Vous êtes un financier et vous produisez un livre d’histoire. Comment vous faites ?
Il n’y a rien de surprenant à cela. J’ai pris l’habitude de dire que je suis plus littéraire que financier. Je suis titulaire d’une maitrise en droit, j’ai fait l’Ecole nationale d’administration, la section économique. Mais comprenez que même si toutes mes années d’activités professionnelles ont été marquées par cet aspect de ma vie, je suis resté foncièrement littéraire.
Vous venez d’écrire le livre, "Côte d’Ivoire comme si hier n’avait pas existé"… Qu’est-ce qui motive la publication d’un tel livre ?
La motivation est toute simple. Notre pays traverse depuis plus de trois décennies, des crises à répétition qui ont tendance à s’éterniser. J’ai estimé qu’il fallait, à travers ce livre, relever un certain nombre de faits qui permettront à la population de faire la part des choses, de corriger nos comportements désinvoltes parce que, nous qui avons connu la Côte d’Ivoire d’hier, nous nous sommes rendus compte que depuis 1990, nous sommes entrés dans une spirale de crises qui continue. Il fallait donc que les jeunes générations, qui n’ont pas eu la chance de vivre ces moments, aient de quoi se faire leur opinion.
Alors donc globalement, de quoi parle le livre ?
Le livre fait l’historique, un ramassis des différentes situations que notre pays a connues depuis 1990 jusqu’en avril 2011. Donc de 1990 à 2011, ce sont des constats des années de chaos, et l’espoir à un retour d’un paradis perdu. Tout le monde est concerné par le contenu de cet ouvrage parce que les gouvernants tiennent compte de nos réactions quand ils agissent. S’ils font des choses qu’on ne réagit pas, c’est qu’on est d’accord. Notre mutisme nous a conduits à la spirale de crises que nous avons connues. Cela pour dire que tout ce qui est arrivé, chacun d’entre nous a une part de responsabilité parce que nous avons regardé faire. Donc aujourd’hui, je souhaite que nous prenions conscience en lisant ce livre que notre mutisme nous a conduits là où nous sommes. Le fait de n’avoir pas voulu être francs avec ceux qui nous gouvernent, fussent-ils des parents, on a mal fait et chacun doit assumer sa part de responsabilité.
A la lecture de ce livre, on a le sentiment que la Côte d’Ivoire est mal partie, surtout dans son virage vers la démocratie. Qu’en dites-vous ?
Cela fait partie des problématiques que le livre soulève. La démocratie ! Ce fameux mot. Je n’ose pas poser la question de savoir si elle est faite pour les Africains ou pas. Mais j’aimerais bien savoir ce que nous en faisons. Parce que vous voyez que jusqu’en 1990, la plupart des pays africains étaient sous des régimes à parti unique. Quoi qu’on puisse dire, il s’est trouvé que jusqu’ à cette période, on n’avait pas les problèmes que nous connaissons depuis 1990. Dans tous les pays, pratiquement les gens arrivaient à manger, à subvenir à leurs besoins. Quand les Occidentaux se sont rendus compte que ces partis uniques commençaient à faire tache d’huile, parce que nous avions des pays stables en Afrique, qu’il fallait stopper. Donc il leur fallait un autre système pour pouvoir continuer à nous maintenir sous leur joug parce qu’il n’est pas de leur intérêt que nous évoluions.
En 1990, lorsque la Conférence de La Baule a imposé le multipartisme, il y a eu des réactions. Feu le président Jacques Chirac avait dit que c’était trop tôt. Nos intellectuels ont volé dans ses plumes. Ils ont dit qu’il était esclavagiste, c’est quelqu’un qui ne voulait pas que l’Afrique évolue vers la liberté d’expression, vers la liberté d’opinion, etc. Le président Houphouët-Boigny lui-même a eu à dire que nous n’étions pas encore prêts. Le président Houphouët-Boigny, en le disant, est parti d’une expérience. Depuis 1980, il avait institué à l’intérieur du PDCI ce qu’il a appelé la démocratie interne pour que les gens comprennent qu’à l’intérieur d’un parti unique, les rivalités pourraient surgir à plus forte raison, lorsqu’on serait dans des formations politiques différentes. En 1990, il savait que les gens allaient nous imposer le pluralisme, il a tenté à son niveau pour montrer à la communauté nationale et internationale ce qu’il a déjà pu faire à l’intérieur de son parti. Mais depuis 1990, depuis qu’on nous a donné la possibilité de créer des partis, qu’est-ce qu’on en a fait ? Si ce n’est de nous tirer dessus, de perdre totalement l’intérêt du pays. Finalement, la liberté recherchée est devenue un cauchemar.
Interview réalisée par FRANÇOIS KONAN