre conscience. La troisième action, c’est d’associer des outils modernes à la protection des forêts pour améliorer l’efficacité des agents sur le terrain. Enfin, l’une des actions les plus importantes et les plus connues est le reboisement qui consiste à reconstituer les espaces dégradés par l’action de l’homme.

Quelles sont les enjeux du mécanisme REDD+ face à la gestion des forêts classées en Côte d’Ivoire ?
Le mécanisme REDD+ est une opportunité importante pour nous, en ce sens qu’il est venu nous aider à sensibiliser les populations ; cela a aidé à une prise de conscience nationale et internationale.
REDD+, c’est aussi une opportunité de mobiliser des ressources pour réparer ce qui a été détruit par l’homme. Ces deux éléments nous donnent de l’espoir que les forêts pourront se reconstituer. La REDD+ fait ses preuves avec les premiers projets en cours d’implémentation sur le terrain.

La REDD+ et le PIF sont des opportunités pour la SODEFOR dans l’accomplissement de ses missions.


Comment la SODEFOR contribue à la mise en œuvre des mécanismes comme le REDD+, le PIF ?
Lorsque le mécanisme a commencé à se mettre en place, la meilleure façon pour la SODEFOR de contribuer, a été d’ouvrir les forêts classées à la REDD+ pour que ce soit un espace d’expérimentation. Nous avons coopéré pour atteindre les résultats attendus. Ce partenariat est à saluer et aujourd’hui, cela s’est traduit par la mise en place des premiers financements, notamment le programme d’investissement forestier (PIF). Les zones retenues sont celles du Sud-ouest, autour du Parc de Taï et du Centre dans les forêts classées d’Ahua, de proungbo Sereby et du complexe Mafa.
15 forêts classées sont concernées par le projet sur 234. Cela veut dire que l’espace est assez grand et l’expérience qu’on pourra avoir va nous permettre d’élargir le programme à d’autres forêts. La REDD+ et le PIF sont des opportunités pour la SODEFOR dans l’accomplissement de ses missions.

Quelles sont les perspectives de la SODEFOR pour les années à venir ?
La SODEFOR est en train de faire une mutation assez importante. Dans le cadre d’un diagnostic au sortir de la crise, nous avons fait le bilan ; nous avons réalisé un audit stratégique au niveau de la structure et au niveau des partenaires pour voir comment se projeter dans l’avenir. Cela nous a permis d’élaborer un plan stratégique 2017-2020 et un business plan. Nous avons signé un contrat de performance avec l’Etat depuis janvier 2018 et c’est une première ! Ce sont désormais des relations contractuelles qui lient la SODEFOR à l’Etat. Autrement dit, elle sera jugée sur les sujets pour lesquels elle s’est engagée, en fonction des moyens mis à sa disposition. Une des perspectives également, c’est de pouvoir stabiliser la situation des limites des forêts. Aussi, avons-nous pour devoir de sécuriser les forêts et mettre en place un programme de reboisement. C’est à cela que nous travaillons pour que la SODEFOR qui a été créée en 1966, redevienne une véritable structure de reboisement. Le plan de reboisement que nous avons élaboré, prévoit environ 35 000 à 40 000 hectares de reboisement par an. Ce qui va nous donner au moins 350 000 hectares dans les 10 années à venir si tous les moyens sont réunis. Ce projet relèvera la superficie totale reboisée à plus de 500 000 ha. Les reboisements ainsi constitués vont permettre de répondre à l’approvisionnement continu des unités de transformations. Une autre perspective assez importante également, c’est la modernisation de la structure. La forme de gestion va véritablement changer. Nous allons de plus en plus avoir recours à du matériel de technologie récente et à des drones, ce qui va entraîner moins de déplacement des agents sur le terrain. Nous allons passer d’une gestion traditionnelle à une gestion informatisée des forêts.

Nous devons faire en sorte que la Côte d’Ivoire redevienne
un pays de reboisement…

Dans le cadre de la lutte contre la déforestation, quel message avez-vous à lancer aux différents acteurs ?
A l’ensemble des différents acteurs, je voudrais dire sincèrement merci car les actions menées font qu’aujourd’hui la forêt est un sujet prioritaire pour l’Etat. Et cela se traduit par la présence du Conseil National de sécurité aux côtés de la SODEFOR dans le cadre de la sécurisation des forêts et de la signature du contrat de performance. Je remercie la REDD+ pour les initiatives en matière de gestion durable des forêts.

Comme message, je voudrais que toutes les populations retiennent que la forêt est notre bien commun. Nous devons avoir le reflexe de la protéger et de la pérenniser pour nous et pour les générations futures. Nous devons avoir en mémoire la citation du Président feu Félix Houphouët BOIGNY qui disait que si une génération a disposé de la forêt ivoirienne pour assurer l’essor économique et social du pays, celle qui lui succède doit désormais s’attacher à la reconstituer, tant pour sauvegarder notre environnement naturel que préserver notre bien-être. Tel est le défi que notre génération devra relever. Pour terminer, je tiens à remercier votre support pour l’opportunité que vous nous avez offerte pour parler de notre secteur. Je vous remercie.
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